Le Cadran de la volupté ou les aventures de Chérubin/Texte entier

Le Cadran de la volupté - Frontispice
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UN MOT.


Qui n’a pas entendu parler du petit page connu sous le nom de Chérubin, dont Beaumarchais à effleuré l’histoire dans le Mariage de Figaro ? Quelques-uns aux représentations de cette pièce souriaient à certains traits, comme s’ils eussent été dans le secret de mes aventures ; d’autres de meilleure foi, et moins à portée de connaître ou de faire semblant de connaître les intrigues secrettes de la cour, ne voyaient dans le personnage qu’on me faisait jouer, que le jeu de l’imagination de l’auteur de la Folle Journée. Instruit à mon retour en France des anecdotes controuvées qu’on avait répandues sur mon compte, j’ai formé le dessein d’instruire le public de la vérité de mon histoire. J’avouerai que mon respect pour celle qui m’a initié la première aux mystères de l’amour, aurait fermé ma bouche malgré les persécutions injustes qu’elle a exercées contre moi, si depuis peu je n’avais encore éprouvé de ses noirceurs. Qui croirait que dans une circonstance tous les Français se vantent d’être libres et d’avoir secoué le joug d’une puissance arbitraire, le despotisme aurait encore de vils agens qui ne rougiraient pas de se prêter en secret à ses odieuses manœuvres ? A peine arrivé à Paris, je me suis apperçu qu’on épiait mes pas, et que… je n’en dis pas davantage, je craindrais qu’aigri par des malheurs qui apprennent à l’homme à devenir défiant, je ne fisse naître des soupçons qui peut-être seraient injustes, et mon projet n’est pas de suscister de nouveaux ennemis à celle dont le nom est assez en horreur dans toute la France. Sans chercher à la justifier ici de tous les torts qu’on lui impute, je la crois moins coupable qu’inconséquente et étourdie, et ses fautes appartiennent plus à la Polignac, qui fut mon introductrice auprès d’elle, qu’à son caractère trop ami des plaisirs pour être méchant par système. Si malgré la voix publique j’en parle ainsi, j’en demande pardon à la constitution et aux bons patriotes ; soit que le soutenir des plaisirs qu’elle m’a fait goûter la première, soit que les traits de grandeur d’âme et de générosité dont j’ai été plusieurs fois le témoin, aient effacé l’impression des chagrins qu’elle m’a fait essuyer, je me dois à moi-même de lui rendre cette justice : en effet, pour bien la juger, imposons un moment silence à nos passions, et représentons-nous une jeune princesse transportée dans le tourbillon d’une cour livrée au libertinage le plus effréné, et au luxe le plus déprédateur, nous la verrons tour-à-tour environnée de personnages masqués, occupés sans cesse à épier ses goûts et ses passions pour en tirer un indigne avantage, à multiplier sous ses pas la foule des plaisirs, afin de profiter d’un moment d’ivresse. Que dis-je ? à lui peindre le vice sous les plus aimables couleurs, et à lui persuader que le trésor de la France peut, sans que le peuple en gémisse, fournir abondamment aux dépenses les plus outrées. Vous qui jugez les rois et les princes avec tant de promptitude, si vous vous figuriez tous les écueils qu’on sème sous leurs pas, ces flots d’adulateurs qui les obsèdent sans cesse, et qui sont tous interressés à les tromper, peut-être les jugeriez-vous avec plus d’indulgence et, même vous leur sauriez gré de tous les vices qu’ils n’ont pas ; mais je me surprends ici à faire l’éloge de la R… Ah ! je sens trop que je l’aime encore !




LE CADRAN
DE LA VOLUPTÉ,
OU
LES AVENTURES
DE CHÉRUBIN.

LA NUIT HEUREUSE.


Fils de l’amour, légitimé par l’hymen, je reçus en naissant tous les dons séducteurs qui pouvaient me rendre plus propre qu’aucun autre aux mystères de Priape, Un corps ferme, vigoureux et richement proportionné, une phisionomie animée, de grands yeux bleus gracieusement ombragés d’une longue paupière, des membres souples et agiles, une imagination constamment tournée vers les plaisirs de l’amour, voilà ce que j’étais lorsque je fus placé chez les Pages de la R… A quelle époque de ma vie me trouvais-je, au milieu d’une cour qui était plutôt celle du plaisir que celle d’un grand roi ! J’étais dans ce tems heureux, où l’esprit agité de mille songes agréables, ne m’offrait que des tableaux aussi enchanteurs que variés, mon âme, brûlée de tous les feux de l’amour, cherchait à sentir vivement son existence : je soupirais après le plaisir. Lorsque j’étais auprès d’une femme, mon cœur battait d’une telle force que j’avais peine à respirer ! j’étais plein de distraction ! mon état était trop violent pour durer long-tems. Les femmes de la cour sont connaisseuses, et la R… passe pour avoir un tact sûr. Une nuit que j’étais de service chez elle, mes yeux s’arrêtèrent sur un tableau… Grands dieux que de beautés la toile respirait ! Aussi-tôt mon imagination s’enflamme… je saisis, d’une main agitée par le plaisir, le dieu qui m’embrâsait de tous ses feux ; j’étais prêt d’arriver au comble de la volupté, lorsqu’une porte s’ouvre… Une femme le sein entièrement découvert, dans le déshabillé le plus voluptueux, s’approche de moi, (j’étais observé sans m’en douter.) Que faisiez-vous là, jeune homme, me dit-elle, d’un ton à inspirer plus de confiance que de honte ? Quoi ! ce jeu a pour vous des appas ? — Ah pardon, ma belle dame ; hélas ! ne pouvant jouir de la réalité, ma folle imagination… j’étais tout tremblant. — Rassurez-vous, mon ami ; puis me prenant la main, qu’elle pressa doucement, suivez-moi, ajouta-t-elle en souriant agréablement. — Mais si la R… savait que… — Ne craignez rien, j’ai du crédit auprès d’elle, j’arrangerai tout cela. Je la suivis, nous traversâmes plusieurs appartemens ; enfin parvenu dans un cabinet faiblement éclairé, elle me fit asseoir près d’elle sur un riche sopha, elle me tenait une main, et se penchant amoureusement sur moi, sa bouche fraîche comme la rose, semblait appeler le baiser ; j’en hazardai un qui me fut rendu d’une manière bien vive ! j’étais tout feu, je ne me possédais plus, ma main se glissa, malgré une légère résistance, vers un endroit… je renversai ma belle nymphe sur le canapé, et, dans le plus bel état du monde, je me plongeai dans un océan de voluptés… Quelle expression pourra rendre tout ce que je sentis ? deux fois nous nous enivrâmes du précieux nectar que nous répandions sur l’autel du plaisir… Revenu de ma première extase, mes mains se promenèrent sur le plus beau corps du monde. Avec quels délices je palpais et couvrais de baisers enflammés ces formes arrondies par la main des grâces : jamais je n’ai vu de plus belle gorge, (et depuis j’en ai vu par milliers,) un sein d’albâtre, fermement placé. J’analisais en les adorant toutes les parties de son corps, une tendre curiosité la fit promener sur moi sa belle main ; j’étais rayonnant de gloire. — La nature a tout fait pour toi, beau Page. — L’amour fait encore plus, il me procure les faveurs de sa mère. — Tu as bien chaud, quitte tes habits, cela te gêne. En un instant je fus entièrement nud. — Je vais suivre ton exemple, nous serons plus à notre aise. Il faut, mon ami, nous énivrer de voluptés ! — Que les dieux me portent envie, m’écriais-je, en m’élançant dans ses bras : nous ne parlâmes bientôt plus que par baisers et soupirs. Ma divinité était furieuse, elle me mordait doucement les lèvres. Bientôt elle me rendit toutes les caresses dont je l’avais couverte, je repris la route des plus grandes jouissances, et trois fois je la parcourus sans interruption… C’est assez, me dit-elle, en m’embrassant étroitement, cesse mon cher amour, cesse ! ménage-toi pour des plaisirs que plus qu’aucun autre mortel tu mérites de sentir. L’heure qui doit nous séparer approche, retire-toi, et demain à pareille heure tu suivras celle qui te remettra la pareille boucle à celle-ci ; sois-moi fidèle, et l’amour multipliera tes jouissances. Adieu, petit ami. Un baiser, le plus voluptueux baiser, termina cette scène de plaisir. Je me retirai pour prendre un repos qui m’était devenu nécessaire.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LE LENDEMAIN.


Point de sommeil, le cœur violemment agité, l’esprit tendu vers l’adorable objet de mon nouveau culte, la nuit me parut d’une longueur insuportable, le jour enfin parut… Quelle journée, ce fut un siècle. Combien ne fis-je point de conjectures ? je ne connoissais pas celle qui causait tout ce trouble… Eh ! qu’importe, elle est… divine : oui, divine ! Eh ! bien, ce sera son nom. Tourmenté par mon imagination, sentant tout le vuide de la solitude, pour avoir le plaisir de m’entretenir avec elle, je me mis à lui faire une lettre. Voici ce que je lui écrivis.

