Le Caleçon des coquettes du jour


Le Caleçon des coquettes du jour Bandeau
Le Caleçon des coquettes du jour Bandeau

LE
CALEÇON
DES COQUETTES
DU JOUR.

Le Caleçon des coquettes du jour Bandeau
Le Caleçon des coquettes du jour Bandeau

CONTE.


D ES Femmes qui paroiſſent belles,
Et ragoûtantes en dehors,
Combien ne ſe trouvent pas telles,
Quand on peut voir à nud leur corps !

Je tire cette conjecture,
De plus d’une tendre aventure,
Et d’un fait plaiſant que voici :

Je vais, le rendre en raccourci,
Sans aucun ornement ; enſuite,
Ma Muſe, de ce fait inſtruite,
Rendra les effets franchement,
Qu’il a produits tout récemment.

L’autre jour, à la promenade
Du Cours-la-Reine, en beaux atours,
Deux femmes faiſant pluſieurs tours,
Dans un Berlingot de parade,
S’entretenoient en ſouriant,
Pour avoir l’air plus attrayant.

Ces Dames, ſans doute, étourdies,
Ou très-ſujettes à broncher,
Au Pont tournant des Tuilleries,
Firent arrêter leur Cocher.

Chacune ouvrant une portiere,
Un peu trop précipitamment,
En deſcendant étourdiment,
Tombe, & montre à nud ſon derriere,
Sans ſe faire le moindre mal.

Le bas Peuple, cet animal,
Qui du mal volontiers ricane,
Se mit à braire comme un âne.


L’un de ces Culs étoit ſi beau,
Par la ſtructure & par la peau,
Qu’il étoit plus digne d’hommages,
Que nombre de certains viſages,
Qui, dans cet inſtant, deſcendant,
Avec fierté, de leurs carroſſes,
Rirent auſſi de l’accident.

L’autre derriere à feſſes groſſes,
A peau jaunâtre, & mal tourné,
Étoit comiquement orné,
Comme faces de Scaramouches,
De fard, de vermillon, de mouches.

Leurs Laquais, qui, pour un beſoin,
Venoient de quitter la voiture,
Voyant cette méſaventure,
Accourent, & prennent le ſoin
De dérober aux yeux les feſſes,
Et de relever leurs Maîtreſſes.

Honteuses de l’évenement,
Des quolibets, des railleries,
Qui ſe lâchoient en ce moment,
Bien loin d’entrer aux Tuilleries,
Levant l’un & l’autre gigot,

Remontent dans le Berlingot.

Vîte au logis, dit l’une d’elles
Au Cocher, qui d’abord ſouſtrait
Aux yeux des Spectateurs ces Belles.

En abrégé voilà ce fait,
Qui, bientôt ſemé par cent bouches,
Fit beaucoup rire & raiſonner.

A quoi bon mettre au Cul des mouches,
Du fard & le vermillonner,
Demande la jeune Clarice,
Au Théâtre nouvellement,
A Célimene vieille Actrice ?

C’est un nouveau rafinement,
Que j’ignorois, & qui m’entraîne
A croire, lui dit Dorimene,
Dont l’eſprit eſt aſſez orné,
Qu’une Femme à Cul mal tourné,
De couleur jaunâtre ou blafarde,
A deux intentions le farde :
Ou, pour déguiſer de ce Cu
Les défauts dont il eſt pourvu,
Aux Amans qui, par leurs largeſſes,
Favorables à leur amour,

Ont droit d’examiner leurs feſſes,
Et tous les endroits d’alentour :
Ou, crainte que ſur une place,
Par-tout ailleurs, un coup de vent,
Comme il eſt arrivé ſouvent,
La faiſant tomber ſur la face,
Jupe & chemiſe ſur le chef,
Elle n’ait le triſte méchef,
Par défaut de fard au derriere,
D’entendre, en ce déſaſtre-là,
Crier par Garguille, & par Pierre,
Ah ! le vilain Cul que voilà !

