Le Budget rectificatif. — Économies et nouveaux impôts

Le Budget rectificatif. — Économies et nouveaux impôts
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 94 (p. 359-380).
LE BUDGET

ECONOMIES ET NOUVEAUX IMPOTS.

Nous ne commencerons pas par faire la douloureuse énumération des charges annuelles que les conséquences de la guerre et de l’insurrection vont faire peser sur les finances de notre pays. Tout homme attentif aux affaires publiques s’est livré à ce triste calcul et connaît approximativement la vérité; je dis approximativement, car les uns ont, peut-être par découragement, exagéré l’augmentation des dépenses, et d’autres, effrayés par l’énormité des chiffres, sont restés au-dessous de la réalité. Les erreurs ne pourraient pas aujourd’hui être rectifiées, parce que plusieurs dépenses ne sont pas connues ou ne le sont que par des évaluations incertaines, et que par conséquent l’ensemble ne peut pas être mesuré exactement. M. Thiers, dans son discours sur l’emprunt, a estimé le surcroit de nos charges à 356 millions, et à 556 millions en y comprenant 200 millions d’amortissement. D’après les financiers les plus pessimistes, nous avons besoin d’environ 600 millions par an pour payer les intérêts des emprunts contractés pendant la guerre et de ceux que rendront nécessaires soit le service de l’indemnité, soit le découvert des exercices antérieurs et spécialement celui de l’année 1871. Ces déficits viennent non pas seulement des dépenses militaires, mais aussi de la diminution des recettes. L’effet des révolutions n’atteint ordinairement que le produit des impôts de consommation, et laisse entier celui des contributions directes de répartition. La guerre d’invasion a des conséquences plus graves, elle arrête la perception des impôts directs et indirects dans les pays occupés, et substitue l’envahisseur aux autorités du territoire envahi; elle accable les habitans de réquisitions qui obligent le gouvernement, après la paix, à concéder des dégrèvemens pour l’année courante. Partout, même dans les provinces non occupées, elle restreint les dépenses individuelles, et suspend l’essor des taxes de consommation ; enfin elle aboutit à des démembremens qui enlèvent au trésor les sommes que versaient les provinces cédées. Si à ces dépenses extraordinaires et à ces pertes de recettes nous ajoutons le taux relativement élevé d’intérêt que nous avons à supporter par suite de l’ébranlement de notre crédit public, l’évaluation de la somme que nous aurons à inscrire au budget ne paraîtra pas exagérée. L’exagération, s’il y en avait une, ne pourrait être que d’une faible importance. Le problème consiste donc à chercher les moyens de faire face à une augmentation annuelle de 600 millions.


I.

Les économies sur les dépenses ne peuvent évidemment donner qu’une petite partie de cette somme, et, quoi qu’il en coûte, nous serons obligés de recourir à l’établissement de taxes nouvelles, peut-être aussi, sous le coup de la nécessité, à des impôts pour lesquels nous avions jusqu’à présent manifesté une invincible répugnance.

Alors même que la suppression des emplois inutiles ne procurerait aucune diminution de dépenses, il serait bon de prendre cette Mesure, parce qu’il y a toujours avantage à simplifier et à écarter tout ce qui est parasite. Il est reconnu que, dans plusieurs administrations, le nombre des employés a été augmenté souvent sans autre motif que la volonté des ministres, qui profitaient les uns de leur puissance, les autres de leur chute pour placer des protégés. Assurément l’esprit d’opposition a, sous tous les régimes, beaucoup exagéré cet abus; mais sous ces déclamations il y a un fonds de vérité. Aussi, sans estimer bien haut les ressources que nous pourrions tirer de ce côté, nous croyons que la suppression des emplois inutiles doit former le premier article des réductions sur le budget des dépenses[1]. Il serait difficile de dire pour quelle somme cette diminution doit être comptée, car le gouvernement est seul en mesure de déterminer ce qui, dans les différens services, peut être conservé ou doit être réformé. On vient de faire à Versailles une expérience qui jettera un grand jour sur ce problème. Lorsque les administrations centrales ont été transportées près de l’assemblée nationale, les employés n’y sont venus qu’à peu près dans la proportion du tiers au quart; si tous n’ont pas été appelés, c’est que le séjour à Versailles donne droit à une indemnité quotidienne, et que par des raisons d’économie le gouvernement a voulu restreindre autant que possible le nombre de ceux qui recevraient ce supplément. Nous sommes bien loin de penser que le tiers des employés suffira pour expédier les affaires lorsque la vie administrative aura repris son développement normal. L’insuffisance du nombre des employés a même quelquefois gêné l’expédition des affaires pendant que les services administratifs étaient installés à Versailles; mais, si les bureaux des ministères ne peuvent pas définitivement être réduits à la mesure qu’exceptionnellement les circonstances avaient fait établir, les ministres ont du moins eu l’occasion d’étudier sur le vif les besoins réels des services placés sous leurs ordres et pu distinguer ce qui est indispensable de ce qui est superflu.

L’extension de la gratuité à certaines fonctions aujourd’hui rémunérées pourrait être une deuxième source d’économies. Cette mesure est-elle, comme on l’a souvent affirmé, inconciliable avec l’esprit démocratique? Si cette proposition était vraie, il faudrait supprimer la gratuité dans les cas où elle existe, et notamment donner des traitemens aux 37,000 maires et aux 50,000 adjoints qui administrent nos communes. Pourquoi ne donnerait-on pas aussi des jetons de présence aux membres des conseils-généraux, d’arrondissement et municipaux? L’ouvrier qui vit de son salaire ne pourrait pas, sans se condamner à la gêne, accepter une position de fonctionnaire sans traitement. Aussi se garde-t-il de la rechercher, et il est assez raisonnable pour ne point crier à l’inégalité. La loi en effet ne doit garantir que l’égalité de droit, c’est-à-dire l’aptitude légale à remplir les emplois pour tous les citoyens, à quelque catégorie sociale que le candidat appartienne. L’égalité des moyens, des ressources, de la fortune pour se soutenir dans la recherche des fonctions publiques n’est due à personne. Ces conditions appartiennent à l’égalité de fait, que ni le législateur ni aucun pouvoir humain ne pourrait maintenir dans la société. Si une fonction est gratuite ou mal rémunérée, c’est à chacun de nous, qu’il soit ouvrier ou bourgeois, à mesurer sa fortune et à calculer s’il peut la remplir. Jusqu’à présent, l’esprit démocratique ne s’est pas soulevé contre la gratuité des fonctions de maire, d’adjoint, de conseiller-général ou municipal; pourquoi condamnerait-on l’extension de la gratuité? Les traitemens attachés aux places qui pourraient être gratuites sont défendus surtout par des intéressés auxquels l’esprit démocratique importe peu, et qui, pour soutenir les abus dont ils profitent, se servent d’argumens d’une élévation apparente.

On parle beaucoup de décentralisation et de self-government, mais peut-être ne remarque-t-on pas assez que ces innovations ne peuvent point prospérer dans un pays, si le goût des fonctions gratuites n’y est pas répandu. Il faut donc savoir avant tout si en France cet esprit de désintéressement peut naître, ou si, pour employer un néologisme adopté par l’usage, le fonctionnarisme rétribué est un mal sans remède. L’occasion est excellente pour le rechercher, puisque les essais de décentralisation coïncident avec des besoins d’économie comme il n’y en eut jamais d’aussi pressans.

