Traduction par Albert Savine.
P.-V. Stock, éditeur (p. 164-183).

VII-Nouvelles reçues de Havant modifier

Après avoir donné mes ordres pour que Covenant fût sellé et harnaché le lendemain à la pointe du jour, j'étais rentré dans ma chambre, et je me préparais pour une longue nuit de repos, quand Sir Gervas, qui couchait dans la même pièce, entra en dansant et agitant au-dessus de sa tête un paquet de papiers.

-Trois devinettes, Clarke, cria-t-il. Qu'est-ce que vous désireriez le plus?

-Des lettres de Havant, dis-je vivement.

-Juste! répondit-il en les jetant sur mes genoux. En voilà trois, et pas une qui soit d'une écriture féminine. Je veux être pendu si je comprends ce que vous avez fait de toute votre vie:

Comment un coeur jeune peut-il renoncer À l'amour de la femme, au vin qui pétille?

Mais vous êtes si absorbé par vos nouvelles que vous n'avez pas remarqué ma transformation.

-Ah! où donc avez-vous trouvé tout cela? demandai-je, fort étonné.

Il était vêtu d'un costume de nuance prune très délicate avec des boutons et des bordures d'or, que faisaient ressortir des culottes de soie et des souliers à l'espagnole avec des roses sur le cou-de-pied.

-Cela sent plus la Cour que le camp, dit Sir Gervas en se frottant les mains et promenant sur sa personne des regards fort satisfaits. Je suis également ravitaillé en fait de ratafia et d'eau de fleur d'oranger. En plus, j'ai deux perruques, une courte, et une de gala, une livre du tabac à priser impérial qui se vend à l'enseigne de l'Homme noir», une boîte de poudre à cheveux de De Crépigny, mon manchon en peau de renard et plusieurs autres choses indispensables. Mais je vous gêne dans votre lecture.

-J'en ai vu assez pour être assuré que tout va bien à la maison, répondis-je en jetant un coup d'oeil sur la lettre de mon père. Mais comment sont venues toutes ces choses?

-Des cavaliers sont arrivés de Petersfield et les ont apportées. Quant à ma petite caisse, garnie par un bon ami que j'ai à la ville, elle a été expédiée à Bristol, où on suppose que je me trouve présentement, et où je serais en effet si je n'avais eu la bonne fortune de rencontrer votre troupe. La caisse a néanmoins trouvé le moyen d'arriver à l'Hôtellerie de Bruton, et la bonne femme qui la dirige et dont je me suis fait une amie, a su s'arranger pour me la faire parvenir. C'est une règle utile à suivre, Clarke, dans ce pèlerinage terrestre: il faut toujours embrasser l'hôtelière. C'est peut-être peu de close, mais en somme la vie est faite de petites choses. J'ai peu de principes fixes, je le crains, mais il en est deux que je puis me flatter de ne jamais violer. Je suis toujours pourvu d'un tire-bouchon, et jamais je ne manque d'embrasser l'hôtelière.

-D'après ce que j'ai vu de vous, dis-je en riant, je pourrais me porter garant que ces deux devoirs sont toujours accomplis.

-J'ai des lettres moi aussi, dit-il en s'asseyant sur le bord du lit, et parcourant un rouleau de papiers. Votre Araminte au coeur brisé.» Hum! la donzelle ne doit pas savoir que je suis ruiné. Sans quoi son coeur serait bientôt raccommodé... Qu'est-ce que cela? Un défi pour faire combattre mon coq Julius contre le jeune coq de Lord Dorchester, enjeu cent guinées. Par ma foi, j'ai trop d'occupation à soutenir l'oiseau de Monmouth, pour l'enjeu du championnat... Un autre m'invite à une partie de chasse au cerf à Epping... Diantre, si je n'avais pas gagné au large, je me verrais moi-même aux abois, avec une meute de mâtins d'huissiers aux talons... Une lettre où mon drapier me réclame son dû. Il peut supporter cette perte. Je lui ai réglé plus d'une note bien longue... Une offre de trois mille livres que me fait le petit Dicky Chichester! Non, non, Dicky, pas de cela. Un gentleman ne doit pas vivre aux crochets de ses amis. On n'en est pas moins très reconnaissant... Qu'est-ce maintenant? De Mistress Butterworth. Pas d'argent depuis trois semaines: des garnisaires dans la maison! Non, malédiction, voilà qui est trop fort!

