Le Budget du royaume de la Haute Italie
- I. Bilancio preventivo delle Entrate e delle Spese dell’ Esercizio 1860 per le antiche provincie del Regno. — Bilancio preventivo delle Entrate e delle Spese dell’ Esercizio 1860 per la Lombardia, Torino, Stamperia Reale. — II. Bilancio di previsione della Finanza toscana dell’ anno 1860, Firenzo, Tipografia Reale. — III. Il Bilancio dell’ Emilia, di Giochino Pepoli, Torino, Favalo e Cia, 1860.
Dans une des séances consacrées par le parlement de Turin à la discussion du traité avec la France pour la cession de Nice et de la Savoie, un orateur, M. Carutti, prononçait avec émotion des paroles qui méritent d’être rappelées : « Le vieux Piémont n’est plus. Nous sommes arrivés aux derniers jours de son existence de huit siècles. Finis Pedemontis ! » L’honorable député ajoutait : « Mais je sécherai mes larmes, si des cendres de mon ancienne patrie renaît l’Italie forte, l’Italie libre, l’Italie notre mère à tous. » Avec la Savoie en effet, berceau de la monarchie, avec le comté de Nice, asile hospitalier ouvert à toutes les aristocraties en même temps qu’à toutes les émigrations européennes, le Piémont semble avoir perdu un de ses traits distinctifs. Les accroissemens qu’il a reçus l’ont moins agrandi que la séparation de ces deux provinces ne l’a métamorphosé. Le Piémont n’est donc plus, et l’Italie n’est pas encore, telle du moins que la saluaient de leurs vœux M. Carutti et ses collègues. Quelle dénomination recevra le nouvel état formé de l’ancien Piémont, du Milanais, de la Toscane, de Parme, de Modène et de la Romagne ? La diplomatie est encore muette à ce sujet, et plus d’une grave question se cache sous les réserves qu’elle garde. Qu’il nous soit permis de devancer les cabinets européens dans la solution de cette difficulté grammaticale, et d’étudier sous une de ses faces spéciales, c’est-à-dire dans sa situation financière, le royaume de la Haute-Italie !
Dans l’état provisoire où se présentent les provinces unies sous l’autorité du roi Victor-Emmanuel, il semble que la question de l’indépendance domine et résume toutes les autres. Pour la plupart du moins, l’indépendance complète, l’affranchissement du joug étranger, des Alpes jusqu’à l’Adriatique, voilà ce qu’il faut obtenir d’abord et à tout prix. L’autonomie de la Toscane, le trône des Bourbons de Naples, la couronne temporelle du pape, les traditions municipales, l’esprit monarchique, les bases sur lesquelles repose l’église universelle, tout semble oublié, méconnu, sacrifié même à cette soif ardente de réhabilitation nationale qui pousse l’Italie à s’agréger et à se montrer unie aux yeux de l’Europe, mal édifiée encore sur l’issue de l’entreprise. En face de telles perspectives, de simples rapprochemens de chiffres courent sans doute le risque d’offrir un intérêt bien secondaire ; la modeste étude d’un budget peut n’éveiller qu’une curiosité aisément distraite. Il y a plus ; ne s’expose-t-on point, en faisant ressortir les charges que la guerre de l’indépendance impose aux populations italiennes, à fournir matière à de vils calculs et à faire estimer le prix comme inférieur aux sacrifices qu’il réclame ? Telle n’est point assurément notre pensée ; tel ne sera pas, nous l’espérons, le résultat de cet exposé. Il y a toujours une leçon morale à tirer du bilan des recettes et des dépenses de chaque gouvernement, et l’économie est bonne à recommander même dans les entreprises les plus glorieuses ou les plus fécondes. En second lieu, puisque la victoire appartient en définitive plus encore aux gros budgets qu’aux gros bataillons, on peut, dans la prévision d’une lutte prochaine, déterminer de quel côté penchera la balance en comparant les ressources financières des deux pays engagés dans le débat. Déjà la situation intérieure de l’Autriche a été l’objet dans la Revue d’une impartiale analyse[1] : n’est-il point à propos de devancer les complications ultérieures, complications peut-être inévitables, et d’exposer aujourd’hui l’état financier du royaume de la Haute-Italie ?
En 1857, une étude où l’on se proposait de mettre en regard des visées ambitieuses de la politique piémontaise les ressources financières du pays se terminait par ces considérations[2] : « Par combien d’années d’économie, de scrupuleuse attention à conserver l’équilibre des finances qu’il avait faites si prospères, Charles-Albert ne s’est-il pas préparé à jouer le rôle que les traditions de sa maison et la généreuse ambition de son peuple n’ont cessé de tracer au souverain de la Sardaigne par rapport à l’Italie ! Pour être en mesure de reprendre utilement une pareille tâche, dix ans ininterrompus d’une administration ménagère et pacifique ne seraient pas de trop. » Ces conclusions se trouvaient motivées par l’énumération de toutes les charges que les événemens de 1848 et la guerre avec l’Autriche avaient imposées aux peuples de la Sardaigne. De 1848 à 1857, la dette publique s’était élevée de moins de 6 millions de rentes à plus de 41 millions. Les dépenses de l’état avaient cru chaque année dans des proportions faites pour inspirer les plus justes appréhensions. En 1847, elles n’étaient encore que de 119 millions ; dans le projet de budget de 1858, on les évaluait à 148. Malgré l’établissement de nouveaux impôts, tels que la contribution personnelle et mobilière, la taxe des patentes, l’impôt sur les bâtisses, les successions, même sur les voitures, en dépit aussi de l’augmentation des anciens impôts, le budget des recettes, qui de 97 millions s’était élevé à 143 en 1858, présentait sur tous les exercices un déficit considérable. On était assurément fondé, en présence d’une situation semblable, à recommander la prudence et l’économie ; mais une ressource extraordinaire qu’il n’était pas possible de comprendre parmi celles dont le gouvernement piémontais devait disposer, l’alliance française, le secours de nos armes et de notre budget, a permis de suivre une autre politique et d’atteindre plus vite un but plus élevé. Il s’agit de reconnaître dès à présent ce que cette conduite généreuse est venue ajouter de charges à celles que l’on trouvait déjà lourdes à la date précitée.
Le déficit prévu pour 1858 s’élevait à 5 millions, 148 millions de dépenses contre 143 de recettes. Par suite des dépenses extraordinaires, il a été en définitive de 14 millions. En 1859, pour parer aux 33 millions de déficit laissés par les années précédentes et à celui de l’année courante, le parlement vota, un emprunt de 40 millions. Dès le 5 février de cette même année, le ministère présenta aux chambres le budget de 1860. Les dépenses y étaient évaluées à 157 millions, dont 149 pour dépenses ordinaires, 8 pour dépenses extraordinaires, et le déficit prévu sur les recettes montait à 8 millions 1/2 ; encore n’avait-on fait figurer que pour mémoire dans le budget du ministère des finances la somme à payer pour le service de la rente et de l’amortissement d’un nouvel emprunt de 50 millions non encore négocié, mais accordé par le parlement en vue des éventualités menaçantes. Déjà les budgets spéciaux de chaque ministè re avaient été votés, à l’exception de ceux de la guerre et de la marine, lorsque la chambre dut laisser la parole aux événemens et confier ses pleins pouvoirs au roi. C’est en vertu des prescriptions de la loi du 25 avril 1859 que, le 29 novembre de la même année, a été réglé par le roi seul le budget de 1860, c’est-à-dire le premier budget du Piémont transformé. À cette date, le budget ne comprend encore que les recettes et dépenses des anciens états et celles de la Lombardie, et déjà il s’élève au total de 296 millions pour les dépenses (258 millions dépenses ordinaires, 38 millions dépenses extraordinaires), et au chiffre de 256 millions seulement pour les recettes, dont 249 millions en recettes ordinaires et 7 en recettes extraordinaires.
