Le Candidat (éd. L. Conard, 1910)/Notes

ThéâtreLouis Conard (p. 509-518).
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NOTES.


LE CANDIDAT.

Le Candidat, représenté sur le théâtre du Vaudeville du 11 au 14 mars 1874, parut quelque temps après en librairie (1 vol. petit in-12, Charpentier, éd.). C’est en écrivant le Sexe faible d’après le scénario de Louis Bouilhet, que Flaubert eut l’idée d’écrire cette comédie. Carvalho, directeur du Vaudeville, qui en connaissait le plan, pressa Flaubert de le développer, désirant jouer le Candidat avant le Sexe faible. L’art dramatique répugnait à Flaubert. Il amassait alors la documentation de Bouvard et Pécuchet ; et en deux mois il écrivit le Candidat, pour se livrer ensuite tout entier à son roman. « Et puis le style théâtral commence à m’agacer. Ces petites phrases courtes, ce pétillement continu m’irrite à la manière de l’eau de Seltz, qui d’abord fait plaisir et qui ne tarde pas à vous sembler de l’eau pourrie. D’ici au mois de janvier, je vais donc dialoguer le mieux possible, après quoi, bonsoir ! je reviens à des choses sérieuses. » (Correspondance, IV, p. 183.) Le 11 décembre 1873, Flaubert lisait sa comédie aux interprètes. L’impression fut excellente ; quelques remaniements furent demandés à l’auteur (voir Correspondance, IV, p. 189) ; la pièce entra en répétition. « Quant au Candidat, il sera joué, je pense, du 20 au 25 de ce mois (février). Comme cette pièce m’a coûté très peu d’efforts et que je n’y attache pas grande importance, je suis calme sur le résultat. » (Lettre à George Sand, Correspondance, IV, p. 193.) Et quelques jours après il écrit à la même : « Si je n’étais harcelé par des gens qui me demandent des places, j’oublierais absolument que je vais bientôt comparaître sur les planches, et me livrer, malgré mon grand âge, aux risées de la populace. » Néanmoins Flaubert comptait sur un réel succès.

La première représentation eut lieu le 11 mars 1874. Elle fut accueillie par des rires ironiques. Flaubert, après la 4e représentation, la retira de l’affiche ; il en annonce ainsi l’insuccès à George Sand (Correspondance, IV, p. 198) :

« Pour être un four, c’en est un ! Ceux qui veulent me flatter prétendent que la pièce remontera devant le vrai public, mais je n’en crois rien. Mieux que personne je connais les défauts de ma pièce. Si Carvalho ne m’avait point, durant un mois, blasé dessus avec des corrections que j’ai enlevées, j’aurais fait des retouches ou peut-être les changements qui eussent peut-être modifié l’issue finale. Mais j’en étais tellement écœuré que pour un million je n’aurais pas changé une ligne. Bref, je suis enfoncé.

« Il faut dire aussi que la salle était détestable, tous gandins et boursiers qui ne comprenaient pas le sens matériel des mots. On a pris en blague des choses poétiques. Un poète dit : « C’est que je suis de 1830, j’ai appris à lire dans Hernani et j’aurais voulu être Lara. » La-dessus, une salve de rires ironiques, etc.

« Et puis, j’ai dupé le public à cause du titre. Il s’attendait à un autre Rabagas ! Les conservateurs ont été fâchés de ce que je n’attaquais pas les républicains. De même, les communards eussent souhaité quelques injures aux légitimistes

« Mes acteurs ont supérieurement joué, Saint-Germain entre autres. Delannoy, qui porte toute la pièce, est désolé et je ne sais comment faire pour adoucir sa douleur. Quant à Cruchard, il est calme, très calme ! Il avait très bien dîné avant la représentation, et après il a encore mieux soupé. Menu : deux douzaines d’ostende, une bouteille de champagne frappé, trois tranches de roastbeef, une salade de truffes, café et pousse-café. La religion et l’estomac soutiennent Cruchard.

« J’avoue qu’il m’eût été agréable de gagner quelque argent, mais comme ma chute n’est ni une affaire d’art ni une affaire de sentiment, je m’en bats l’œil profondément.

« Je me dis : « Enfin, c’est fini ! » et j’éprouve comme un sentiment de délivrance.

