Le Cahier rouge de Lucile Desmoulins/Le Contrat de mariage par devant nature

Librairie Raphaël Simon (p. 7-9).

LE CONTRAT DE MARIAGE PAR DEVANT NATURE.

ROMANCE HISTORIQUE.
(Même air.)

Le jeune Hylas, la jeune Hélène
S’aimaient tous deux également
Et tout en eux servit leur charme ;
Mêmes désirs, même penchant,

Toujours d’accord, jamais se plaindre,
Sans cesse ensemble sans dégout
C’étoient (pour d’un seul trait les peindre)
Les deux motiés du même tout.

La couronne de l’hyménée
Manquait seule à leurs tendres cœurs
Et la guirlande fortunée
N’eût offert jamais plus de fleurs.
Mais leurs familles divisées
Par le culte de leurs ayeux,
Tenant chacune à ses idées,
Mirent un obstacle à leurs vœux.

Au couple fidèle on vint dire :
« Quittez-vous pour ne plus vous voir ;
« D’un Dieu vengeur redoutez l’ire !
« Vous haïr est votre devoir.
« — Quoi nous haïr ! Mais la nature
« Pour nous aimer nous créa tous :
« Peut-elle d’une flamme pure
« Voir les progrès avec courroux. »

En vain nos amans supplièrent :
L’un à l’autre on les arracha.
En vain des larmes ils versèrent :
Du couvent on les menaça.
Après plusieurs mois de misère,
Comme par miracle échappés,
Enfin ils purent se soustraire
À leurs tyrans préoccupés.

« Viens, dit Hylas à son Hélène,
« Suis-moi dans le fond des forêts.
« Abandonnons l’espèce humaine
« Si peu digne de nos respects.
« Leurs lois, faites pour l’imposture,
« Ne nous permet pas d’être époux ;
« Appelons-en à la nature
« Par devant elle unissons-nous. »

Nos deux amans firent voyage
Incognito, d’un pied léger,
Vers une région sauvage
Où les cœurs peuvent s’engager.
Là, sans prêtres et sans notaires,
Sur un autel de gazon frais,
Au milieu d’un bois solitaire
Ils s’unirent à peu de frais.

Leurs travaux et leur industrie
Embelirent ces lieux déserts.
Ils oublièrent leur patrie
Et furent pour eux l’univers.

Vous qu’on persécute à la ville,
Jeunes cœurs, accourez près d’eux ;
Leur toit de chaume sert d’asile
À tous les amans malheureux.

Par le Berger Sylvain.
3e Jour Septembre 1787.