Dans cet ensemble, les anciennes provinces figurent pour 214 millions de dépenses ordinaires et 163 de recettes de même nature. La presque totalité des dépenses et des recettes extraordinaires, 36 millions contre 7, est inscrite dans le budget qui concerne le Piémont seul. Les dépenses de la Lombardie s’élèvent à 46 millions, et les recettes à 86. Il résulte de ce premier rapprochement que le budget lombard présente un boni de 40 millions, et le budget piémontais un déficit de 80 ; mais il faut se hâter d’observer que dans les dépenses de la Lombardie ne figurent que les dépenses provinciales proprement dites. Toutes les dépenses centrales, celles qui concernent l’armée, la marine, les affaires étrangères, etc., sont réservées au budget des anciennes provinces, tant pour les dépenses extraordinaires que pour les dépenses ordinaires elles-mêmes. Dans le service de la dette publique, la Lombardie ne figure ni pour l’indemnité de guerre à payer à la France, ni pour les emprunts contractés pour les besoins de l’armée et de la flotte. En définitive, la séparation de ces deux budgets offre seulement l’avantage de comparer, dans le chiffre des impôts, la situation faite aux habitans du Piémont et à ceux de la Lombardie, accablée de tant de charges par la domination étrangère, et d’apprécier les améliorations que réserve l’avenir à cette nouvelle province du Piémont.
Les dépenses ordinaires et extraordinaires du Piémont proprement dit, pour 1860, s’élèvent donc à 250 millions, soit à 93 millions de plus que dans le projet présenté aux chambres au mois de février. Le ministère des finances figure sur cette augmentation pour 27 millions, celui des travaux publics pour 14, les ministères de la guerre et de la marine pour le surplus. Le supplément des-dépenses du ministère des finances se compose principalement de 24 millions de rentes 5 pour 100 créées par la loi du 21 juin 1859 pour l’emprunt de 50 millions, par celle du 11 octobre de la même année pour le prêt des 100 millions reçus de la France et payés en àcompte à l’Autriche sur la partie de la dette lombarde reprise par le Piémont ; il faut y joindre le remboursement de 60 millions de dépenses militaires fait à la France en vertu du traité de Zurich. En une année, la rente 5 pour 100 seule s’est élevée de 19 1/2 à 43 millions 1/2. L’augmentation des dépenses du ministère des travaux publics a pour cause l’application à l’état de quelques travaux laissés, précédemment à la charge des communes, la réparation de dégâts occasionnés par la guerre, l’exploitation des chemins de fer et l’augmentation du matériel, le service du télégraphe et des postes en Lombardie. L’augmentation de 30 millions sur les dépenses du ministère de la guerre résulte de l’augmentation même de l’armée et d’une attribution de 15 millions votée pour construire des fortifications sur la nouvelle frontière. En résumé, le budget de la guerre (74 millions ) et celui de la marine (13 millions ) comprennent un total de 87 millions sur un budget général de 250 millions. Assurément la proportion est forte ; mais si l’on considère que cette somme représente tout ce qui concerne la défense, non-seulement des anciennes provinces, mais encore celle de.la Lombardie, peut-être trouvera-t-on qu’elle s’accorde davantage avec les résultats obtenus et le but poursuivi. Le budget du ministère des finances atteint un chiffre bien plus élevé, 110 millions sur 250, soit 42 pour 100 sur l’ensemble des dépenses. La dette afférente aux anciennes provinces y figure pour 73 millions, sans compter la dette viagère et l’intérêt de la dette flottante. Il y a douze ans, elle ne s’élevait qu’à 6 millions ; il y a trois ans, elle n’était encore que de 41. Ne nous arrêtons pas à ces rapprochemens, ils inspireraient peut-être des réflexions injustes sur les nécessités glorieuses, mais cruelles, qui ont frappé le présent et l’avenir de charges aussi lourdes.
Les recettes, on l’a vu, ont suivi une progression plus lente que les dépenses. De 1857 à 1860, elles se sont accrues de 135 à 163 millions. Malheureusement cette augmentation de plus d’un cinquième n’est point due aux progrès de la richesse publique. Sauf une plus-value de 4 millions environ dans le produit des chemins de fer, qui provient de ce que l’état a pris à sa charge l’exploitation des lignes de Turin à Cuneo et Saluces, et d’Alexandrie à Stradella, et qui est compensée par une augmentation de dépenses correspondante, l’accroissement des recettes a pour unique cause l’imposition du dixième de guerre sur les gabelles, sur les contributions directes, l’enregistrement et les domaines. La surcharge pour 1860 est de près de 4 millions sur les douanes, sel, droits maritimes, etc., de 7 millions sur l’impôt foncier, de 2 millions sur la taxe personnelle et mobilière et celle des patentes, de 1 million sur les droits d’enregistrement et de timbre, enfin de 2 millions sur le produit des postes, en raison de l’union avec la Lombardie. En réalité, l’accroissement du budget des recettes a été obtenu par un accroissement de taxes imposées aux populations piémontaises : c’est un nouvel et important article à inscrire au débit de la guerre et de l’œuvre libératrice si courageusement poursuivie.
Ce tableau de la situation financière antérieure à l’annexion réclame, pour être complet, quelques détails sur l’état particulier des provinces appelées à faire partie du royaume de la Haute-Italie. À l’aide de renseignemens difficilement réunis, nous avons pu nous former une idée des charges qui pesaient sur ces provinces, et en nous rendant compte du contingent de forces qu’elles apportent au nouvel état, apprécier aussi les avantages qui résulteront pour elles-mêmes de l’annexion.
La Lombardie était accablée sous le poids des plus lourdes luxes. L’impôt foncier s’y élevait à 29 pour 100 en principal, et avec les centimes additionnels à 39, tandis que, dans le reste de l’Autriche, il n’était que de 16 pour 100. En 1859, et comme taxe de guerre, l’impôt foncier avait été encore accru de 33 pour 100. Les bases de l’évaluation, il est vrai, différaient sensiblement, puisque l’année 1856 avait servi de type pour la Lombardie et l’année 1824 pour les autres provinces. Un impôt personnel spécial à l’Italie fournissait un revenu de 3,900,000 lires. Le prix du sel pour la Lombardie montait à 11 florins le quintal au lieu de 5 ou 6 florins payés ailleurs ; tous les droits de consommation s’élevaient de même à un taux supérieur. Dans un rapport du ministre Krauss à la diète de Kremsier en 1848, on voit que de 1815 à 1848 l’Autriche a retiré de la Lombardie un boni de 25 millions de lires (la lire autrichienne vaut 84 centimes) en plus des frais d’occupation militaire, qui certes ne profitaient point à l’Italie. Entre toutes les mesures fiscales extraordinaires qui ont tant accru les charges des provinces transalpines, on peut, sans mentionner la participation forcée à tous les emprunts autrichiens, rappeler la taxe de 21 millions frappée par le maréchal Radetzky sur quelques citoyens de Milan et la conversion des anciennes monnaies opérée en 1859, qui fit perdre arbitrairement 3 kreutzers à toutes les pièces de 20 kreutzers. Comme la monnaie d’argent n’avait cours qu’en Lombardie, les pays italiens firent seuls les frais d’une mesure prise dans un intérêt exclusivement allemand. La refonte des monnaies autrichiennes fut, comme on le sait, le résultat des délibérations d’un congrès international chargé d’établir en Allemagne l’unité monétaire.