« Quand on a prononcé mon nom, à la fin, il y a eu des applaudissements (pour l’homme, mais non pour l’œuvre) avec accompagnement de deux jolis coups de sifflet partant du paradis. Voilà la vérité. »

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« Merci de votre longue lettre sur le Candidat. Voici maintenant les critiques que j’ajoute aux vôtres : Il fallait : 1o baisser le rideau après la réunion électorale et mettre au commencement du quatrième acte toute la moitié du troisième ; 2o enlever la lettre anonyme qui fait double emploi, puisque Arabelle apprend à Rousselin que sa femme a un amant ; 3o intervertir l’ordre des scènes du quatrième acte, c’est-à-dire commencer par l’annonce du rendez-vous de Mme Rousselin avec Julien et faire Rousselin un peu plus jaloux. Les soins de son élection le détournent de son envie d’aller pincer sa femme. Les exploiteurs ne sont pas assez développés. Il en faudrait dix au lieu de trois. Puis, il donne sa fille. C’était là la fin, et, au moment où il s’aperçoit de la canaillerie, il est nommé. Alors son rêve est accompli, mais il n’en ressent aucune joie. De cette façon-là, il y aurait eu progression de moralité.

« Je crois, quoi que vous en disiez, que le sujet était bon, mais je l’ai raté. Pas un des critiques ne m’a montré en quoi. Moi, je le sais, et cela me console. Que dites-vous de La Rounat, qui dans son feuilleton m’engage, « au nom de notre vieille amitié », à ne pas faire imprimer ma pièce, tant il la trouve « bête et mal écrite ! » Suit un parallèle entre moi et Gondinet.

« Une des choses les plus comiques de ce temps, c’est l’arcane théâtral. On dirait que l’art du théâtre dépasse les bornes de l’intelligence humaine, et que c’est un mystère réservé à ceux qui écrivent comme les cochers de fiacre. La question du succès immédiat prime toutes les autres. C’est l’école de la démoralisation. Si ma pièce avait été soutenue par la direction, elle aurait pu faire de l’argent comme une autre. En eût-elle été meilleure ?

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« Comme il aurait fallu lutter, et que Cruchard a en horreur l’action, j’ai retiré ma pièce sur 5,000 francs de location ; tant pis ! Je ne veux pas qu’on siffle mes acteurs. Le soir de la seconde, quand j’ai vu Delannoy rentrer dans la coulisse avec les yeux humides, je me suis trouvé criminel et me suis dit : « Assez ! ». (Trois personnes m’attendrissent : Delannoy, Tourgueneff et mon domestique.) Bref, c’est fini. J’imprime ma pièce…

« Tous les partis m’éreintent ! le Figaro et le Rappel, c’est complet ! Des gens que j’ai obligés de ma bourse ou de mes démarches me traitant de crétin…

« Mais j’avoue que je regrette les milles francs que j’aurais pu gagner. Mon pot au lait est brisé. Je voulais renouveler le mobilier de Croisset, bernique !

« Ma répétition générale a été funeste. Tous les reporters de Paris ! On a pris tout en blague ! Je vous soulignerai dans votre exemplaire les passages que l’on a empoignés. Avant-hier et hier, on ne les empoignait plus. Tant pis ! il est trop tard. La superbe de Cruchard l’a peut-être emporté. »

George Sand, émue d’un échec aussi complet, écrivit à Flaubert :

Samedi.