La gratuité une fois admise en principe, il reste à déterminer les fonctions auxquelles on peut l’appliquer. Évidemment cette innovation ne doit pas être étendue à celles qui exigent un travail incessant. Les devoirs permanens et pénibles qu’elles imposent seraient un obstacle au recrutement parmi les personnes riches ou seulement aisées. On ne peut donc pas ne point rémunérer les employés proprement dits, c’est-à-dire les auxiliaires qui, à des degrés divers, préparent des arrêtés que d’autres signent, et travaillent obscurément à faire des actes dont ils n’ont pas l’honneur. Comme ils n’exercent la puissance publique à aucun degré, la gratuité leur ferait subir des sacrifices sans compensation. Quelles sont les conditions qui peuvent assurer un recrutement convenable des fonctions publiques non rétribuées ? Il faut d’abord que celui qui s’en charge y trouve de la considération et de la puissance ; il faut aussi qu’elles soient conciliables avec les habitudes d’une vie occupée par d’autres soins, tels que l’administration d’une fortune même considérable ou l’exercice d’une profession lucrative. Or ce cumul n’est guère possible que dans les carrières de l’administration active, celles précisément qui offrent le plus d’analogie avec les fonctions de maire, et aussi les seules qui donnent la puissance, la considération, sans absorber entièrement les personnes qui en sont investies. De ce chef, l’économie certes ne peut nous procurer de grandes ressources, et nous n’en parlerions même pas au point de vue financier, si malheureusement nous ne vivions dans un temps où les plus petites réductions doivent être comptées. C’est à ces fonctions seulement que les Anglais appliquent la gratuité. Le shérif, premier magistrat du comté, reçoit, il est vrai, une indemnité ; mais la somme qu’on lui alloue est fort au-dessous des dépenses qu’entraîne cette charge brillante. Aussi a-t-il fallu que la loi ordonnât l’acceptation sous peine d’amende aux personnes désignées pour cette magistrature dispendieuse. D’un autre côté, le législateur a voulu que ce sacrifice ne durât pas plus d’une année et fixé le temps qui doit s’écouler avant que la même personne ne soit obligée d’accepter de nouveau cet onéreux honneur. Les juges de paix qui en Angleterre jugent et administrent (car dans ce pays la séparation des pouvoirs judiciaire et administratif n’est pas, comme chez nous, une maxime de droit public), les juges de paix tiennent des sessions dont le caractère mixte les fait ressembler tantôt à nos tribunaux correctionnels et tantôt à nos conseils-généraux. Ils sont choisis par la couronne parmi les grands propriétaires et donnent gratuitement leur temps aux affaires judiciaires et administratives du comté. La spécialité des fonctions de la magistrature ne permettrait pas chez nous d’y appliquer la gratuité. En Angleterre même, la magistrature est rétribuée lorsqu’elle remplit des fonctions purement judiciaires, sans mélange de puissance administrative.

Est-il possible de réaliser sur d’autres services des économies plus importantes? On a souvent, et avec raison, dit que les budgets de la guerre et de la marine sont les seuls qui pourraient fournir des réductions efficaces. Or il est vraisemblable que de longtemps nous ne pourrons rien demander au ministère de la guerre ; alors même que par l’adoption du principe du service obligatoire, tel qu’on le pratique en Allemagne et en Suisse, nous parviendrions à diminuer l’effectif sous les armes, nous serions obligés de maintenir nos crédits parce que nous aurons, pendant plusieurs années, à supporter les dépenses que rendra nécessaires la recomposition de notre matériel. Les désastres de la guerre nous ont enlevé d’immenses approvisionnemens d’armes, si bien que presque toute notre artillerie est à refaire. Les dépenses seront d’autant plus considérables que nous serons forcés d’armer un plus grand nombre de soldats, car, si toute la nation est armée, comme le conseillent les succès des troupes allemandes, nous aurons à nous procurer une plus grande quantité d’armes et à tenir notre armement au courant des dernières inventions. Ainsi les réductions sur le personnel (en admettant qu’on en puisse faire) seront employées à augmenter les crédits pour le renouvellement du matériel. — Nous pouvons faire des économies plus sérieuses sur la marine. Cette partie de nos forces n’a pas souffert pendant la campagne, et les réductions sur les dépenses auront seulement pour effet de suspendre les développemens de nos flottes. Aussi nous suffirait-il, pendant quelques années, de nous maintenir dans la bonne situation maritime que nous avons conservée au milieu de nos malheurs; nous pourrons, sans la compromettre, modérer les crédits de ce budget, et c’est le parti qu’a pris le gouvernement, car dans le budget rectificatif des dépenses il propose une réduction de 70 millions sur la marine. Les autres services, par la diminution des travaux publics extraordinaires, par la suppression de quelques emplois parasites et l’extension de la gratuité à quelques fonctions aujourd’hui rémunérées, fourniront une trentaine de millions. Là est, selon nous, la limite des réductions, et nous sommes convaincu que la diminution des dépenses ne dépassera pas une centaine de millions. C’est aussi l’opinion que M. Thiers a exprimée à la tribune, dans son discours sur l’emprunt, lorsqu’après avoir indiqué le chiffre de 120 millions il s’est interrompu pour ajouter sous une forme dubitative : « C’est peut-être beaucoup. » Le surplus, c’est-à-dire environ 500 millions, doit être demandé à l’augmentation des impôts anciens ou à la création d’impôts nouveaux.


II.

Les partisans de l’impôt sur le revenu ont saisi cette occasion pour proposer de nouveau leur système. Il est donc vrai que, partout où on l’établit, cette contribution est la ressource des mauvais jours et la fille des grandes crises. L’Angleterre ne s’est résignée à la subir qu’en 1797, pendant la guerre de la révolution française, et en 1842, après l’agitation produite par la ligue des céréales. Encore ne l’a-t-elle supportée qu’avec l’espérance de voir ce mal transitoire diminuer peu à peu et même disparaître définitivement. La France, si nous sommes obligés d’y recourir, l’acceptera aussi comme une conséquence forcée de ses désastres, comme un remède douloureux à des souffrances extrêmes. Comme il est presque sans exemple dans notre histoire financière qu’une contribution dont le produit est important ait disparu, quelque mal assise qu’elle fût, réfléchissons bien avant d’introduire l’impôt sur le revenu, et n’y recourons que s’il nous est impossible, sans ce moyen, de remplir nos engagemens. Il faut d’autant plus y réfléchir que dans notre pays cet impôt se trouve en présence d’objections spéciales qu’il n’a pas rencontrées ailleurs. Nous n’aurons pas en effet de peine à démontrer qu’en France le revenu est atteint de plusieurs manières.