Puisque le gouvernement de l’Autriche avait traité ces provinces en pays conquis, il semblait que le premier bien à recueillir de leur union avec le Piémont dût être une diminution d’impôts, et cependant, à part la réduction des droits d’entrée résultant de l’union douanière, les anciennes perceptions ont été non-seulement maintenues, mais encore accrues du dixième de guerre imposé au Piémont. L’union douanière a réduit d’un quart le prix du sel, de 60 pour 100 le droit sur les sucres, de 30 pour 100 celui sur le café : en somme, c’est un bénéfice de 3 millions 1/2 pour les consommateurs lombards ; mais quant à l’impôt foncier par exemple, on s’est borné à nommer une commission chargée de l’adoucir par une péréquation équitable et de soumettre à l’impôt les propriétés qui en étaient affranchies jusqu’alors. Les anciennes taxes ont été maintenues, et le parlement seul aura qualité pour en modifier l’assiette et la perception en appliquant, s’il y a lieu, à toutes les parties du royaume une législation uniforme.
Le budget des recettes de 1860 pour la Lombardie s’est élevé à 86 millions, dont 33 millions 1/2 pour les gabelles et 51 millions 1/2 pour les contributions directes et l’enregistrement. La surtaxe de guerre imposée par la loi du 9 juillet 1859 figure dans ce total pour 5 millions. En 1859, les recettes de la Lombardie proprement dite s’élevaient à 84 millions 1/2 ; elles ont subi en 1860 une augmentation de plus de 6 millions en raison du dixième de guerre, et une diminution de près de 6 millions par la distraction d’une partie de la province de Mantoue appartenant précédemment à la Lombardie, et dont l’Autriche est restée maîtresse. Parmi les dépenses de la Lombardie, qui s’élèvent à 46 millions 1/2 dans le budget de 1860, les finances seules en réclament plus de 31, et les travaux publics 6. Le service de la dette publique se monte à près de 11 millions, soit 7 millions de moins qu’en 1859, à cause des deux cinquièmes de la dette lombardo-vénitienne reportés sur la Vénétie. Il n’y a rien à dire sur les dépenses spéciales de la Lombardie ; quant aux impôts qui y sont perçus et qui ont été maintenus après la réunion, le journal la Lombardia a fait une comparaison qui ne manque pas d’intérêt : les impôts en Piémont donnent un produit de 150 millions et en Lombardie de 80. Le Piémont a 5 millions d’habitans, c’est 30 francs par tête ; la Lombardie 2,800,000, c’est 28 fr. 50 cent, par individu. Comme on le voit, les contribuables lombards n’ont pas le droit de formuler des plaintes très vives, d’autant plus que depuis dix ans le Piémont supporte un déficit annuel supérieur à 10 millions dans l’intérêt exclusif de la cause italienne, et que, de l’année 1848 jusqu’à la conclusion de la paix de Zurich, la dette piémontaise s’est élevée de 150 à 1,200 millions.
La Toscane, au contraire de la Lombardie, passait à juste titre pour un des pays de l’Europe le plus économiquement administrés. En 1858, les recettes se sont élevées à 32 millions 1/2, et les dépenses à un chiffre un peu supérieur, avec un déficit insignifiant. Dans le budget de 1859, les recettes montaient à 33 millions 1/2 par suite de l’augmentation des impôts indirects, qui avaient donné 1 million de plus que l’année précédente. Les impôts directs figuraient dans le budget des recettes pour un peu plus de 5 millions, et le revenu patrimonial pour 2. Les impôts indirects formaient le surplus. Par rapport à une population de 1,800,000 habitans, n’était-ce pas l’idéal en fait d’assiette d’impositions et de modicité de charges ? Le budget du ministère de la guerre et de la marine en 1858 ne s’est élevé qu’à 8 millions. La prospérité intérieure de cet état, dont l’étendue ne dépasse pas 402 milles carrés géographiques, ressort des balances de son commerce intérieur et des revenus des douanes. La Toscane est la terre natale de la liberté du commerce des grains ; grâce aux traditions économiques de son gouvernement, elle n’était pas entrée dans la ligne de douanes que le duché de Modène par exemple s’est vu imposer par l’Autriche. Et néanmoins, malgré des tarifs libéraux, les douanes en 1856 ont fourni un revenu de 10 millions. Dans ses échanges internationaux, l’industrie toscane a conquis une place de plus en plus large ; ainsi, tandis que de 1851 à 1855 l’importation présentait un total qui variait entre 79,111 et enfin 90 millions, l’exportation s’élevait graduellement de 41 à 57 et enfin à 69 millions. Il ne faut pas oublier non plus que la Toscane est le premier pays de l’Italie qui fut doté d’un vrai réseau de lignes de fer, peut-être trop exclusivement toscan, mais au moins très approprié au service des besoins locaux. Dès 1844, Florence était unie à Livourne par une ligne de 95 kilomètres ; les lignes d’Empoli à Sienne de 64 kilomètres, de Florence à Pistoia de 34, de Lucques à Pistoia de 44, et de Lucques à Pise de 21, formaient un ensemble de 258 kilomètres, unissant entre eux tous les centres de l’activité intérieure. Depuis lors, deux lignes en cours d’exécution rattachent la Toscane aux réseaux italiens proprement dits. Le gouvernement sarde a tout récemment garanti un minimum de revenu de 25,000 fr. par kilomètre pour la ligne du littoral. Non-seulement le gouvernement grand-ducal avait établi à côté des chemins de fer un ensemble de lignes télégraphiques qui en 1849 embrassaient déjà 500 kilomètres ; mais il poursuivait l’exécution de grands travaux publics pour l’amélioration et l’agrandissement du port de Livoume, pour le dessèchement des marais de Bientina, etc. L’assainissement de la Maremme figurait seul au budget de 1858 pour 458,000 lires. Toutes ces dépenses extraordinaires étaient soldées au moyen de l’aliénation de rentes créées par le décret du 3 novembre 1852, et néanmoins le budget présentait un léger excédant. Il est vrai que depuis le départ du grand-duc, M. Salvagnoli, membre de la consulte d’état, a annoncé que le gouvernement grand-ducal, au lieu d’un excédant de 85,100 lires, avait laissé un déficit de 10 millions provenant de la dette flottante. Nonobstant ce fait, dont l’exactitude n’a pas été démentie, et bien que les dépenses publiques aient été, comme nous le verrons bientôt, plus considérables que ne l’indiquent les chiffres déjà cités, on ne peut s’empêcher de reconnaître que sous le rapport financier le Piémont avait tout à envier à la Toscane : on conçoit ainsi les regrets que la perte de l’autonomie inspire à quelques esprits ; on approuve la mesure prise par le gouvernement du roi Victor-Emmanuel d’avoir conservé à l’ancien grand-duché une sorte d’existence séparée.
L’administration du duché de Parme témoignait au même degré de la sagesse de l’autorité souveraine. Sous la duchesse-régente, les finances étaient singulièrement prospères. Le duché de Parme contient 112 milles carrés géographiques, et renferme 500,000 habitans. En 1857, les recettes s’élevaient à 9,553,000 fr., et les dépenses à 9,379,000. En 1858, on avait obtenu encore un léger excédant, maintenu également pour 1859. La dette publique s’élevait à 10 millions 1/2 ; mais l’état possédait pour plus de 20 millions de propriétés. L’amortissement, dont la dotation fut en 1858 augmentée de 50,000 fr. pris sur la dotation royale, assurait le remboursement régulier de ces obligations, contractées le plus souvent pour des améliorations réelles. On peut citer, entre autres, la création de l’académie des beaux-arts et la réorganisation de l’université à Parme, l’installation d’une école supérieure à Plaisance, et d’écoles inférieures dans toutes les communes. En outre, l’établissement d’un bureau de statistique sur de grandes proportions, la multiplication des filatures, les encouragemens donnés à l’industrie de la soie, attestaient la sollicitude du gouvernement pour les besoins matériels des populations. Une institution toute particulière au duché de Parme, et dont l’origine est récente, a caractérisé merveilleusement les dispositions du pouvoir. Les sociétés d’assurances ont toutes été abolies, et on leur a substitué une association obligatoire et mutuelle de tous les propriétaires, gérée gratuitement par six juntes administratives qui chaque année ont rendu un compte public de l’association. Enfin, à Parme comme en Toscane, l’armée, si l’on peut donner ce nom à des forces militaires destinées à maintenir exclusivement la sécurité intérieure, l’armée comptait 1 soldat sur 100 habitans[3]. Pour suivre la même proportion, l’armée française, sur 36 millions d’habitans, ne devrait pas s’élever à plus de 360,000 hommes.
