Paul Ollendorff (Tome 2p. 126-142).
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Première Partie — 14


Le lendemain, Christophe vint prendre Olivier, pour faire une promenade dans Paris. Olivier était guéri ; mais il éprouvait toujours son étrange lassitude ; il ne tenait pas à sortir, il avait une crainte vague, il n’aimait pas se mêler à la foule. Son cœur et son esprit étaient braves ; mais la chair était débile. Il avait peur des cohues, des bagarres, de toutes les brutalités ; il savait trop qu’il était fait pour en être victime, sans pouvoir se défendre, sans même le vouloir : car il avait horreur de faire souffrir, autant que de souffrir. Les corps maladifs frémissent plus que les autres devant la souffrance physique, parce qu’ils la connaissent mieux, parce qu’ils ont moins de ressort pour résister, et parce que leur imagination surexcitée la leur représente plus immédiate et plus saignante. Olivier rougissait de cette lâcheté de son corps, que contredisait le stoïcisme de sa volonté ; et il s’efforçait de la combattre. Mais, ce matin, tout contact avec les hommes lui était particulièrement pénible, il eût voulu rester enfermé, tout le jour. Christophe le semonça, le railla, voulut à tout prix qu’il sortît, pour s’arracher à sa torpeur : depuis dix jours, il n’avait pas pris l’air. Olivier faisait mine de ne pas entendre. Christophe dit :

— C’est bon, je m’en vais sans toi. Je vais voir leur premier Mai. Si je ne suis pas revenu ce soir, tu te diras que je suis coffré.

Il s’en alla. Dans l’escalier, Olivier le rejoignit. Il ne voulait pas laisser Christophe aller seul.

Peu de monde dans les rues. Quelques petites ouvrières, fleuries d’un brin de muguet. Des ouvriers endimanchés se promenaient, d’un air désœuvré. À des coins de rues, près de stations du Métro, des agents, par paquets, se tenaient dissimulés. Les grilles du Luxembourg étaient fermées. Le temps restait toujours brumeux et tiède. Il y avait si longtemps qu’on n’avait vu le soleil !… Les deux amis allaient au bras l’un de l’autre. Ils parlaient peu, mais ils s’aimaient bien. Quelques mots évoquaient des choses intimes et passées. Devant une mairie, ils s’arrêtèrent pour regarder le baromètre, qui avait une tendance à remonter.

— Demain, dit Olivier, je verrai le soleil.

Ils étaient tout près de la maison de Cécile. Ils pensèrent à entrer, pour embrasser l’enfant.

— Non, ce sera pour le retour.

De l’autre côté de l’eau, ils commencèrent à rencontrer plus de monde. Des promeneurs paisibles, des costumes et des visages du dimanche ; des badauds avec leurs enfants ; des ouvriers qui flânaient. Deux ou trois portaient à la boutonnière l’églantine rouge ; ils avaient l’air inoffensifs : c’étaient des révolutionnaires qui se forçaient à l’être ; on sentait chez eux un cœur bienveillant et optimiste, qui se satisfaisait des moindres occasions de bonheur ; qu’il fit beau, ou simplement passable, en ce jour de congé, ils en étaient reconnaissants… ils ne savaient trop à qui… à tout ce qui les entourait. Ils allaient sans se presser, épanouis, admirant les bourgeons des arbres, les jolies toilettes des petites filles qui passaient ; ils disaient avec orgueil :

— Il n’y a qu’à Paris qu’on peut voir des enfants aussi bien habillés que ça.

Christophe plaisantait le fameux mouvement prédit… Bonnes gens !… Il avait de l’affection pour eux, avec un grain de mépris.

