XVII. Le 22 août 1616
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Après sa rencontre avec le roi, Concini, Richelieu, Angoulême et Cinq-Mars, Capestang était rentré à l’auberge du Grand-Henri où Cogolin, tout d’abord, lui avait raconté que le jeune marquis courait après lui pour le pourfendre.

"Je le sais, dit Capestang, puisqu’il m’a rattrapé.

— Ah ! Et monsieur le chevalier n’a pas été pourfendu ? demanda Cogolin. Alors, c’est que M. le marquis est mort.

— Non pas. Il vit. Seulement, je te préviens qu’il est plus enragé que jamais. D’ailleurs, je commence à croire que les gens de Paris ont tous été mordus et qu’ils veulent me mordre. Et puis, figure-toi que j’ai dormi sous un sapin, et que j’ai rêvé sang et massacre. Mauvais signe, Cogolin !

— Mais non, monsieur. C’est signe d’argent. Massacre, c’est prospérité. Sang, c’est argent.

— Je le veux bien. Mais est-ce que ce ne serait pas aussi signe de dîner ?

— Oui, vraiment", fit Cogolin qui désigna à son maître une table toute dressée.

Capestang attaqua aussitôt les diverses victuailles dont s’adornait la nappe éblouissante, notamment un de ces fins pâtés d’alouettes dont maître Lureau était l’inventeur et dont la réputation est venue jusqu’à nous. Lorsque le chevalier eut satisfait cet appétit, que ni les émotions ni l’amour ne parvenaient à émousser, ce fut au tour de Cogolin. Seulement, Cogolin, respectueux de la hiérarchie, mangea debout ce qui restait du pâté (il n’en restait que la croûte) et vida les fonds de bouteille.

"Si monsieur le chevalier voulait me raconter sa journée, dit-il, ce me serait un dessert de roi."

Capestang ne se fit pas prier. Le chevalier se mit à raconter au valet les multiples incidents de sa journée. Il résulta de ce récit que Cogolin ne put s’empêcher de se lamenter en ces termes :

"Avec tant d’ennemis, que va devenir mon maître ? Sûrement, il sera haché menu comme les alouettes de maître Lureau. Et moi qui suis son valet, le moins qui puisse m’arriver, c’est d’être taillé en fines bardelettes de lard comme celles qui enveloppent lesdits pâtés ; car je ne puis prétendre au même traitement qu’un chevalier de Trémazenc de Capestang ; c’est bien cela, monsieur, vous fournirez l’alouette et moi le lard.

— C’est impossible dit Capestang. Tu es trop maigre pour cela. Tu peux donc te rassurer. Au surplus, si nos deux carcasses doivent s’amalgamer dans le pâté que mes ennemis veulent tirer de nous, à ce que tu prétends, tu dois considérer ce sort comme le plus grand honneur qui puisse t’arriver. Et, en fin de compte, si tu me romps les oreilles avec tes plaintes et que tu m’empêches de digérer en paix, je décroche la discipline..."

On se rappelle, en effet, qu’un moine avait précédemment habité cette chambre et y avait oublié sa discipline. Cogolin prit aussitôt une figure des plus fières et s’écria :

"Ah ! monsieur, c’est vrai. Il y a l’honneur. Je n’y pensais pas.

— Tu vois bien."

Cogolin se hâta de desservir la table. Puis il alla trouver le patron de l’auberge.

"Maître Lureau, lui dit-il, mon maître vous pardonne d’avoir osé révéler qu’il vous faisait l’honneur de loger ici. Vous pouvez donc retirer la marmotte dont vous avez enveloppé votre tête pour sauver vos oreilles.

— Ah ! monsieur Cogolin, dit Lureau, vous me rendez bien heureux, et si un verre de vin d’Espagne peut...

— Vous avez donc un bon cœur, interrompit Cogolin. Mon maître n’en sera que plus peiné d’avoir à vous arracher la langue...

— M’arracher la langue ? Oh ! oh ! mais il est donc enragé, votre maître ?

— Et à vous crever les yeux.

— Me crever les yeux ! Savez-vous qu’il y a des juges à Paris ?

— Oui. Et les juges diront que mon maître a bien fait de vous rendre aveugle et muet, vu qu’il est chargé par le roi, vous entendez bien, par le roi en personne, d’une mission secrète, et que tout sera manqué si, par votre faute, les ennemis du roi apprennent que M. le chevalier habite chez vous."