Cet accident, belle Clarice,
M’eſt arrivé depuis un an,
A quatre pas de Saint Sulpice.
Un impétueux coup de vent,
Qui s’engouffra ſous ma chemiſe,
Aux yeux d’une grande Sœur griſe,
D’un Carme, de deux Récolets,
Et de pluſieurs Petits-Colets,
Qui ſe trouverent ſur la place,
M’ayant fait tomber ſur la face,
Fit voir mon Cul, qui, par bonheur,
Sans fard m’a toujours fait honneur,

Et profit, malgré la critique.

A cet aſpect, un Récolet,
Le grand Carme, un Petit-Colet,
La Sœur qu’on nomma Véronique,
Accourent charitablement,
Et me relevent décemment.

Alors l’obligeante Sœur griſe,
Aimable, jeune & bien appriſe,
M’offrit ſon bras juſqu’au logis.

Comme elle m’avoit ſecourue,
Je l’acceptai. Que je rougis,
Lui dis-je à la première rue !
Quelle honte ! quel creve-cœur !
Que je rougis, ma bonne Sœur,
De la ſinguliere aventure,
Dont un coup de vent furieux,
A ma pudeur injurieux,
Eſt cauſe ! Je le conjecture,
Dit-elle ; j’en rougis auſſi.
On doit rougir, être en ſouci,
A moins de n’être pas pudique,
D’une avanie auſſi publique,
Dont vous pouviez vous garantir,

Pour éviter tout repentir.

Eh ! comment, ma Sœur, je vous prie ;
Lui dis-je, & de quelle façon
Vous en ſeriez-vous garantie ?

Si vous portiez un Caleçon,
Par pudeur, me répartit-elle,
D’une toile bien blanche & belle,
Quand le plus impétueux vent,
Ou par derriere, ou par devant,
Vous trouſſeroit dans une rue,
Sur une place, ou bien ailleurs,
Le Caleçon frappant la vue,
Feroit taire tous les Railleurs.

Je tiens ce conſeil d’une Tante,
Qui, tandis qu’elle étoit vivante,
Craignant que des vents furieux,
Ou de ces galans curieux,
Coureurs des Filles d’Amathonte,
Preſſés par d’amoureux tranſports,
Ne me fiſſent l’horrible honte,
D’exhiber celle de mon corps,
Me tint, à ma dixiéme année,
Exactement caleçonnée,

Depuis les reins juſqu’au-deſſous,
Deux bons pouces, de mes genoux.

En converſant de cette ſorte,
Et marchant d’un aſſez bon pas,
Nous fumes bientôt à ma porte ;
Dans la ſalle à manger d’en bas,
La nape étant proprement miſe,
Je dis de ſervir à dîner.
J’excite la jeune Sœur griſe,
A cauſer, rire & badiner.
Ne parlons plus de l’aventure,
Dont je ne ſuis plus en ſouci ;
Ma Sœur, puiſqu’elle me procure
Le plaiſir de vous voir ici,
Lui dis-je, en nous mettant à table,
Et l’embraſſant de tout mon cœur.
Placez-vous là, ma toute aimable :
Égayons-nous, ma chere Sœur.

Nous dînâmes une heure entiere,
A parler ſur mainte matiere,
A donner ſur d’excellens mets,
Tant & ſi peu que nous voulûmes,
Et ſelon notre ſoif nous bûmes
Des vins que les plus fins gourmets

Voudroient avoir pour tout breuvage ;
Car le moins bon étoit divin.

Entre la poire & le fromage,
En petite pointe de vin,
La Sœur devenant plus charmante,
Prélude par lâcher des ſons
De ſa voix argentine ; & chante
Differentes belles Chanſons,
Avec tant d’art & de juſteſſe,
Que la Sirene, tour à tour,
Excitoit mon cœur à l’yvreſſe
Du Dieu du Vin & de l’Amour,
Et changeant enſuite de gamme,
Avec nobleſſe & ſentiment,
Du grand Corneille elle déclame,
Et rend très-pathétiquement
Divers endroits de Rodogune.
Bref, d’une façon peu commune,
De pluſieurs autres bons Auteurs
Pour Thalie & pour Melpomene,
Elle me dit, ſans perdre haleine,
Les endroits les plus enchanteurs.