À mesure qu’ils avançaient, la foule s’épaississait. De louches figures blêmes, des gueules crapuleuses, se glissaient dans le courant, aux aguets, attendant l’heure et la proie à happer. La bourbe était remuée. À chaque pas, la rivière se faisait plus trouble. Maintenant, elle coulait, opaque et lourde. Comme des bulles d’air venues du fond qui montent à la surface grasse, des voix qui s’appelaient, des coups de sifflet, des cris de camelots, perçaient le bruissement de cette multitude et en faisaient mesurer les couches amoncelées. Au bout de la rue, près du restaurant d’Aurélie, c’était un bruit d’écluses. La foule se brisait contre des barrages de police et de troupes. Devant l’obstacle, elle formait une masse pressée, qui houlait, sifflait, chantait, riait, avec des remous contradictoires… Rire du peuple, seul moyen d’exprimer mille sentiments obscurs et profonds, qui ne peuvent trouver un débouché par les mots !…

Cette multitude n’était pas hostile. Elle ignorait ce qu’elle voulait. En attendant qu’elle le sût, elle s’amusait, — à sa façon, nerveuse, brutale, sans méchanceté encore, — elle s’amusait à pousser et à être poussée, à insulter les agents ou à s’insulter soi-même. Mais peu à peu, elle s’énervait. Ceux qui venaient par derrière, impatientés de ne rien voir, étaient d’autant plus provocants qu’ils avaient moins à risquer, sous le couvert de ce bouclier humain. Ceux qui étaient devant, écrasés entre ceux qui poussaient et ceux qui résistaient, s’exaspéraient d’autant plus que leur situation devenait intolérable ; la force du courant qui les pressait centuplait leur propre force. Et tous, à mesure qu’ils étaient plus serrés les uns contre les autres, comme un bétail, sentaient la chaleur du troupeau qui leur pénétrait la poitrine et les reins ; et il leur semblait qu’ils ne formaient qu’un seul bloc ; et chacun était tous, chacun était un géant avec les bras de Briarée. Une vague de sang refluait, par moments, au cœur du monstre à mille têtes ; les regards se faisaient haineux, et les cris meurtriers. Des individus qui se dissimulaient, au troisième ou au quatrième rang, commencèrent à jeter des pierres. Aux fenêtres des maisons, des familles regardaient ; elles se croyaient au spectacle ; elles excitaient la foule, et attendaient, avec un petit frémissement d’impatience angoissée, que la troupe chargeât.

Au milieu de ces masses compactes, à coups de genoux et de coudes, Christophe se frayait son chemin, comme un coin. Olivier le suivait. Le bloc vivant s’entrouvrait, un instant, pour les laisser passer, et se refermait aussitôt derrière eux. Christophe jubilait. Il avait complètement oublié que, cinq minutes avant, il niait la possibilité d’un mouvement populaire. À peine avait-il mis la jambe dans le courant qu’il avait été happé : étranger à cette foule française et à ses revendications, il s’y était subitement fondu ; peu lui importait ce qu’elle voulait : il voulait ; peu lui importait où il allait : il allait, respirant ce souffle de démence.


Olivier suivait, entraîné, mais sans joie, lucide, ne perdant jamais la conscience de soi, mille fois plus étranger que Christophe aux passions de ce peuple qui était le sien, et emporté pourtant par elles, comme une épave. La maladie, qui l’avait affaibli, détendait ses liens avec la vie. Qu’il se sentait loin de ces gens !… Comme il était sans délire et que son esprit était libre, les plus petits détails des choses s’inscrivaient en lui. Il regardait avec délices la nuque dorée d’une fille devant lui, son cou pâle et fin. Et en même temps, l’acre odeur qui fermentait de ces corps entassés l’écœurait.

— Christophe ! supplia-t-il.

Christophe n’écoutait pas.

— Christophe !

— Hé ?

— Rentrons.

— Tu as peur ? dit Christophe.

Il continua son chemin. Olivier, avec un sourire triste, le suivit.

À quelques rangs devant eux, dans la zone dangereuse où le peuple refoulé formait comme une barre, il aperçut juché sur le toit d’un kiosque à journaux son ami le petit bossu. Accroché des deux mains, accroupi dans une pose incommode, il regardait en riant par delà la muraille des troupes ; et il se retournait vers la foule, d’un air de triomphe. Il remarqua Olivier, et lui adressa un regard rayonnant ; puis, il se mit de nouveau à épier là-bas, du côté de la place, avec des yeux élargis d’espoir, attendant… Quoi donc ? — Ce qui devait venir… Il n’était pas le seul. Tant d’autres, autour de lui, attendaient le miracle ! Et Olivier, regardant Christophe, vit que Christophe attendait aussi.