-Qu'y a-t-il? demandai-je en interrompant la lecture de mes propres lettres.

La figure pâle du baronnet avait pris une légère coloration, et il arpentait la pièce d'un air furieux, une lettre froissée à la main.

-C'est une honte abominable, Clarke, s'écria-t-il. Par la corde, elle aura ma montre, qui sort de chez Tompion, à l'enseigne des Trois-Couronnes, dans la Cour de Saint-Paul, et qui a coûté toute neuve cent livres! Cela pourra assurer son existence pendant quelques mois... Pour cela Mortimer aura à se mesurer à l'épée avec moi. J'écrirai le mot de vilain sur lui avec la pointe de ma rapière.

-Je ne vous ai jamais vu en colère jusqu'à ce jour, dis-je.

-Non, répondit-il en riant. Bien des gens m'ont fréquenté pendant des années et me donneraient un certificat d'égalité d'humeur. Mais cela est trop fort. Sir Edward Mortimer est le frère cadet de ma mère, mais il n'est pas mon aîné de beaucoup. Un jeune homme convenable, tiré à quatre épingles, à la voix douce, le voilà tel qu'il fut toujours. En conséquence de quoi, il a réussi dans le monde, et a joint les terres aux terres, selon le langage de l'Écriture. Au temps jadis, je l'ai aidé de ma bourse, mais il n'a pas tardé à devenir plus riche que moi, car il gardait tout ce qu'il gagnait. Moi au contraire, tout ce que je gagnais... Bah! cela s'est dissipé comme la fumée de la pipe que vous allumez en ce moment. Lorsque je m'aperçus qu'il n'y avait plus rien, je reçus de Mortimer un prêt qui était suffisant pour me permettre de me rendre dans la Virginie, ainsi que je le désirais, et de faire emplette d'un cheval et d'un équipement. La chance pouvait tourner de telle sorte, Clarke, que les domaines des Jérôme lui revinssent, s'il m'arrivait un accident. Aussi ne voyait-il aucun inconvénient à ce que je partisse pour le pays des fièvres et des couteaux à scalper. Non, ne hochez pas la tête, mon cher campagnard, vous êtes peu au fait des malices du monde.

-Faites-lui crédit, jusqu'à ce que le pire soit prouvé, dis-je en m'asseyant sur le lit, et fumant, mes lettres étalées devant moi.

-Il est prouvé, le pire, dit Sir Gervas, dont la figure s'assombrit. Comme je l'ai dit, j'ai rendu à Mortimer quelques services, dont il aurait bien dû garder le souvenir, quoique je ne juge pas convenable de les lui rappeler. Cette Mistress Butterworth a été ma nourrice, et ma famille avait l'habitude de pourvoir à son entretien. Je ne pouvais me faire à l'idée que la ruine de ma fortune lui ferait perdre une ou deux pauvres guinées par semaine, sa seule ressource contre la faim. Je demandai donc à Mortimer une seule chose, au nom de notre ancienne amitié, c'était de continuer cette aumône. Je lui promis que si je réussissais, je le rembourserais entièrement. Ce vilain au coeur bas me serra la main avec chaleur et jura de le faire. Combien la nature humaine est chose vile, Clarke! Pour cette misérable somme, lui, un homme riche, il a manqué à son engagement. Il a abandonné cette pauvre femme à la mort par la faim. Mais il me paiera cela. Il me croit sur l'Atlantique. Si je marche sur Londres avec ces braves garçons, je dérangerai l'harmonie de sa pieuse existence jusqu'à ce jour... Je me contenterai des cadrans solaires, et ma montre ira aux mains de la mère Butterworth. Bénis soient ses amples seins! J'ai goûté de bien des liquides, mais je parierais volontiers que le premier de tous était le plus salutaire. Eh bien? Et vos lettres? Vous avez eu des froncements et des sourires comme un jour d'Avril.

-En voici une de mon père, à laquelle ma mère a ajouté un mot, dis-je. La seconde est d'un vieil ami à moi, Zacharie Palmer, le charpentier du village. La troisième est de Salomon Sprent, un marin retiré, pour qui j'ai de l'affection et du respect.