Reste à examiner la situation financière du duché de Modène et des Romagnes avant leur annexion au Piémont. Sur une étendue un peu inférieure à celle du duché de Parme (109 milles géographiques), Modène renferme une population un peu plus élevée (604,500 habitans). Les recettes et les dépenses y atteignaient un chiffre à peu prés semblable. Le dernier budget de recettes connu se montait à 8 millions 1 /2 contre 8,700,000 fr. de dépenses. Le marquis Pepoli, dans le remarquable travail qu’il vient de publier sur les ressources financières de l’Emilie, évalue, pour 1859, les recettes à 10,800,000 fr. et les dépenses à 10,900,000 fr. ; mais, contrairement à ce qui existait dans le duché de Parme, l’état vraiment impraticable dans lequel le dernier gouvernement avait laissé toutes les routes montre qu’il était peu soucieux d’augmenter les dépenses utiles, et d’autre part ce fait que tout citoyen, riche ou pauvre, payait 72 francs d’impôt personnel, prouve que l’autorité souveraine cherchait à se procurer de grandes ressources fiscales employées à de tout autres besoins que ceux du pays. On conçoit qu’à ce prix les caisses publiques aient pu être suffisamment garnies lors du départ du duc François. Le duc de Modène ne se contenta pas d’emporter les meubles, la vaisselle d’or et d’argent, les pierreries, les médailles des musées, les manuscrits des bibliothèques : il retira 690,000 fr. de la caisse publique de Modène et 800,000 de celle de Reggio.
Quant aux Romagnes, il serait peut-être difficile de retrouver le total exact des dépenses, spécialement applicables aux Légations avant leur séparation des états de l’église ; mais, pour avoir une idée exacte des recettes qui leur étaient propres sur l’ensemble du budget pontifical, il n’y a qu’à consulter les comptes exactement rendus par M. le marquis Pepoli, ministre des finances du gouvernement provisoire des Romagnes. À chaque trimestre, le ministre a publié une note des dépenses faites et des revenus perçus. À la cessation de ses fonctions, il a adressé au ministre des finances piémontais un bilan complet de l’exercice précédent. Or, comme l’assiette et la répartition des impositions ont été provisoirement maintenues, il est permis de supposer que le revenu ordinaire des Romagnes s’élevait avant l’annexion au chiffre indiqué postérieurement par M. le marquis Pepoli. Le revenu pour 1859 était de près de 25 millions de francs.
En rapprochant ces différens chiffres des ressources propres aux provinces qui forment aujourd’hui le royaume de la Haute-Italie, et en comparant aux recettes l’étendue territoriale et la population, on trouve à dresser pour l’année 1859 le tableau suivant :
Milles carrés géographiques | Population | Ressources ordinaires | Observations | |
---|---|---|---|---|
Piémont | 1,372 | 5,195,000 hab. | 170,000,000 f. | À déduire la Savoie et Nice |
Lombardie | 390 | 2,700,000 | 80,000,000 | À déduire la province de Mantoue |
Toscane | 402 | 1,800,000 | 33,000,000 | |
Parme | 112 | 599,000 | 11,500,000 | |
Modène | 109 | 604,000 | 11,000,000 | |
Romagnes | 291 | 1,000,000 | 25,000,000 | |
2,676 | 11,898,000 | 346,500,000 |
Ces chiffres ont été modifiés, quant à l’étendue territoriale et à la population, par le traité de Villafranca et celui qui a cédé la Savoie et Nice à la France. Le chiffre des recettes a lui-même été singulièrement accru, comme nous allons le voir, dès la première année de la réunion de toutes ces provinces.
À première vue, ce qui frappe dans le rapprochement des élémens qui composent le tableau précédent, c’est l’étendue des charges qui pèsent sur les populations du Piémont proprement dit. Quelle que soit en définitive la constitution intérieure du royaume, il est évident que les nouvelles provinces ne peuvent songer à laisser dorénavant le Piémont supporter la plus forte part des sacrifices que l’avenir réclamera sans doute. Ce point devait être mis en lumière, car l’union entre les états nouvellement agglomérés ne se maintiendra que par la connaissance exacte que chacun d’eux possédera des ressources mutuelles et des efforts nécessaires pour accomplir l’œuvre commune.
Dans le projet de budget de 1860, les recettes et dépenses ne se rapportaient qu’à l’ancien royaume de Piémont et à la Lombardie, nouvellement acquise. D’autres provinces, dont on a énuméré les ressources et les charges, sont venues, dans les premiers mois de 1860, se ranger sous l’autorité du roi Victor-Emmanuel, et dès lors l’économie du budget a été singulièrement modifiée. Il faut donc constater d’abord les changemens que l’annexion de la Toscane et de l’Emilie apporte au budget de 1860, promulgué le 20 novembre 1859, en vertu des pleins pouvoirs accordés au roi, et exposer ensuite l’ensemble des revenus et des dépenses de toutes ces provinces pour la première année d’existence du nouveau royaume italien » c’est-à-dire pour l’exercice 1861.
Un instant suspendu au commencement de cette année, le jeu régulier des institutions constitutionnelles a été rétabli ; mais dans la première moitié d’une laborieuse session, le ministère n’a pu soumettre aux députés les budgets de recettes et dépenses pour l’exercice prochain. Ce ne sera qu’à la rentrée des chambres, c’est-à-dire vers les derniers mois de l’année, qu’il s’acquittera de cet impérieux devoir. On peut cependant évaluer approximativement les modifications introduites dans le budget de 1860 et les charges que l’année 1861 aura à supporter. Cette appréciation est rendue plus facile par la présentation, la discussion et l’approbation d’un nouvel emprunt, récemment voté par le parlement de Turin, et par la publication des budgets partiels de la Toscane et de l’Emilie pour l’exercice courant.
Le 30 juin 1860, le ministre des finances, dans l’exposé des motifs du projet de loi pour un emprunt de 150 millions de francs, rappelait que le déficit prévu pour l’année 1860 s’élevait à environ 40 millions de francs, mais que, par suite de l’annexion de la Toscane et de l’Emilie, de nouvelles dépenses nécessaires avaient amené l’ouverture de crédits extraordinaires pour environ 33 millions, dont 23 au compte des ministères de la guerre et de la marine. À ces sommes, il faudrait ajouter pour la Toscane et l’Emilie spécialement une dépense de plus de 4 millions, ce qui porterait en définitive à près de 78 millions le déficit de l’année 1860. Pour le couvrir, il restait sur l’emprunt de 100 millions, voté en 1859, une somme disponible d’environ 55 millions 1/2, et sur l’excédant des ressources de la Toscane et de l’Emilie en 1859, un reliquat de près de 12 millions, ce qui réduirait le déficit de 1860 à environ 10 millions ; mais il faut remarquer que dans les ressources des exercices précédens figuraient des biens du domaine non encore vendus, le produit d’emprunts locaux dont on ne renouvellerait pas l’émission, et que, nonobstant la privation de ces recettes extraordinaires, des dépenses imprévues n’en seraient pas moins urgentes. Ainsi, sur le budget du ministère de la guerre, s’élevant à 170 millions, 65 millions étaient compris dans la catégorie des dépenses extraordinaires. On devait donc prévoir pour l’exercice prochain un nouveau déficit dans les recettes d’au moins 31 millions. En face du déficit de 1860, évalué à 77 millions et couvert jusqu’à concurrence de 67, mais seulement en apparence, puisque les ressources extraordinaires de la vente des domaines n’étaient pas réalisées, en face des dépenses extraordinaires de l’armée et du déficit certain de 1861, le ministère demandait au parlement l’autorisation d’émettre un nouvel emprunt de 150 millions. Seulement il ne s’agissait point d’augmenter dès à présent le montant de la dette publique, mais de pouvoir disposer de la quote-part de cette dette, qui ferait l’objet d’une revendication à exercer par suite de la cession de la Savoie et de Nice, dont la part dans l’ancienne dette piémontaise restait à déterminer et à recouvrer. Au lieu d’anéantir les titres de la dette que la France rembourserait, le ministre demandait à les aliéner en tout ou partie, et à les compléter par d’autres, jusqu’à concurrence de 150 millions.