Maître Lureau réfléchit un moment. Puis il se frappa le front.

"J’ai compris ! s’écria-t-il mystérieusement.

— Qu’avez-vous compris, maître Lureau ?" fit Cogolin assez étonné.

L’aubergiste se pencha à l’oreille de Cogolin :

"J’ai compris pourquoi M. l’évêque de Luçon est venu rôder par ici...

— Ah ! ah !... Justement, il s’agit d’une mission touchant les intérêts épiscopaux.

— Épiscopaux ? fit l’aubergiste avec un respect d’autant plus sincère qu’il entendait fort mal le sens de cet adjectif cabalistique. Cela ne m’étonne plus, alors ! Et chacun sait du reste que M. de Richelieu est un puissant personnage.

— Bon ! il s’agit donc de dépister tout évêque, chanoine, diacre ou cardinal qui viendrait espionner mon maître. Fût-ce même notre Saint-Père ! Vous comprenez ? Sans quoi..."

Cogolin accentua ses dires par des gestes si terribles que l’aubergiste jura que bien fin serait celui qui arriverait à dénicher en son honorable maison le chevalier de Capestang. De cet entretien, il résulta que Capestang, sans s’en douter, fut gardé aussi précieusement qu’un trésor. Lureau et Cogolin, dans les journées qui suivirent, furent deux gardes du corps admirables. Cinq-Mars revint s’assurer que son adversaire n’habitait plus le Grand-Henri et Cinq-Mars s’en retourna convaincu que Capestang lui échappait. Laffemas vint un soir boire une bouteille avec maître Lureau et en fut pour sa dépense de vin et de diplomatie. Lui aussi demeura convaincu que le chevalier avait changé de logis, ce qui lui semblait naturel. Pendant ces quelques jours, le chevalier prit d’ailleurs lui-même toutes les précautions nécessaires. Il ne tenait nullement à tomber dans quelque guet-apens où il eût laissé bêtement sa peau.

Le 22 août arriva sans qu’aucune tentative eût été dirigée contre l’auberge du Grand-Henri, à par les deux reconnaissances poussées par Laffemas et Cinq-Mars. Ce jour du 22 août, Capestang l’avait attendu avec une fébrile impatience, remettant toute résolution jusqu’à l’heure où il aurait revu la pauvre démente de Meudon. C’était un bien faible espoir de trouver la trace du duc d’Angoulême et, par conséquent, de revoir sa fille… Mais il n’y a rien d’acharné à l’espoir comme un véritable amoureux.

Capestang attendit donc que la journée fût avancée assez pour qu’il arrivât à l’heure convenue ; s’étant mis en route suivi de Cogolin, qui montait son rouan, il atteignit la mystérieuse maison au moment où le soleil venait de se coucher derrière la cime des arbres. Son cœur se mit à battre lorsqu’il pénétra dans le parc abandonné et se dirigea vers le perron sur lequel il fixait un ardent regard… Et soudain, il frémit jusqu’au fond de son être. Fidèle à sa promesse, Violetta apparaissait sur le perron, toute blanche et comme poudrée d’or par les derniers rayonnements du soleil couchant.

"Oh ! murmura le chevalier, que va-t-il maintenant sortir pour moi de cette bouche qui sourit d’un si mystérieux sourire ? Est-ce le bonheur ? Est-ce l’incertitude, plus affreuse que tous les malheurs ?"

Il mit pied à terre et, s’approchant du perron, salua la gracieuse apparition d’un de ses grands gestes de noble envergure où il mettait tantôt une crânerie insolente, tantôt ce respect ému qui plaît tant aux femmes, dont le suprême idéal est d’inspirer à la fois l’émotion et le respect.

La folle ne sembla pas avoir vu Capestang. Ses yeux, d’un bleu intense, regardaient au loin et semblaient avidement interroger l’horizon. Et elle murmurait de confuses paroles que Capestang n’entendait pas. Tout à coup, elle vit le chevalier et, passant d’une pensée à une autre avec la rapidité des cerveaux que rien ne guide plus, elle se mit à sourire.

"Madame, dit Capestang, lorsque j’ai eu l’honneur de vous voir ici même, vous avez bien voulu me donner rendez-vous. Vous m’avez dit : « Le 22 août, au moment où le soleil descend derrière les arbres. » Nous sommes au 22 août, et, tenez, voici que le soleil disparaît, et me voici !