Il appela l’enfant, lui cria de descendre. Emmanuel fit mine de ne pas entendre, et ne le regarda plus. Il avait vu Christophe. Il était bien aise de s’exposer dans la bagarre, en partie pour montrer son courage à Olivier, en partie pour le punir de ce qu’il était avec Christophe.

Cependant, ils avaient retrouvé dans la foule quelques-uns de leurs amis, — Coquard à la barbe d’or, qui, lui, n’attendait rien que quelques bousculades, et qui, d’un œil expert, surveillait le moment où le vase allait déborder. Plus loin, la belle Berthe, qui échangeait des mots verts avec ses voisins, en se faisant peloter. Elle avait réussi à se glisser au premier rang, et elle s’enrouait à insulter les agents. Coquard s’approcha de Christophe. Christophe, en le voyant, retrouva sa gouaillerie :

— Qu’est-ce que j’avais dit ? Il ne se passera rien du tout.

— Savoir ! dit Coquard. Ne restez pas trop là. Ça ne tardera pas à se gâter.

— Quelle blague ! fit Christophe.

À ce moment précis, les cuirassiers, lassés de recevoir des pierres, avancèrent pour déblayer les entrées de la place ; les brigades centrales marchaient devant, au pas de course. Aussitôt, la débandade commença. Selon le mot de l’Évangile, les premiers furent les derniers. Mais ils s’appliquèrent à ne pas le rester longtemps. Pour se dédommager de leur déroute, les fuyards furieux huaient ceux qui les poursuivaient, et criaient : « Assassins ! » avant que le premier coup eût été porté. Berthe filait entre les rangs, comme une anguille, et poussait des cris aigus. Elle rejoignit ses amis ; et à l’abri derrière le vaste dos de Coquard, elle reprit haleine, se serra contre Christophe, lui pinça le bras, par peur ou pour toute autre raison, décocha une œillade à Olivier, et montra le poing à l’ennemi, en glapissant. Coquard prit Christophe par le bras, et lui dit :

— Allons chez Aurélie.

Ils n’avaient que quelques pas à faire. Avec Graillot et quelques ouvriers, Berthe les y avait précédés. Christophe allait entrer, suivi par Olivier. La rue était en dos d’âne, Du trottoir, devant la crèmerie, on dominait, la chaussée du haut de cinq à six marches. Olivier respirait, sorti du flot. Il répugna à l’idée de se retrouver dans l’atmosphère empestée du cabaret et les braillements de ces énergumènes. Il dit à Christophe :

— Je vais à la maison.

— Va, mon petit, dit Christophe, je te rejoindrai dans une heure.

— Ne t’expose plus, Christophe !

— Trembleur ! fit Christophe, en riant.

Il entra dans la crèmerie.

Olivier allait tourner l’angle de la boutique, Quelques pas encore, et il était dans une ruelle transversale qui l’éloignait de la bousculade. L’image de son petit protégé lui traversa l’esprit. Il se retourna et le chercha des yeux. Il l’aperçut, à l’instant précis où Emmanuel, qui s’était laissé choir de son poste d’observation, roulait par terre, bousculé par la foule ; les fuyards passaient dessus ; les agents arrivaient. Olivier ne réfléchit point : il sauta en bas des marches, et courut au secours. Un terrassier vit le danger, les sabres dégainés, Olivier qui tendait la main à l’enfant pour le relever, le flot brutal des agents qui les renversait tous deux. Il cria et se précipita, à son tour. Des camarades le suivirent en courant. D’autres, qui étaient sur le seuil du cabaret. Puis, à leurs appels, les autres qui étaient rentrés. Les deux bandes se prirent à la gorge, comme des chiens. Et les femmes, restées en haut des marches, hululaient. — Ainsi, le petit bourgeois aristocrate déclencha le ressort de la bataille, que nul ne voulait moins que lui.

