Juven (p. 225-228).

CHAPITRE XXXVI

Où la Russie cherche à voler un peu de gloire au Captain Cap.


Je vous laisse à penser combien mes yeux tressaillirent d’allégresse quand, fouillant le sommaire de la très intéressante Revue de chimie industrielle, mon regard tomba sur ce titre si plein d’attrait : Production de force motrice par les microbes.

Tout de suite, je pensai à un vieux projet que le Captain Cap avait formé jadis d’actionner de puissantes machines au moyen des rotifères, ces ridicules petits êtres qui passent leur vie à tourner, tourner, tourner sans cesse, sans raison, sans but, sans résultat et, eût ajouté Verlaine, sans espoir de foin.

Mais la Revue de chimie industrielle est publication trop grave pour abriter pareilles saugrenuités.

Qu’est-ce donc que cela pouvait bien être ?

Calmez-vous, voici :

« L’ingénieur N.-P. Melnikoff, à Odessa — je copie textuellement — a construit un modèle en réduction d’une machine qui fonctionne à l’aide des produits de la vie des bactéries.

« En réalité, cette machine n’a encore aucune importance pratique, elle est à peine née ; mais il y a le plus grand intérêt, au point de vue mécanique, à étudier la vie des bactéries et leur puissance de développement.

« M. N.-P. Melnikoff s’est d’abord attaché à la bactérie Saccharomyces cerevisiæ qui produit la fermentation alcoolique en dédoublant le sucre en alcool et acide carbonique.

« On prend un réservoir de cuivre, on y introduit la glucose, de la levure, de l’eau, etc.

« Le lendemain, à la température de 20°, le réservoir intérieur contient du gaz acide carbonique à la pression de 4 atmosphères et demie, correspondant à 15 livres anglaises de pression par pouce carré. »

(Pourquoi cet ingénieur russe se sert-il de mesures anglaises ? Mystère ! L’Alliance serait-elle donc un vain mot ?)

Alors, vous n’avez plus — je résume — qu’à faire travailler votre gaz comprimé, ce qui est l’enfance de l’art.

Pierre Giffard a publié un livre qu’il intitule triomphalement (tout en oubliant de me l’envoyer) la Fin du cheval.

Le temps n’est peut-être pas si loin où l’on pourra écrire, et non sans raison, la Fin du Pétrole, la Fin de l’électricité, etc., etc.

Les machines à bactéries, l’avenir ne saurait se trouver ailleurs, car ce moteur-là ne risquera jamais de s’épuiser ; quand il n’y en a plus, il y en aura encore !

Et puis, le grand avantage du système Melnikoff consiste surtout dans la facile utilisation du résidu : à peu près un litre de cognac (?) pour cinq kilos de glucose employée.

Chouette, alors ! Y aura du bon !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et maintenant, arrachons brutalement à M. N.-P. Melnikoff, d’Odessa, la couronne apothéotique qu’il usurpe !

M. N.-P. Melnikoff arrive bon second dans cette intéressante question.

Le premier ne fut autre, une fois de plus, vous l’avez deviné, que notre glorieux ami, le Captain Cap.

Voici, en effet, deux ans (le loisir me manque de retrouver la date précise) que sur les indications du Captain, nous préconisâmes le moyen d’économiser le prix du transport de nos vins nationaux depuis l’endroit de la récolte jusqu’à celui de la consommation.

Il s’agissait très simplement de les véhiculer pendant leur temps de fermentation, en utilisant leur acide carbonique sous pression pour actionner les roues de camions ad hoc.

Ajoutons, non sans humiliation, qu’aucun constructeur ne réalisa ce beau rêve.

Mais la Russie était là, qui veillait !

Vive la Russie ! monsieur !