La contribution foncière n’est qu’un impôt sur le produit net moyen des propriétés bâties ou non bâties, et le trésor reçoit de ce côté environ 170 millions. C’est moins qu’il ne recevait en 1791, car le principal fut, à l’origine, fixé à 240 millions. La réduction s’explique par la création postérieure de taxes de consommation et de droits de mutation dont l’incidence réfléchissait sur les propriétaires du sol. Malgré cette diminution, la contribution foncière est dans certaines communes égale au cinquième du revenu, et toute addition serait extrêmement onéreuse. Un impôt de 5 pour 100 sur le revenu porterait la charge à 25 pour 100 ou au quart. Il est vrai que, dans beaucoup d’autres communes, l’impôt foncier est plus léger, et descend jusqu’au dix-septième du revenu. Est-ce une raison pour écraser par une augmentation les contrées qui sont surtaxées? — La contribution personnelle-mobilière est-elle autre chose qu’un income-tax sur la valeur locative de l’habitation? C’est même un impôt général sur les revenus de toute espèce, et on lui a, bien à tort, donné la qualification de mobilier, car nous le payons, que nos rentes viennent du sol, d’inscriptions sur le grand-livre, de créances soit hypothécaires, soit chirographaires, ou de l’exercice d’une profession. Les agens du fisc s’inquiètent peu de savoir si nous nous acquittons envers notre propriétaire avec de l’argent envoyé par des fermiers ou avec des coupons détachés d’actions et d’obligations. Les mêmes observations sont vraies de la contribution des portes et fenêtres, avec cette particularité qu’il est difficile de déterminer si c’est le propriétaire ou le locataire qui la paie. Le premier en fait l’avance au trésor, mais la loi lui accorde un recours contre le second, et celui-ci cherche à se défendre par les clauses du bail contre cette action récursoire. Quoi qu’il en soit, c’est le revenu de l’un ou de l’autre qui supporte cette charge. Les patentes atteignent les profits ou honoraires des professions tant commerciales que non commerciales, — par un droit fixe qui varie suivant la nature de la profession et la population de la ville, — par un droit proportionnel d’après l’importance des affaires présumée suivant la valeur locative de l’habitation et des locaux affectés à l’exercice de la profession. Ainsi toutes nos contributions directes de répartition ou de quotité sont assises sur le revenu tantôt directement évalué, comme en matière d’impôt foncier, tantôt présumé d’après des signes extérieurs, ce qui a lieu pour les impôts mobilier, des portes et fenêtres et des patentes. Aucune n’a pour base le capital, de sorte que des valeurs considérables, qui constituent des fortunes importantes, sont presque affranchies des charges publiques. Ainsi les collections de tableaux ne contribuent pas pour la part la plus faible aux recettes du trésor, et il en est de même des terrains ou emplacemens qui, dans les grandes villes où on peut les vendre au mètre, sont uniquement imposés comme terres arables de première qualité, quoique souvent ces biens constituent des patrimoines à chiffrer par millions.

Le terrain n’est donc pas libre chez nous pour établir un impôt sur le revenu. Nous ne pourrions que greffer ce nouvel impôt sur d’autres impôts, ce qui augmenterait la bigarrure déjà grande de notre système financier. Quand les Anglais l’ont adopté, ils se trouvaient en présence d’un impôt foncier presque nul (le produit en était de 30 millions de francs) et d’une taxe sur les fenêtres qui ne tarda point à disparaître des ressources de l’échiquier. Les taxes locales n’y faisaient pas obstacle; d’abord ces contributions ne profitaient pas au trésor public, et correspondaient d’ailleurs à des dépenses déterminées du comté ou de la paroisse, à peu près comme nos centimes spéciaux pour les chemins vicinaux, le cadastre et l’instruction primaire. Nous comprendrions, sans le conseiller cependant, que, dans une période de calme et de prospérité, on proposât de remplacer toutes les contributions directes par un impôt général sur le revenu, assis d’après la déclaration des parties et contrôlé par une commission; mais en sommes-nous là et pouvons-nous, dans la crise que nous traversons, bouleverser tout notre système financier, abandonner des recettes connues pour courir après des résultats incertains, renoncer à des taxes que perçoivent des agens exercés et auxquelles nos habitudes sont façonnées, pour une innovation qui dérouterait le personnel des finances et ferait violence à nos coutumes? Personne encore n’a mis en avant ce projet radical, et les promoteurs de cette imitation anglaise se sont bornés à proposer un impôt supplémentaire. Pour le propriétaire foncier et le commerçant patenté, la mesure équivaudrait à une addition de centimes qui dépasserait peut-être le chiffre des 45 centimes de 1848; on pourrait même soutenir que les centimes additionnels seraient préférables, puisque la perception n’exigerait ni agens nouveaux, ni changement dans les procédés de l’assiette et du recouvrement. Il est vrai que, par les centimes additionnels, nous n’atteindrions pas le revenu des capitaux mobiliers; mais cette observation conduit à dire que, si nous ne voulons pas faire de doubles emplois avec les impôts déjà existans, l’impôt sur le revenu doit, chez nous, être limité aux capitaux mobiliers. Le projet se rapprocherait alors beaucoup de la proposition qui a souvent été faite de taxer les valeurs mobilières.

Il existe cependant une différence sensible entre les deux idées. L’impôt sur les valeurs mobilières atteindrait chaque action, obligation, rente ou créance, et cette imposition aurait pour résultat de déprécier immédiatement le titre d’une somme égale au capital dont la taxe représenterait la rente. Si 100 francs de 4 1/2 valent 1,820 francs au taux de 82 francs, ils ne vaudraient plus que 1,800 francs le lendemain du jour où on les grèverait d’une taxe de 1 pour 100. La charge serait donc supportée par le propriétaire actuel, qui, au moyen d’une perte sur le capital, paierait pour tous les porteurs qui se succéderont. A la vérité, on en pourrait dire autant des surcharges sur la propriété foncière; mais les mouvemens dans les prix des terres sont plus lents que ceux des valeurs de Bourse, de sorte que les additions aux contributions foncières se répartissent mieux entre les propriétaires successifs en cas de vente et de revente. D’un autre côté, si le bien reste dans la famille, le propriétaire retrouve, par la marche progressive du prix des terres relativement à l’argent, la compensation à la moins-value momentanée de son immeuble. Un impôt sur le revenu des capitaux mobiliers n’aurait pas les mêmes conséquences qu’un impôt sur les valeurs mobilières, parce qu’il ne porterait pas sur tel ou tel titre déterminé. Le contribuable ferait une déclaration générale de son revenu sans avoir à faire connaître ni le nombre, ni les numéros, ni la qualité des valeurs dont il est propriétaire, et dès lors personne ne pourrait dire de quelle somme est grevée annuellement une action ou une obligation. En effet, le revenu aurait été déclaré en bloc pour un total formé avec des élémens fort divers, avec les intérêts de créances sur particuliers et les coupons de rentes ou obligations de l’état, des villes et des compagnies. Comment en ce cas déterminer la part pour laquelle chaque titre entre dans le total de la taxe? Entre l’impôt sur le revenu mobilier et l’impôt sur les valeurs mobilières, il y a plus qu’une nuance, il y a une différence profonde qui se mesure par les effets.

Si donc jamais l’impôt sur le revenu entre dans notre législation, il faudra ou qu’on remplace les contributions directes actuellement existantes par un impôt général sur le revenu, ou que la taxe nouvelle soit limitée au revenu des capitaux mobiliers. Autrement on tirerait deux ou trois moulures du même sac. Même ainsi restreinte, l’innovation donnerait encore prise à la plupart des objections qu’on élève contre l’impôt général du revenu et spécialement à celles qui touchent aux difficultés de l’assiette.

