Juven (p. 252-255).

CHAPITRE XLIII

Où il est question du porc, cet utile auxiliaire du charcutier, comme disait Buffon.


Et, à cette occasion, laissez-moi vous rappeler une anecdote qu’aimait à conter un vieux mien oncle au temps jadis où, bébé frais et rose, j’encadrais mon front par d’épaisses boucles brunes.

Deux individus s’avisèrent une fois d’acheter un cochon en commun.

Jusqu’à présent, cela va bien.

Consciencieusement, ils engraissèrent leur porc, lui apportant mille détritus du ménage, du son, et même des pommes de terre.

Tout le temps que dura cette suralimentation, la meilleure harmonie ne cessa de régner chez les braves co-propriétaires.

Voici où les choses se gâtèrent.

Un beau jour, l’un de ces messieurs estima que le porc se trouvait à point et que l’heure avait tinté d’occire l’animal.

Tel n’était point l’avis de l’autre.

On résolut d’attendre.

Quelques jours passèrent et le premier revint à la rescousse.

— Il est temps de tuer notre cochon.

— Pas encore ! Je m’y connais : la bête n’est pas au mieux de sa forme. Patientons encore.

L’homme pressé se gratta la tête et, du ton de celui qui a pris une grande résolution, prononça :

— Écoute, mon vieux, tu feras ce que tu voudras de ta moitié de porc, mais, moi, je vais tuer la mienne.

Et il fit comme il avait dit.

Inutile d’ajouter qu’en tuant sa part de bête, il causa du même coup le trépas de l’autre fraction.

… Cette histoire m’est revenue en souvenance à la lecture d’une stupéfiante circulaire qu’a bien voulu me communiquer mon ami le Captain Cap en m’engageant à y mettre toutes mes économies.

Il s’agit d’une affaire, mirifique au dire du prospectus, d’une entreprise de Délardage de Cochons vivants.

Le début de la circulaire, que voici textuellement vous éclairera sur la question :

« La porcarine
« Origine et principe de l’invention. »

« Le plus simple cultivateur sait que le cochon arrivé au moment psychologique (sic), c’est-à-dire gras à point, se laisse manger, par les rats, des portions importantes de sa chair.

« Le célèbre inventeur M. L. Tourillon, qui nous a cédé ses brevets, et qui reste attaché à notre société, frappé de ce fait, imagina sa fameuse machine à délarder.

« Un pantographe élastique et des lames hélicoïdales à cuiller en furent la base, etc., etc. »

… Suit la description en détail de l’opération et la désignation des futures victimes, lesquelles appartiendront aux races Middlesex, New-Leicester et Tonkinoise. (La race Craonnaise est, paraît-il, trop en chair pour ce genre d’entreprise. Heureuse race !)

« … Convenablement exploité, chaque cochon nous offrira (!!!) 100 kilos de lard par an, soit deux cents francs au minimum. »

— Et la Société protectrice des animaux ! Cap qu’est-ce qu’elle dira ?

— Le cas est prévu et un charmant petit post-scriptum répond d’avance à la menace :

« Pour calmer les alarmes des cœurs tendres et donner satisfaction à la Société Protectrice des Animaux, les cochons seront anesthésiés avant de subir les opérations. »

— Attendons-nous à une forte hausse sur le chloroforme, conclut le Captain.