Je rembraſſe alors la Sœur griſe,
Que je trouvois charmante en tout ;

Et lui témoignant ma ſurpriſe
De ſes talens & de ſon goût,
Je lui dis de remplir l’envie
Que j’avois de ſçavoir ſa vie.

Très-volontiers, repart la Sœur,
Je vais répondre à votre attente ;
Madame, je la ſçais par cœur.
La voici mot à mot : La Tante
» Qui, je vous l’ai dit ſans façon,
» M’a mis le premier Caleçon,
» Et dont la mort me fut amere,
» Étoit, à dire vrai, ma Mere :
» (Tout ceci ſoit dit entre nous ;)
» Qui, n’ayant jamais eu d’Epoux,
» Mais des Amans, la bonne piece !
» M’appelloit conſtamment ſa Niece,
» Pour ſon honneur & pour le mien.

» Cette Mere, que j’aimois bien,
» Et qui m’aimoit en idolâtre,
» Avoit brillé vingt & quatre ans,
» A Paris, ſur plus d’un Théâtre :
» Où, moins encor par ſes talens,
» Que par ſa beauté, ſon génie,
» Son ordre & ſon économie,

» Elle mit dans ſon coffre-fort
» Cent vingt mille livres en or,
» Dont je fis ſouvent l’inventaire,
» Ainſi que des divers bijoux
» Qu’elle avoit dans ſon ſecrétaire,
» Avec nombre de Billets doux,
» Et différens paquets de Lettres,
» De grands Seigneurs, de Petits-Maîtres,
» De Robins, & de Financiers.
» Parmi ces amas de papiers,
» Que je liſois à la ſourdine ;
» Car j’étois curieuſe & fine,
» Et j’avois des déſirs naiſſans :
» Je trouvai, d’un de ſes Amans,
» Un long billet, ſigné Wolsfriche,
» Baron né dans la baſſe Autriche ;
» Par lequel je ſçus concevoir
» Que ce Baron étoit mon Pere,
» Et qu’il avoit fait ſon devoir,
» D’avoir fait remettre à ma Mere,
» Se trouvant au lit de la mort,
» Deux mille cinq cents louis d’or,
» Pour mettre en rente, ſur ma tête,
» Déſirant que ce don honnête
» Pût faire à jamais ſon bonheur.


» Dès que ma Mere fut inſtruite
» De la mort de ce bon Seigneur,
» Elle en eut, quatre jours de ſuite,
» Le cœur ſerré, la larme à l’œil.

» Après ces quatre jours de deuil,
» Toutes les deux à la fenêtre,
» Pour voir d’où venoit un grand bruit,
» Elle me fit part de la Lettre,
» Que j’avois relue avec fruit.

» Alors du monde dégoûtée,
» Du Théâtre & des vifs plaiſirs
» Dont ſon ame fut enchantée ;
» Elle y renonce, & ſes déſirs,
» Qui n’avoient tendu qu’aux délices,
» Où viſent toutes les Actrices,
» Tendirent au louable but
» De travailler à ſon ſalut.

» Quoique, dans ce temps-là, je n’euſſe
» Que dix ans deux mois approchant,
» Un ſoir en cherchant une Puce,
» Ma Mere, qui vint ſur le champ,
» Après en avoir fait la priſe,
» La tue, & voyant ma chemiſe

» En maints endroits teinte de ſang :
» C’eſt être de bonne heure au rang
» Des Filles qui ſont mariables,
» Dit-elle avec étonnement.
» Ma Fille, il faut préſentement
» Imiter les plus raiſonnables,
» En actions, en ſentimens ;
» Et loin de lire des Romans,
» Comme volontiers vous le faites,
» Et d’autres Livres de ſornettes,
» Qui, quoique bien ou mal écrits,
» Corrompent les jeunes Eſprits,
» Liſez, avec frais, les Ouvrages
» De quantité d’Écrivains ſages,
» Qui par la plume & par les mœurs,
» Traçant les moyens de bien vivre,
» Sont de bons exemples à ſuivre.

» Fermez votre oreille aux douceurs
» Des hommes : ils tendent, ſans ceſſe,
» De beaux piéges à la Jeuneſſe,
» Pour la ſéduire, & pour cueillir
» La fleur qu’on nomme Pucelages
» Qu’on ne doit, pour ne pas faillir,
» Laiſſer cueillir qu’en mariage.