Christophe, entraîné par les ouvriers, s’était jeté dans la bagarre, sans savoir qui l’avait causée. Il était à cent lieues de penser qu’Olivier s’y trouvait mêlé. Il le croyait bien loin déjà, tout à fait à l’abri. Impossible de rien voir du combat. Chacun avait assez à faire de regarder qui l’attaquait. Olivier avait disparu dans le tourbillon, telle une barque qui coule au fond. Un coup de pointe, qui ne lui était pas destiné, l’avait atteint au sein gauche ; il venait de tomber ; la foule le piétinait. Christophe avait été balayé par un remous jusqu’à l’autre extrémité du champ de bataille. Il n’y apportait aucune animosité ; il se laissait pousser et poussait avec allégresse, ainsi que dans une foire de village. Il pensait si peu à la gravité des choses qu’il eut l’idée bouffonne, empoigné par un agent à la carrure énorme et l’empoignant à bras-le-corps, de lui dire :

— Un tour de valse, mademoiselle ?

Mais un second agent lui ayant sauté sur le dos, il se secouait comme un sanglier, et il les bourrait de coups de poing tous les deux : il n’entendait pas se laisser prendre. L’un de ses adversaires, celui qui l’avait saisi par derrière, roula sur les pavés. L’autre, furieux, dégaina. Christophe vit la pointe du sabre à deux doigts de sa poitrine ; il l’esquiva et, tordant le poignet de l’homme, il tâcha de lui arracher l’arme. Il ne comprenait plus ; jusqu’à ce moment, ce lui avait semblé un jeu. Ils restaient là à lutter, et ils se soufflaient au visage. Il n’eut pas le temps de réfléchir. Il aperçut le meurtre dans les yeux de l’autre ; et le meurtre s’éveilla en lui. Il vit qu’il allait être égorgé comme un mouton. D’un brusque mouvement, il retourna le poignet et le sabre contre la poitrine de l’homme ; il enfonça, il sentit qu’il tuait, il tua. Et soudain, tout changea, à ses yeux ; il était ivre, il hurla.

Ses cris produisirent un effet inimaginable. La foule avait flairé le sang. En un instant, elle devint une meute féroce. On tirait, de tous côtés. Aux fenêtres des maisons parut le drapeau rouge. Et le vieil atavisme des révolutions parisiennes fit surgir une barricade. La rue fut dépavée, des becs de gaz tordus, des arbres abattus, un omnibus renversé. On utilisa une tranchée ouverte depuis des mois pour les travaux du Métropolitain. Les grilles de fonte, autour des arbres, brisées en morceaux, fournirent des projectiles. Des armes sortaient des poches et du fond des maisons. En moins d’une heure, ce fut l’insurrection : tout le quartier en état de siège. Et sur la barricade, Christophe, méconnaissable, hurlait son chant révolutionnaire, que vingt voix répétaient.


Olivier avait été porté chez Aurélie. Il était sans connaissance. On l’avait déposé dans l’arrière-boutique sombre, sur un lit. Au pied, le petit bossu se tenait, atterré. Berthe avait eu d’abord une grosse émotion : elle avait cru, de loin, que Graillot était blessé, et son premier cri, en reconnaissant Olivier, avait été :

— Quel bonheur ! Je croyais que c’était Léopold.

Maintenant apitoyée, elle embrassait Olivier, et lui soutenait la tête sur l’oreiller. Avec sa tranquillité habituelle, Aurélie avait défait les vêtements et appliquait un premier pansement. Manousse Heimann se trouvait là fort à propos, avec Canet, son inséparable. Par curiosité, comme Christophe, ils étaient venus regarder la manifestation ; ils avaient assisté à la bagarre et vu tomber Olivier. Canet pleurait comme un veau ; et en même temps, il pensait :

— Que suis-je venu faire dans cette galère ?