— Le 22 août ! balbutia la folle. Où ai-je entendu ces mots ? Qui les a prononcés ? Charles, mon Charles, est-ce toi qui parlais derrière cette porte ? Qu’ai-je encore entendu ?"

Capestang écoutait de tout son être. Violetta se taisait. Elle se penchait dans l’attitude de quelqu’un qui écoute. Il se faisait un grand travail dans sa tête ; son effort pour éveiller la mémoire presque éteinte était visible, et le chevalier en éprouvait une sorte de pitié à voir ses traits si fins se convulser.

"Qu’ai-je entendu encore ? continua la folle. Oui, c’est Charles qui parle. Et, maintenant, voici une autre voix : « Duc d’Angoulême, il est temps d’agir !... »

— Le duc d’Angoulême ! fit sourdement le chevalier.

— Charles répond ! continua la folle. Il leur dit... que leur dit-il ? Le 22 août... oui ! ce sont bien ces mots que j’ai entendus... la maison qui est au bord du fleuve... mon hôtel...

— L’hôtel d’Angoulême ! murmura le chevalier haletant.

— Et puis ?... et puis... oh ! les mots écrits dans le bronze !... les mots qu’il faut toucher du doigt... je ne me souviens pas... oh ! je me souviens... Je charme... je... charme...

Je charme tout ! La devise de Marie Touchet gravée dans le bronze sur la porte de l’hôtel d’Angoulême ! Ah maintenant, je connais le secret de cette porte ! Maintenant, je sauverai le père, comme j’ai sauvé la fille !"

La folle descendit les marches du perron, de ce pas de gracieuse majesté qu’ont les déesses d’Homère et de Pindare. Elle s’approcha du chevalier et lui prit la main.

"Vous me plaisez, dit-elle en souriant. Voulez-vous que je vous lise votre bonne aventure dans la main ? Autrefois, je savais. Et puis je chantais. Voyons votre main. Que vois-je ? Des dangers, et du sang, beaucoup de sang... et des ennemis autour de vous ! Fuyez enfant, fuyez ! Écoutez la voix prophétique. Prenez garde ! Défiez-vous du fruit que vous mangez, car il est empoisonné... du mendiant qui vous demande l’aumône, car il cache un poignard sous son manteau, défiez-vous de tout, de l’air que vous respirez, de la jeune fille qui vous sourit et jette ses bras autour de votre cou... fuyez, fuyez, sautez sur votre bon cheval, et par les monts, par les plaines, courez, volez, fuyez, jusqu’à ce que vous ayez mis l’immensité entre vous et ceux qui vous guettent !"

Elle laissa brusquement tomber la main de Capestang, se mit à rire et, avant que le chevalier eût pu faire un geste, elle avait légèrement remonté le perron. Là, elle se retourna, leva le bras et, d’une voix qui fit frissonner le chevalier, répéta :

"Fuyez ! Demain, il sera trop tard ! Fuyez !"

Puis elle disparut. Capestang demeura une minute tout étourdi. Puis sautant sur Fend-l’Air, il reprit au galop la route de Paris. Il faisait nuit noire lorsqu’il arriva au Grand-Henri. Les chevaux furent installés à l’écurie, puis notre aventurier sortit en toute hâte, escorté de Cogolin, qui s’était armé de deux poignards et d’un pistolet, sans compter la colichemarde qu’il avait ceinte.

Au moment où il arriva devant l’hôtel d’Angoulême, onze heures sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois. Cogolin se posta en sentinelle perdue au coin du quai. Capestang jeta un coup d’œil sur la façade de l’hôtel. Elle était silencieuse, obscure et triste comme le soir où il était déjà venu là, dans l’espoir de retrouver le duc d’Angoulême. Il s’approcha de la porte ; mais, cette fois, au lieu de soulever le marteau, il se mit à toucher l’une après l’autre les lettres qui composaient la devise gracieuse de la gracieuse Marie Touchet, mère du duc d’Angoulême : Je charme tout.

La porte ne s’ouvrit pas ! Capestang laissa retomber sa main découragée.