« Etes-vous un ange, un lutin, que sais-je ? Oh ! sûrement vous n’êtes point une mortelle, car vous m’avez rendu un dieu. Seriez-vous par hazard une de ces fées bienfaisantes que j’aime tant quand je lis leurs histoires ? J’ignore ce que vous êtes ; mais ce que je sais fort bien, c’est que je vous adore. Ah ! je n’avais pas encore vécu, je ne sens mon existence que d’hier. Adieu, ange, fée… non, Divine, c’est le beau nom que vous donne mon cœur, et qui vous convient le mieux. Adieu, je tombe à vos genoux. »

Tout occupé de ma divinité, je n’avais pas encore examiné la boucle qu’elle m’avait confiée, et qui devait être confrontée avec celle que j’attendais avec tant d’impatience. Cette boucle était d’une très grande richesse, elle était d’or et garnie d’un double rang de diamans fins… cela augmenta singulièrement mon embarras. J’étais plongé dans mes rêveries, quand je vis entrer chez moi un homme chargé d’un panier plein de bouteilles. Voici du vin de Tokai qu’on vous envoie, me dit-il. — A moi ? vous vous trompez, sans doute, mon ami. — Monsieur, vous vous nommez M. D…l ? Oui. — Eh bien, c’est cela ; votre serviteur.


Il ne fut pas plutôt parti qu’un rayon de lumière vint m’éclairer ; c’est ma Divine, me dis-je à moi-même, c’est-elle qui me fait ce cadeau d’une manière détournée, sa boucle, que voici, m’annonce qu’elle est assez fortunée pour le faire ; mais… par quel moyen… qu’importe… elle est vraiment de précaution, elle veut, tout en réparant mes forces, m’en procurer de nouvelles. Que j’aurai de plaisir à les perdre encore ce soir !


Je fis un excellent diné ; je sablai une bouteille de Tokai. Oh comme j’étais disposé après ce repas ! Je sentis doubler ma puissance ; et si l’heure désirée, n’eut pas été si proche, aidé de ma fougueuse imagination qui me traçait les plaisirs passés et à venir, ma main aurait hâté, en les diminuant peut-être, les sensations après lesquelles je soupirais avec tant d’ardeur. Enfin, on frappe à ma porte, une femme s’approche, et me présente, avec la boucle, un billet conçu en ces termes : « Suis, mon bel ami, ta conductrice, hâte toi, l’amour t’attend, avec des couronnes de roses ». La personne qui devait me conduire avait une main charmante, que je baisai par reconaissance du service qu’elle me rendait ; je ne pus voir ses traits ; elle avait le visage couvert, et m’enjoignit pour mon bien de respecter son secret ; c’était l’ordre de ma belle inconnue… Je suivis mon guide, nous passâmes sur la terrasse du château au parterre du midi ; mon guide parla à l’oreille d’un homme en africaine, nous parvînmes à un cabinet artistement éclairé. Je vois Divine ; crier de joie, et sauter dans les bras l’un de l’autre, fut un acte aussi prompt que l’éclair. Pendant que nos baisers, nos amoureuses étreintes nous dédomageaient des longueurs de l’absence, la conductrice disparut, nous nous trouvâmes seuls et en sûreté. Quel bonheur !… Divine avait pour tout vêtement, une chemise de la plus belle mousseline ; je voyais à travers toutes les beautés dont j’étais idolâtre ! la scène de la veille m’avait rendu hardi : permettez ma Divine, que je baise, que je dévore ce chef-d’œuvre de la nature, ce sanctuaire de l’amour. Dieux qu’il est petit ! Que ce corail tranche merveilleusement cet albâtre… Je suis gêné, je veux me débarrasser de mes habits ; les prêtres de l’amour doivent, quand ils lui sacrifient, être nuds comme ce dieu… Déjà j’étais dans l’état de pure nature : Divine dénoue un ruban rose, le léger vêtement tombe… Ciel, que de beautés ! Vénus, sortant du sein de l’onde, ne parut jamais si belle… Je la prends dans mes bras, la presse contre mon sein, puis la renversant doucement sur une masse de coussins d’édredon, je la perce à coups redoublés du dard que l’amour lui-même conduisait, bientôt un torrent de feu inonde les secrets appas de Divine, ses beaux yeux se ferment languissamment, elle se pâme ! je succombe avec elle sous l’excès du plaisir, ma bouche erre sur la sienne, je veux receuillir ses soupirs ; sa douce haleine que je respire, est une flamme subtile qui parcourt toutes mes veines, et embrâse toutes les parties de mon corps, j’acquiers une nouvelle vie, je me remets en devoir de la perdre une seconde fois : Divine ouvre les yeux, me presse de ses beaux bras. Ah ! cher amant, me dit-elle, suspends tes coups… Mais non… plus vite… Ah !… je meurs… Plongés tous les deux dans cette extase, voluptueuse, qui suit la pure jouissance, nous nous regardions amoureusement, quand tout-à-coup Divine, poussée par un mouvement involontaire, s’élance sur la colonne d’albâtre qui lui faisait éprouver les délices de la béatitude, et la couvre de baisers. — Arrête Divine, arrête ! je succombe… Je sens qu’on pourrait mourir de plaisir… Le flambeau de l’amour étincelait de nouveaux feux, Divine se précipite sur moi, le saisit et s’en embrâse. Dieux quels mouvemens ! elle même dirigeait les miens ; sa langue voluptueuse se plongeait dans ma bouche, je m’énivrais d’ambroisie… Divine éprouva un tremblement universel, et pour la troisième fois perdit l’usage de ses sens.

Il était cinq heures du matin, déjà l’horison se couvrait d’un rideau pourpré, il fallut se quitter ; mais comme on se promit bien de se revoir la nuit suivante ! je ne pouvais m’arracher d’auprès de Divine ; vingt-fois je lui fis mes adieux, et vingt fois je retournai dans ses bras ; enfin soit que l’amour exigeât encore un sacrifice, soit que sur le sein de Divine je puisasse une nouvelle vigueur, tiens Divine, m’écriai-je, vois la puissance de tes charmes, tes beaux yeux animeraient le marbre, jouis de ton ouvrage, et de même que nous offrons aux dieux les dons que nous tenons de leur bienfaisance, de même je te fais hommage de ce que tu viens de faire naître. Bientôt j’eus placé mon offrande dans le sanctuaire de la volupté ; nos soupirs confondus furent l’encens que nous offrîmes au dieu dont nous célébrions les mystères : non, on ne peut que sentir, et l’on ne peut décrire ce que nous éprouvâmes.


Les sacrifices achevés, je voulus rendre les riches boucles qui m’avaient servi de passeport pour entrer à Gnide. — J’ai prétendu t’en faire un cadeau, me dit Divine, garde-les comme un gage de mon amour ; j’y joins ce porte-feuille, accepte mon cher cœur, je suis assez riche pour nous deux. N’épargne rien, fais de la dépense, l’amour pourvoira à tout. Adieu. Le mot Rosalba sera le signal du rendez-vous, la même personne qui t’a remis la boucle te le dira, et tu la suivras. — L’amour me prêtera ses aîles. Je volerai.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LE PORTE-FEUILLE.


Quelle fut ma surprise en ouvrant le porte-feuille, qui, par lui-même était fort riche, de trouver dedans pour quarante-mille livres de billets de caisse ? Les boucles valaient pour le moins autant… C’est une fée, disais-je, ou bien c’est la…… elle seule peut faire de si magnifiques présens ; et puis le mystère qu’elle employe pour me faire ignorer qui elle est, les superbes appartemens qu’elle occupe… J’étais fort intrigué pour savoir le mot de cette énigme, je n’étais pas encore sûr, je n’avais que des soupçons, et je craignais la certitude : j’aimais à voir dans Divine une fée, ou bien mon égale, l’idée de grandeur suprême effarouchait mon amour.

Je passerai légèrement sur le détail de la journée… pour arriver à la nuit, qui fût de même que les deux précédentes, témoin des plus grandes voluptés. Divine dans le désordre des sens, était dans un aimable délire : elle se livra à toute la fougue de son tempérament, plus de contrainte, elle cherchait à multiplier ses jouissances et les miennes par mille attitudes qui avaient pour moi tout le charme de la nouveauté…

Quinze nuits se passèrent dans ces ébats érotiques… Mais la seizième mérite une place honorable dans cet écrit.

C’était un jeudi. A peine ouvrais-je les yeux à la lumière, que je vis entrer mon guide. — On attend de vous des prodiges pour cette nuit : voici une essence qu’il faut prendre à l’instant de partir, elle est de la composition de Cagliostro ; ne craignez rien, jeune Athlète, cette huile sacrée, doit chez tous augmenter tous les feux de l’amour, doubler, tripler votre force, et par un heureux miracle vous élever au-dessus de la sphère commune, et faire de vous un dieu ; trouvez-vous ce soir sut la terrasse du château, vous entendrez une guittare, on pincera dessus l’air : Sentir avec ardeur, ce sera le signal : vous approcherez de l’endroit d’où partirons les sons, et l’amour fera le reste. Adieu, reposez-vous, et sur-tout ménagez vos riches dispositions. Je voulus l’embrasser. Arrêtez : il n’est pas tems encore, me dit-elle… Un jour peut-être… Elle sortit.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
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LA GUITTARE.


