Juven (p. 212-216).

CHAPITRE XXXIII

Un aspect nouveau de la métallothérapie.


À l’époque — et ça ne nous rajeunit pas — où j’habitais le quartier Latin, les étudiants en médecine que j’avais habitude de vivre avec[1] s’entretenaient volontiers sur un nouveau mode de soulager l’humanité souffrante que venaient d’imaginer simultanément deux savants cliniciens, le docteur Burq et le docteur Dumontpallier : la métallothérapie, dont le seul nom nous dispensera d’en dire plus long.

Vers le même temps, il était également question, dans le même quartier, des curieux travaux du docteur Luys, auquel, à la Salpêtrière (je crois), il suffisait d’approcher certaines drogues de la plante des pieds de ses malades pour, entre autres résultats, leur enlever des névralgies intercostales, un simple rhume de cerveau, la teigne, etc., etc.[2].

Avouez que tout cela relevait quasiment du merveilleux, dirait M. Gaston Méry, notre actif conseiller municipal.

J’ignore ce qu’il advint, depuis ces temps, du système métallothérapique des docteurs Burq et Dumontpallier, mais je me souviens que la prétendue « action des médicaments à distance » déchaîna bientôt sur la réputation du docteur Luys plus d’un sourire incrédule et fâcheux.

Eh bien, les gens qui souriaient avaient tort de sourire, et le petit fait dont celui qui écrit ces lignes fut ce matin même le stupéfié témoin, réunit dans une allégresse commune les mânes[3] de MM. Luys, Burq et Dumontpallier.

Je me trouvais donc, vers onze heures et demie — comme par hasard — à la terrasse du café de la Paix, en compagnie du Captain Cap.

Ce parfait gentleman me contait l’histoire suivante :

— Vous voyez en moi un homme chargé d’une mission bien douce. Ayant perdu la somme de cinq francs par la faute d’un pari conclu avec Mme X. Y. Z.[4], je me suis vu refuser la remise de l’enjeu : « Gardez ce dollar, m’intima la jolie gagnante, et remettez-le de ma part au premier pauvre véritablement intéressant que vous rencontrerez… »

Cap en était là de son récit quand soudain se présenta devant notre table cet indigent que connaissent si familièrement tous les Parisiens accoutumés à fréquenter de la Madeleine à l’Opéra.

Je veux parler du sinistre homme roux à cheveux plats dont la marche, l’inlassable marche, n’est que la succession jamais arrêtée des secousses de tout un corps ataxique.

— Tiens, s’écria Cap, le voilà mon pauvre ! Extirpant de sa poche la pièce de cinq francs, mon ami la colla dans le creux agité de la trépidante main.

Soudain… je n’en croyais pas mes yeux… voilà notre homme qui cessait de flageoller de la tête, et des bras, et des guibolles !

Sa pièce de cinq francs devant les yeux, il semblait devenu la proie subite d’une immobilité d’airain.

Cette très curieuse cure, par malheur, ne dépassa pas en durée le laps de temps d’une minute, au bout de laquelle notre infortuné reprenait son agitation coutumière.

Fort intéressés d’une expérience aussi inattendue, bien décidés à en suivre les phases, nous emboîtâmes le pas, Cap et moi, à notre improvisé sujet.

Bientôt, il s’arrêtait sous une porte cochère, tirait de sa poche la pièce de cent sous et l’observait longuement sur ses deux faces (ou pour parler plus exactement, sur sa pile et sur sa face) ; puis il entra chez un mastroquet où il absorba, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, une de ces absinthes dans lesquelles la cuiller tient facilement debout.

Tout le temps que dura cette opération notre malade ne trépida pas.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sans rien conclure hâtivement, ne nous est-il pas permis, dès aujourd’hui, de présumer que l’argent est un métal qui n’a pas besoin, ainsi qu’on l’avait cru jusqu’à présent, d’être ingéré pour avoir une action des plus sédatives à l’égard des accidents nerveux ?


  1. Que nos braves lecteurs veuillent bien excuser cette saugrenue façon de m’exprimer : je possède, en ce moment, chez moi une famille belge des plus honorables, mais dont le langage déteint légèrement sur le mien.
  2. Même observation que plus haut.
  3. Si parmi ces messieurs, il s’en trouvait encore un qui ne fût pas décédé, je le prie très respectueusement de ne pas m’en vouloir. Un peu de patience et ça viendra.
  4. Ces initiales dissimulent à peine la personnalité d’une très charmante jeune femme de la colonie étrangère : Mme Xavière Yturbide-Zevaco.