L’obstacle principal à l’impôt sur le revenu tient aux facilités qu’auront les contribuables pour dissimuler une partie de leurs richesses. Jusqu’à présent, nos lois n’ont frappé que les revenus ostensibles, et se sont bornées, pour ceux qui se cachent, à les saisir en vertu de présomptions fondées sur des signes apparens. Si on veut atteindre directement le revenu des capitaux mobiliers, il faudra de toute nécessité demander la déclaration des parties intéressées. De deux choses l’une : ou cette déclaration sera contrôlée, ou on l’acceptera sans examen. A défaut de contrôle, la fraude annulera le produit de l’impôt, et si on fait la vérification, les agens du fisc mettront la main sur les affaires les plus secrètes des contribuables. Celui-ci, pour cacher une position gênée, déclarera des revenus qu’il n’a pas. Le contrôlera-t-on pour le réduire? Celui-là fera des déclarations insuffisantes et résistera, ne serait-ce que pour lasser les agens du fisc et arriver en bataillant à consommer sa fraude. Ces difficultés seraient d’autant plus grandes chez nous que nous croyons avoir démontré la nécessité de restreindre l’impôt, sur le revenu aux valeurs mobilières, c’est-à-dire à une matière dont la dissimulation est aisée. En Angleterre, la contribution atteint à la fois les biens apparens et les richesses qu’il est facile de cacher, de sorte que la difficulté ne porte que sur une partie de la matière imposable. D’ailleurs le produit de l’impôt est considérable, et l’efficacité financière en diminue le caractère vexatoire. En France, on ne pourrait imposer, — équitablement du moins, — que la richesse prompte à fuir, et, comme le produit serait relativement faible, les vexations inséparables de cette taxe paraîtraient d’autant plus douloureuses aux citoyens. Il est du reste probable que nous pousserions l’imitation jusqu’au bout, et que de même qu’en Angleterre nous exempterions les revenus au-dessous d’un chiffre déterminé. Sans aller jusqu’au chiffre de 3,750 fr., adopté d’abord par la loi anglaise, nous n’imposerions que les revenus au-dessus de 1,200 francs; mais cette dispense nécessaire enlèverait au trésor public une grande partie des recettes, car les fortunes sont tellement divisées chez nous que les rentes de 1,200 francs forment la masse la plus considérable de la richesse du pays.

Deux députés, MM. Houssard et Louis Passy, ont fait à l’assemblée nationale la proposition de supprimer l’impôt mobilier pour y substituer un impôt de quotité fixé au vingtième du revenu des capitaux mobiliers, dont ils estiment que le produit atteindrait la somme de 116 millions. Il en résulterait une augmentation de recettes de 60 millions environ. Ce serait à notre avis moins un impôt sur le revenu qu’une taxe sur les valeurs mobilières, car la charge pèserait sur chaque titre déterminé par sa nature et son numéro, ce qui aurait pour conséquence de déprécier instantanément la valeur en capital des actions, obligations ou créances; nous avons en effet démontré que le caractère distinctif de l’impôt sur le revenu tient à la déclaration faite en bloc, et que le droit sur les valeurs mobilières frappe chaque titre déterminé. Les mêmes observations s’appliquent au projet de M. Flottard, qui propose de soumettre le paiement des coupons et intérêts des actions, obligations ou créances à l’emploi d’un bordereau revêtu d’un timbre proportionnel et appelé timbre-quittance. Seulement la taxe de M. Flottard ne serait pas aussi élevée que celle de MM. Houssard et Passy (3 pour 100 au lieu de 5 pour 100); mais, dans les deux projets, chaque titre serait grevé d’une taxe qui aurait pour conséquence de faire baisser du jour au lendemain la cote de la Bourse. Il faudrait, pour lui donner un nom approprié à sa nature, l’appeler impôt sur le capital et non impôt sur le revenu. Ajoutons que ces contributions n’atteindraient pas une quantité considérable de matière imposable. D’abord les rentes sur l’état seraient épargnées en vertu d’une disposition expresse, et il faut reconnaître que cette dispense serait conforme aux principes. Serait-il équitable qu’en vertu des pouvoirs inhérens à la souveraineté l’état pût retirer le lendemain une part de ce qu’il avait promis la veille comme partie contractante? La réduction serait d’ailleurs non-seulement injuste, mais impolitique, parce qu’il en résulterait une atteinte funeste au crédit public dans un temps où le crédit est la dernière ressource du pays. Des moyens variés parviendraient aussi à soustraire les créances chirographaires, et la crainte d’une amende même égale au quintuple du droit ne préviendrait pas la fraude, car le contribuable espère échapper à la surtaxe qui n’est qu’un mal éventuel, et préfère (c’est un fait dont l’observation est constante) s’exposer à ce péril, dont la réalisation est douteuse, plutôt que de supporter l’impôt, mal immédiat et certain. Ces objections expliquent que le gouvernement ait reculé devant cette innovation et mieux aimé recourir aux augmentations des contributions indirectes.


III.

Le ministre des finances a procédé moins par création d’impôts nouveaux que par augmentation des anciens, toutes les fois qu’une surtaxe lui a paru être supportable. Il propose cependant de taxer les papiers et les allumettes, dont la fabrication avait jusqu’à présent été franche d’impôts, et de soumettre à un droit d’enregistrement proportionnel les contrats d’assurance, qui ne payaient qu’un droit fixe; mais la plus grande partie des sommes dont le trésor a besoin est demandée par le budget rectifié soit à l’augmentation ou au rétablissement des taxes anciennes, soit à la répression des fraudes qui réduisent le produit des contributions, surtout celui des droits de timbre et d’enregistrement.