Il y avait un quart-d’heure que je me promenais sur la terrasse ; l’élixir aphrodisiaque commençait à agir, et me rendait insuportable le plus léger retard ; enfin, j’entends les sons ravissans de la guittare, en deux sauts je fus sous la croisée d’où partaient les sons de cette douce harmonie, une femme tousse, j’approche, ce n’était plus la même conductrice ; elle dit à voix basse, Rosalba. Je reconnus le mot du guet, je réponds, Divine. Elle me fait monter dans la chambre où était celle qui faisait raisonner la guittare ; je vis une femme charmante, non moins belle que Divine…… je fus frappé de sa beauté ; je restai immobile de surprise. — Ah ! je ne croyais ne jamais rien voir de si beau que Divine ; mais… — Partons, mit dit-elle, je n’ai pas le tems d’entendre vos complimens, ni peut-être vous de me les faire. Suivez moi.

Je reconnus la voix de mon guide, je l’avais toujours vue le visage couvert ; combien je fus satisfait de la trouver plus belle que le portrait que je m’en étais fait. Ah ! disais-je, c’est une grâce qui me conduit auprès de Vénus ! Allez, me dit-elle, en m’ouvrant un escalier dérobé, montez à la première porte, et mouchez vous deux fois… Elle ferma la porte du bas sur moi… Je donne le signal : On ouvre ; c’était un temple dont Divine était la déesse ; les feux de cent bougies, réfléchis sur le cristal des lustres éclairaient des tableaux peints par la main des grâces, avec les pinceaux de la volupté, qui, répétés dans vingt glaces, donnaient à ce superbe appartement l’air d’une chapelle consacrée à la mère des amours. Divine, à demi-nue, était couchée sous un dais sur une pile de carreaux jonchés de fleurs, l’appartement était embaumé des plus riches parfums, on jouissait par tous les sens… Je tombe aux pieds de Divine, j’embrasse ses génoux… O ma déesse, lui dis-je, vois à tes pieds le plus zélé de tes adorateurs, reçois ses vœux et son sincère hommage ; fais moi mourir sur ton sein, ma vie, mon âme, tout est à toi, disposes-en. — Relève toi, mon bien-aimé, me dit-elle, viens dans les bras de ton amante recevoir le prix de ton amour, la couronne du plaisir et de l’immortalité. Je m’élance entre les bras de Divine, bientôt nos deux corps confondus n’en font plus qu’un, l’amour agite sur nous tous les feux de son flambeau, l’encens que nous offrons à ce dieu fume sur ses autels ; Divine, anéantie de plaisirs, est prête à expirer dans mes bras, moi seul, dans un état plus qu’humain, je triple mes abondantes libations : je commence à croire que je suis un dieu ! Revenue de son extase, Divine ne se possède plus, elle est transportée au-dessus de la sphère commune ; dans le délire de la volupté, les cheveux en désordre, ce n’est plus une déesse, c’est une bacchante, elle veut jouir de toutes les manières, furieuse, égarée, ne distinguant plus les convenances ; elle saisit d’une main avide le thyrse qui l’inspirait, approche sa belle bouche… sa langue voluptueuse… enfin elle le presse sur toutes les parties de son corps, c’est son dieu ! son sein ferme et poli lui sert de trône, puis, par un caprice étrange, elle le place dans l’étroite ouverture voisine de celle que la nature lui destina : saisissant ensuite ma main, elle dirige mon doigt dans le réduit enflammé que je quittais à regret. Je l’agite, et bientôt la douce rosée du plaisir humecte ma main fortunée… Je me trouvais assez bien de la voie détournée qu’elle m’avait fait prendre, et j’étais prêt d’en donner des preuves, quand, par un mouvement adroit et vif, en même-tems, Divine me fit changer de direction, et reçut dans le vase de corail destiné à cet usage, un torrent de feux dont sans doute elle avait par instinct prevu l’irruption prochaine.

Un instant de repos, ou plutôt une jouissance plus paisible succéda à cette scène de plaisirs variés. Divine avait l’esprit créateur, elle-même disposa les préparatifs du nouveau sacrifice que nous voulions offrir au dieu de Lampsaque. Étendue sur l’autel, elle me fit passer une de mes cuisses sous son corps souple et léger, de sorte que ma tête étant auprès de ses pieds, les miens répondaient, d’un sous ses reins, et l’autre sur son épaule : dans cette attitude, le fier dieu des jardins était obligé de courber un peu sa tête pour pénétrer dans la brûlante carrière qu’il avait à parcourir ; elle-même l’introduisit dans l’arêne… Non jamais je n’ai éprouvé de titillations, de voluptés plus grandes que celles que je dois à cette heureuse découverte. Ah ! pour cette fois, je mourus à mon tour, Divine se dégagea et s’étendit sur mon corps qu’elle tint longtems embrassé, sa bouche de rose, recueillait mes soupirs, elle eut bientôt par ses lascives caresses ranimé mon ardeur expirante ; pleine du dieu qui l’inspirait, Divine invente un nouveau moyen ; elle imagine de passer une jambe dans chacun des doubles cordons qui servaient d’aide pour se soulever de dessus les coussins élastiques qui nous servaient de lit, de manière que sa tête seule appuyait sur un carreau un peu élevé, les cordons qui servaient de suspensoire à ses jambes, étant éloignés l’un de l’autre, lui tenaient les cuisses écartées, elle m’y fit placer en besace, de sorte que ma tête étant sous son beau rein, elle avait en perspective les belles formes dont la nature s’est plu à enrichir mon corps, sa main se promenait avec plaisir sur ces deux globes fermes et polis, puis se glissant par-dessous, elle rencontrait les sources sacrées de la volupté, et par la douce agitation de ses doigts, elle hâtait le moment de l’extase… Il m’est impossible de décrire les jouissances infinies que nous procura cette charmante position : il fallut cependant mettre un terme à nos délices, il était de la dernière importance d’éviter l’œil prophane ; nous nous arrachâmes non sans peine des bras l’un de l’autre, je regagnai furtivement mon hôtel, et j’avoue sincèrement que j’avais grand besoin de repos.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LES VACANCES.


Le lendemain, je reçus une lettre que voici :

« Soyons avares de jouissances pour en jouir plus long-temps, tu seras deux jours sans me voir, mais c’est pour te préparer à être initié dans les sacrés mystères de Vénus, ton épreuve est finie d’hier, ta discrétion, ton respect pour l’incognito que je veux garder me prouvent que tu es digne de cette faveur, une suite de prodiges frappera bientôt ton ame d’étonnement et de joie ; tu connais ma puissance… Adieu, bel ami, sois sûr de l’amour de

La fée Divine.


LE TEMPLE DE VÉNUS

GNIDIENNE.


Le troisième jour, une voiture s’arrête vers le soir à ma porte, un laquais vient m’avertir qu’on m’attendait pour y monter, j’arrive, je me place auprès d’un jeune homme enveloppé d’un riche manteau… c’était Divine ; un baiser sur sa bouche de rose lui prouva que je la reconnaissais… La voiture part, elle vole, nous arrivons à Paris dans un espace de tems très-court. Nous arrêtons à la porte d’un hôtel, dans un impasse ; nous descendons, la voiture s’éloigne ; une femme à qui Divine dit quelques mots mystérieux, nous introduisit dans une salle basse où étoit une malle, Divine en tira deux habits blancs complets, dans le costume grec, elle m’en revêtit, me noua une superbe ceinture rose, et m’attacha une couronne de fleurs sur la tête ; elle-même fut bientôt costumée à son tour. Dieux ! qu’elle était belle ; je crus voir une grâce. Nous montâmes un superbe escalier, garni de festons et de guirlandes. Arrivés à un portique, Divine frappa trois petits coups, on ouvre ; trois guerriers armés de toutes pièces me conduisent auprès d’un petit autel, sur lequel étaient deux épées nues en sautoir, là on me fit jurer par tout ce qu’il y a de plus sacré, de garder le plus strict silence sur tout ce que j’allais voir : il y va de ta vie, me dit-on. Ce début, et l’appartement tendu de noir, m’effrayèrent ; je promis tout ce qu’on voulut ; ensuite, un des chevaliers nous prenant, Divine et moi par la main, nous fit entrer dans un temple, un double rang de Gnidiens et de Gnidiennes entourait un autel jonché de fleurs, une musique dont les sons mélodieux et doux enivraient l’âme de volupté, portait le trouble dans tous les sens. Je crus être aux tems fortunés où les mortels communiquant avec les dieux, les prenaient pour modèles et témoins de leurs plaisirs : toutes les jeunes nymphes qui embellissaient ce temple vinrent me donner le baiser de fraternité. Qu’il était tendre et voluptueux ! Les jeunes gens vinrent à leur tour ; leurs baisers aussi lascifs que passionnés, me firent une impression non moins vive. Après cette cérémonie, trois jeunes prêtresses vinrent me faire quitter mes habits ; on me fit placer nud sur un canapé, la troupe forma un cercle autour de moi. Les trois prêtresses firent successivement l’éloge de toutes les parties de mon corps, il fut décidé que j’étais digne d’être initié aux plus secrets mystères. Toutes ces beautés, l’une après l’autre, vinrent baiser cette belle et précieuse portion de mon être à laquelle je dois toute ma félicité. Les hommes à leur tour, me baisèrent ces deux globes qui jadis méritèrent des autels à Vénus Calpigienne. Des scènes si lascives ne pouvaient manquer de m’enflammer à mon tour : j’en donnai la preuve la moins équivoque, et tous aussitôt de frapper dans les mains, et de vanter ma gloire. Un coup de tonnerre annonça l’approche du dieu qui présidait à ces fêtes ; il descend dans un nuage doré, au son des instrumens de toute espèce ; son front était ceint d’une couronne de roses, il tenait pour sceptre le plus beau priape qu’on puisse voir, chacun dans le silence attendait qu’il prononçât ses oracles. — Il est tems, dit-il, il est tems, jeunesse aimable et impatiente de jouir, d’ouvrir la carrière à vos plaisirs ; approchez, jeune et bel initié, recevez de ma main votre charmante maîtresse ; allez et multipliez vos plaisirs : vous, prêtres et prêtresses, formez autour d’eux des groupes voluptueux, et que Vénus préside à ces mystères. Divine fut aussitôt dans mes bras, le dieu lui-même, dont tout le corps était un chef-d’œuvre de la nature, plaça de sa main mon trait radieux dans le réduit brûlant qu’il devait occuper. Chacun de son côté se livra avec fureur aux plaisirs les plus variés ; que de soupirs, que d’attitudes multipliées ! Ah ! m’écriai-je, dans l’extase du bonheur :


Restez, adorables images,
Restez à jamais sous mes yeux ?
Soyez l’objet de mes hommages,
Mes législateurs et mes dieux…


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LE CADRAN DE GNIDE.