J’ai passé environ vingt-cinq fois par l’épreuve, la pire est l’écœurement dont tu parles. On ne voit jamais sa pièce, on ne l’entend pas, on ne la connaît plus, elle vous devient indifférente ; de là vient la philosophie avec laquelle les auteurs, qui, par hasard, sont artistes, acceptent le verdict quel qu’il soit. Je sais déjà des nouvelles de la représentation, le public n’était pas bon, le sujet avait trop d’actualité pour plaire, on n’aime pas se voir tel qu’on est ; il n’y a plus de milieu au théâtre entre l’idéal et la polissonnerie, il y a un public pour les deux extrêmes ; l’étude des mœurs choque les mauvaises mœurs, et comme il n’y en a eut-être plus d’autres, on appelle ennuyeux ce qui est désagréable. Enfin, tu ne t’affliges pas et c’est ce qu’il faut, jusqu’à la revanche. Je ne sais rien de ta pièce, sinon qu’elle était pleine de talent supérieur, c’est Saint-germain qui m’écrivait ça dernièrement, mais qu’il n’espérait pas qu’elle fût au goût du moment. Tu me l’enverras imprimée, et je te dirai si c’est Cruchard ou le public qui se trompait à la seconde et la troisième. Sache si les diverses couches du public ont des différences d’appréciations dont tu puisses te rendre compte. Pour les billets donnés à tout le monde excepté à l’auteur, c’est toujours comme ça pour moi ; nous sommes trop débonnaires, et pour les amis qui trahissent c’est comme ça pour tout le monde. Je t’embrasse, je t’aime, prends vite ta revanche ; je ne suis pas en peine de l’avenir. Tendresses de nous tous. Dis à ton larbin qu’il a raison et qu’il est un brave garçon. Les petites vont mieux, je travaille.

G. Sand.
3 avril 1874.

Nous avons lu le Candidat et nous allons relire Saint Antoine. Pour celui-ci, je n’en suis pas en peine, c’est un chef-d’œuvre. Je suis moins contente du Candidat ; ce n’est pas vu par toi, spectateur, assistant à une action et voulant y prendre intérêt. Le sujet est écœurant, trop réel pour la scène et traité avec trop d’amour de la réalité. Le théâtre est une optique où un rosier réel ne fait point d’effet, il y faut un rosier peint ; et encore, un beau rosier de maître n’y ferait pas plus d’effet ; il faut la peinture à la colle, une espèce de tricherie. Et de même pour la pièce. À la lecture, la pièce n’est pas gaie, elle est triste au contraire ; c’est si vrai que ça ne fait pas rire, et comme on ne s’intéresse à aucun des personnages, on ne s’intéresse pas à l’action. Ce n’est pas à dire que tu ne puisses pas et ne doives pas faire du théâtre, je crois au contraire que tu en feras et très bien. C’est difficile, bien plus difficile que la littérature à lire. Sur vingt essais, à moins d’être Molière et d’avoir un milieu bien net à peindre, on en rate dix-huit. Ça ne fait rien, on est philosophe, tu en as fait l’épreuve, on s’habitue vite à ce combat à bout portant, et on continue jusqu’à ce qu’on ait touché l’adversaire, le public, la bête. Si c’était aisé, si on réussissait à tout coup, il n’y aurait pas de mérite à accepter cette lutte diabolique d’un seul contre tous.

Tu vois, mon chéri, je te dis ce que le pense ; tu peux être sûr de ma candeur quand je t’approuve sans restriction ; je n’ai pas lu les journaux qui parlent de toi ; ce qu’ils pensent m’est égal pour toi comme pour moi-même ; les jugements individuels ne prouvent rien, l’épreuve du théâtre est faite sur l’être collectif, et pour lire ta pièce, je me suis mise dans la peau de tous. Tu aurais eu un succès, j’aurais été contente du succès, mais pas de la pièce. Certes, elle a, au point de vue de la façon, le talent qui ne peut pas ne pas y être ; mais c’est de la belle bâtisse employée à faire une maison qui ne pose pas sur le terrain où tu la mets, l’architecte s’est trompé de place ; le sujet est possible en charge, M. Prud’homme, ou en tragique, Richard d’Arlington ; tu le fais exact, l’art du théâtre disparaît. C’est cela qui est de la photographie, n’en fait pas qui veut dans la perfection, mais ce n’est plus de l’art. Et toi, si artiste ! Recommençons et fons mieux, comme dit le paysan.