M. Galeotti, rapporteur de la commission chargée d’examiner le projet ministériel, présenta des chiffres plus complets sur la situation financière et les résultats probables de l’exercice 1860. Il évalua l’ensemble des recettes ordinaires de tout le royaume à 338 millions, et des recettes extraordinaires à 32. Les dépenses ordinaires devaient se monter à 373 millions, et les dépenses extraordinaires à 99, déficit total : 102. En ajoutant à ce chiffre celui du déficit de l’année 1859, on se trouvait en face d’un arriéré de 188 millions, qu’on avait pu couvrir, à 5 millions près, par les emprunts piémontais de 50 et de 100 millions, émis en janvier et octobre 1859, et les emprunts particuliers de la Toscane, de Parme, de Modène et des Romagnes. À ces 5 millions de déficit, il fallait ajouter tout ce qui n’était pas encore réalisé dans les ressources indiquées et toutes les dépenses nouvellement autorisées, c’est-à-dire, d’une part, 15 millions des biens de l’Emilie non vendus et 9 millions 1/2 de titres toscans-non réalisés, d’autre part Il millions remboursables à la société du chemin Victor-Emmanuel, enfin 15 millions demandés pour le ministère de la guerre. L’exercice 1860 se présentait donc avec un minimum de 52 millions. Ce résultat inévitable justifiait-il un emprunt de 150 millions ? Assurément non ; mais le rapporteur reconnaissait que le gouvernement n’avait pas eu le temps de rassembler les élémens d’un budget général et régulier, et il proposait à la chambre d’émettre un vote de confiance, ce qu’elle fit en couvrant d’applaudissemens significatifs les dernières paroles du ministre des finances, M. Vegezzi : « Si, après avoir pourvu aux dépenses de 1861, il reste encore à disposer de quelques millions sur le nouvel emprunt, ces millions seront affectés à ce qui tient tant au cœur des représentans de la nation. »
Tandis que ni le ministre des finances ni le rapporteur de la commission n’avaient donné de détails précis sur les élémens du déficit qu’il s’agissait de couvrir avec cet emprunt, le ministre des finances de la Toscane, maintenue dans un état de séparation provisoire, et M. le marquis Pepoli pour les provinces de l’Emilie, dont il avait géré habilement les ressources avant l’annexion, publiaient sur le budget de 1860 des rapports intéressans à beaucoup de titres. Il ressort du rapport de M. Busacca, ministre des finances de la Toscane, que les recettes de 1860 s’élèveront à 81 millions 1/2, les dépenses à plus de 80. Les revenus ordinaires ne figurent au budget que pour 41 millions, et les dépenses ordinaires pour 56. L’armée nécessitera une allocation de 23 millions, dont 8 pour les dépenses extraordinaires. Dans le budget du ministère, des finances, une somme de 12 millions est intitulée dette extraordinaire, et n’est en réalité qu’une dette flottante. La dette publique ancienne s’élève à un peu plus de 7 millions. Ces chiffres constituent sur l’année 1859 une augmentation brute de 48 millions dans les recettes et de 47 millions dans les dépenses. Il est vrai que le ministre des finances accuse à juste titre le budget grand-ducal d’inexactitudes et d’omissions. Ainsi les dépenses et les recettes extraordinaires n’y figuraient point. Quand il fallait, à l’aide d’opérations de crédit, faire face à un découvert, il n’en était point question dans les comptes. Pour rétablir dans son état normal la balance de 1859, il aurait fallu ajouter une somme de près de 15 millions aux 33 millions 1/2 de dépenses indiquées, et la différence se réduirait à 32, ou même à 8, si l’on considère le chiffre de 24 millions des dépenses extraordinaires de 1861 comme essentiellement temporaire. En retranchant même 8 millions des dépenses ordinaires de l’armée, qui ont doublé en un an, le budget des dépenses ordinaires de la Toscane serait resté le même sous les deux régimes : 48 millions en 1859 et 56 millions en 1860. Néanmoins, comme les recettes ordinaires ne figurent dans la balance de M. Busacca que pour 41 millions, en admettant qu’il n’y eût sur les exercices suivans à pourvoir à aucune dépense extraordinaire, il en résulterait un déficit régulier, pour ainsi dire de 15 millions, soit de 40 pour 100 sur le budget ordinaire. Malgré la ressource des 35 millions de propriétés domaniales de la Toscane, c’est là une situation qui donne matière à de graves réflexions.
M. le marquis Pepoli, dans le bilan de 1860 pour l’Emilie, porte les ressources à 47 millions, et les dépenses, moins celles du ministère de la guerre, à 31. Cet excédant de 16 millions lui paraît suffisant pour couvrir les dépenses de l’armée en temps ordinaire. En comparant par exemple, pour l’année 1859, les sommes attribuées dans les anciennes provinces du Piémont aux dépenses de l’armée avec celles que l’Emilie aurait eu à supporter eu égard au nombre de ses habitans, 13 millions suffiraient pour sa part dans le budget ordinaire du ministère de la guerre. En 1860, cette proportion a dû être notablement dépassée ; les emprunts nationaux y ont pourvu pour un chiffre, qui n’est pas indiqué, et que la comparaison de la dette ancienne avec la dette nouvelle pourrait faire pressentir. Avant l’annexion, la dette parmesane s’élevait à 10 millions 1/2, la dette modenaise à 11 ; la dette romagnole proprement dite ne devait pas surpasser, suivant l’appréciation de M. le marquis Pepoli, 16 millions 1/2 : soit ensemble 38 millions. Aujourd’hui la dette totale de l’Emilie monte au chiffre de 61,722,033 francs. C’est une augmentation considérable. Quant à l’ensemble des dépenses ordinaires, en admettant pour type régulier le chiffre de 46 millions, donné par M. Pepoli, il ne dépasse pas le total que nous avons constaté en récapitulant les dépenses de Parme, de Modène et des Romagnes avant l’annexion.
Le vote du dernier emprunt et ces deux exposés partiels de la situation financière de 1860 démontrent donc qu’il y aura en 1861 un nouveau déficit, les mêmes circonstances étant données. Quel sera-t-il ? Le ministre des finances l’ignore lui-même. « La nécessité seule, disait-il, pourra en fixer le chiffre. » Quant au chiffre des recettes, de celles du moins qui reposent sur une base certaine, il n’est pas inutile de s’y arrêter, non-seulement parce que l’on peut déterminer s’il ne serait pas facile de les accroître pour satisfaire aux besoins publics urgens, mais encore parce que cela permettra de reconnaître si ces charges affectent également les diverses parties du nouveau royaume, et quel mode d’administration financière il convient de leur appliquer.