-Voilà un rare trio de porteurs de nouvelles, Clarke. Je voudrais connaître votre père. D'après ce que vous dites, ce doit être un solide bloc de chêne anglais. Je disais, il n'y a qu'un instant, que vous ne connaissiez guère le monde, mais vraiment il peut se faire que dans votre village on voit l'humanité exempte de tout vernis, et qu'ainsi on en vienne à mieux voir le bon côté de la nature humaine. Avec ou sans vernis, le mauvais finit toujours par percer à jour. Or, sans aucun doute, ce charpentier et ce marin se montrent tels qu'ils sont. On peut connaître, pendant toute la durée d'une existence, mes amis de la cour sans jamais pénétrer jusqu'à leur nature réelle, et peut-être aussi se trouverait-on mal récompensé de cette recherche. Peste! voilà que je deviens philosophe, ce qui fut toujours le refuge de l'homme ruiné. Qu'on me donne un tonneau, je le mettrai sur la Piazza de Covent-Garden, et je serai le Diogène de Londres. Je ne demande pas à redevenir riche, Micah! Que dit donc le vieux couplet:

Notre argent ne sera pas notre maître, Et ne nous traînera pas à Goldsmith Hall. Ni pirates ni naufrages ne peuvent nous effrayer, Nous qui ne possédons point de domaines, Qui ne redoutons ni pillages ni impôts, Qui n'avons nul besoin de fermer nos portes à clef. Quand on est à terre, on ne risque plus de tomber.

Ce dernier vers ferait une jolie devise pour un asile de mendiants.

-Vous allez réveiller Sir Stephen, dis-je pour le mettre sur ses gardes, car il chantait à tue-tête.

-Pas de danger. Lui et ses apprentis s'exerçaient au sabre dans le hall, lorsque je l'ai traversé. C'est un coup d'oeil qui en vaut la peine. Le vieux qui bat du pied, qui brandit son arme et crie: Ha! en l'abaissant. Mistress Ruth et l'ami Lockarby sont dans la chambre aux tapisseries. Elle est occupée à filer, et lui à lire à haute voix un de ces divertissants ouvrages qu'elle aurait voulu me voir lire. M'est avis qu'elle a entrepris de le convertir, et cela finira peut-être en ceci: que c'est lui qui la convertira de fille en femme mariée. Ainsi donc vous allez trouver le Duc de Beaufort! Eh bien, je serais charmé de faire le voyage avec vous, mais Saxon ne voudra rien entendre, et je dois m'occuper avant tout de mes mousquetaires. Que Dieu vous ramène sain et sauf! Où sont ma poudre au jasmin et ma boîte à mouches? Lisez-moi vos lettres, s'il y a quelque chose d'intéressant. J'ai cassé le cou à une bouteille, à l'auberge, en compagnie de notre vaillant colonel, et il m'en a dit assez long sur votre intérieur à Havant pour me faire désirer de le mieux connaître.

-C'est un intérieur un peu sérieux, dis-je.

-Non, j'ai l'esprit tourné aux choses sérieuses. Allez-y, quand même il y aurait là toute la philosophie platonicienne.

-Celle-ci est du vénérable charpentier qui a été pendant de longues années mon conseiller et mon ami. Cet homme est religieux sans rien du sectaire, philosophe sans être attaché à un parti, affectueux sans faiblesse.

-Un modèle, vraiment, s'écria Sir Gervas, occupé à manier sa brosse à sourcils.

-Voici ce qu'il dit, repris-je.

Puis, je me mis à lire la lettre même que je vous transcris maintenant:

Ayant appris par votre père, mon cher garçon, qu'il y avait quelque possibilité de vous faire parvenir une lettre, j'ai écrit celle-ci, que je vous envoie par les soins du digne John Packingham, de Chichester, qui part maintenant pour l'Ouest.

J'espère que vous êtes sain et sauf, avec l'armée de Monmouth, et que vous y avez obtenu un emploi honorable.

Je suis certain que vous trouverez parmi vos camarades un certain nombre de sectaires excessifs, ainsi que d'autres qui sont des railleurs et des incroyants.

Suivez mes conseils, ami, écartez-vous des uns et des autres.


Car le fanatique est l'homme qui ne s'en tient pas à défendre la liberté de son propre culte, ce qui ne serait que justice, mais veut encore s'imposer à la conscience d'autrui, et par là tombe dans cette même erreur contre laquelle il combat.