"Fou ! murmura-t-il, fou que je suis de m’être arrêté aux paroles d’une malheureuse démente ! Oh ! ajouta-t-il en tressaillant, elle n’a pas dit de toucher les lettres… elle a dit qu’il fallait toucher les mots. Essayons. Folie ou sagesse !"

Il appuya fortement le pouce sur l’ensemble du mot : Je. Rien ne bougea. Ce fut alors au tour du mot : charme. A peine le nocturne visiteur eut-il appuyé qu’il sentit le bronze céder sous sa pression… une sourde exclamation lui échappa. Le bruit léger d’un déclic venait de se faire entendre et il vit que la porte s’ouvrait !... Capestang entra d’un bond.

"Enfin !" gronda-t-il en lui-même.

Et tout à coup une bizarre impression de malaise s’abattit sur lui ; instinctivement il porta la main à sa rapière qu’il dégagea à demi du fourreau… Il lui sembla qu’il venait d’entrer dans une tombe... derrière lui, la porte se refermait sans bruit, d’elle-même, et il eut alors cette sensation que plus que jamais il ne sortirait pas de là. Autour de lui, l’obscurité était profonde, la nuit épaisse l’enveloppait, un silence funèbre pesait sur cette atmosphère glacée qu’il respirait avec effort.

Peu à peu, ses yeux s’étant accoutumés aux ténèbres, il distingua au loin une faible lueur vacillante qui semblait lui dire : « Viens. » Vers cette lueur, il se mit en marche. Bientôt, à mesure qu’il s’approchait de cette clarté et qu’il distinguait mieux ce qui l’entourait, il remarqua qu’il longeait un couloir étroit, aux murailles nues, lézardées, où brillaient par places les cristaux du salpêtre. Il arriva enfin à une sorte de rotonde, et il vit que la clarté qui l’avait guidé était produite par une lampe posée sur une chaise. Près de la chaise commençait un escalier qui s’enfonçait en forme de vis dans les entrailles du sol. Capestang comprit que c’était là qu’il fallait descendre.

"Je vais, pensa-t-il, assister à une répétition de la scène que j’ai déjà vue à l’auberge de la Pie-Voleuse. On conspire. Le duc d’Angoulême veut être roi. Le duc de Guise veut être roi. Le prince de Condé veut être roi. Que de rois pour un seul royaume ! Et le fils de mon illustre compatriote Henri IV, que deviendrait-il ? Oui, que ferait-on de Sa Majesté Louis, le treizième du nom ? Il serait donc déposé ? Pauvre petit prince ! Je l’aime, moi, parce qu’il me ressemble, parce qu’il est faible, isolé, entouré d’ennemis comme moi ! Et puis il a dit là-bas, sur la route de Meudon, une chose qui m’a été au cœur : « M. le chevalier de Capestang est de mes amis ! » Corbacque !"

Le monologue auquel il se livrait eût pu durer longtemps encore, si le chevalier ne se fût aperçu tout à coup qu’il se trouvait dans une cave assez spacieuse où il entendait comme un murmure de paroles. Il jeta un regard autour de lui et vit que la cave était en forme de rectangle ; sur le côté de ce rectangle faisant face à celui par où il venait de descendre, s’ouvrait un deuxième escalier. Sur le côté droit s’ouvrait une porte ; sur le côté gauche, trois portes, dont celle du milieu, seule, était fermée.

C’est de là que partait le murmure de voix entendu par Capestang. C’est vers cette porte qu’il se dirigea, dans l’intention de heurter. Dans le même instant, la voix s’élevait et disait :

"Nul ne connaît le secret de la porte ; ainsi, messieurs, nous pouvons parler sans crainte ; cependant, puisque M. le prince le demande, Cinq-Mars, mon enfant, placez-vous dans la cave, à tout hasard.

— Bien, monseigneur", répondit la voix de Cinq-Mars parfaitement reconnue par Capestang.

Mais l’autre voix aussi, il lui sembla la reconnaître ! Et il avait pâli. Et, sans se rendre compte de ce qu’il faisait, poussé par une sorte d’instinct, il se jeta d’un bond derrière l’une des deux portes entrouvertes. Il était temps : CinqMars apparaissait à ce moment dans la cave et allait se placer en surveillance au haut de l’escalier par où était descendu Capestang. On entendit sa voix qui descendait :

"Je suis à mon poste, monseigneur !

— Bien, mon enfant !" cria la voix que Capestang avait déjà cru reconnaître.