Les recettes ordinaires avec le dixième de guerre, d’après les documens officiels, montent pour 1860 en Piémont à 163 millions, en Lombardie à 86, en Toscane à 56, dans l’Emilie à 47, total 352 millions, chiffre supérieur de 14 millions au chiffre indiqué par le rapporteur de la commission de l’emprunt, qui évalue les recettes ordinaires du royaume entier à la somme de 338 millions. Prenons le total de 352 millions comme exact, sera-t-il possible de l’accroître au point de couvrir le déficit ? Nous avons déjà fait ressortir l’énormité des charges du Piémont proprement dit. La Lombardie supporte encore la surtaxe de 33 pour 100 imposée à la propriété foncière par le gouvernement autrichien. Il est impossible de songer à la frapper davantage. Ici donc et tout d’abord, soit qu’il faille pourvoir à de nouvelles charges en vue de complications extérieures, soit que l’on doive organiser à l’intérieur et fortifier les institutions du royaume-uni, ici se présente la grave question du régime administratif à y introduire et du système des impôts, question d’où dépend, à vrai dire, la solution d’un problème encore plus vaste, celui de l’unité de la péninsule tout entière.
Dans quelques pages récemment publiées[4], un des hommes les plus éclairés de la péninsule, M. G. Matteucci, se prononçait hautement pour une large décentralisation administrative. « On ne doit pas oublier, disait-il, que, dans un pays comme l’Italie, où tant d’intérêts sont à ménager, le vrai problème à résoudre est de concilier les droits supérieurs de la nation avec le développement libre des populations, de goûts, de mœurs, d’esprits divers, qui composent la péninsule. Là est la force, là est l’avenir. » Toutefois, par rapport à l’administration financière, sans entrer dans aucun détail d’organisation, M. Matteucci se bornait à dire que la décentralisation pouvait rendre plus facile et plus économique la perception des impôts. Diminuer les frais de cette perception ou la rendre moins vexatoire, c’est assurément un grand bien pour les contribuables, mais ce n’est pas le plus grand. Une question plus grave réside dans l’assiette de l’impôt elle-même : comment imposer des charges égales à toutes les parties du royaume ? comment faire supporter à celles qui, sous un régime précédent, étaient le mieux traitées, la surtaxe dont l’équité commanderait de les frapper pour soulager celles qui étaient accablées d’un plus lourd fardeau ? comment éviter par conséquent de tomber dans l’écueil de rendre le nouveau régime impopulaire auprès des uns et d’exciter des comparaisons nuisibles pour la paix intérieure ? Ce sont là des matières délicates à traiter et des discussions dangereuses à soulever.
Déjà, dans la chambre des députés de Turin, le marquis Pepoli a demandé le 15 juin qu’un dégrèvement de taxes fût accordé à la Lombardie ; il a interpellé le ministre des finances pour savoir s’il se proposait de conserver dans le bilan de 1861 la surtaxe de 33 pour 100 imposée par l’Autriche à la propriété foncière. Les calculs présentés par lui ne manquaient assurément pas de gravité : ainsi, en comparant ce que la propriété acquitte pour l’impôt dans la province de Novare, la plus voisine du Milanais, avec l’impôt lombard, on trouve que les résultats sont de 15,274 pour Novare et de 22 pour la Lombardie. Qu’on abolisse la surtaxe de 33 pour 100, il en résultera sans doute une perte de 7 millions pour le trésor ; mais ce déficit n’a pas d’importance au moment où l’état fait un nouvel emprunt de 150 millions, dont l’emploi n’est pas encore déterminé. Le ministre des finances répondit qu’aussitôt après l’annexion une commission avait été chargée d’examiner toutes les questions d’impôt, qu’elle aurait voulu arriver à une péréquation exacte entre la valeur des propriétés dans les nouvelles et les anciennes provinces, afin de rendre les charges proportionnelles, mais que cette péréquation exigeait avant tout un cadastre uniforme, et que c’était une opération bien longue. La commission avait remarqué en particulier, pour ce qui concerne cette surtaxe de 33 pour 100 sur la propriété foncière, qu’on ne pouvait, vu l’état des affaires, diminuer le poids d’un côté sans le reporter sur un autre, et que si les charges de la propriété étaient très lourdes en Lombardie, il n’en était pas de même de celles qui frappent les arts, le commerce, ni des taxes mobilières et personnelles. Le ministre ajoutait que, depuis lors, d’autres provinces étaient venues s’adjoindre au nouveau royaume, et qu’avant de proposer pour la Lombardie la diminution d’un impôt, il était nécessaire d’examiner ce que pouvaient supporter les autres provinces récemment annexées. En tout cas, pour décharger la propriété lombarde, trop grevée par rapport aux anciennes provinces, l’équité exigerait qu’on accrût les autres impositions qui frappent la Lombardie moins fortement que les anciennes provinces elles-mêmes.
La proposition du marquis Pepoli était assurément conçue dans une pensée politique louable, et destinée à réparer un des maux les plus cuisans de la domination autrichienne. L’honorable député indiquait aussi le moyen le plus pratique d’opérer entre d’anciennes et de nouvelles provinces une péréquation désirable à tous égards. Depuis longtemps il est en effet reconnu que cette péréquation ne peut s’opérer que par voie de dégrèvement des plus imposés, non par surtaxe des moins imposés ; l’abolition de la surcharge de 33 pour 100 constituerait un véritable dégrèvement. Malheureusement la nécessité préalable de comparer entre elles les taxes de même nature, puis les impositions de tout genre dans les anciennes et les nouvelles provinces, cette nécessité soulève des difficultés que le ministre des finances du Piémont a eu de son côté raison de faire ressortir. En ce qui touche l’impôt foncier, la base par excellence du revenu public, les disparates sont choquantes entre les diverses parties du nouveau royaume italien. En Piémont, l’impôt foncier s’élève à 24 millions ; dans la Lombardie, moitié moins peuplée, à 81 ; la Toscane, avec un territoire plus étendu que la Lombardie, ne paie que 5,292,000 francs d’impôt foncier. Dans les trois provinces de l’Emilie, la contribution foncière a donné, en 1859,10 millions, dont 5 pour les Romagnes, près de 3 pour Parme et 2 1/2 pour le duché de Modène. Il faut se reporter au chiffre total des impôts dont nous avons présenté le tableau comparatif pour retrouver une sorte d’équilibre entre les quatre grandes fractions de la monarchie italienne ; on reconnaît par exemple que les plus frappées par rapport à une nature d’impôt le sont moins par rapport à une autre. Ainsi l’impôt personnel et mobilier ne rend en Lombardie que 2 millions, en Piémont 4, en Toscane 1 ; il n’existe pas dans les Romagnes, et pour Parme il s’élève à la somme insignifiante de 120,000 francs.