Toutes les phases de la volupté étaient tracées sur un cadran dont le dieu des jardins dirigeait l’aiguille. Ce cadran était divisé en vingt-quatre points, qui marquaient vingt-quatre manière de jouir, et que chacun parcourait successivement. Ce mystérieux et bienfaisant cadran est figuré au frontispice de ce livre. Divine et moi nous passâmes sur les premiers degrés ; mais bientôt le dieu vint nous remettre sur la voie, en nous montrant le cadran. Quel rafinement de volupté ! Arrivés au vingt-quatrième point, je continuai mes joyeux ébats au grand étonnement de toute la troupe, qui se mit à former autour de nous des chœurs de danses tels que ceux que l’on formait à Paphos et à Amathonte. Bientôt le flambeau de l’amour, dont j’avais épuisé tous les feux, ne jeta plus qu’une flamme vacillante : on m’invita à prendre du repos, quatre nymphes toutes nues apportèrent les fruits les plus rares et les plus délicieux, toutes les régions de la terre avaient été mises à contribution pour ce repas, on y sabla les vins les plus rares et les plus exquis. Nouveau Ganimède, (et j’en devais bientôt jouer entièrement le rôle), je fus chargé de verser le nectar au dieu de ce temple, une autre Hébé lui présentait l’ambroisie.

Après avoir par cette collation recherchée, ranimé nos forces épuisées, on se prépara à de nouvelles joutes ; j’étais déjà sur le sein de Divine, lorsque le dieu, m’appliquant de sa bouche un baiser plein de feu, m’introduisit dans le charmant séjour que Divine m’avait consacré, et m’insinua à moi-même un rayon de sa divinité : il s’y prit avec tant d’art et tant d’adresse, qu’au lieu de la douleur que je m’attendais à éprouver, je sentis doubler ma jouissance, il me pénétrait de tous les feux de sa divinité, qui, par contrecoup, embrâsaient le sein de Divine.

Il fallut mettre fin à tant de délices ; les plus tendres baisers, les soupirs brûlans précédèrent et accompagnèrent nos adieux. Chacun se retira dans un ordre admirable. Nous reprîmes la route de Versailles, et nous la parcourûmes avec la même rapidité qu’auparavant. Je descendis à l’entrée de la ville, pour rejoindre mon hôtel à pied, le char partit comme un trait. Arrivé chez moi, je me mis au lit : dieux de quels rêves enchanteurs ne fus-je point bercé pendant mon sommeil ! je ne m’éveillai que fort tard. A mon réveil, je me fis apporter un déjeuné restaurant, qui, bientôt m’eût rendu toute ma vigueur… Un quart d’heure après, on m’annonça une dame ; c’était la belle joueuse de guittare ; c’était mon guide. — Encore au lit ! où avez vous passé votre nuit, me dit-elle, en souriant ? — Dans les cieux, parmi les déesses et les immortels. — Ah ! j’entends ; vous avez été au temple de Vénus Gnidienne, et sûrement le dieu Cagliostro vous a fait participer à sa divinité ! — Quoi celui qui sait jouir, et faire jouir les autres avec tant d’art, est le comte de Cagliostro ? — Lui même, et votre Divine… Je soupçonne… Je puis vous instruire sur son compte, à présent qu’elle a épuisé toute espèce de jouissance avec vous ; elle ne tardera pas à vous donner un successeur. Tel est son caractère ; aimant jusqu’à la fureur, tant qu’on répond à l’impétuosité de son tempérament ; sa passion finit avec ce qui lui servait d’aliment. Quel dommage, qu’un si beau jeune homme soit bientôt sans maîtresse ! — Ah ! il ne tiendra qu’à vous, que je n’éprouve pas ce vuide affreux ; je puis encore offrir quelques couronnes de myrthe au dieu Priape, et pour vous le prouver… voyez… A ces mots je saisis la belle, et la portant d’un bras nerveux sur mon lit, je fis de suite deux infidélités à Divine. Dieux ! cher Page, s’écria-t-elle, tu es un trésor, la R… ne te possédera pas seule, dès que je te vois, je deviens sa rivale. Ah ! si tu préfères celle qui t’aimera le mieux, je suis sûre de la victoire. Qu’entends-je, la R… ! quoi j’aurais… — Oui, cher amour, je te révèle le secret ; mais prends garde ! une indiscrétion te perdrait à jamais ! tu la verras ce soir, agis avec elle, comme auparavant, sans paraître te douter de rien. Poursuis ta noble carrière, sans trop te reposer sur ton bonheur, car bientôt tu éprouveras les effets de son inconstance. Tout en me parlant, le mercure femelle agitait dans sa main le javelot destiné à percer ma royale conquête ; dès qu’elle le vit dans son éclat, elle le dirigea vers l’antre de Vénus. Je voulus l’examiner à mon aise, le comparer avec celui de Divine ; la différence était sensible : celui-ci ombragé d’une épaisse forêt, dont le noir tranchait admirablement avec sa peau de satin blanc, offrait un contraste frappant. Le vase de Divine entouré d’une mousse blonde, et douce comme la soie, ne contrastait avec son corps d’albâtre, que par des bords de corail ; l’une était une blonde, qui avait toute la vivacité d’une brune, l’autre, une brune qui avait toute la mollesse d’une blonde.

Dieux ! quels plaisirs je goûtai sur le sein de ma vive et sémillante conductrice, comme elle possédait l’art des combats amoureux ! que ses attitudes, ses mouvemens étaient rapides, voluptueux et variés ! Oui, je le confesse, elle me fit presqu’oublier Divine : il fallut pourtant se quitter, l’heure à laquelle je devais revoir cette dernière approchait. Je ne sais quels pressentimens m’agitèrent, j’étais dans un état difficile à définir ; je désirais et craignais mon retour auprès d’elle ; soit que la connaissance que j’avais de son rang, me contraignit, soit que sa belle émissaire eût épuisé les feux qui me brûlaient pour elle ; je me trouvai gêné, craintif, et ce fut plutôt l’obéissance que l’amour qui me conduisit au rendez-vous.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LA FAUTE
IMPARDONNABLE


Je revois Divine, et je ne suis plus transporté d’amour, le désir ne me précipite plus entre ses bras ; elle-même s’élance dans les miens, je l’y presse faiblement, et je soupire… Je recule autant que je le puis, ce moment qui jadis n’arrivait pas assez-tôt au gré de mes désirs impatiens ; enfin, il fallut agir comme si je le souhaitais. Les petits préliminaires qui, autrefois étaient l’ouvrage du moment, furent prolongés un assez long-temps ; je ne donnais que de faibles marques de sensibilité ; timide, presque tremblant, je n’avais plus cette fermeté qui m’avait acquis tant de jouissances et d’honneurs… Je me mis pourtant en devoir de donner à Divine une preuve que ses charmes n’avaient pas perdu sur moi tout leur empire…… O douleur ! je succombe aux premiers pas que je fais dans la carrière. Divine a beau m’encourager, m’exciter…… Hélas ! elle n’était plus cette Divine, cette fée bienfaisante ; cette aimable et simple prêtresse de Vénus ; je la connaissais, et mon imagination ne travaillant plus, je voyais en elle la R… Cette idée me glaçait, me rendait craintif et gêné auprès d’elle ; autrefois la charmante erreur d’une douce égalité semait des fleurs sur toutes nos actions ; j’étais l’amant de Divine avant que je susse qui elle était ; et me trouvant tout-à-coup son sujet, je la respectais malgré moi. Eh ! qui ne sait pas que le respect est l’épouvantail de l’amour…… ajoutez à mon moral l’état d’épuisement physique où m’avait mis la belle messagère, et qu’on juge après cela de mon embarras.