"Cette voix ! Cette voix ! murmura Capestang avec une indéfinissable angoisse. Oh !... mais… c’est lui... c’est la voix de l’homme masqué de la route de Meudon ! L’homme qui parle ici en maître... eh bien, ce ne peut être que le duc d’Angoulême !... Et c’est ce même homme qui veut me tuer, qui m’accuse de rapt et m’appelle misérable ! C’est le père de celle que j’aime ! Celui que je viens sauver !... Oh ! quand je devrais y perdre la vie, il faut que je sache !..."

La tête perdue, bouleversé par une de ces émotions comme jamais il n’en avait éprouvé, le chevalier rentra dans la cave rectangulaire. Et là, il s’arrêta, comme frappé de la foudre. La porte de la pièce mystérieuse, où étaient rassemblés les conspirateurs, oui cette porte, après la sortie de Cinq-Mars, était demeuré entrouverte ! Et, par l’entrebâillement, Capestang, de ses yeux hagards, reconnut à son costume l’homme masqué qui l’avait insulté sur la route de Meudon ! Et, du costume remontant au visage, il reconnaissait le duc d’Angoulême, qu’il avait vu à l’auberge de la Pie Voleuse ! Hors de lui, le chevalier allait s’avancer, entrer, braver le duc... Soudain, il demeura rivé à sa place, les cheveux hérissés, une sueur d’épouvante au front. De nouveau, le duc d’Angoulême parlait et, cette fois, il disait :

"Messieurs, nous sommes ici les chefs de l’entreprise. La nouvelle est d’une gravité suprême. Il faut que, dès demain matin, nous soyons prêts à tout ! Car cette nuit, messieurs, cette nuit, on empoisonne le roi de France !"

« Cette nuit, on empoisonne le roi de France !… »

Ces paroles retentirent comme un coup de tonnerre aux oreilles de Capestang. Un cri terrible lui échappa. A ce cri, un tumulte éclata dans la pièce où se tenait le duc d’Angoulême. La porte de la cave, violemment repoussée, fut inondée par la lumière des lampes qui éclairaient cette pièce. Et huit hommes se ruèrent en hurlant :

"Trahison ! Trahison !...

— Capestang ! vociféra le duc d’Angoulême en reconnaissant le chevalier. Ah ! misérable ! Deux fois traître ! Voleur de filles et voleur de secrets ! Cette fois, tu es mort !...

— Capestang ! rugit par-derrière la voix de Cinq-Mars. Tuez ! tuez ! messieurs."

Ces huit hommes étaient de hauts seigneurs, ducs, princes, la fine fleur de la noblesse de France. En toute autre occasion, ils se fussent crus déshonorés de tomber ensemble sur un seul homme. Mais cet homme avait entendu l’épouvantable secret. Cet homme, d’un mot, pouvait faire tomber leurs têtes ! Cet homme, c’était un espion !

Et, dans cette seconde terrible, cette idée fulgura dans le cerveau du duc d’Angoulême que la visite faite par Léonora Galigaï était un piège !... Un piège, son assurance formelle qu’elle laisserait faire ! Un piège, la lettre de Lorenzo qu’il venait de lui faire parvenir il y avait deux heures !

"C’est un espion de Concini !" hurla-t-il en portant le premier coup.

Déjà les autres s’étaient rués en criant : « A mort ! A mort ! » Dès le premier instant, dès la seconde où il vit la porte s’ouvrir toute grande, les épées luire comme un faisceau d’éclairs, les conspirateurs se pousser, arriver sur lui comme une bande de démons, faces convulsées, regards fulgurants, dès cet instant, le chevalier avait reconquis tout son sang-froid. Un bon terrible de côté, et sa rapière flamboya, commençant le moulinet qui lui faisait un rempart d’acier. Presque aussitôt, il y eut le bruit sec et argentin d’une lame qui se brise, et Capestang vit qu’il n’avait plus à la main qu’un tronçon d’épée !

Un furieux hurlement de joie, de triomphe et de haine roula sous les voûtes de la cave… Capestang vit les pointes d’acier sur sa poitrine. Il éclata de rire. Il se croisa les bras pour mourir dans une suprême bravade de capitan, et murmura :

"Et moi qui étais venu faire fortune à Paris ! Mort... fortune... amour... adieu, lavie !"