On pourrait poursuivre bien loin cette étude sur l’assiette et le produit des impositions diverses qui composent le revenu des états annexés ; il nous a suffi de citer les faits les plus importans, ceux d’où ressort une conclusion irrésistible. Il est évident que l’expédient provisoire des budgets particuliers, né d’une nécessité momentanée, doit devenir le régime définitif de l’administration financière dans le royaume de la Haute-Italie. Qu’on laisse, si on le veut, les budgets des ministères de la guerre, de la marine et des affaires étrangères en dehors, que les chambres législatives en règlent les dépenses, mais que dans chacune des anciennes divisions territoriales une assemblée de province détermine la nature des impositions d’après d’anciens et respectables usages ; qu’elle accroisse elle-même les unes pour dégrever celles qui sont trop frappées. Elle aura toute qualité pour proposer de semblables modifications à la sanction définitive du parlement ou du gouvernement royal. Les assemblées provinciales seront plus compétentes que le parlement lui-même pour, reconnaître, les taxes susceptibles d’être substituées aux taxes excessives, les modifications à introduire, les ménagemens à concéder. Elles se conformeront aux habitudes, aux tendances, aux préjugés locaux ; leur action sera-plus efficace et moins suspecte. L’assemblée provinciale lombarde, par exemple, pourra augmenter la contribution des patentes, introduire le droit d’enregistrement et d’hypothèque, pour dégrever la contribution foncière ou la taxe de consommation dans les campagnes. En Toscane, sans demander aux revenus indirects d’autre augmentation que celle qui résulte du progrès des richesses, on n’excitera aucun mécontentement populaire en frappant de quelques centimes additionnels la propriété foncière tant ménagée. De telles indications suffisent amplement pour justifier, par rapport à l’assiette de l’impôt, le mode d’organisation intérieure que l’on conseille de toutes parts au gouvernement du roi Victor-Emmanuel d’introduire dans le nouveau royaume. On n’a pu jusqu’ici entreprendre l’œuvre d’une législation uniforme et soumettre à un même régime perfectionné les provinces nouvellement agrégées ; mais si cette unification, si cette assimilation complète doit se produire un jour, pour se faire accepter, pour porter des fruits durables, il. faut qu’elle soit le résultat de modifications successives admises par le vœu libre des provinces. Ce qui, de la part d’un gouvernement trop centralisé, paraîtrait violence et tyrannie, sera compris comme nécessaire ou juste, si des autorités provinciales, librement nommées, représentans naturels des intérêts locaux, l’ont proposé et voulu.
Qu’on nous permette de démontrer l’utilité du régime de décentralisation administrative en Italie par l’exemple de ce qui se passe en Autriche. Le nom de l’Autriche s’offre à l’esprit de quiconque pense aux destinées présentes et futures de l’Italie. Quoique nous nous soyons abstenu jusqu’ici de toute prévision de faits politiques, le parallèle financier de l’Autriche avec le nouveau royaume italien offre des rapprochemens auxquels on ne peut se soustraire, et qu’il faut présenter au gouvernement piémontais lui-même.
Depuis que nous avons énuméré les embarras intérieurs et les charges financières de l’Autriche, ni les uns ni les autres n’ont diminué. Le chiffre de la dette, le déficit annuel des budgets, la permanence du papier-monnaie, le cours des fonds publics, sur lequel se mesure le crédit de l’état, enfin le poids des taxes de toute nature, tels étaient les points divers dont l’examen successif avait permis de déterminer au juste la situation financière de l’empire. Or la dette s’est encore accrue du malencontreux emprunt de 200 millions de florins, émis en mars 1860, repoussé par tous les capitalistes étrangers, et couvert à peine pour moitié par des établissemens publics, souscripteurs de gré ou de force. La dette autrichienne consolidée, qui montait au {{1er janvier 1858 à 2 milliards 88 millions de florins, s’élève aujourd’hui à 2 milliards 122 millions, nonobstant l’extinction de 184 millions de florins qui appartenaient à l’amortissement, et qu’il fallait déduire du total de 1858. La commission nommée pour examiner tout ce qui a rapport à la dette publique s’est bornée à signaler le vice du système des émissions successives qui ont créé cent-une espèces d’obligations à seize taux d’intérêts différens. Elle a exprimé le vœu qu’on rétablît quelque unité dans ces titres divers ; le ministre des finances s’y est opposé, en alléguant qu’on ne pourrait le faire sans accroître la somme à payer pour des intérêts dont le montant annuel exige déjà 113 millions 1/2 de florins. Toute l’amélioration obtenue s’est bornée à un récent motu proprio de l’empereur, qui s’est engagé à ne pas contracter d’emprunt, à ne pas augmenter les impôts sans avoir demandé l’avis du Conseil de l’empire, sauf dans le cas de guerre ou de circonstances graves. Le déficit du budget, que, faute de renseignemens officiels, nous avions évalué, pour chacune des deux avant-dernières années, à 42 millions de florins, s’est élevé en 1858 à 87,700,000 florins, en 1859 à plus de 120 millions. En dix ans, le déficit s’élève à 1 milliard 63 millions de florins, malgré les ressources extraordinaires des emprunts et des aliénations de domaines de l’état. Ces chiffres sont ceux que la commission gouvernementale a donnés ; ils ont une cruelle éloquence. Dans le budget présenté pour 1861, le déficit prévu s’élève encore à 40 millions de florins ou 100 millions de francs ; mais ce n’est là qu’une prévision : pour réduire à 339 millions le budget des dépenses, il a fallu supposer une réduction de 38 millions 1/2 de florins sur le budget de la guerre. Or, avec les armemens que nécessite l’état de la Vénétie, les augmentations de la marine, les travaux pour les fortifications des places du quadrilatère, on se demande ce qui adviendra des intentions d’économie.
De même, pour obtenir un chiffre de 300 millions de florins de recette, il a fallu maintenir sur le budget les surtaxes de guerre dont nous avons déjà présenté le tableau. Quant au papier-monnaie, plus que jamais l’Autriche est condamnée à en subir le triste usage ; le cours du florin de papier, dont le taux nominal est de 2 fr. 50 cent., perd invariablement plus du cinquième de sa valeur, et le 5 pour 100 autrichien ne parvient pas à dépasser 70 francs. Dans ces derniers temps, on a encore reparlé d’emprunt, de remaniement du système des impôts. Si désirable que soit cette mesure, elle ne réussira pas sans un violent et libre effort des populations elles-mêmes. Malheureusement rien n’indique que le gouvernement impérial trouve de ce côté le secours indispensable. La désunion intérieure devient au contraire de plus en plus profonde, et les mécontentemens populaires ont pris une intensité qui doit inspirer de vives inquiétudes. Depuis quelques mois, les querelles religieuses se sont apaisées, grâce aux amples concessions faites par l’empereur François-Joseph ; mais l’opposition, de politique, est devenue nationale. Dans la Pologne autrichienne, dans la Bohême elle-même, des prétentions singulières se produisent, et de Prague, une députation a été envoyée à l’empereur pour demander le rétablissement de l’ancien idiome. Ce qui dans certaines provinces n’apparaît que comme un symptôme peu significatif se présente dans les états du sud et de l’ouest avec un tout autre caractère. La Hongrie ne réclame plus aujourd’hui l’autonomie antérieure à 1848, solennellement jurée par Ferdinand {{1er et tous ses successeurs jusqu’au prédécesseur immédiat de l’empereur François-Joseph ; elle ne revendique rien moins qu’une existence indépendante sanctionnée par la déchéance de la maison de Habsbourg-Lorraine. Elle aspire à cet affranchissement non-seulement pour elle, mais pour la Transylvanie, la Croatie, la Voïvodie ; elle appelle à une commune résurrection les nationalités roumaine, slave et serbe. Associées à une même entreprise, ces races diverses n’offriront plus à l’Autriche la ressource de les diviser pour les vaincre. Si la rivalité subsiste encore au fond de quelques localités éloignées, comme le prouve ce qui vient de se passer à Kikinda, en Hongrie, où la populace serbe a brûlé le drapeau hongrois, la toute récente et officielle démonstration qui accueillait l’entrée à Szabadka du nouveau gouverneur-général de la Voïvodie, le général Saint-Quentin, ne permet plus de douter du rétablissement de l’entente entre les nationalités diverses de la Hongrie. Le conseil municipal de Szabadka, la plus importante ville de la contrée, a remis au gouverneur une pétition dans laquelle on demande en termes formels le retour de la Voïvodie serbe à la nationalité hongroise, dont elle a été séparée en 1848, et le rétablissement de l’ancienne constitution, avec les réformes introduites en 1848 par la diète de Presbourg. La Croatie, la Transylvanie, ont donné des signes non équivoques d’un semblable accord. L’empire serait donc menacé d’une scission en deux parties assez fortes pour soutenir l’une contre l’autre une lutte prolongée. Déjà, et sur quelques points isolés, comme dans le comitat de Gomor, l’emploi de la force armée est devenu nécessaire. À Pesth, la tranquillité publique a été plus d’une fois troublée, et tout récemment encore des désordres éclataient, notamment dans les journées du 20 et du 23 juillet ; mais si le ressentiment national ne se produit pas encore par des signes sérieusement menaçans, il saisit toutes les occasions pacifiques de donner un libre cours à ses aspirations. Toutes les classes de la société ont repris le costume hongrois ; dans chaque circonstance, des rubans aux couleurs nationales sont arborés, des discours non équivoques prononcés, des acclamations enthousiastes répétées. Au théâtre de Pesth, dernièrement, des vivat frénétiques en l’honneur du roi Victor-Emmanuel et du général Garibaldi ont accompagné une distribution de rubans aux couleurs rouge, blanche et verte. Presque le même jour ; à l’occasion des funérailles du colonel hongrois Tuckery, mort de blessures reçues au siège de Païenne, on lisait dans une proclamation de Garibaldi : « L’Italie libre est solidaire et responsable de la liberté hongroise ; les Italiens le jurent sur la tombe de cet héroïque martyr, la cause hongroise sera la leur, et ils échangeront avec leurs frères sang pour sang. » L’Autriche saura-t-elle résister à ces ennemis du dedans et du dehors ? Nous ne voulons, pour le moment, tirer de ces faits qu’une double conclusion.