Je fais une pièce en ce moment et je la trouve excellente ; elle ne sera pas plus tôt devant le quinquet de la répétition qu’elle me paraîtra détestable, et il y a autant de chances pour sa valeur que pour sa nullité. On ne sait jamais soi-même ce qu’on fait et ce qu’on vaut, nos meilleurs amis ne le savent pas non plus ; empoignés à la lecture, ils sont désempoignés à la représentation. Ils ne trahissent pas pour cela, ils sont surpris par un effet nouveau, ils veulent applaudir et leurs mains retombent ; l’électricité n’est plus, l’auteur s’est trompé, eux aussi. Qu’est-ce que ça fait ? quand l’auteur est un artiste, et un artiste comme toi, il éprouve le désir de recommencer et il s’éclaire de son expérience. J’aimerais mieux te voir recommencer tout de suite que de te voir fourré dans tes deux bons hommes ; je crains, d’après ce que tu m’as dit du sujet, que ce soit encore du trop vrai, du trop bien observé et du trop bien rendu. Tu as ces qualités-là au premier chef, et tu en as d’autres, des facultés d’intuition, de grande vision, de vraie puissance, qui sont bien autrement supérieures. Tu as, je le remarque, travaillé tantôt avec les unes, tantôt avec les autres, étonnant le public par ce contraste extraordinaire ; il s’agirait de mêler le réel et le poétique, le vrai et le fictif. Est-ce que l’art complet n’est pas le mélange de ces deux ordres de manifestation ? Tu as deux publics, un pour Madame Bovary, un pour Salammbô, mets-les donc ensemble dans une salle et force-les à être contents l’un et l’autre.

Bonsoir, mon troubadour, je t’aime et je t’embrasse ; nous t’embrassons tous.

G. Sand.

Puis chacun, ressentant le profond découragement de Flaubert, le consola de son mieux :

14 mars.

Je félicite le théâtre qui a l’insigne honneur de jouer votre première œuvre dramatique et je vous envoie, mon cher confrère, mon applaudissement cordial.

Victor Hugo.

Ne t’embête pas trop, mon pauvre grand homme, tout ça, c’est des bêtises.

La vie est une stupide chose ; j’aurais voulu aller vous voir, mais j’ai trop de besogne.

Je viens d’envoyer ma copie à l’Officiel ; si elle passe, vous serez content ; en tout cas, j’ai fait de mon mieux.

Avec vous toujours et de tout cœur.

Alphonse Daudet.

Un jour que vous irez chez Charpentier, poussez donc jusqu’au Marais ; c’est plein d’amis à vous, y compris mon fils.

Paris, 12 mars 1874.
Cher Maître,

Une bonne et grosse poignée de main avant que j’aille vous voir. Aujourd’hui, j’ai eu peur de tomber au milieu de toutes vos fatigues.

Vous avez mis dans le Candidat plus d’observation puissante et de comique vrai qu’il n’en faudrait pour faire vivre un faiseur pendant dix ans. Merci pour tout ce que vous venez d’oser.

À vous tout entier.

Émile Zola.

Voici mon jugement sur votre pièce : elle est gaie, mordante et vraie sans méchanceté, et a été très bien jouée.

Sur ce, je vous serre la main et suis tellement enrhumée que je n’y vois plus clair.

Je vous serre la main.

Mathilde[1].
2 mars.
28, rue Barbet-de-Jouy.

Je crois, mon cher Flaubert, que le Candidat sera encore plus goûté à la lecture qu’à la représentation ; il y a tant de choses et si significatives que le lecteur les verra mieux que l’auditoire. C’est une pièce de caractères avec des traits profonds et des effets dans le genre de Shakespeare (par exemple la scène de l’aveugle à la fin) ; il y a des types peu visibles à la scène et qui sont complets au sens psychologique (la gouvernante, le gentilhomme et son fils). Mais je crois qu’aujourd’hui et devant un auditoire français, Shakespeare, nouveau venu, ne serait pas compris d’abord ; il a trop d’idées, il ne développe pas, il a parfois l’air de se remuer en place, il n’est pas rectiligne et coordonné d’après notre optique théâtrale. Toujours la disproportion de l’artiste et du public. Vous ne vous en étonnez pas et vous êtes de force à l’accepter.

Encore merci et à vous de cœur.

H. Taine.
Étretat, le 3 mai 1874.

Je crois vraiment, mon cher Gustave, que j’ai laissé passer tout un grand mois sans te remercier de tes livres, sans te dire à quel point ils ont été les bien venus dans ma maison. Je te devrais peut-être des excuses, mais ma conscience est si tranquille que je me dispenserai de cette formalité ; je ne parlerai même pas de ma santé, toujours assez chancelante cependant… je me bornerai à rejeter la faute sur les vrais coupables : Saint Antoine et le Candidat.