» Or, ma Fille, pour que, de vous,
» Dans cinq ou dans ſix ans, l’Epoux
» Que je vous choiſirai, l’obtienne,
» Et vous trouve bonne Chrétienne,
» En vous couchant, & vous levant,
» Dès après-demain, de bonne heure,
» Je vous mettrai dans un Couvent,
» Dont la digne Supérieure,
» Qu’on nomme Mere Saint Germain,
» Depuis l’enfance, mon amie,
» De vous y voir brûle d’envie ;
» Et je la prierai dès demain,
» De bon matin, par une Lettre,
» Que Jacques ira lui remettre,
» D’avoir ſur vous les yeux ouverts,
» De vous prêcher l’obéiſſance,
» Et qu’au moindre de vos travers,
» Elle vous mette en pénitence,
» Dès qu’ils lui ſeront bien connus.
» De mes bontés rendez-vous digne :
» Mais comme, au-deſſus de l’anus,
» Vous avez un horrible ſigne,
» Je veux que vous portiez toujours,
» Pour en changer tous les cinq jours,
» Un blanc Caleçon de Cretonne,

» Meſure priſe à votre Cu,
» Par moi-même, afin que perſonne,
» Du défaut dont il eſt pourvu,
» N’ait connoiſſance ; car ma Fille,
» Ce ſigne ſingulier, hélas !
» Eſt plus affreux qu’une Chenille :
» C’eſt l’empreinte d’un cervelas,
» Ou, pour mieux m’expliquer, c’eſt comme
» La partie où l’on connoit l’homme ;
» Ainſi, d’après cette leçon,
» Portez toujours un Caleçon ;
» Car ſi quelqu’un, par aventure,
» Voyoit ce défaut de nature,
» Qui que ce fut, auroit le droit
» D’en rire, & vous montrer au doigt ;
» Et ſi, dans le Couvent, ma Fille,
» On veut ſçavoir votre famille,
» Dites toujours, pour votre honneur,
» Que votre Mere étoit ma ſœur,
» Et qu’Alexandre de Wolsfriche,
» Né Baron dans la baſſe Autriche,
» S’étant éperduement épris
» De cette grande & belle Blonde,
» L’avoit épouſée à Paris ;
» Mais qu’elle, en vous mettant au monde,

» Mourut en couches ſur la fin
» De l’an mil ſept cent trente-cinq ;
» Et que, par malheur, votre Pere,
» La fleur des Barons Allemands,
» Ne ſurvécut que de huit ans,
» Votre eſtimable & digne Mere.

» Tout ce qu’elle me dit, fut fait
» Le lendemain, & par la ſuite :
» Le jour pris, je fus, en effet,
» Dans un bon carroſſe conduite,
» En ce Couvent aſſez bon train.

» La digne Mere Saint Germain,
» Après les plus tendres careſſes,
» Dont elle honora notre abord,
» En préſence de ſix Profeſſes,
» Nous mena par un coridor,
» Dans une ſalle décorée
» De beaux tableaux édifians,
» Où ſur la table préparée,
» Soupe excellente, & mets friands
» Compoſés de choſes exquiſes,
» Par trois Converſes furent miſes.

» , pendant le cours du dîner,

» On ne ſe plut qu’à raiſonner
» De choſes ſaintes, de miracles,
» Qu’à fronder les mondains Spectacles,
» Qui, par leurs attraits enchanteurs,
» Excitent bien des Spectatrices,
» Et beaucoup plus de Spectateurs,
» A s’enticher de pluſieurs vices,
» Enfans de la ſéduction.

» A cette converſation,
» Qui ne tendoit qu’à rendre ſage,
» (Je dois l’avouer aujourd’hui
» Que vingt & cinq ans font mon âge,)
» Je trouvois alors de l’ennui,

» C’est commun aux adoleſcentes,
» Qui n’aiment d’entendre cauſer,
» Que ſur des matieres riantes,
» Et qui puiſſent les amuſer,
» Parce qu’elles ſont folichonnes.