La fraude la plus fréquente est celle qui consiste à dissimuler une partie du prix en matière de vente d’immeubles. Aujourd’hui l’administration, pour faire la guerre à cette fraude, n’a pas d’autre moyen que de requérir l’expertise des biens vendus; mais elle ne fait de procès que s’il s’agit d’un écart considérable, et presque toujours le prix apparent est fixé de manière qu’il y aurait témérité à le contester. La crainte des amendes et du double droit ne suffit pas pour assurer la sincérité des déclarations, parce que la prime de la dissimulation est forte quand il s’agit d’un droit aussi élevé que celui dont les mutations immobilières sont grevées (5 francs 50 cent, en principal et 6 francs 60 cent, avec les deux décimes de guerre). Les moyens que le projet de budget propose sont rudes et d’une efficacité assurée. Si le prix entier est dû, le vendeur n’aura d’action en justice que pour la somme portée à l’acte. Si la somme entière ou seulement la part dissimulée a été payée comptant, l’acquéreur aura le droit de réclamer au vendeur, pendant une longue période de temps, tout ce qui excédera les énonciations de la vente. Il est sûr que, sous les coups de cette menace, dont les effets seraient à redouter pendant trente ou au moins pendant dix ans, le vendeur ne consentira pas à se faire le complice du mensonge. Cette idée n’est pas nouvelle, car déjà en 1863 elle avait été introduite dans un projet de loi sur la matière, et on la retrouve dans un autre projet qui fut en 1869 soumis au corps législatif. C’est d’ailleurs une imitation de ce qui a été décidé par une jurisprudence aujourd’hui bien fixée sur la cession des offices. Comme la dissimulation du prix des charges transmissibles a pour conséquence de soustraire les traités à l’examen de la chancellerie, les tribunaux y voient une entreprise contraire à l’ordre public. Aussi le vendeur est-il non-seulement privé d’action pour les sommes non déclarées, mais exposé à la répétition de ce qu’il a indûment reçu. Si on n’avait pas assuré le contrôle par ce moyen énergique, les officiers ministériels auraient continué à payer ces prix exorbitans qui trop souvent ont été le prélude et la cause de chutes désastreuses. Un motif d’ordre public justifie la disposition qui accorde la répétition à l’acquéreur, bien que celui-ci soit peu digne d’intérêt lorsqu’il profite de la rigueur du droit pour ne pas tenir sa parole. Un intérêt fiscal est-il suffisant pour étendre des dispositions qui sont une véritable récompense de la mauvaise foi? Quelques voix dans la commission du budget se sont élevées contre cette innovation, la traitant d’immorale, et demandant qu’on n’introduisît pas dans nos lois cette semence de corruption. Suivant nous, la mesure sera tellement efficace que les effets démoralisateurs n’en sont pas à redouter. Le vendeur ne s’exposera point à l’action en répétition, parce que, n’étant pas chargé de payer les droits de vente, il n’aura pas d’intérêt à se faire le complice de l’acheteur contre le trésor. Si la disposition proposée est, comme on le lui reproche, entachée d’immoralité, le remède est dans l’efficacité de la répression, parce qu’elle est tellement sévère qu’il n’y aura jamais lieu à l’appliquer. Le vendeur serait d’ailleurs mal fondé à se plaindre, parce qu’il lui est facile d’éviter le recours en exigeant la déclaration de tout le prix. Ce qu’on pourrait avec plus de fondement reprocher à cette disposition, c’est d’être excessive, car peut-être aurait-il suffi, pour prévenir tout concert frauduleux entre les parties contractantes, de les condamner toutes deux à une forte amende. Cette appréhension suffirait probablement pour empêcher le vendeur de concourir à une dissimulation où il n’a aucun intérêt. Le ministre a sans doute craint que les parties ne s’entendissent pour se partager le bénéfice de la fraude, et que cet appât n’enlevât à la sanction par les amendes et le double droit une grande part d’efficacité. Quoi qu’il en soit, le gouvernement espère que de ce côté, sans augmentation des tarifs et par l’effet de la sincère application de la loi sur l’enregistrement, nous obtiendrons environ 16 millions. Dans ce total est compris le produit de l’enregistrement des baux. Ce droit, qui n’est exigible actuellement que sur les baux écrits, serait, d’après le projet de loi, dû pour les baux, même verbaux, toutes les fois que par des mentions dans les actes ou par l’inscription au rôle des contributions directes l’administration en prouverait l’existence. Un autre article du projet a pour but de combattre les fraudes auxquelles a donné lieu l’ouverture de crédit. D’après une jurisprudence qui a prévalu, l’acte où est constituée l’hypothèque qui garantit l’opération n’est pas taxé au droit proportionnel d’obligation (1 pour 100); ce droit n’est exigible qu’à la réalisation, c’est-à-dire au moment où le créditeur verse les sommes entre les mains du crédité. Or presque dans tous les cas il est impossible de prouver ces versemens, car le prêteur se contente de simples billets non enregistrés parce que l’ensemble de l’opération est garanti par une hypothèque. Partant de cette idée qu’ordinairement les crédits sont réalisés jusqu’à concurrence de moitié, le ministre propose de percevoir 50 cent, pour 100 au moment de l’acte, sauf à exiger le surplus, si la réalisation est plus tard prouvée. La première partie du droit proportionnel serait d’ailleurs définitivement acquise, alors même que le crédit ne serait pas utilisé, car c’est un principe en cette matière que les droits légalement perçus ne sont pas restituables.

Nous ne trouvons pas dans le projet une innovation qui, en 1869, avait été proposée au conseil d’état. Il s’agissait de substituer, pour l’assiette des droits de mutation par décès, la valeur vénale à la valeur capitalisée d’après le revenu multiplié vingt fois. Au premier abord, on ne s’explique pas cette différence entre la vente et la succession. Pourquoi dans un cas perçoit-on sur la valeur vénale, tandis que dans l’autre on prend le revenu multiplié par vingt, différence considérable qui diminue de moitié le produit du droit sur les transmissions par décès? Si on adoptait la valeur vénale dans les deux cas, le droit de succession serait doublé dans les campagnes et un peu diminué dans les villes, où les maisons rapportent plus de 5 pour 100. Il est facile de comprendre que le gouvernement ait reculé devant une disposition qui aurait pour conséquence de faire peser sur les biens ruraux une charge exorbitante et de dégrever les propriétés les plus productives. Les héritiers ou légataires d’ailleurs doivent les droits sur l’actif brut de la succession, sans déduction des dettes, ou, pour employer le mot technique, sans distraction des charges. L’acheteur au contraire ne paie que sur le prix net, ce qui explique suffisamment pourquoi le tarif est plus élevé quand il s’agit d’une vente qu’en matière de succession.

Le projet de budget ménage le commerce en même temps que les propriétaires fonciers. On n’y voit point figurer en effet d’augmentation sur le timbre proportionnel des effets de commerce. L’administration cependant aurait trouvé là une ressource considérable et dont la charge serait peu sensible, car le tarif en vigueur n’est pas élevé, et on pourrait, selon nous, le doubler sans que la surtaxe parût trop lourde aux contribuables. Quel souscripteur d’un effet de 100, 200 ou 300 francs s’apercevra qu’on lui demande 10 ou 15 ou 20 centimes au lieu de 5 ou 10 centimes? Jamais taxe ne satisferait mieux à l’anesthésie de l’impôt, et cependant cette mesure procurerait, sans faire crier les imposés, une vingtaine de millions au trésor.

Quant au timbre sur les journaux et écrits périodiques, le projet propose de remettre en vigueur la loi de 1850. On reprendrait donc la distinction entre les journaux avec feuilleton et les journaux sans feuilleton. Les premiers seraient soumis à une surtaxe de 1 centime par feuille (6 centimes par feuille pour les premiers et 5 centimes par feuille pour les seconds). Ces droits sont assurément élevés, si on les compare au régime de complète exemption sous lequel vit aujourd’hui la presse, mais modérés par rapport aux droits qui la grevaient avant le décret abolitif du timbre. La question du reste sera reprise lorsque le rétablissement du calme permettra de discuter une loi organique de la presse. Aujourd’hui le retour, à titre de mesure provisoire, à une loi qu’avait adoptée une assemblée libérale sous la constitution de 1848, nous paraît être la mesure la mieux appropriée aux circonstances, puisque le temps manquait pour réviser la législation. Nous devons cependant faire remarquer que la taxe de 1850 est aggravée parce qu’elle s’ajoute à l’impôt sur le papier. L’exposé des motifs évalue à environ 8 millions le produit du timbre sur les journaux. C’est presque un dixième de ce que doivent donner les surtaxes de timbre et d’enregistrement dont le gouvernement attend une somme d’environ 90 millions. Sur ce total, il faut s’attendre à quelques mécomptes, car les produits de plusieurs articles sont d’une évaluation difficile. L’élément dont le résultat est le plus sûr, c’est assurément le deuxième décime additionnel que le projet propose d’ajouter à tous les droits sans exception perçus par l’administration du timbre et de l’enregistrement; le rendement en est évalué à environ 31 millions. La qualité de taxe additionnelle permet d’en apprécier le produit avec certitude, parce que les calculs sont établis sur un principal connu.