D'autre part, le simple railleur sans cervelle est inférieur à la bête des champs, car il n'en a pas l'instinctif respect de soi-même et l'humble résignation...

-Par ma foi, s'écria le baronnet, le vieux gentleman a un côté de la langue assez rude.

Prenons la religion par sa base la plus large, car la vérité a plus de largeur que nous ne sommes capables d'en concevoir.

La présence d'une table prouve l'existence d'un charpentier, et de même la présence de l'univers prouve celle d'un être qui a fait l'univers, quelque soit ce nom qu'on lui donne.

Jusque là vous avez sous les pieds un sol très ferme, sans qu'il y ait besoin d'inspiration, d'enseignement, ni d'une aide quelconque.

Dès lors, puisqu'il doit y arriver un auteur de l'univers, jugeons de sa nature par son oeuvre.

Nous ne pouvons observer les gloires du firmament, son étendue infinie, sa beauté, et l'art divin avec lequel il a été pourvu aux besoins de toutes les plantes, de tous les animaux, et ne point voir qu'il est plein de sagesse, d'intelligence et de puissance.


Nous somme encore ici, vous le reconnaîtrez, sur un terrain solide, sans avoir besoin d'appeler à notre aide autre chose que la pure raison.

Quand nous sommes parvenus à ce point, demandons-nous pour quelle fin l'univers a été fait et pour quelle fin nous y avons été mis.

La nature tout entière nous enseigne que ce doit être pour nous perfectionner, pour tendre plus haut, pour croître en vertu véritable, en science, en sagesse.

La Nature est un prédicateur muet qui se fait entendre les jours de la semaine comme le jour du Sabbat.

Nous voyons le gland grandir en un chêne, l'oeuf produire l'oiseau, la chenille devenir papillon.

Dès lors, douterons-nous que l'âme humaine, de toutes les choses la plus précieuse, ne soit aussi sur la route qui monte.

Et comment l'âme peut-elle faire du progrès, sinon en cultivant la vertu et l'empire sur elle-même?

Peut-il exister une autre voie?

Il n'en est aucune.

Ainsi donc nous pouvons dire avec confiance que nous sommes placés ici-bas pour croître en science et en vertu.

Voilà l'essence intime de la religion, et pour aller jusque-là, il n'est pas besoin de foi.


Cela est aussi vrai et aussi susceptible de démonstration qu'aucun des exercices d'Euclide que nous avons étudiés ensemble.

Sur ce terrain commun les hommes ont élevé bien des édifices différents.

Le Christianisme, la religion de Mahomet, la croyance des Orientaux, toutes ont une même substance.

Les diversités se trouvent dans les formes et les détails.

Tenons-nous en à notre foi chrétienne, la doctrine de l'amour, celle qui est si belle, qui a été souvent enseignée, et rarement mise en pratique, mais ne méprisons point nos semblables, car tous nous sommes les branches issues d'une même racine, la vérité.

L'homme quitte les ténèbres pour la lumière: il y passe quelque temps, puis il retourne dans les ténèbres.

Micah, mon garçon, les jours passent, pour moi comme pour toi.

Qu'ils ne se passent point en pure perte!

Leur nombre est bien petit.

Que dit Pétrarque?: À celui qui y entre, la vie parait l'infini; à celui qui la quitte, le néant.

Que chaque jour, chaque heure soient employés à seconder les vues du Créateur, à mettre en oeuvre toutes les puissances du bien qui sont en vous.


Qu'est-ce que la douleur, le travail, le chagrin?

C'est le nuage qui passe devant le soleil. Ce qui est tout, c'est le résultat de l'oeuvre bien faite.

Il est éternel; il vit et s'accroît de siècle en siècle.

Ne vous arrêtez pas pour vous reposer.

Le repos viendra quand sera achevée l'heure du travail.

Que Dieu vous protège et vous garde!

Il n'y a pas grand-chose de nouveau.

La garnison de Portsmouth est partie pour l'Ouest.

Sir John Lawson, le magistrat, est venu ici et a fait des menaces à votre père et à d'autres, mais il ne peut faire grand-chose faute de preuves.

L'Église et les Dissenters se prennent à la gorge, comme toujours.

