Le Cahier rouge de Lucile Desmoulins/Préface

Librairie Raphaël Simon (p. 3-5).

LE CAHIER ROUGE DE LUCILE DESMOULINS.

Au nombre des plus belles et des plus touchantes figures de la Révolution Française, parmi celles qui éclairent même les jours sombres du rayonnement de leur grâce et de leur patriotisme, au milieu de tant d’autres et au-dessus de beaucoup d’autres, nous apercevons Lucile Duplessis, la femme adorée et adorable de Camille Desmoulins.

On a souvent parlé d’elle, ou pour être plus exact, parlé d’eux, car les deux époux sont inséparables dans l’histoire ; M. Claretie leur a consacré un volume remarquable après lequel il semble que rien ne puisse être dit. Ils sont, cependant, si intéressants ; les documents qui les concernent sont en quantité relativement si considérable que les travaux devront se succéder longtemps encore avant d’avoir épuisé la légitime curiosité du public et la mine si riche des matériaux que le temps et les fureurs politiques ont épargnés.

Qu’il nous soit permis de lire avec une respectueuse piété les notes écrites au courant de la plume, de parcourir les feuilles sur lesquelles la pensée intime était, aussitôt traduite qu’éclose, en un mot ces Reliquiæ qui nous font entrer un instant dans la vie même de ceux dont nous nous occupons.

Les manuscrits que nous avons pu recueillir nous fourniront l’occasion de plus d’une publication du genre de celle-ci. Nous commençons aujourd’hui par le Cahier rouge de Lucile Desmoulins. Ce cahier n’est pas absolument inédit, M. Claretie en a donné plusieurs pièces ; le voici dans son entier, mais avant il est bon de le décrire et de rectifier à ce sujet l’historien de Camille.

En effet, voici comment M. Claretie nous le présente : « Ce petit cahier — haut de douze centimètres et large de huit centimètres ; cartonné de carton rouge et contenant vingt-deux feuillets d’un papier solide, rugueux et jauni, dont treize seulement sont couverts de l’écriture de Lucile, — ce cahier de jeune fille contient des vers composés en l’honneur de Mademoiselle Duplessis ou copiés par elle sur des recueils qui paraissaient alors. À la première page, le baron de Girardot, à qui ce document unique appartenait, a tracé cette indication :

« Cahier écrit de la main de Lucile Duplessis,
« femme de Camille Desmoulins
« m’a été donné par la sœur de Lucile, en 1834, à Paris.
« B. de Girardot. »

« Il est aujourd’hui la propriété de M. de Lescure qui a bien voulu nous le communiquer[1]. »

Ce cahier contient non pas 22 mais 40 feuillets, dont plusieurs ne sont pas coupés. Vingt sont couverts de l’écriture de Lucile, quinze seulement sont numérotés.

Outre la mention de la première page, M. de Girardot avait ajouté ou plutôt répété à la seconde page :

« ce cahier contient diverses
« poésies écrites par
« Lucile Duplessis femme
« de Camille Desmoulins
« m’a été donné par
« mademoiselle Duplessis
« sœur de Lucile, en 1834. »

Nous ne pensons pas que le baron de Girardot se soit dessaisi de ce document, en tout cas il le possédait encore il y a quelques mois car, au catalogue de la vente d’autographes composant sa collection (13 et 14 juin 1879), nous le retrouvons sous le no 268. Il nous a été cédé par M. Étienne Charavay qui s’en était rendu acquéreur à cette vente.

Ceci dit en ce qui touche la matérialité du recueil, arrivons aux poésies qu’il contient. Elles nous font connaître « les pensées de Lucile, à la veille et au lendemain de son mariage. Lorsqu’elle commença à y noter les vers qui la frappaient ou lui plaisaient, elle était évidemment déjà éprise de Camille. Amour contrarié, car M. Duplessis le père n’avait pas vu d’un œil très-favorable naître et grandir l’amour de Desmoulins pour sa fille....... Lorsque tout d’abord Camille s’ouvrit à lui sur ses projets, parla doucement, timidement d’union, il se heurta à un refus très-net de M. Duplessis, il put croire à une résolution inflexible. L’amoureux s’éloigna et madame Duplessis fut attristée, Lucile gémit. Et l’expression de cette tristesse, de cette intime douleur, on la retrouve dans les pièces de vers recueillies dans le petit cahier rouge de mademoiselle Duplessis.

« Ce sont là des vers amoureux, attendris, qui tous chantent les malheurs de deux amants séparés par la volonté paternelle. Lucile prend plaisir à les recopier, à les apprendre. Elle leur trouve sans nul doute la saveur âcre de ces mets qui rendent parfois la souffrance plus lancinante et plus cruelle. Celui qui s’appelait le berger Sylvain, Sylvain Maréchal, a rimé pour les amoureux persécutés des romances qui peignaient les tourments de Lucile. Elle les transcrivait donc avec une volupté douloureuse sur son cahier de jeune fille en leur donnant, comme Maréchal, ce titre : Romance historique[2]. »

Mais pourquoi nous attarder, analyser ces pièces de vers tendres et charmantes ; pourquoi reculer le moment où le lecteur va pouvoir les lire ? Laissons donc notre plume au repos, effaçons-nous devant cette aimable et touchante apparition du xviiie siècle et de la Révolution, devant Lucile Desmoulins.

  1. Claretie, Camille Desmoulins, p. 141.
  2. Claretie, C. Desmoulins, p. 143.