» Au premier coup ſonné pour Nones,
» Les ſix Profeſſes, par ferveur,
» Sortent de table & vont au Chœur.

» Bref ſur la fin de la journée,
» Ma chere Tante fut menée

» Dans ſon carroſſe, & s’en alla.
» Son prompt départ me déſola ;
» Je penſai tomber en foibleſſe.
» La bonne Mere Saint Germain
» M’embraſſe, & me ſerrant la main ;
» Mon Enfant, à votre triſteſſe,
» Je juge de votre bon cœur,
» Me dit-elle, avec ſa douceur
» Toujours naturelle & charmante ;
» Mais ceſſez de vous attriſter.
» Outre que votre chere Tante
» Viendra ſouvent nous viſiter,
» Vous trouverez, pourſuivit-elle,
» Tant d’agrément ſous ma tutelle,
» Et dans ce paiſible ſéjour,
» Que j’eſpere qu’au premier jour
» Vous aurez lieu de vous y plaire.
» Allons, reprenez l’air badin,
» Allez-vous-en, avec Sœur Claire,
» Juſqu’à ſouper, dans le Jardin.

» Cette Sœur, en tout eſtimable,
» M’y conduiſit dans le moment,
» Où je vis une troupe aimable,
» Habillée uniformément,

» En belles robes printannieres,
» De vingt & deux Penſionnaires,
» Qui, la joie écrite dans l’œil,
» Honorerent ma bien-venue,
» Par le plus gracieux accueil.

» Voilà comment je fus reçue
» Dans cet agréable Couvent,
» Dont je ſçus bientôt tous les êtres ;
» Et pour douze cents francs par an,
» On a toutes ſortes de Maîtres.

» Et voici les évenemens
» Que j’eus dans le cours de ſept ans,
» Dans ce ſéjour à doubles grilles,
» Où, comme ailleurs, la chaſteté
» Eſt contraire aux déſirs des Filles,
» Dans l’âge heureux de puberté ;
» Et même à ceux de bien des Nones,
» Qui ſans reſpect pour leurs perſonnes,
» Ni pour les vœux qu’elles ont faits,
» Pour éprouver les doux effets
» Du feu naturel qui les brûle,
» Tâtent de l’homme ſans ſcrupule,
» Quand elles peuvent en tâter,
» Sans appréhender qu’on le ſçache,

» Parce qu’acte d’amour qu’on cache,
» Et qu’on fait pour ſe bien porter,
» N’eſt, m’avoit dit la Sœur Badille,
» Qu’une légere pécadille.

» Cette Sœur qui, pendant ſix ans
» Régenta les Penſionnaires,
» Et dont l’eſprit & les talens,
» Me ſembloient extraordinaires,
» Étoit, ſans contredit, des Sœurs,
» Sur l’Écriture & ſur les mœurs,
» Et la Morale, la plus docte ;
» Mais, dans le fond, la moins dévote
» Car dans ſa cellule, un beau jour
» Qu’elle feignit d’être malade,
» Brûlant pour moi d’un vif amour,
» Avec ardeur, cette Tribade
» S’y prit de ſi bonne façon,
» Que, défaiſant mon Caleçon,
» Dont elle parut très-ſurpriſe,
» Elle me fit une ſotiſe,
» Qui me cauſe encor du regret,
» Et ſur laquelle cette None
» Me dit de garder le ſecret,
» Sans le révéler à perſonne ;

» Secret que, juſqu’à ce moment,
» J’ai gardé très-exactement.

» Voilà la ſotiſe premiere,
» Qu’on m’ait faite en ce genre-là,
» Et certainement la derniere ;
» Car je déteſte trop cela,
» Et tous les goûts contre nature :
» Dans cette affreuſe conjoncture,
» Après avoir baiſé ſouvent
» Tous les endroits de mon devant,
» Et ſur ſon lit, champ de bataille,
» M’avoir fait tourner la médaille ;
» Elle s’écria : Juſte ciel !
» Eſt-ce un ſigne artificiel ?
» Sur ce derriere, quel prodige !
» Je vois un ſauciſſon… Que dis-je ?
» Reprit-elle dans le moment,
» Ce ſigne, à parler congrument,
» Eſt l’image de la cheville,
» Qui charme toute Femme & Fille,
» Et je la baiſe de bon cœur.