Vraiment l'austère Loi de Moïse règne plus longtemps que les douces paroles du Christ.

Adieu, mon cher garçon, recevez les meilleurs souhaits de votre ami à la tête grisonnante.

ZACHARIE PALMER»

-Corbleu! s'écria Sir Gervas, pendant que je repliais la lettre, j'ai entendu Stillingfleet et Tenison, mais je n'ai jamais écouté un meilleur sermon. Celui-là, c'est un évêque déguisé en charpentier. Mais voyons notre ami le marin. Est-ce un théologien en droit, un docteur en droit canon parmi les loups de mer?

-Salomon Sprent est un personnage tout différent, bien qu'il soit fort bon en son genre, dis-je, mais vous allez juger de lui par sa lettre.

-Maître Clarke.

La dernière fois que nous fûmes de compagnie, j'ai couru sous les batteries, en service d'enlèvement, pendant que vous restiez au large et attendiez les signaux.

M'étant arrêté pour me radouber et passer l'examen de ma prise, qui s'est trouvée être en bonne condition pour le gréement et la charpente...

-Que diable veut-il dire? demanda Sir Gervas.

-C'est d'une demoiselle qu'il parle, Phébé Dawson, la soeur du forgeron. Il est resté pendant plus de quarante ans presque sans mettre le pied sur la terre ferme. Aussi s'exprime-t-il en ce jargon maritime, tout en s'imaginant qu'il parle un anglais aussi pur que n'importe qui dans le Hampshire.

-Alors, continuez, dit le baronnet.

Lui ayant lu les règlements de guerre, je lui ai expliqué les conditions d'après lesquelles nous devions naviguer de conserve dans le voyage de la vie, savoir:

Premièrement: elle obéira aux signaux sans faire de questions, dès qu'ils seront reçus.


Deuxièmement: elle gouvernera d'après mon calcul.

Troisièmement: elle me soutiendra en fidèle navire de conserve, qu'il fasse mauvais temps, ou dans la bataille, ou dans le naufrage.

Quatrièmement: elle se mettra à l'abri sous mes canons, en cas d'attaque par des bandits, corsaires, ou garde-côtes.

Cinquièmement: j'aurai à la tenir en bon état, à la mettre en cale sèche de temps en temps, et pourvoir à ce qu'elle soit bien repeinte, approvisionné de parois, d'étamine, ainsi qu'il convient pour un coquet navire d'agrément.

Sixièmement: je m'interdirai de prendre à la remorque aucun autre bateau, et s'il s'en trouve un qui me soit amarré présentement, je couperai les aussières.

Septièmement: je devrai la ravitailler chaque jour.

Huitièmement: si par hasard elle venait à avoir une voie d'eau, ou à se trouver échouée et prisonnière dans un banc de sable, j'aurai à la soutenir, la vider avec la pompe, et la redresser.

Neuvièmement: arborer le pavillon protestant à la pomme du grand mât pendant la traversée de la vie, et tracer notre route vers le grand port, avec l'espoir de rencontrer un amarrage et un fond propre à jeter l'ancre, pour deux navires de construction anglaise, quand ils seront désarmés pour l'éternité.

Le huitième coup du quart de midi allait sonner quand ces articles ont été signés et scellés.

Ensuite, lorsque j'ai piqué sur vous, je n'ai pas seulement aperçu le bout de notre hunier.

Bientôt après, j'ai appris que vous étiez parti pour servir comme soldat, en compagnie de ce bâtiment efflanqué, dégingandé, aux longs espars, à la mine de corsaire, que j'avais vu quelques jours auparavant dans le village.

Je trouve que vous ne vous êtes pas trop bien conduit envers moi, en partant sans même me saluer de votre pavillon.

Mais peut-être que la marée était favorable, et que vous ne pouviez pas attendre.

Si je n'avais pas été affligé d'un mât de fortune, un de mes espars coupé, j'aurais eu le plus grand plaisir à ceindre mon sabre d'abordage et à sentir encore la poudre à canon.

Et je le ferais encore, malgré ma patte de bois et le reste, sans mon vaisseau compagnon, qui pourrait se plaindre de la violation du contrat et dès lors s'esquiver.

Il faut que je suive le feu de sa poupe jusqu'au jour où nous serons légalement unis.