Avant d’écrire, j’ai voulu faire intime connaissance avec ces personnages qui occupaient ma pensée depuis longtemps déjà ; j’ai lu, j’ai relu, puis j’ai encore relu ; j’ai suivi le vieux saint dans ces régions du rêve, où l’éblouissement succède à l’épouvante, où le charme de la couleur le dispute à la profondeur de la pensée. Te dire combien ces voyages prodigieux m’ont attachée, captivée, je ne le pourrais pas ; mais je te serre les deux mains bien fort, en reconnaissance des heures enchantées que tu m’as fait passer..

Puis, j’ai pu regagner la terre, et trouver encore un vrai plaisir à suivre l’analyse, hélas ! bien vieille, de scènes que nous avons tous contemplées, plus ou moins, depuis quelques années. Comme ils sont vivants, comme ils sont de chair et d’os, tes personnages du Candidat ! Qu’il y ait des gens qui n’aiment pas à voir cela, je le conçois sans peine ; leurs photographies leur paraissent trop ressemblantes.

Pendant les quelques jours que Guy a passés à Étretat, nous avons bien parlé de toi, mon vieux Gustave, et je sais combien tu te montres toujours excellent pour mon fils. Aussi comme on t’aime, comme on croit en toi, comme le disciple appartient au maître !

J’espère bien que tu nous donneras quelques jours cet été, et que tu viendras voir notre chère petite vallée. Il faudra t’entendre avec Guy et profiter d’un des congés du pauvre garçon. Il ne saurait se consoler de n’être point ici pour te faire les honneurs de nos rochers, et son chagrin me gâterait la joie que je me promets de ta bonne visite. Quant à dire non, tu n’y peux penser, car il te faudrait un cœur bien féroce. Adieu, mon vieux, mon cher camarade, je t’embrasse bien cordialement et Hervé te prie de ne pas oublier tout à fait l’écolier qui est en train de devenir un homme. En attendant, c’est toujours un bon et gentil garçon et j’espère que tu l’aimeras aussi.

Encore une bonne poignée de main de ton amie d’enfance.

Laure Le P. de Maupassant.

OPINION DE LA PRESSE.


Moniteur universel, 16 mars 1874. (Paul de Saint-Victor.)

L’échec est complet, il est mérité ; les périphrases entassées sur les euphémismes n’amortiraient pas la chute du Candidat de M. Flaubert. La pièce est fausse et commune, ennuyeuse et froide, sans mouvement et sans invention, pauvre d’observation et lourde d’esprit ; elle montre des marionnettes et non des figures. Mais ce qu’il faut dire pour être à l’aise en la critiquant, c’est que cet échec n’amoindrit pas d’une ligne l’auteur de Madame Bovary et de Salammbô. L’art du théâtre lui est si évidemment étranger que son talent sort irresponsable et intact de cette tentative avortée. Un grand peintre ne serait point atteint dans sa renommée s’il s’avisait de commettre une mauvaise partition d’opérette bouffe : l’artiste fort jusqu’à l’âpreté, puissant et concentré jusqu’à l’amertume, qui a écrit un des plus grands romans de ce siècle, n’est pas plus diminué par cette caricature dramatique crayonnée dans un mauvais jour. On ne peut ménager la vérité à un écrivain de sa trempe, mais l’admiration reste entière. Le Candidat n’est qu’un accident et ne peut compter pour une œuvre dans la carrière littéraire de M. Flaubert.

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Le Figaro, 14 mars 1874. (Auguste Vitu.)

Je n’aurai pas la naïveté de demander à M. G. Flaubert quels peuvent avoir été ses desseins en écrivant le Candidat. Lorsqu’un enfant a commis quelque sottise, et qu’on l’en gronde, il répond invariablement : « Je ne l’ai pas fait exprès ». C’est là son unique excuse. Or M. G. flaubert n’est plus un enfant et il l’a fait exprès. Donc pas de circonstances atténuantes.