Divine déguisant son mécontentement et sa surprise, me fit de tendres reproches. — Quelqu’autre sans doute a partagé avec vous des plaisirs dont tout ce que j’ai fait pour vous semblait m’assurer l’unique possession. Je comptais un peu plus sur votre fidélité. Vous savez sans doute aussi qui je suis ; mais rassurez-vous ; celle que l’amour a fait descendre de son rang pour l’unir à vos jouissances, ne se souvient de sa grandeur et de son pouvoir que pour combler de bien celui qui lui fut si cher. Des larmes coulaient de mes yeux ; j’avouai que je la connaissais, et lui jurai le plus grand secret. En vain protestai-je que je l’adorerais toute ma vie, en vain lui promis-je de ne plus vivre que pour elle… Hélas ! l’amour, avait fait place à l’indifférence. Je ne pouvais concevoir comment on pouvait passer si promptement de l’attachement le plus vif à la froideur la plus marquée. Quoi ! l’état de faiblesse où je me trouvais était-il donc une faute impardonnable ? Ne pouvais-je réparer le lendemain le tems perdu d’aujourd’hui ? Ah ! il n’est que trop vrai que les femmes ne pardonnent jamais ce que leur amour-propre leur fait envisager comme un outrage fait à leurs charmes. Notre entrevue fut courte, mon inflexible me signifia un mal de tête ; je compris, et me retirai bien désolé, bien puni de ma trop grande confiance en mes moyens. Ah comme je regrettai la fameuse liqueur qui m’avait transformé en dieu !

Je passai une triste nuit. Heureusement que le lendemain à dix heures, je reçus la visite de mon ambassadrice ; je lui racontai tout, elle ne parut étonnée de rien. — Tu es déjà remplacé, me dit-elle, et depuis deux jours, le C… de R… partageait avec toi ; mais viens oublier dans mes bras ta volage maîtresse, je veux te forcer à me trouver supérieure à elle. Bientôt elle fit oublier tout l’univers, je repassai avec elle toutes les jouissances que m’avait procuré Divine ; elle renchérit sur toutes, et je me consolai facilement de sa perte, en possédant ma belle J… Plusieurs jours se passèrent dans les plaisirs, j’allais tous les soirs partager sa couche ; et Morphée fuyant l’éclat du flambeau des amours, ne mettait aucune interruption aux plaisirs dont nous nous enivrions. Les graces et le bonheur filaient nos heures fortunées, mais il n’est rien de durable dans ce bas monde. Un matin que je me préparais à voir J. P…, je reçus une lettre dont l’écriture m’était inconnue. C’était un ordre de partir sous vingt-quatre heures pour Nantes, et de-là passer en Amérique, où on me promettait de l’occupation. A cet ordre était joint un effet de dix mille livres pour les frais de mon voyage.

Je communiquai en gémissant cet ordre cruel à J. P… Il faut partir, me dit-elle, la désobéissance te perdrait… C’est avec douleur que je te fais sentir la nécessité du départ, c’est l’amour qui me donne la force de t’engager à partir. J’aurai bien du chagrin… Cependant je saurai le cacher. — Un jour peut être le sort qui nous sépare nous rejoindra. — Je passe sur une infinité de détails, sur le sceau que nous mîmes à nos adieux, sur mes réflexions sur le naturel des femmes.

J’arrive à Nantes… Quelle fut ma surprise d’y rencontrer le commissionnaire qui m’avait apporté du vin dans le tems de mon triomphe. Cette rencontre me fit presser mon embarquement, en m’en prouvant l’irrévocable nécessité. Je traversai les mers sans aventures funestes, et nous mouillâmes au Port-au-Prince. Lorsque j’arrivai chez le Gouverneur, je ne fus pas peu surpris de m’entendre appeler par mon nom : il me combla d’honnêtetés, et me donna une place de secrétaire du gouvernement. J’ai végété dans cette place pendant trois ans, sans recevoir aucune nouvelle des deux femmes qui m’avaient l’une et l’autre fait faire de si rapides progrès dans l’art du libertinage. Les perfides s’entendaient pour me tromper : j’ai su depuis un mot de ma première conquête, qui me la fait entièrement connaître. Une de ses amantes, car elle en avait, lui parlait un jour des hommes… « Les hommes, dit-elle : j’en fais comme d’une orange, quand j’ai sucé le jus, je jète l’écorce loin de moi ». Hélas ! j’étais bien cette orange. Lassé de mon exil, je regrettais ma patrie ; une langueur funeste s’empara de moi, j’étais triste, rien ne me flatait plus. Qu’ai-je donc fait pour avoir mérite d’être expatrié si jeune ? Hélas ! pour avoir servi aux plaisirs d’une femme en dignité, qui m’a fait les premières avances, je suis condamné à vivre dans l’exil, éloigné pour toujours de mon pays, sans espoir de le revoir jamais ! J’étais dans cet état de tristesse, lorsque j’appris les nouvelles de la plus étonnante révolution. Ah ! j’en sautai de joie. La France est libre ! l’homme a reconquis ses droits ! Mes fers sont brisés, mon exil est fini ; je puis revoir le ciel de mon pays. J’appris aussi tout ce qu’on débitait sur la R… et la J… P… ; je figurais même d’une manière incomplette dans différens ouvrages, où on couvrait d’opprobre et de noirceurs les deux femmes avec qui j’avais presqu’anéanti ma puissance virile. Je résolus de repasser en France, avec la ferme résolution de détromper le public sur plusieurs anecdotes controuvées, qu’on mettait sur mon compte, et de lui en apprendre d’autres qu’il ignorait. J’ai rempli tant bien que mal ma tâche ; c’est à ceux qui me liront à me juger, je me soumets entièrement à leur décision. Si cet ouvrage leur plaît, j’ai matière à lui donner un supplément ; car étant pressé, persécuté par un de mes amis pour mettre ces aventures au jour, je n’ai pu que rapporter certains faits choisis, parmi ceux qui m’ont paru les plus frappans……


Fin de la première Partie.

Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre




LE CADRAN
DE LA VOLUPTÉ,
OU
LES AVENTURES
DE CHÉRUBIN.

Seconde Partie.


Après cinq ans de silence, je reprends la plume, pour faire part à ceux qui ont lu la première partie de mes aventures, de celles qui me sont de nouveau arrivées, depuis mon retour de l’Amérique.

On croira aisément que les excès auxquels je m’étais livré avec la R… et la charmante J. P… m’avaient exténué, et que transporté tout-à-coup, dans un pays où les mœurs, les habitudes et le climat m’étaient insuportables, j’en suis revenu dans un état encore plus pitoyable que celui où je fus réduit, lors de mon exil.

Mais que ne peut la jeunesse sur un corps bien constitué ! La satisfaction de l’ame et la tranquillité de l’esprit sont les meilleurs médecins du corps. A peine eus-je respiré pendant quelques mois, l’air de mon pays, que je vis s’effacer de mon souvenir tous les chagrins.

Je n’avais alors que vingt ans. Je sentis renaître les désirs dans mon cœur que j’avais cru pour toujours insensible.

Mon corps décharné et ne présentant que l’image de la dissolution, reprit bientôt son embonpoint. J’étais devenu un nouvel homme. Mes traits n’avaient changé que pour prendre un air plus mâle. Je n’étais plus cet efféminé Chérubin à qui, sous un costume de femme, on eût conté fleurette ; ma taille avait acquis plus d’élévation. La barbe avait remplacé le duvet léger qui me couvrait le menton, et j’avais, pour tout dire, le phisique d’un hercule, joint à un tempérament lascif et plein de feu. On ne doit donc pas être surpris qu’avec une construction semblable, je parcourusse de nouveau la carrière des plaisirs.

Il est des époques dans la vie qu’on se rappèle toujours avec un plaisir bien doux. Qui de nous peut oublier la femme qui l’a initié dans les mystères de l’amour ? qui ne se rappelera avec délices, ces tendres frémissemens, cette brûlante ivresse qu’on éprouve en pressant le sein de sa bien aimée ; instant de délire, d’égaremens, où les corps s’unissent, les âmes se confondent, et semblent s’envoler au séjour de l’Elisée ! Toutes les attitudes, et les scènes voluptueuses, que j’avois mises en pratique avec la R… et la charmante P… étaient aussi présentes à ma mémoire, que si elles venaient de se passer. J’avais oublié tous les maux qui en furent la suite, je ressemblais en cela à tous les hommes. On passe facilement l’éponge sur les époques les plus malheureuses de sa vie, quand elles sont suivies de quelque relâche.

Quoique sans espérance de renouer avec la R… je n’en étais pas moins vivement pressé du désir de paraître sous ses yeux. Il était douteux qu’elle me reconnut d’après les changemens qui s’étalent opérés dans toute ma personne.

Mais ma chère J. P… que je savais être son inséparable amie, n’était pas moins la pierre d’aiman qui m’attirait. Je me persuadais qu’en me remettant sur les rangs, je redeviendrais bientôt l’heureux possesseur de ses charmes. Elle aimait trop son cher petit Page, pour qu’une absence de cinq ans, l’eût tout-à-fait banni de sa mémoire.

Pouvait-elle avoir renoncé au culte d’idolâtrie qu’elle avait tant de fois prodigué à toutes les parties de mon être, et que je lui avais rendu, et ne pas chercher dans son esprit inventif des moyens de faire renaître nos secrètes entrevues ?

Je sortis un jour rempli de ces idées, je pris machinalement la route, de Versailles, en réfléchissant sur les événemens de ma vie. Je fus distrait de mes réflexions par la culebute d’un cabriolet qui, à la descente de Chaillot, alla heurter contre une lourde voiture de roulier.

Je m’empresse de voler au secours de ceux qu’il renferme. J’arrive assez à tems pour arrêter le cheval fougueux qui les entraîne et empêcher quelque funeste accident.