Le gouvernement impérial a soumis en 1848 à un régime de centralisation impopulaire la Hongrie et ses annexes : non-seulement il leur a imposé une unité politique nouvelle, mais une unité administrative complète, son système d’impôts et de perceptions de taxes, ses propres dettes et ses embarras financiers ; enfin il a privé la Hongrie de la liberté. À toutes ces causés réunies est dû le mécontentement hongrois ; mais après la perte de la liberté, l'union financière, si l’on peut ainsi parler, a fourni le plus puissant des griefs, a pesé du poids le plus lourd sur les masses populaires. À quoi d’ailleurs ont servi ces aggravations d’impôts, ces progrès de la dette commune ? À soutenir des armemens militaires exagérés, à faire prévaloir une politique extérieure impopulaire, à maintenir en Italie une domination contre laquelle on voit aujourd’hui la Hongrie elle-même se soulever.
Assurément nous pensions émettre un vœu conforme aux vrais. intérêts du gouvernement de l’empereur François-Joseph quand nous souhaitions qu’une réforme constitutionnelle sérieuse satisfît à la fois aux aspirations populaires et aux nécessités de la prépondérance extérieure de l’Autriche. Quelques réformes conçues dans un esprit plus libéral, notamment la réorganisation du conseil de l’empire, ont été tentées récemment : il importe qu’elles, se continuent et s’étendent dans le plus bref délai possible ; mais il y aurait aussi à exprimer un vœu plus ardent, plus stérile peut-être : il y aurait une seconde conséquence à tirer du parallèle établi entre l’état financier de l’Autriche et celui de l’Italie. Si la situation intolérable qui leur est faite précipitait le choc que des intérêts essentiels leur commanderaient d’éviter, on peut dès à présent apprécier la gravité des blessures qu’elles se porteront l’une à l’autre.
L’armée autrichienne n’a rien à redouter d’une rencontre avec les 200,000 hommes à peine exercés qui composent l’armée de l’Italie ; mais, tout obérées qu’elles soient, grâce au dévouement public, les finances italiennes peuvent supporter de nouvelles charges plus aisément que les finances de l’Autriche, sans monnaie, sans crédit ni au dedans ni au dehors. Enfin, dans le cas où non plus deux armées, mais deux nations seraient en présence, l’Autriche ne parviendrait peut-être plus à réunir dans un faisceau compact les races frémissantes qu’elle comprime. Ainsi donc, d’abord dans l’intérêt de l’Italie, que nous voudrions voir respirer sous un gouvernement libéral et fort, puis dans l’intérêt même de l’Autriche, — pour qu’elle cesse de se consumer en dépenses ruineuses, pour qu’elle puisse rendre à ses peuples la liberté et le bien-être, pour qu’en Hongrie la révolution recule devant de sérieuses réformes, — Dieu veuille que l’Italie entière recouvre son indépendance, et que l’empereur d’Autriche renoncé à être le souverain de Venise !
Mais sans prévoir ce que sera demain l’état qui s’appelait hier encore le Piémont, limitons à l’heure présente l’examen de la situation financière de la Haute-Italie. Des chiffres qui ont été posés, comme des faits qui ont été cités, on peut tirer d’utiles indications sur la conduite que doit tenir le gouvernement piémontais. Avec d’autres limites, sur une plus grande étendue territoriale, les conséquences en tout cas resteraient les mêmes. Déjà, en 1861, le budget des dépenses atteindra près de 500 millions ; le budget des recettes ne s’élèvera pas à 400. Pour une population de dix millions et demi d’habitans, pour un état nouvellement né, c’est presque la proportion du budget de dépenses de la France. Un déficit de près d’un cinquième dans les recettes constitue en outre la* plus grave de toutes les situations. Précisément parce que le temps a manqué pour remanier le système général des impôts, et afin de ne pas augmenter dans chacune des provinces annexées les taxes antérieures, le gouvernement a recours à une mesure qui frappe tout le monde, c’est-à-dire à l’emprunt ; mais bien que les souscriptions nationales s’élèvent au triple des sommes émises, malgré le taux favorable de l’adjudication du dernier emprunt de 150 millions, que le ministre des finances n’a pas hésité à porter à 80 fr. 50 cent., l’emprunt n’est pas une ressource dont on puisse user annuellement. Il a été jusqu’ici d’une bonne politique de séparer les dépenses de la guerre de toutes les autres, et non-seulement d’en laisser la plus grande part au budget des dépenses extraordinaires, mais même, comme cela s’est pratiqué pour la Lombardie et l’Emilie, de ne rien comprendre des dépenses de l’armée dans les budgets locaux. Ce qui s’est fait sous la pression de circonstances exceptionnelles peut devenir la loi générale, et aussi bien que les dépenses de la liste civile du roi, les dépenses de l’armée peuvent être considérées comme devant être soldées par une sorte de fonds commun fourni proportionnellement par toutes les provinces. Pour le moment, c’est l’emprunt qui pourvoit à tout, et l’emprunt contracté au nom du Piémont. Il en résulte même une anomalie singulière. Ainsi les titres de dettes locales, ceux de Parme et de Modène même, jouissent de plus de crédit et sont cotés plus haut que les titres de la dette piémontaise. Les sommes empruntées dans les trois derniers exercices se sont élevées de 1 à 3, de 50 à 150 millions. Une semblable progression ne peut être indéfinie, et un jour ou l’autre le Piémont, qui jusqu’ici s’endette pour son propre compte, devra demander aux provinces unies de prendre leur part non-seulement des obligations qui leur sont particulières, mais de celles qui auront été contractées pour la cause nationale.
À l’heure de cette liquidation et de cet apurement de comptes, difficiles pour les états comme pour les individus, que le gouvernement piémontais, digne jusqu’à présent de toutes les sympathies libérales dans ses efforts pour l’affranchissement de l’Italie, n’imite pas la mauvaise conduite qui a rendu le gouvernement autrichien si impopulaire, et qu’il adopte le système d’administration le plus propre à maintenir la paix intérieure ! Après être sortie à son honneur de la guerre étrangère, il ne faut pas que l’Italie joue de nouveau ses destinées dans la guerre civile.
BAILLEUX DE MARISY.