Manousse examina le blessé ; tout de suite, il le jugea perdu. Il avait de la sympathie pour Olivier ; mais il n’était pas homme à s’attarder sur ce qu’il ne pouvait changer ; et il ne s’occupa plus de lui, pour songer à Christophe. Il admirait Christophe, tout en le regardant comme un cas pathologique. Il savait ses idées sur la Révolution ; et il voulait l’arracher au danger stupide que Christophe courait pour une cause qui n’était pas la sienne. Le risque de se faire casser la tête dans l’échauffourée n’était pas le seul : si Christophe était pris, tout le désignait à des représailles. On l’en avait prévenu depuis longtemps, la police le guettait ; on lui ferait endosser non seulement ses sottises, mais aussi celles des autres. Xavier Bernard, que Manousse venait de rencontrer, rôdant parmi la foule, autant par amusement que par devoir professionnel, lui avait fait signe en passant, et lui avait dit :

— Votre Krafft est idiot. Croiriez-vous qu’il est en train de faire le joli cœur sur la barricade ! Nous ne le raterons pas, cette fois. Nom de Dieu ! Faites-le filer.

Plus facile à dire qu’à faire. Si Christophe venait à savoir qu’Olivier était mourant, il deviendrait fou furieux, il tuerait, il serait tué. Manousse dit à Bernard :

— S’il ne part pas sur-le-champ, il est perdu. Je vais l’enlever.

— Comment ?

— Dans l’auto de Canet, qui est là, au coin de la rue.

— Mais pardon, pardon… dit Canet, suffoqué.

— Tu le mèneras à Laroche, continua Manousse. Vous arriverez à temps pour l’express de Pontarlier. Tu l’emballeras pour la Suisse.

— Il ne voudra jamais.

— Il voudra. Je vais lui dire que Jeannin l’y rejoindra, qu’il est déjà parti.

Sans écouter les objections de Canet, Manousse alla chercher Christophe sur la barricade. Il n’était pas fort brave, il faisait le gros dos, chaque fois qu’il entendait un coup de feu ; et il comptait les pavés sur lesquels il marchait, — (nombre pair ou impair) — pour savoir s’il serait tué. Mais il ne recula pas, il alla jusqu’au bout. Quand il arriva, Christophe, juché sur une roue de l’omnibus renversé, s’amusait à tirer en l’air des coups de revolver. Autour de la barricade, la tourbe de Paris, vomie des pavés, avait grossi comme l’eau sale d’un égout après une forte pluie. Les premiers combattants étaient noyés par elle. Manousse héla Christophe, qui lui tournait le dos. Christophe n’entendit pas. Manousse grimpa vers lui, le tira par la manche. Christophe le repoussa, faillit le faire tomber. Manousse, tenace, de nouveau se hissa, et cria :

— Jeannin…

Dans le vacarme, le reste de la phrase se perdit. Christophe se tut brusquement, laissa tomber son revolver, et, dégringolant de son échafaudage, il rejoignit Manousse, qui l’entraîna.

— Il faut fuir, dit Manousse.

— Où est Olivier ?

— Il faut fuir, répéta Manousse.

— Pourquoi diable ? dit Christophe.

— Dans une heure, la barricade sera prise. Ce soir, vous serez arrêté.

— Et qu’est-ce que j’ai fait ?

— Regardez vos mains… Allons !… Votre affaire est claire, on ne vous épargnera pas. Tous vous ont reconnu. Pas un instant à perdre.

— Où est Olivier ?

— Chez lui.

— Je vais le rejoindre.

— Impossible. La police vous attend, à la porte. Il m’envoie vous prévenir. Filez.

— Où voulez-vous que j’aille ?

— En Suisse. Canet vous enlève dans son auto.

— Et Olivier ?

— Nous n’avons pas le temps de causer…

— Je ne pars pas sans le voir.

— Vous le verrez là-bas. Il vous retrouvera demain. Il prend le premier train. Vite ! Je vous expliquerai.

Il empoigna Christophe. Christophe, étourdi par le bruit et par le vent de folie qui venait de souffler en lui, incapable de comprendre ce qu’il avait fait et ce qu’on demandait de lui, se laissa entraîner. Manousse le prit par un bras, de l’autre main prit Canet, qui n’était pas ravi du rôle qu’on lui attribuait dans l’affaire ; et il les installa dans l’auto. Le bon Canet eût été navré que Christophe fût pris ; mais il eût préféré que ce fût un autre que lui qui le sauvât. Manousse le connaissait. Et comme sa poltronnerie lui inspirait quelque doute, sur le point de les quitter, au moment où l’auto s’ébrouait pour partir, il se ravisa soudain, et monta auprès d’eux.