Je jète les yeux ; quelle est ma surprise ! je reconnais le chevalier B… page de la R… mon ancien camarade. Nous voir, nous précipiter dans les bras l’un de l’autre, n’est qu’un seul mouvement. Il m’apprend qu’il est possesseur d’une fortune immense qui lui est échue par la mort de son oncle le marquis de B… qu’il a résisté aux perfides sollicitations de ses amis qui avaient tous lâchement émigré ; pour porter les armes contre leur patrie ; que loin de s’être laissé séduire par leurs conseils, il s’est déclaré le défenseur des droits du peuple, qu’il est aide-de-camp du général La F… et que, si mes sentimens étaient conformes aux siens, il était prêt non seulement à m’être utile, mais encore qu’il voulait resserer les liens de l’amitié la plus étroite. Ces dispositions cadraient trop avec les miennes, pour ne pas me prêter aux désirs du chevalier B… nous nous jurâmes dès ce moment une amitié qui jusqu’à ce jour n’a été altérée par aucune circonstance.

Je demandai au chevalier B… avec le plus vif empressement, des nouvelles de la cour ; il ne fit que me dire avec quelques détails ce que je savais de sa défaveur dans l’esprit du peuple, et les événemens qui se préparaient contre elle, par cette exécrable secte connue sous le nom de jacobins. Je sus que la R… était au château de la M… avec sa suite, qu’elle était très affectée des calomnies atroces qu’on publiait sur elle et sa famille ; et que bien différente de ce qu’elle était autrefois, elle n’avait plus d’autres sociétés que celle de son mari, d’autres plaisirs que ceux qu’elle se procurait au milieu de ses aimables enfans ; et qu’elle cherchait en pratiquant toutes les vertus, à faire oublier les torts et griefs qu’elle s’était attirés par ses inconséquences. J’appris aussi des nouvelles de ma chère J. P… toujours la même, sensible, aimant le plaisir, s’y livrant avec fureur, recherchant les intrigues galantes, jouissant du présent sans craindre l’avenir, et conservant au milieu des orages politiques, cette sérénité d’ame qui est le partage ordinaire de la femme insouciante et sans morale.

Je témoignai au chevalier B… le désir de voir la famille royale, cela lui était facile, il avait ses entrées à la cour comme aide de camp du général La F… il me promit de m’introduire le lendemain au château de la M… et nous nous donnâmes rendez-vous au bois de Boulogne,

Quand deux anciens camarades se rejoignent après cinq ans d’absence, ils ne manquent pas de se faire un bon accueil. Que de choses l’on a à se dire, le cœur est plein, il a besoin de s’épancher. C’est ce que nous éprouvâmes, le chevalier B… et moi.

Nous laissâmes au domestique le soin de faire reconduire la voiture. Un fiacre vint à passer, il nous ramena à l’hôtel du chevalier où j’eus le plaisir de dîner avec lui.

Le chevalier B… savait que j’étais parti pour l’Amérique, mais il ignorait que ce fut en exil, et que ce fut la R… qui en était la cause ; j’avais toujours gardé le plus profond silence sur tout ce qui s’était passé avec elle.

Je ne manquai pas de lui annoncer que c’était à la révolution que je devais mon retour dans ma patrie, et que j’étais décidé à ne plus la quitter, n’ayant plus de bastilles à redouter. Je n’aurais jamais imaginé, me dit-il, qu’il y en eut à craindre pour vous, je vous croyais, au contraire, un de ces enfans gâtés par la fortune, qui pouviez tout obtenir d’elle. — Ah ! mon cher B… cela a existé quelques momens, et je ne m’en rapèle que comme d’un songe agréable ; le réveil a été terrible pour votre malheureux ami, c’est à la faveur dont j’étais comblé à la cour, que je dois une partie des malheurs qui m’ont ensuite accablé, la faveur des grands n’est jamais durable, elle est l’image de la rose que l’ardeur brûlante du soleil consume. J’aurai occasion de vous raconter quelque jour mes aventures, vous verrez que personne n’a été balotté plus que moi par l’inconstante femelle que nous appelons Fortune.

Le chevalier B… était gai, on sabla quelques verres de champagne, et après le diné nous allâmes achever la journée à l’Opéra.

C’était ma première excursion. Je n’étais pas encore allé au spectacle, on donnait ce jour là le fameux ballet de Psiché, grande affluence de monde. J’étais muet de surprise de me trouver dans ce monde enchanteur, le chevalier B… au contraire m’avait quitté au milieu.

Le chevalier B… avait beau m’adresser la parole, je ne répondais rien ; enfin las d’être à côté d’un automate, il disparut pour aller passer en revue les duegnes excessivement faciles et complaisantes à la vue des espèces sonnantes ; bientôt il revint m’arracher aux douces sensations que j’éprouvais pour me conduire dans une loge occupée par une pourvoyeuse que j’entendis nommer Dupré, elle était accompagnée de deux femmes dont les attraits piquans étaient capables de remuer l’âme de l’homme le plus insensible. Nous descendons avec elles sans beaucoup de cérémonies, et nous voilà partis sans avoir vu même achever la pièce.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LE SÉRAIL.


Nous arrivâmes au sérail de la Dupré. On nous introduisit dans un salon magnifiquement décoré ; la lumière des lustres qui se réfléchissait dans les glaces, formait un coup d’œil enchanteur. La Dupré avait, par une sage précaution, orné ce salon des portraits des femmes de son sérail, de sorte que l’on pouvait sauver à celles à qui il restait de la pudeur, la honte de paraître devant un homme sans lui être agréable.

Le chevalier B… était tout puissant dans cette maison, on le redoutait, la Dupré consentit facilement à s’écarter, par considération pour lui, des règles qu’elle y avait établies.

Le chevalier B… s’était livré dès sa tendre jeunesse à la débauche la plus rafinée, ce qui avait presque anéanti sa puissance virile, il ne pouvait la retrouver que par des images obscènes et luxurieuses. C’est pourquoi il fit venir toutes les femmes de la Dupré, elles étaient vingt, toutes jolies, il exigea qu’elles se missent toutes nues, nous en fîmes autant, et alors commença la cérémonie qu’on mettait en usage pour faire croître la lame d’amour au chevalier B…

Les femmes formèrent à l’entour de nous un cercle, et défilèrent l’une après l’autre, en nous présentant à baiser le sanctuaire de l’amour, ensuite elles vinrent à leur tour rendre hommage au dieu priape ; la cérémonie se termina par un branle général, le chevalier B… et moi étions entourés de nos prêtresses, la Dupré commandait par le son d’un tambourin les mouvement des acteurs, il augmentait de vîtesse, à fur et mesure que le plaisir se manifestait dans les yeux, les femmes se branlaient avec fureur, et lorsque la Dupré fit le roulement, toutes les femmes se pâmèrent, et alors le chevalier B… fut en état de grâce.

Qu’on s’imagine l’effet que dût produire sur un cœur aussi facile que le mien à s’enflammer, la scène qui venait de se passer devant mes yeux. J’étais tout en feu, le chevalier B… s’empara d’une des femmes, et la douceur de celle que j’avais ramené de l’Opéra me détermina à en faire ma sultane favorite.

Elle se livra aux plaisirs de la jouissance avec fureur, et dans trois assauts qu’elle eut à soutenir avec moi, elle répéta à chaque fois avec un saint entousiasme ces beaux vers.


Pour ce vit, mes amours, que ne suis-je tout con !
Dieu ! qu’il fournit bien sa carrière !
J’en suis folle ! tant mieux, foutre de la raison,
Au plus grand des plaisirs livre toi toute entière,
Caressons nous de plus d’une manière,
Donne, reçois, et rends, que ton corps et le mien,
N’en formant qu’un, ne se dérobent rien !
Foutons du haut en bas, et devant et derrière.


Nous n’en serions pas resté là mais le chevalier B… qui avait déjà perdu sa vigueur, vint nous interrompre dans nos ébats amoureux, c’était bien dommage, Rosalie (c’était le nom de ma déesse) était bien capable de résister aux coups vigoureux que je lui portais, quel tour de reins ! Vénus n’était pas plus savante à inventer de nouvelles situations. Que de plaisirs je pris dans les bras de cette aimable créature. Il est vrai que le morceau était friand ; figurez vous une taille au-dessus de la moyenne, de beaux cheveux bruns, une peau douce comme le satin, un son de voix aussi agréable que la flûte, une haleine aussi douce que le zéphir, une gorge ferme et bien arrondie, de grands yeux bleus où se peignaient la volupté, une croupe aussi belle que la Vénus de Médicis, une jambe faite au tour, pied mignon symbole de l’étroite grotte qui décorait son beau corps ; voilà l’esquisse du portrait de Rosalie ; voilà l’aimable courtisanne qui eût les prémices de ma convalescence.

Le Cadran de la volupté, Figure page 81
Le Cadran de la volupté, Figure page 81

Il était minuit lorsque nous quittâmes le sérail de la Dupré, et que nous retournâmes chacun dans nos foyers, prendre un repos dont nous avions besoin.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre



LA PROMENADE.


Nous nous trouvâmes le lendemain au bois de Boulogne au ranelack, et après avoir donné nos chevaux à garder à nos valets, le chevalier B… m’introduisit au château de la M… nous apprîmes que la R… se promenait avec la J. P… et nous avançâmes de ce côté là. J’étais dans la plus grande agitation ; je ne pouvais faire un pas, sans que ces lieux ne me rappelassent des plaisirs passés…

En détournant la grande allée des maronniers du côté du bois de Boulogne, nous rencontrâmes la R… et la belle P… cette dernière fixa les yeux de mon côté, elle m’eût à peine apperçu, qu’elle jeta un cri mêlé de surprise et de frayeur, aussitôt elle se trouva mal, je devinai que j’étais l’auteur de cet événement et je me gardai bien de me montrer de crainte que ma présence ne fit le même effet sur la R… et que mon imprudence ne m’attirât quelques nouveaux malheurs. On sait que la R… qui avait pour elle la sollicitude d’un amant pour sa maîtresse, la fit reconduire dans son appartement, et sans manifester à mon ami, l’effet qu’avait produit sur moi la vue de la R… et de la P… nous nous retirâmes.