» Je paſſe à cette docte Sœur
» De m’avoir à ce mal induite,
» Parce qu’avec ſoin, en tout tems,

» Elle m’a ſagement inſtruite,
» Inſpiré de beaux ſentimens,
» Et du goût pour les Belles-Lettres,
» Le deſſein, la danſe & le chant ;
» Où, de l’aveu de tous mes Maîtres,
» Je réuſſiſſois ſur le champ,
» Par aptitude ſinguliere,
» Et mieux que toute autre Écoliere.

» J’en aurois pour tout aujourd’hui,
» Si je vous contois les hiſtoires,
» Les contentemens, les déboires,
» Que j’eus dans ce ſéjour d’ennui
» Juſques à ma ſeizième année,
» Bel âge où j’étois deſtinée
» A perdre ma virginité,
» Que je n’ai jamais regretté.
» Ce ſeroit trop long à déduire :
» Je vais me reſtraindre à vous dire,
» Qu’à ſeize ans, Mere Saint Germain,
» Me dit : Ma Fille, il vient demain,
» Veille du Mercredi des Cendres,
» Un Cordelier de vingt-cinq ans,
» Sortant d’un des Couvens de Flandres,
» Cordelier des plus éloquens,

» Et d’un eſprit qu’on dit ſuprême,
» Pour prêcher pendant le Carême ;

» Suivez, ma Fille, exactement
» Les Sermons de cet habile Homme,
» Qui doit, immédiatement
» Après Pâques, aller à Rome,
» Et vous remplirez mon deſir.
» Oui, Madame, avec grand plaiſir,
» Lui répliquai-je, pour lui plaire ;
» Je brûle de le voir en Chaire,
» Prêcher comme Saint Auguſtin,
» Et du ſalut tracer la voie.

» Le Mardi-Gras, de bon matin,
» Tout le Couvent vint, avec joie,
» Le recevoir au grand parloir,
» Où, par une breve harangue,
» Il fut aiſé de concevoir
» Que l’eſprit dirigeoit ſa langue,
» Qu’on le vantoit avec raiſon.

» On le logea dans la Maiſon
» Du Chapelain, tout attenante,
» Et de ce Couvent dépendante,
» D’où ce Cordelier fait au tour,

» Et pour inſpirer de l’amour,
» Par ſes talens, par ſon génie,
» Et par ſa phyſionomie,
» Venoit au grand parloir ſouvent
» Édifier tout le Couvent,
» Dès que, par ſa langue dorée,
» De toute l’Histoire ſacrée,
» Il commentoit le ſens Moral,
» Avec l’eſprit de feu Paſcal.

» Le ſeiziéme jour avant Pâques,
» Dans ce même parloir, d’où Jacques
» Laquais de ma Tante, ſortoit,
» Après m’avoir remis l’aigrette
» De beaux brillans, dont elle ornoit
» Jadis le ſommet de ſa tête,
» Avec ſon radieux collier ;
» Je vis entrer ce Cordelier,
» Qu’on nommoit le Pere Bondrilles,
» Qui me voyant, à ſon abord,
» M’éloigner promptement des grilles :
» Je ſens, jeune Beauté, mon tort,
» De venir ici vous ſurprendre,
» Me dit-il ; mais d’un air ſi tendre,
» En fixant mes foibles appas,

» Que je m’approchai de trois pas.
» De vos pas vous êtes trop chiche ;
» Approchez-vous, belle Wolsfriche,
» Pourſuivit-il, d’un air plus doux ;
» Il eſt des grilles entre nous :
» Venez reprendre votre chaiſe ;
» Il ne faut pas que je vous taiſe
» Mes ſentimens. Vous ne bougez ?
» En vérité, vous m’affligez !
» Je vois, hélas ! la choſe eſt claire,
» Que j’ai le don de vous déplaire !