Et d’honneur, le crime est vraiment exceptionnel. Jamais l’ennui, de mémoire d’homme, n’avait été poussé à un tel degré d’intensité. Peut-on siffler quand on bâille ? demandait un critique du dernier siècle. Hier soir on ne bâillait même plus, on dormait. Que dis-je ! ce n’était pas du sommeil, mais un engourdissement torpide analogue aux effets du pavot, pris à haute dose, avec étourdissements, et crampes nerveuses dans les extrémités.

Ainsi s’explique la mansuétude du public qui s’est laissé infliger la torture pendant trois longues heures, non pas sans murmurer, mais sans se mettre définitivement en colère et sans faire baisser le rideau pour couper court à cette enfilade de scènes maussades, absurdes et attristantes.

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Il est évident, pour ceux qui ont assisté à la représentation d’hier, que M. G. Flaubert ne connaît pas le théâtre et ne possède pas le don naturel qui, chez quelques prédestinés, supplée à l’expérience.

Mais son erreur est plus complète et plus générale. Il voit le monde non pas en noir, mais en laid ; élus, éligibles, électeurs, leurs épouses et leurs petits, sont d’ignobles et plats gueux, à peine dignes d’être menés à coups de triques par les chaouchs au Grand Turc. C’est à l’opinion de faire le cas qu’il convient de ces peintures désobligeantes et absolument fausses dans leur injuste généralité. Je reste dans le devoir de la critique en signalant à M. Flaubert l’impossibilité de faire réussir au théâtre une œuvre qui prétend se passer d’un ou de plusieurs personnages intéressants, vers lesquels puissent se porter les sympathies du spectateur.

Au point de vue de l’exécution, la comédie de M. Flaubert est lourde, banale et sans esprit. Ses caricatures sont dessinées et peintes avec de grosses couleurs plates, criardes et discordantes, comme les images d’un sou qui se vendent dans les foires.

Comment expliquer une pareille méprise de la part d’un écrivain laborieux et consciencieux, que des succès en d’autres genres ont rendu presque célèbre ? C’est un mystère psychologique que je ne me charge pas de percer ; je constate seulement, parce que c’est l’exercice d’une charge qui me semblait bien pénible hier au soir, que jamais on ne vit une pièce mieux faite pour éprouver la patience du public, ni une patience capable de résister avec une telle énergie au défi sans précédent qui lui était porté.

16 mars 1874. (Francisque Sarcey.)

Nous n’étions pas sans inquiétude sur la nouvelle œuvre de M. Flaubert.

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Nos fâcheuses prévisions ont été dépassées encore, nous n’eussions jamais imaginé qu’un homme, qui a fait preuve d’un talent hors ligne, ou peut-être même de génie dans le roman, témoignât une aussi prodigieuse impuissance à manier les passions de la comédie ou du drame. Jamais le mot cruel des peintres n’a été mieux justifié que par le Candidat de M. G. Flaubert : « Cela n’existe pas ».

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S’il y a de la difficulté pour la critique à attaquer cette pièce, c’est que nous ne savons pas où la prendre ; elle n’offre ni saillie ni relief, c’est le vide.

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Nous comptions au moins que M. G. Flaubert nous dédommagerait de l’absence de situations dramatiques par une peinture de mœurs réelles.

Nous nous attendions à trouver dans sa pièce, à défaut de qualités dramatiques, des coins de vérités bien étudiés et bien rendus.

Mais, pour faire vrai au théâtre, il faut connaître les conditions d’optique particulières à ce milieu qu’éclaire la rampe. Tout est faux dans l’œuvre nouvelle, tout du moins paraît tel…

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Le Candidat fut repris à l’Odéon le 30 avril 1910, sous la direction de M. Antoine, et n’eut qu’une représentation.

Nous extrayons de Comœdia la critique suivante :

« Certes le Candidat ne méritait que de médiocres éloges lors de sa création (et depuis, en vieillissant, il ne s’est point bonifié), mais son auteur était de ceux auxquels le respect doit rester dû, même au plus fort de leurs erreurs. Et puis, je le dis et je ne crains pas de le répéter, si la comédie de Flaubert est manquée, elle est loin d’être exempte de qualités. Les spectateurs des samedis odéoniens l’ont constaté et j’espérais que ceux de demain mardi pourraient également s’en rendre compte, mais M. Antoine a renoncé à afficher le Candidat une fois de plus.

« Maxime Roll. »



  1. La princesse Mathilde.