Le projet demande aussi beaucoup aux contributions indirectes, et spécialement aux taxes sur les boissons. Les droits de détail et d’entrée sont trop élevés pour qu’on pût songer à les augmenter; mais la vente en gros ne donne pas tout ce qu’elle pourrait produire, c’est pour l’atteindre que le projet double les droits de circulation. « Il paraît possible de les doubler, dit l’exposé des motifs, ce qui laissera encore le nouveau droit au-dessous du tarif imposé en 1817. L’équité commande d’ailleurs de réduire l’écart qui existe, au profit des classes aisées, entre le droit de circulation et le droit de détail. » Certes l’écart reste énorme malgré cette augmentation, puisque que le droit de détail est de 15 pour 100 en principal ou 18 pour 100 avec les décimes (ad valorem), tandis que le maximum du droit de circulation, ou 2 francs 40 centimes par hectolitre, ne dépassera pas la proportion de 5 pour 100 de la valeur. Une aussi grande différence serait injustifiable, si l’énormité du droit de détail n’avait pour but, peut-être même pour effet, en grevant la consommation du cabaret, de retenir l’ouvrier dans sa famille. Cette pensée humaine ne sera réalisée que le jour où l’approvisionnement de l’ouvrier pour la consommation domestique ne sera pas chargé des mêmes droits que la consommation au cabaret. L’achat par 25 litres au moins (c’est la quantité qui est nécessaire pour la vente en gros) est au-dessus des ressources normales des petits ménages, et l’inégalité devant l’impôt entre la classe aisée et la classe pauvre sera choquante tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen, par l’organisation des débits à emporter, de libérer la consommation domestique. Les débits à emporter sont une institution connue en Angleterre, et il y a déjà longtemps qu’on a proposé d’imiter ce qui est pratiqué chez nos voisins. Cette amélioration a notamment été signalée en 1850, lorsque l’assemblée nationale fit procéder, sur l’impôt des boissons, à l’enquête qui donna lieu au remarquable rapport de M. Bocher. Malheureusement cette idée n’a pas été depuis même étudiée, et le droit de détail a continué de grever la vie de famille. aussi bien que les dépenses d’auberge. Peut-être est-ce une des causes, — nous ne croyons pas que ce soit la seule, — qui ont détruit le charme du foyer et poussé les ouvriers vers la fréquentation des cabarets. Il faut que notre loi soit changée en ce point, et si, malgré tout, les mauvaises habitudes l’emportent, que la responsabilité retombe sur le vice. Nous demandons avec la plus vive insistance que la plus petite part ne soit pas imputable aux défauts du régime fiscal.

Le projet frappe sans ménagement les absinthes, eaux-de-vie et alcools, qui, à l’avenir, paieraient 125 francs de droit de consommation par hectolitre, au lieu de 75 francs qu’ils supportaient depuis 1852. L’énormité du droit n’entravera-t-elle pas la consommation de façon à nuire soit au commerce, soit au trésor? Cette éventualité ne serait pas à craindre d’après l’exposé des motifs, car la valeur vénale de l’eau-de-vie a souvent varié de 60 à 200 fr. par hectolitre, sans que la hausse ait réduit la consommation. Or une surtaxe de 50 francs est bien inférieure à l’écart entre ces deux extrêmes, et il n’est pas à craindre d’après l’exposé des motifs, qu’elle ait pour effet d’arrêter la vente des alcools. C’est possible, et nous l’espérons; mais il ne faudrait pas pousser trop loin cette manière de raisonner. Si la consommation s’est soumise sans fléchir au prix extrême de 200 francs par hectolitre, rien ne prouve qu’elle se maintiendrait encore jusqu’à 250 fr. Or l’effet de la surtaxe porterait la valeur vénale jusqu’à ce chiffre, si l’innovation financière coïncidait avec la cherté des alcools. Cette réserve faite sur l’exactitude des motifs, il faut reconnaître que cette taxe, si elle n’a pas la propriété de supprimer le vice, avertit durement le consommateur du mal que ces boissons peuvent causer à sa santé. Il est certain que l’élévation du prix des absinthes et alcools produite par la surtaxe n’empêchera pas les mauvaises habitudes; mais l’ivrogne du moins ne suivra point son penchant sans être prévenu par les exigences fiscales qu’il cherche des plaisirs dangereux. C’est parce que cette boisson est peu digne d’intérêt que le ministre propose de la frapper sans ménagement.

Le projet étend les droits de licence (un droit de 20 francs par an) aux bouilleurs de cru, c’est-à-dire aux propriétaires qui brûlent eux-mêmes les vins de leur récolte. Cette disposition ne peut pas être approuvée, parce que le bouilleur de cru n’exerce pas une profession distincte; c’est un propriétaire qui transforme lui-même sa récolte, et son opération est analogue à toutes les manipulations du raisin. La violation des principes serait d’ailleurs inexcusable, parce qu’elle ne pourrait pas s’expliquer par les besoins du trésor. L’exposé des motifs en effet n’évalue pas à plus de 40,000 francs la somme que produirait cette extension du droit de licence.

Les lois en vigueur distinguent, au point de vue fiscal, les bières fortes et les petites bières. Les premières paient un droit de fabrication de 2 fr. UO cent., et les secondes un droit de 60 centimes par hectolitre. Cette distinction disparaîtrait d’après le projet, et toutes les bières seraient soumises au droit le plus élevé, de sorte que l’unification des tarifs se ferait tout au rebours des vœux constamment exprimés par les brasseurs, qui demandaient l’adoption d’un tarif unique sur le pied du droit le plus faible. Si le projet était adopté sur ce point, la taxe serait quadruplée à l’égard des bières faibles, qui, dans les départemens du nord de la France, sont employées, surtout pendant la saison de la récolte, pour rafraîchir les ouvriers ruraux. Cette surtaxe qui grèverait environ 2 millions d’hectolitres paraîtrait d’autant plus exorbitante que les bières faibles sont uniquement consommées par la classe ouvrière, et que la taxe ne serait pas plus élevée pour les bières fortes, dont l’usage est plus particulièrement destiné aux classes aisées. Comme le produit de cette augmentation ne dépassera point 1,200,000 ou 1,300,000 francs, peut-être trouvera-t-on avec nous que la somme est petite par rapport aux inconvéniens politiques de cette mesure fiscale. Nous ne ferons au contraire pas d’objection contre les droits sur les cartes à jouer. Par le doublement des taxes anciennes, on prélèvera environ 1,500,000 francs sur nos plaisirs, et nous conseillerions même de prendre davantage sur cette matière imposable, si l’élévation du droit ne devait pas avoir pour effet d’arrêter le développement de la consommation.


IV.

Laissons ces réformes secondaires et abordons la partie importante du projet. C’est la matière des douanes qui mérite surtout d’attirer notre attention, parce que les réformes que propose le gouvernement sont telles que nos relations commerciales avec l’étranger en seraient bouleversées. C’est un revirement qui non-seulement emporterait les traités de 1860, mais qui étonnerait même les partisans du système protecteur, car les innovations proposées s’éloignent des principes admis par cette école depuis Colbert, ou plutôt depuis Henri IV. En effet, les opinions qui sont généralement attribuées au ministre de Louis XIV avaient été avant lui exprimées au XVIe siècle par Barthélémy Laffemas, et formulées par René de Biragues, rédacteur d’un édit de 1578. La règle que les fondateurs du système protecteur regardaient comme incontestable consistait à épargner les matières premières employées par nos manufactures, et à imposer les produits fabriqués au dehors et importés en France. C’était une manière de favoriser doublement l’industrie, soit en évitant le renchérissement de la fabrication, soit en défendant nos produits fabriqués contre la concurrence étrangère. Il y avait là une protection efficace et un système cohérent.