» Ah ! point du tout, mon Révérend,
» Répliquai-je, en baiſſant la vue ;
» Vous plaiſez à tout le Couvent :
» De ce fait, je ſuis convaincue,
» Depuis votre arrivée ici.
» Ma joie en eſt vraiment extrême,
» Pourvu que je vous plaiſe auſſi,
» Reprit-il. Après ce Carême,
» Quand j’aurai fait ma Miſſion,
» Sans jamais violer d’idée,
» Ni de fait, choſe décidée,
» Mes chaſtes vœux d’émiſſion ;
» J’en ſerai relevé, j’eſpere,

» Par un Bref de Notre Saint Pere,
» Que j’obtiendrai par le canal
» D’un ſçavant & grand Cardinal,
» Qui m’honore de ſon eſtime :
» Alors je vous pourrai, ſans crime,
» Si l’amour pour moi parle en vous,
» Faire ma cour & les yeux doux :
» Pour-lors vous ſerez ſouveraine
» De mon tendre cœur pour toujours,
» D’un Fief que j’aurai dans le Maine,
» Où nous irions paſſer des jours,
» Dont le bonheur ſeroit durable.

» J’ai ſaiſi l’inſtant favorable,
» Que je guettois depuis long-tems,
» Pour vous dire mes ſentimens,
» Dont la pureté ſans égale,
» La délicateſſe & l’honneur,
» Tendent à la foi conjugale,
» D’où proviendroit notre bonheur.

» Adieu, mon bel Ange ; je tremble
» Qu’on vienne nous ſurprendre enſemble,
» Et que de médire on ait lieu.
» Soyez bien ſage. A cet adieu,

» Ce vertueux Pere Bondrilles,
» Du parloir décampe ſoudain,
» Sans ſeulement baiſer la main
» Que j’avois en dehors des grilles,
» Dans le deſſein qu’il la baisât ;
» Car il avoit fait ma conquête.

» Voilà quel fut le réſultat
» De l’entretien que, tête à tête,
» J’eus avec ce beau Cordelier,
» Qui me parut ſi ſingulier,
» Que Sœur Chriſtine & Sœur Badille
» M’avoient dit que les Gris vétus,
» Dont on chante tant les vertus,
» Près d’une Femme ou d’une Fille,
» Étoient des Coqs entreprenans,
» Quand, ſans témoins & ſans ſcandale,
» Ils pouvoient, en certains momens,
» Prouver leur vigueur Monacale.

» Depuis cet entretien ſecret,
» Je ne vis ce Moine diſcret,
» Et d’une conduite exemplaire,
» Qu’en compagnie, ou dans la Chaire,
» Juſqu’après Pâques, qu’il partit,

» Muni d’une aſſez bonne ſomme,
» Que dans le Couvent on lui fit,
» Pour aller en voiture à Rome ;
» D’où de retour, la Saint Martin,
» Après ſept mois d’abſence, il vint
» Dans le Couvent, la mine fiere
» D’être rélevé de ſes vœux,
» A la chambre de la Touriere ;
» Qu’en Amant preſſé de ſes feux,
» Il avoit par argent ſéduite ;
» Où, pendant deux bons mois de ſuite,
» Au moins une heure chaque jour,
» Il me fit tant & tant ſa cour,
» Qu’il fallut, de cette aventure,
» Élargir un peu ma ceinture ;
» Et pour éviter qu’on le ſçût,
» Ou que quelqu’un s’en apperçût,
» Sortir du Couvent, de maniere
» A ne pas perdre la Touriere,
» Ni mon honneur. Ce fut aiſé.

» Mon cœur, que rien ne vous tourmente,
» Me dit l’Ex-Cordelier ruſé ;
» Je vais diſpoſer votre Tante,
» En lui faiſant un franc aveu

» De notre amour & de ſa ſuite,
» Dont il faut qu’elle ſoit inſtruite,
» A vous faire ſortir dans peu
» De ce Couvent avec décence :
» Il fit tant, par ſon éloquence,
» Par ſa maniere à la prier,
» Qu’elle vint le lendemain même,
» Avec une décence extrême,
» M’en tirer pour nous marier.

» Deux mois après ce mariage,
» Mon Epoux, pour s’être conduit,
» Comme bien des gens de ſon âge,
» Immodérément au déduit,
» Où l’eau lui venoit à la bouche,
» Partit pour le ſombre ſéjour.