Nous montâmes à cheval ; après une promenade, champêtre nous revîmmes dîner chez un restaurateur à la porte du bois.

Nous étions à peine arrivés, que je fus demandé par mon véritable nom, je trouvai à ma grande surprise dans un cabinet attenant à la pièce où nous étions un domestique qui me remit la lettre suivante.

« Je n’ai pu vous voir, sans éprouver la plus vive satisfaction et les plus grandes inquiétudes. Je désire vous prouver mon attachement, vous devez le mériter par votre constance. Ah ! si j’osais croire que j’ai eu part à ton imprudente démarche, je ferais encore plus pour toi ; en indiquant votre adresse, je serais ce soir à minuit dans les bras de mon cher Page. Réponse par le fidèle serviteur qui te remettra ce billet. »

Réponse.

« Chérubin est toujours le même ; malgré ses malheurs, il n’a jamais pû oublier sa chère J. P… Il n’y a point de dangers qu’il n’affronte pour la voir, il n’y a rien qu’il ne fasse pour lui réitérer les assurances de l’amour le plus vif et qui ne finira qu’avec sa vie ; il attend minuit avec impatience, il comptera les secondes pour des années. A minuit rue de Richelieu, hôtel de ***. Recevez en attendant les brûlans baisers de l’amoureux Chérubin. »

Je remis cette lettre au domestique de J. P… et je rentrai ému et rayonnant de joye de ce qui venait de m’arriver. Le chevalier B… s’apperçut bientôt de ma distraction, il ne pouvait la faire disparaître, malgré l’enjouement de son caractère. Vous me pardonnerez la question que je vais vous faire, me dit-il, je suis bien trompé si vous ne venez de recevoir l’heureuse nouvelle de quelque bonne fortune. J’ai quelques droits à votre confiance, et si je la mérite, daignez m’en faire part pour que je puisse m’en réjouir avec vous. — Je vous avoue, mon digne ami, que vous avez deviné juste ; c’est une ancienne connaissance que je cherchais en venant ici, je l’ai trouvée, elle m’a apperçu, nos yeux se sont entendus, elle m’a fait suivre ; et je la recevrai dans mes bras à minuit… Il faut donc, chevalier, bien réparer les forces que mon infidélité d’hier m’a fait perdre. Je regrette seulement de ne pas faire une partie quarrée… mais je pense… je réfléchis aux moyens… La chose se fera, mon cher ami, nous passerons une nuit délicieuse, laissez-moi conduire l’aventure… La soubrette vaut bien la maîtresse ; tout ce que je souhaite, c’est que vous retrouviez suffisament de vigueur pour participer en second aux plaisirs qui nous attendent. — Je vous abandonne la conduite de cette affaire, chevalier ; guidé par vous, je ne puis manquer de devenir un héros dans les combats amoureux ; que ne peut l’exemple sur un écolier qui désire de bien faire ? cette intrigue me paraît si piquante, que déjà je me sens très-amoureux de ma soubrette, et que blazé des beautés de bordels, un nouveau genre ranimera mes appétits, et me fera faire des exploits extraordinaires.

Nous achevâmes le diné gaîment, et nous eûmes soin de prendre des alimens qui contribuassent à exciter chez le chevalier une fermentation qui l’empêchât de rester spectateur indifférent de la nuit heureuse que j’allais passer… Nous revînmes à Paris attendre l’heure du berger ; un instant à la comédie Italienne, et de-là souper à mon hôtel avec le compagnon de mes plaisirs.

Une lettre de ma chère J. P… m’attendait, elle était ainsi conçue :


Bourges, ce…

« J’arrive ce soir à Paris à onze heures, fais préparer, à ton hôtel, un lit pour moi et un pour ma femme de chambre, je suis si fatiguée de la maudite voiture que j’ai prise, que je ne peux t’en dire davantage, je t’embrasse,

ta sœur Julie. »

Je sautai de joie à la lecture de cette interressante missive, j’appris au chevalier le nom de mon héroïne, et sa surprise fut extrême, il connaissait la duchesse de P… et sa femme de chambre qui n’était pas moins appétissante, sa bonne fortune le transportait de joie.

Nous attendîmes avec impatience l’instant de notre réunion, enfin onze heures sonnent, une voiture se fait entendre, je fais cacher le chevalier B… jusqu’à ce que j’ai prévenu la duchesse de la présence de mon ami ; j’appréhendais qu’elle ne refusât de se prêter à la partie que j’avais arrangée. Enfin j’arrive à la portière et je reçois dans mes bras ma prétendue sœur, qui par précaution s’était voilée, et nous voilà introduit dans mon appartement, où il m’est permis, tandis que la suivante fait transporter une malle assez pesante, de témoigner à ma charmante amie la satisfaction que j’éprouvais de la serrer contre mon cœur, et la juste reconnaissance que je lui devais pour une si grande preuve de son amour.

Le chevalier B… était dans un cabinet à côté, je prévins la duchesse de ma liaison intime avec lui, et j’eus bientôt levé ses scrupules en lui annonçant que le chevalier B… ferait partie quarrée avec sa suivante. — Vous avez des idées singulières, mon cher Chérubin, et je m’apperçois que l’absence et vos malheurs ne vous ont pas rendu plus sage ; mais puisque je me suis livrée à discrétion, vous userez de votre victoire comme bon vous semblera, vous savez que je suis docile, et que je ferai tout pour combler les vœux de mon aimable vainqueur. — Divine amie, tant de complaisance ne peut-être payée par trop d’amour. Les expressions me manquent pour te marquer ma reconnaissance, mais… — Mais taisez-vous, dit-elle, petit idolâtre, en précipitant ses lèvres sur les miennes ; et ses baisers enflammés me coupèrent la parole, j’étais dans le délire, j’allais oublier que le moment de la volupté n’était pas venu… Y pensez-vous, dit-elle, en s’arrachant de mes bras ? voyons votre second, il est tems de lier connaissance. La duchesse à qui j’avais indiqué le cabinet, courut sur le champ avec une grâce enchanteresse en faire sortir mon prisonnier, et prenant le chevalier B… par la main, puisque votre ami vous a instruit de tout ce qui a rapport à nos amours, je n’ai point à craindre que le chevalier B… soit assez indiscret pour aller divulguer ma faiblesse, je lui demande son silence et son amitié. — Je vous promets l’un, madame, et je m’honore d’accepter l’autre, lui répond le chevalier, en lui baisant respectueusement la main.

En attendant le souper, la duchesse nous fit part de la ruse qu’elle avait employée pour obtenir de la R… la permission de venir coucher à Paris. J’ai fait mettre à la petite poste une lettre, par laquelle j’étais demandée par la duchesse de B… ma parente ; qui se disait dangereusement malade, il ne m’a pas été difficile d’obtenir la permission de lui aller rendre mes soins.

La duchesse est mon amie intime ; elle est extrêmement indulgente sur les fautes de son prochain ; je l’ai prévenue et elle s’est prêtée bien facilement à ma supercherie, j’ai un congé de deux jours. Ce que me dit la duchesse me combla de joie.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
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LE SOUPER.


Le souper fut délicieux ; la duchesse voulut que toute étiquette en fut bannie ; et afin de n’être pas gêné par des regards importuns, on eût bientôt congédié les domestiques ; et aussitôt ma princesse proclama les principes de l’égalité, en faisant mettre à table avec nous sa femme de chambre, qui devint sur le champ la partenaire du chevalier B…

On accorde à la duchesse de P…, des aimables saillies et un enjouement approchant de la folie. Les charmes de sa conversation faisait écouler si rapidement le tems, que les heures semblaient des minutes. Lisette alla avec le chevalier B… vuider la malle ; elle renfermait des vins de toutes espèces, qu’on avait eu soin d’apporter pour en imposer aux hôtes incrédules. Ces bienfaisans élixirs ne servirent pas moins à nous exciter au plaisir, qu’à réparer les forces que nous allions perdre dans cette orgie nocturne.



Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
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ORGIE NOCTURNE.