Adieu, matelot!

Dans l'action, suivez le conseil d'un vieux marin, gardez la position du vent, et à l'abordage!

Dites cela à votre amiral le jour de la bataille.


Dites-le lui tout bas, à l'oreille.

Dites-lui: gardez la position du vent et allez-y: à l'abordage.

Dites-lui aussi qu'il frappe vite, qu'il frappe fort, qu'il frappe toujours.

C'est ainsi que parlait Christophe Minga, et jamais on ne mit à la mer un homme meilleur, bien qu'il ait eu à grimper à travers le tuyau à aussière.

Bien à vous et à vos ordres.

SALOMON SPRENT»

Pendant toute la lecture de cette épître, Sir Gervas n'avait fait que rire en dedans, mais la dernière partie nous fit rire aux éclats.

-Qu'il soit à terre ou à bord, il veut absolument que toute bataille soit un combat naval, dit le baronnet. Il aurait fallu que vous eussiez ce sage conseil à proposer dans la réunion convoquée aujourd'hui par Monmouth. Si jamais il vous demande votre avis, répondez-lui: Gardez la position du vent et montez à l'abordage!»

-Il faut que je dorme, dis-je en posant ma pipe. Je dois me mettre en route dès la pointe du jour.

-Non, je vous en prie, mettez le comble à votre bonté en me permettant d'entrevoir votre respectable père, la Tête-Ronde.

-Il n'y a que quelques lignes, répondis-je. Il a toujours été bref dans son langage, mais puisqu'elles vous intéressent, je vais vous le lire:

Je vous envoie la présente, mon cher fils, par un homme pieux, pour vous dire que j'espère que vous vous comportez ainsi qu'il vous convient.

Dans toutes les difficultés et tous les dangers, ne comptez pas sur vous, mais invoquez l'aide d'en haut.

Si vous exercez un commandement, enseignez à vos hommes à chanter des psaumes au moment où ils se rangent en bataille, selon la bonne vieille coutume.

Dans l'action, usez de la pointe plutôt que du tranchant.

Un coup d'estoc doit parer un coup de taille.

Votre mère et les autres vous envoient leur affection.

Sir John Lawson a tourné autour d'ici comme un loup affamé, mais il n'a pu trouver aucune preuve contre moi.

John Marchbank, de Bedhampton, a été jeté en prison.

Véritablement l'Antéchrist règne sur le pays, mais le royaume de la lumière est proche.

Frappez avec entrain pour la vérité et la conscience.

Votre père affectueux,

JOSEPH CLARKE»

Post-scriptum (de ma mère): J'espère que vous vous rappelez ce que je vous ai dit au sujet de vos caleçons et aussi des larges collets de toile, que vous trouverez dans le sac.

Il n'y a guère plus d'une semaine que vous êtes parti, et pourtant cela paraît une année.

Quand vous aurez froid ou que vous serez mouillé, prenez dix gouttes de l'élixir de Daffy dans un petit verre d'eau de vie.

Si les pieds vous cuisent, frottez le dedans de vos bottes avec du suif.

Rappelez-moi à Maître Saxon, et à Maître Lockarby, s'il est avec vous.

Son père a été dans une rage folle par suite de son départ, car il avait à brasser une grande quantité de bière et personne pour surveiller la cuve à fermentation.

Ruth a fait cuire un gâteau, mais le four lui a joué un mauvais tour, et le dedans est resté en pâte molle.

Un millier de baisers, cher coeur, de la part de votre tendre mère.

-Un couple de gens sensés, dit Sir Gervas qui, après avoir achevé sa toilette, s'était mis au lit. Maintenant je commence à comprendre comment vous êtes fabriqué, Clarke. Je vois les fils dont on s'est servi pour vous tisser. Votre père veille à vos besoins spirituels; votre mère se préoccupe des besoins matériels. Mais je crois que le prêche du vieux charpentier est plus à votre goût. Vous êtes un infâme latitudinaire, mon homme. Sir Stephen crierait haro sur vous et Josué Pettigrue vous renierait. Bon! éteignons la lumière, car nous devons tous les deux être en mouvement au chant du coq. Voilà notre religion pour le moment.

-Celle des premiers Chrétiens, suggérai-je.

Sur quoi on rit tous les deux.

Puis, on s'endormit.