» Cette perte, le même jour,
» Me fit faire une fauſſe-couche,
» Dont je penſai mourir auſſi ;
» Mais je n’en fis rien, Dieu merci :
» Jamais perte ne vaut la nôtre.
» Un malheur en entraîne un autre ;
» C’eſt très-vrai. Ma Tante ayant mis,
» Chez un Richard de ſes amis,

» Qui paſſoit pour être honnête homme,
» En rente au denier ſix, la ſomme
» De cent quatorze mille francs ;
» Et ce Richard, ayant, cinq ans,
» Exactement payé la rente,
» D’avance en mainte occaſion,
» Las d’une probité conſtante,
» Un jour, par ſon évaſion,
» Dont on ne peut ſçavoir la route,
» Fit préſumer ſa banqueroute :
» Au premier bruit qu’il en courut,
» De chagrin ma Tante en mourut.

» Hélas ! quand le guignon nous happe,
» Ce qu’on aime le plus s’échappe !
» Beaucoup de gens l’ont éprouvé :
» Dans l’affligeante & triſte criſe
» De ces malheurs, j’aurois crevé,
» Si Mere Angel, vieille Sœur griſe,
» Que ma Tante aimoit de bon cœur,
» Ne m’eût, par ſon air de candeur,
» Par ſa piété, ſa morale,
» Qu’elle faiſoit paroître en tout,
» Et par ſa tendreſſe amicale,
» Conſolée, & donné du goût

» Pour ſon état. Je fus, par elle,
» Reçue à ſa Communauté,
» A laquelle je fis par zèle,
» Et par eſprit de charité,
» Cadeau du produit de la vente
» De tous les effets de ma Tante,
» Montant à quinze mille francs,
» Et de l’aigrette à diamans,
» Sous des clauſes qui m’y font vivre,
» Depuis neuf ans, honnêtement,
» Et dans un goût que j’aime à ſuivre :
» C’eſt mon hiſtoire exactement,
» Car à mentir rien ne m’oblige.

Ah ! ma Sœur, chacun a, lui dis-je,
Plus ou moins de plaiſirs divers,
De proſpérités, de revers,
Dans ce paſſage, en ce bas monde,
Où malgré nous le mal abonde.

De vos malheurs conſolez-vous,
Ma chere Sœur ; uniſſons-nous
D’amitié pour toute la vie
Et pour remplir mon autre envie,
Faites-moi voir le Caleçon,

Que vous portez. Sœur Véronique
Se trouſſant alors ſans façon,
Me dit : » Madame, j’en fabrique
» Depuis long-tems parfaitement,
» Dans ma cellule ſourdement,
» A douze francs pour la main d’œuvre,
» Pour des Dames, dont la manœuvre
» Eſt de cacher leur pays bas ;
» Parce qu’un galant homme attache
» Moins d’attraits aux frappans appas,
» Qu’à ceux que le Caleçon cache.

» Le mien, quoique déja ſali,
» Depuis ſix jours que je le porte,
» Sur moi ne fait pas un ſeul pli :
» Regardez ; il eſt fait de ſorte,
» Que par derriere & par devant,
» Déboutonnant ces deux brayettes,
» Que je crois artiſtement faites,
» On ſe ſert du moulin à vent,
» Et du moulin à l’eau ſans gêne,
» Pour leurs diverſes fonctions ;
» C’eſt une des inventions,
» Qui cache ce qu’on a d’obſcene,
» Dont bien des Femmes font grand cas.

A ces mots entendant trois heures,
» Souffrez, Madame, de ce pas,
» Que j’aille dans pluſieurs demeures,
» Me dit-elle, de la Cité,
» Où j’ai de preſſantes affaires,
» Concernant la Communauté,
» A qui mes ſoins ſont néceſſaires,
» Et je les prends toujours à cœur.

Chere Clarice, alors la Sœur
Me promettant d’être conſtante,
A m’aimer, à me voir ſouvent,
Malgré la pluie & le grand vent,
Sortit de chez moi bien contente.

FIN.