M. Pouyer-Quertier, qui cependant appartient à l’école de Colbert, a l’intention de changer ce qui a été admis par ses maîtres et de taxer à 20 pour 100 ad valorem les matières textiles, cotons en masse, laines en suin ou lavées, lins, chanvres, soies grèges, à peu près tout ce qui est mis en œuvre par nos filatures et nos fabriques de tissage. Chose digne de remarque, les produits fabriqués à l’étranger sont épargnés par les nouveaux tarifs. On pourrait croire que M. Pouyer-Quertier est converti au libre échange, puisque, à l’inverse de Colbert, il semble disposé à ouvrir nos portes aux produits ouvrés. Qu’on se détrompe : il y a dans son projet la doctrine apparente et la doctrine cachée; cette dernière se trouve dans deux articles qui méritent d’être mis en relief, bien que les rédacteurs du projet les aient relégués à une place modeste. C’est dans les articles 20 et 21 que se trouve la véritable pensée du gouvernement. Aussi en faut-il citer ici le texte, tant ces dispositions méritent que la portée en soit déterminée avec soin.

« Article 20. Des drawbacks pourront être accordés à la sortie des produits fabriqués avec les matières atteintes par ces droits. Le taux en est fixé par un arrêté du chef du pouvoir exécutif, rendu après avis du comité consultatif des arts et manufactures.

« Article 21. Les produits étrangers similaires de ceux qui profiteront des drawbacks seront frappés de surtaxes correspondantes à ces drawbacks, et déterminées aussi par des arrêtés du chef du pouvoir exécutif. »

Autant vaudrait dire que le commerce international de notre pays ne sera plus régi par la loi, mais par des arrêtés qui supprimeront ou établiront les droits, sans autre formalité qu’un avis du conseil des arts et manufactures. Lorsque le commerce a plus que jamais besoin de sécurité, la loi organiserait l’incertitude et découragerait les efforts persévérans, car avec un semblable régime toute longue entreprise serait impossible. A-t-on oublié que l’échelle mobile a succombé sous le poids des difficultés que l’instabilité des droits créait aux calculs des commerçans ? On pourrait le croire, puisqu’on nous propose d’étendre à l’ensemble des douanes les défauts qui ont ruiné la législation sur les céréales. Au point de vue politique, ces nouveautés seraient la négation du régime parlementaire, et, pour le commerce, ce serait l’alanguissement des affaires par l’appréhension des changemens trop brusques de tarifs.

Nous avons été surpris aussi de voir reparaître le système des drawbacks, que nous croyions définitivement abandonné et condamné par l’expérience. Il est démontré en effet, pour les industriels de toutes les catégories, que la restitution à la sortie des droits perçus sur les matières brutes donne lieu à d’insurmontables difficultés. Comment reconnaîtra-t-on la substance sous les mille transformations qu’elle subit ? Si c’est de la laine, retrouvera-t-on les quantités introduites dans des tissus mélangés de coton, de soie ou de vieilles laines provenant d’effilochages ? Saura-t-on déterminer la proportion de la teinture et tenir compte des degrés divers auxquels se fait la charge des couleurs ? Les mêmes difficultés se présenteront pour l’industrie de la soie, puisqu’elle est aussi mélangée avec des laines et des cotons. Plus que toute autre substance, la soie a la propriété d’absorber la teinture, si bien qu’à Saint-Étienne on emploie les couleurs à forte dose pour donner à des rubans d’un tissu très léger une consistance qui les fait ressembler à des rubans épais. D’un autre côté, la soie ouvrée sort sous des formes très variées, non-seulement en tissus purs ou mélangés, mais en objets difficiles à mesurer, tels que les boutons, les lacets, etc. On se résignerait peut-être à ces difficultés, si le régime proposé devait procurer au trésor des ressources importantes; mais, loin d’y gagner, le trésor est exposé à perdre. Les manufacturiers en effet peuvent habilement faire sortir en produits ouvrés des quantités de matières supérieures à celles qui étaient entrées à l’état brut. Ils n’ont, pour réaliser ces bénéfices sur la fortune publique, qu’à faire sortir des laines ou des soies produites à l’intérieur et des cotons introduits en fraude. Ainsi le trésor serait obligé de restituer plus qu’il n’aurait reçu. Ne vaudrait-il pas mieux, au point de vue financier, établir des droits purement fiscaux de 1 à 5 pour 100 que d’élever jusqu’à 20 pour 100 des taxes restituables à la sortie? L’administration des douanes percevrait moins, mais les recettes seraient acquises définitivement, et l’état ne serait pas exposé à perdre. Il est vrai que, d’après le projet de budget, le drawback donnerait lieu à la perception d’un droit correspondant sur les produits fabriqués similaires venant de l’étranger; le produit de ces taxes d’importation ne compenserait pas, tant s’en faut, la perte résultant de la restitution à la sortie. Nous importons peu les produits similaires à ceux que notre industrie fabrique pour l’exportation. Pour les soieries notamment, le droit d’entrée ne rapporterait presque rien, tandis que la restitution des droits à la sortie porterait sur des quantités considérables. Il en serait peut-être autrement pour les cotons parce que, depuis la cession de l’Alsace, notre industrie cotonnière fabrique plus pour la consommation intérieure que pour celle du dehors. Le drawback pour ces produits équivaudrait donc à peu près à un droit protecteur, et peut-être vaudrait-il mieux l’établir ouvertement et directement par la loi que de le créer comme conséquence de la restitution à la sortie ordonnée par arrêté ou décret. En somme, la partie du projet qui est relative aux douanes n’est que le rétablissement pur et simple du système protecteur enveloppé sous le nom d’une compensation au drawback.

Nous regrettons que le gouvernement ait soulevé la question du régime économique et ne se soit pas borné à des mesures d’un caractère purement fiscal. En présence de notre situation financière, nous devons tous avoir pour unique préoccupation de créer les ressources dont nous avons besoin, et le libre échange doit être relégué au second plan. Pourquoi ne renvoyons-nous pas la discussion de cette question si complexe et si difficile au moment où nous aurons le temps de lui donner les développemens qu’elle comporte? Si les questions constitutionnelles ont été réservées, il serait bon aussi de ne pas trancher, dans une discussion trop rapide, des problèmes qui suspendent et inquiètent des intérêts nombreux. Or le budget rectificatif de 1871 ne donnera lieu qu’à de courts débats, et si, malgré l’urgence, la délibération se prolonge, le trésor en ressentira une perte d’autant plus grande que la mise en recouvrement des nouvelles taxes aura été plus retardée. N’a-t-on pas souvent, — et avec raison selon nous, — reproché au gouvernement impérial d’avoir à huis clos, par un traité de commerce, sans discussion préalable, modifié le régime économique de la France, — d’avoir, sans entendre les intéressés, disposé d’intérêts considérables? Prenons garde de ne pas encourir le même reproche, et ne croyons pas être en règle avec les principes parce que nous accordons de courts instans à la discussion que nos prédécesseurs avaient eu le tort plus grave de supprimer. N’écourtons pas la délibération en la plaçant dans un ensemble qui demande un examen rapide.