C’en fut une véritable. Le jus de la treille circulait dans nos veines et allumait notre sang ; la duchesse de P… douée d’un tempérament lubrique n’y pouvait tenir ; assise à côté de moi, elle s’empare avec ardeur de l’objet de ses plus chères affections ; sa belle bouche se colle sur la mienne ; la commotion électrique n’est pas plus prompte, je riposte à l’attaque avec ivresse, je m’empare de sa gorge, qui étant toujours blanche comme un lys, je la couvre de baisers ; et mon autre main se dirigeant bientôt sur la partie la plus sensible de son être, j’en introduisis le doigt dans son étroite ouverture, et les mouvemens redoublés irritans toutes les fibres du plaisir, j’en vis bientôt briller dans ses yeux les ravissans transports. Cher amour, s’écrie-t-elle, tu me combles de délices. Fais âme de ma vie, fais bien ! très-bien. Encore mieux… Et vîte, vîte !… arrête, arrête, petit fripon… tu vas me faire mourir. Allons, Lisette, imites-nous, va foutre dans ce cabinet avec le chevalier, car alors ivre de plaisir, elle ne se connaissait plus, va Lisette, et toi Chérubin, vient me mettre cet aimable vit, ton vit copieux dans mon con brûlant ; rafraîchis-le de ton divin nectar. En disant ces mots, elle s’asseoit sur le pied de mon lit, je lui plonge à corps perdu dans le vase d’amour, elle redouble ses savantes secousses ; nous ne formons plus qu’un corps, dans nos embrassemens, nos âmes, nos soupirs sont confondus, et dans l’extâse la plus grande, elle s’écrie : Ah ! Chérubin, cher fouteur, je me meurs !… Je ne répondis que par ces mots ; et mon âme s’envole avec la tienne !…

Un instant de repos suivit cette charmante opération, nous ne voyions, nous n’entendions plus rien, nous revînmes à nous, attachés bouche contre bouche, étroitement serrés l’un contre l’autre, et nous ranimant tous deux par nos soupirs enflammés.

Toujours, toujours le même, me dit la duchesse. Que les hommes ne sont ils doués de ta force, les femmes se prosterneraient à leurs pieds et deviendraient P… — Ah ! chère duchesse, si elles étaient toutes aussi belles, aussi aimables que vous, tous les hommes deviendraient des Hercules, et pour parler sans figures, on ne voudrait mourir qu’en foutant… — Mais voyons le chevalier, dit-elle, en s’arrachant de mes bras, il me tarde de savoir s’il s’est aussi bien acquitté auprès de Lisette de ses fonctions que toi, je serais fâchée que l’on ait fait venir l’eau à la bouche, sans humecter la partie qui en a besoin.

Nous entendîmes à l’instant le chevalier qui parlait avec ravissement à sa Lisette ; il lui faisait compliment sur ses talens dans les sciences occultes, et sur son art à ranimer, par les mouvemens subtils des doigts, les facultés masculines. — Tu es, dit-il, Lisette, impayable, j’ai bien foutu des femmes, mais jamais je n’en ai trouvé qui eût des mouvemens aussi élastiques et sentimentaux que les tiens, je voudrais avoir cent vits, je les consacrerais à ton service, et je suis sûr que tu es capable de les mettre tous à la raison. Lisette était radieuse de joye de la satisfaction du chevalier ; sans doute qu’elle y avait elle-même trouvé son compte. Nous nous présentons à leur porte qui était entr’ouverte, nous la vîmes se proposer d’opérer un nouveau miracle sur le chevalier B… dont elle manipulait légèrement les testicules, lui dardait sa langue dans la bouche, et lui massait tout le corps de ses délicates mains.

La duchesse surprise de la trouver si savante, ne pût s’empêcher de s’écrier : Très-bien, Lisette, je ne vous croyais pas si instruite. — Ah ! madame, répond celle-ci, que n’apprend-t-on pas avec une aussi bonne maîtresse ? Ce sarcasme ferma la bouche à la duchesse, qui finit par en rire.

La nuit était fort avancée ; la reflexion vint un moment suspendre l’yvresse de mes sens. Je communiquai aux joyeux compagnons de mes plaisirs la crainte où j’étais, qu’en poussant trop loin notre banquet nocturne et les jouissances qui l’avaient rendu si délicieux, nous ne fournissions matière à la médisance. On sonna donc les domestiques et on feignit de se retirer chacun dans son appartement. Impatient de finir de nous enivrer à la coupe de la volupté, nous fûmes bientôt joindre à petit bruit, nos maîtresses.

Nouvelles scènes, nouveaux ébats où nous épuisâmes avec la duchesse tous les canaux du plaisir. Les liqueurs spiritueuses que nous avions avalé à longs traits, avaient quintuplé la vigueur de mon robuste priape, et pourtant mon insatiable divinité par ses caresses enflammées, ses regards et ses baisers dévorans, sollicitait encore une nouvelle libation. Eh bien ! gloutonne lui dis-je, sois enfin rassassiée. Que le fout… inonde toutes les parties de ton brûlant vagin ; puisse-t-il jaillir par tous tes pores, et te forcer de dire : c’est assez. Et en même tems frappant d’estoc et de taille, je poussai si vivement ma pointe que j’entendis ma vorace duchesse s’écrier : ah finis, finis tes coups, je rends les armes… reçois le glorieux titre de mon vainqueur et de Fouteur par Excellence.

A 7 heures du matin, je vis le chevalier B… sa satisfaction égalait la mienne, Lisette avait su le remonter au ton du plaisir ; et c’était une victoire qui ne lui faisait pas moins d’honneur que la mienne. Enfin contens l’un de l’autre nous arrêtâmes unanimement de mettre au nombre des heures de bonheur, celles que nous venions de passer, et de nous séparer.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
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LA RETRAITE.

Elle était bien nécessaire, après une nuit aussi laborieuses Le chevalier B… alla se reposer chez lui de ses fatigues ; et moi, je me retirai dans mon appartement où un sommeil bienfaisant vint aussitôt s’emparer de mes esprits.

Je dormis jusqu’à quatre heures du soir, je me levai à la hâte, et je courus à l’appartement de ma chère J. P… je fus étrangement surpris de n’y trouver personne. Je demandai au domestique, où était ma sœur, il me répondit que vers les dix heures du matin, une dame était venue la prendre dans un carosse, et qu’avant de partir elle l’avait chargé de me dire que je trouverais dans mon secrétaire une lettre qui m’expliquait la cause de son départ. Je pris tout tremblant cette précieuse lettre et j’y lus ce qui suit :

« Tu seras surpris, mon cher Chérubin, de mon départ. Tu dois juger de ma douleur par celle que tu éprouveras. Il n’y a que des affaires très pressante qui ayent pu m’arracher d’auprès de toi ».

« La R… m’envoya chercher ce matin chez ma parente avec des ordres très-précis de me rendre à la cour sur le champ. Je n’ai pu résister au plaisir de t’embrasser avant mon départ. Je me suis introduit dans ton appartement. Tu dormais bien profondément, puisque le feu de mes baisers n’ont pu te réveiller je ne sais quand je pourrai me retrouver avec toi. J’en ferai naître les occasions lorsque je le pourrai ; elles ne tarderont pas à se présenter, si les malheurs qui sont prêts à fondre sur la famille R… ne me forcent à fuir, mais partout où je me trouverai, je ne serai pas un seul instant sans penser à mon aimable page ».

J’étais resté immobile après la lecture de cette lettre. Elle m’affecta violemment ; le cœur serré, et respirant à peine, je gémis de voir de nouveau s’évanouir l’aurore du bonheur… J’aimais éperduement ma chère J. P… et sa lettre m’avait fait naître des craintes… j’avais même un secret pressentiment que je la perdais pour toujours…

L’arrivée du chevalier B… qui entra précipitament, et d’un air égaré augmenta encore mes inquiétudes et nos chagrins en apprenant les tristes événemens qui se préparaient.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
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LA CATASTROPHE.


Ami, dit-il, recueille ton courage, tu en as besoin pour m’entendre.

Le jour de demain signalera la honte ou la gloire des Parisiens. Une horde de brigands salariés, enhardis par l’assurance de l’impunité, doit se porter aux Tuileries ; massacrer la famille R… et ses amis. Je me confie en tes principes, je t’ai inscrit au nombre de ses ardens défenseurs.

Je répondis à cette courte harangue, en portant la main à mon épée : Les ennemis de mon R… sont les miens, je le jure par l’honneur que je n’ai jamais violé, et par l’amour qui m’ordonne de sauver tout ce qui m’est cher, ou de périr.

Je me rendis le lendemain au poste que le chevalier m’avait assigné. Mais à quoi servit notre défense héroïque ? Le nombre nous accabla, ou plutôt le R… hâta sa ruine et la notre, en se livrant avec sa famille entre les mains de ses plus mortels ennemis. J’aurais succombé à la rage des assassins, si je ne m’y fusse soustrait par un escalier dérobé.

Je tire le rideau sur les événemens atroces et sans exemple de cette journée. Ne pouvant supporter la pensée de vivre dans un pays si barbare, je me retirai en Suisse. Il était tems. J’avais été signalé ; mes ennemis étaient à ma poursuite. J’eus lieu de m’applaudir de ma prudence, puisque j’appris ensuite que la famille R… avait été sacrifiée, que mes meilleurs amis avaient subi le même sort ; que la France était couverte d’échaffauds sur lesquels tout ce qui avait un nom et des vertus était menacé de porter sa tête. Malgré mon amour pour la patrie, j’ai préféré le séjour tranquille de ce pays aux plaisirs bruyans de Paris.

Je n’ai pu rencontrer ma chère J… P… Il n’en est pas de même de Lysette ; je l’ai retrouvée à Basle, elle est devenue ma ménagère et la consolation de mon exil. Tout en parlant du bon tems et des amis absens, souvent il arrive que notre imagination s’enflamme, et nous cherchons à noyer des souvenirs importuns dans les plaisirs de Bacchus et de l’amour,

Peut-être viendra-t-il un tems où le malheureux Chérubin, pourra retourner dans sa patrie, et y figurer de nouveau, sur le théâtre du grand monde ; c’est là le plus ardent de ses vœux.


Fin de la seconde et dernière partie.