La pratique du drawback sur les sucres raffinés a démontré que le trésor est exposé à perdre, et que la restitution des droits à la sortie peut constituer une véritable prime d’exportation. Comme le rendement officiel était fixé à 80 de sucre raffiné pour 100 de sucre brut, les raffineurs qui employaient des procédés pour tirer 85 et 86 pouvaient se faire restituer des sommes que jamais ils n’avaient versées. C’est pour éviter ce préjudice qu’une loi de 1866 substitua au drawback l’admission temporaire en franchise. Par ce changement, l’état était exposé à ne pas percevoir tout ce que lui attribuaient les tarifs, mais du moins il ne pouvait pas rendre plus qu’il n’avait reçu, et la prime, s’il y avait prime, se trouvait reportée de la consommation du dehors sur celle de l’intérieur. M. Pouyer-Quertier ne nie pas ces propositions, et son exposé des motifs en contient l’approbation. « En fait, dit-il, on avait greffé sur le drawback une véritable prime, c’est-à-dire qu’on avait calculé les allocations de manière à faire restituer par le trésor beaucoup plus qu’il n’avait reçu. » Aussi le ministre veut-il que le drawback soit rigoureusement limité au remboursement des taxes, ajoutant que, a dans son fonctionnement normal, il est inattaquable, car il n’est pas rationnel de demander l’impôt des douanes à une marchandise qui ne pénètre sur notre territoire que pour en ressortir après avoir alimenté le travail français. » Mais par quel moyen assurera-t-on l’égalité entre les perceptions et les restitutions? Nous n’en connaissons pas, et, si on en a découvert quelqu’un, c’est un secret que l’exposé des motifs ne nous a point révélé.

Après avoir confié au pouvoir exécutif le soin d’établir les drawbacks, le projet lui donne aussi le pouvoir de créer des surtaxes de pavillon. Alarmées par cette dangereuse faculté, plusieurs chambres de commerce des villes maritimes, notamment celle du Havre, ont fait observer que les surtaxes donneraient lieu à des représailles qui nuiraient au développement de notre marine marchande. « La navigation à vapeur, a dit la chambre du Havre, tend à remplacer la navigation à voiles. Or une des ressources de la navigation à vapeur, quand elle est à l’étranger, est d’aller dans deux ou trois ports voisins les uns des autres, et de prendre dans tous ces ports du fret non-seulement pour les ports de France, mais encore pour des ports étrangers, par exemple pour Buenos-Ayres et Rio-Janeiro, pour Anvers et Liverpool, en même temps que pour Bordeaux et Le Havre. Elle a une autre ressource, comme au reste les voiliers sans emploi : elle peut faire un voyage intermédiaire avant de rentrer en France, portant sa marchandise d’un port étranger à un autre port étranger, de Buenos-Ayres à New-York par exemple, de Rio-Janeiro à la Nouvelle-Orléans, de Montevideo à Maurice ou au Chili ; puis retour en France. » Toutes ces opérations seront interdites à notre marine par les surtaxes que les gouvernemens imposeront à notre pavillon, surtaxes dont l’effet sera de protéger les navires portant les pavillons étrangers.

L’augmentation des droits sur les cafés et les sucres ne donne pas prise aux mêmes objections que les droits sur les matières premières. Ce sont des denrées destinées à la consommation, et, comme nos habitudes ont fait de ces objets de luxe des objets dont nous ne pouvons nous priver que difficilement, les impôts dont on les frappe sont très productifs. Les sucres seraient surtaxés de trois dixièmes, ce qui portera le droit à 54 francs 60 centimes par 100 kilogr., ou 16 fr. d’augmentation, soit 16 centimes par kilogramme ou environ 8 centimes par livre. Les cafés, dont la taxe avait déjà été portée en 1866 de 50 à 100 fr. par 100 kilogrammes, payeraient 150 fr., soit une augmentation de 25 cent, par livre. Si on les compare aux rigueurs de notre situation, ces modifications paraîtront modérées, et le projet sur ce point mérite d’autant mieux d’être approuvé qu’au moyen de ces augmentations le trésor recevra 53 millions, à peu près le cinquième de la somme (263 millions) que le ministre des finances attend du remaniement des douanes. Le droit sera cependant trouvé rigoureux relativement aux chicorées, car elles entrent pour des quantités considérables dans la consommation des ouvriers, et nous savons que déjà la nouvelle du projet a causé dans le département du Nord une émotion qui n’a pas été étrangère au revirement politique qui, dans cette contrée, a signalé les dernières élections.

Nous convenons qu’il est fort aisé de trouver des objections et très difficile de découvrir des solutions; mais le public que nous représentons ici a le droit de critique et de réclamation. Nous ne terminerons pas cependant sans rendre au projet du gouvernement la justice que beaucoup lui ont refusée. N’a-t-on pas trouvé qu’il était conçu avec une extrême timidité et gardait trop de ménagemens pour un système financier vicieux qu’il faudrait refaire de fond en comble? On attendait mieux de M. Pouyer-Quertier, le fougueux orateur du corps législatif, qui parlait des questions financières avec l’ardeur d’un tribun, et en même temps avec une pleine connaissance des détails. Au contraire, — et la déception est grande, — M. Pouyer-Quertier, a-t-on dit, conserve tous les cadres, se bornant à de petites mesures comme un commerçant qui cherche à sortir d’une crise, non par une entreprise hardie et féconde, mais par des rognures sur ses dépenses domestiques et de légères augmentations sur ses prix de vente. Ces reproches sont à nos yeux l’éloge de M. Pouyer-Quertier. Il a pensé avec raison que le remaniement des impôts est une entreprise qui convient surtout aux temps de calme, et qu’il y aurait témérité à l’exécuter lorsque nous avons sur le sol français une armée qui attend, pour commencer l’évacuation, le paiement de l’indemnité, lorsque pour nous libérer nous n’avons qu’un terme très court et que nous sommes obligés de faire appel au crédit pour des sommes dont le chiffre dépasse celui de tous les emprunts connus. Les impôts d’un pays sont la garantie de ses dettes, et son crédit se mesure à la solidité de ses finances. Or notre système financier est depuis longtemps connu en France et à l’étranger. Ceux qui prêtent savent quelles sont les ressources de l’état. Y aurait-il eu prudence, la veille d’un emprunt qu’on a eu raison d’appeler colossal, à troubler ces notions et à jeter le public des capitalistes dans l’incertitude sur nos ressources futures? Fallait-il aux notions connues substituer des appréciations confuses et faire douter les prêteurs de la solidité et de l’étendue du gage? M. Pouyer-Quertier a pensé qu’il valait mieux augmenter les droits existans que de recourir à des innovations dont le public n’aurait pas eu avant l’emprunt le temps de mesurer la portée. Il a été récompensé de la justesse de ses idées et de la sagesse de ses propositions, car le public lui a répondu par une véritable explosion de confiance. On ne peut pas en effet donner un autre nom à la soudaineté avec laquelle près de 5 milliards ont été souscrits en quelques heures.


A. BATBIE.

  1. Le budget des dépenses a été étudié dans le numéro du 1er juillet, Les développemens que notre collaborateur a donnés à son travail nous permettent de passer rapidement sur cette partie de notre sujet.