Le Budget de la France pour 1867 et la nouvelle Caisse d’amortissement

LE
BUDGET DE 1867
ET
LA NOUVELLE CAISSE D'AMORTISSEMENT

Avons-nous enfin un budget en équilibre ? Telle est la question qu’on se pose chaque année lors de la présentation du budget : on a été tant de fois déçu dans ses espérances, tant de fois on a vu des budgets présentés en équilibre, et qui se réglaient par des déficits considérables, qu’il est permis de garder une certaine défiance à l’endroit des prévisions budgétaires. « Tous les budgets sont présentés et votés avec un excédant de recettes, a dit M. Dupin, et tous se soldent en déficit. »

En voici un pourtant qui, selon toute apparence, n’ajoutera rien au déficit, c’est celui de 1865. M. le ministre des finances nous dit dans son dernier exposé de la situation financière[1] que le budget de 1865, loin d’avoir un déficit, présentera plutôt un excédant qu’il ne peut évaluer encore, mais qui sera plus considérable qu’on ne l’avait supposé d’abord ; nous n’avions pas eu une pareille bonne fortune depuis le budget de 1858. Quant au budget de 1866, sur lequel nous vivons, qui a été présenté et voté aussi avec un excédant de recettes, il est difficile de dire encore comment il se réglera. Déjà on nous demande pour 84 millions de crédits supplémentaires au budget rectificatif, et pour faire face à ces crédits, on est obligé d’escompter la plus-value des impôts pendant le cours de l’année, qu’on estime à 40 millions, d’y ajouter même jusqu’à concurrence de 24 millions les annulations de crédit qu’on prévoit pour la fin de l’exercice. À ces conditions, l’équilibre serait maintenu ; mais, on doit le reconnaître, c’est un équilibre un peu problématique : pour qu’il se réalise, il faut d’abord que nous n’ayons pas ce dernier budget qu’on appelle le budget complémentaire, et qui vient presque toujours clore l’exercice par une demande de quelques millions. Il faut ensuite que tout ce qui a été porté comme recette soit exactement payé. Or il y a parmi les recettes extraordinaires du budget de 1866 une indemnité de 25 millions à payer par le Mexique, dont le recouvrement est des plus douteux. Jusqu’à ce jour, il est vrai, les annuités qui étaient dues ont été payées ; mais comment l’ont-elles été ? Au moyen des retenues qui ont été faites sur les emprunts contractés en France par le gouvernement du Mexique, et qui doivent être aujourd’hui à peu près absorbés. Peut-on espérer qu’à défaut d’emprunt l’empire du Mexique trouvera les 25 millions de l’annuité sur ses propres ressources, sur les produits de l’impôt, en dehors des charges exceptionnelles que lui causera pendant longtemps le soin de son établissement ? Cela est peu probable : il est probable au contraire que s’il tient à être fidèle à ses engagemens, il n’aura d’autres moyens de le faire que de recourir à de nouveaux emprunts ; mais le pourra-t-il toujours ? Rencontrera-t-il toujours des capitaux disposés à subir des risques proportionnels aux gros intérêts qu’on leur promet ? On a depuis quelque temps beaucoup abusé des emprunts à gros intérêts ; le public commence à s’en lasser et à s’apercevoir qu’on spécule un peu trop sur sa crédulité : il en a donné dernièrement la preuve en s’éloignant de quelques-uns de ces emprunts qui lui faisaient pourtant les plus magnifiques promesses. Il est donc douteux que l’empire du Mexique, s’il vient de nouveau, dès cette année, faire appel à nos capitaux sur son propre crédit, trouve un accueil favorable, et s’il ne le trouve pas, il est dans l’impossibilité à peu près absolue de payer l’annuité de 25 millions qui est portée au budget de 1866. Voilà une première cause de déficit.

En ce qui concerne le budget complémentaire, on peut-dire qu’à mesure que nous avançons dans la pratique du sénatus-consulte de 1861, nous arrivons à mieux établir les dépenses de cet ordre et à laisser moins de part à l’imprévu. Ainsi le budget rectificatif, qui était de 231 millions en 1862, de 221 en 1863, de 135 en 1864, n’a plus été que de 88 en 1865, et il est en 1866 de 84 millions. — On peut ajouter encore que, si depuis quelques années les dépenses ont dépassé de beaucoup les prévisions, la cause en est dans cette malheureuse expédition du Mexique, qui nous a toujours entraînés au-delà de ce que nous aurions voulu, mais que cette expédition touche à sa fin, et qu’il y a lieu d’espérer que de ce chef au moins on n’aura pas d’augmentation de dépenses sur les prévisions du budget rectificatif. Nous voulons le croire ; cependant il y a tant d’inconnu dans une expédition qui s’accomplit à deux mille lieues de nos côtes, qu’il est bien difficile de savoir d’une façon certaine, au commencement d’un exercice, ce qu’elle coûtera plus tard, et il nous paraît prudent de compter encore pour 1866 sur un budget complémentaire. Si faible qu’il soit, joint au non-paiement des 25 millions par le Mexique, il suffira pour déranger singulièrement l’équilibre prévu pour 1866. Avec quoi parera-t-on à ce dérangement ? On a escompté pour le budget rectificatif toutes les ressources que l’on pouvait avoir ; on a escompté la plus-value des impôts, les annulations de crédit » Il ne reste plus que l’imprévu d’un supplément de produit des impôts au-delà de ce que l’on a escompté, ou des annulations de crédit pour des sommes plus considérables que celles que l’on a supposées. La garantie est loin d’être suffisante, et il est fort à craindre que le budget de 1866, moins heureux que celui de 1865, n’ajoute quelque chose aux déficits antérieurs.

Quant au budget de 1867, il fait plus que de nous promettre l’équilibre : il nous annonce un certain excédant qu’on pourra consacrer à l’amortissement, à cet amortissement supprimé depuis 1858, qui n’a fonctionné qu’un moment en 1859 et 1860, et qu’on voudrait rétablir à partir de 1867 comme une institution désormais régulière et permanente, aux besoins de laquelle il faudra pourvoir comme aux autres nécessités du budget.

Voyons sur quelles bases reposent ces espérances. M. le ministre des finances a fait cette année un grand effort ; il a obligé ses collègues les plus dépensiers, ceux de la guerre et de la marine, à se réduire, à faire des économies, et il a donné lui-même l’exemple dans son propre ministère. Le total de ces économies s’élèvera pour 1867 à 25 millions 1/2 ; il s’élèverait à 30 sans des supplémens de crédits qu’on accorde au ministère sur lequel il n’y a pas de réduction à faire, celui de l’instruction publique. Dans ces économies, la guerre contribue pour 14 millions, la marine pour 7, et le ministère des finances pour 6 ; le reste est retranché du ministère des travaux publics et de celui de la maison de l’empereur. On aurait peut-être pu faire mieux et ne pas s’arrêter en chemin dans la mesure qui a modifié la fonction des receveurs-généraux : on aurait pu la supprimer tout à fait et trouver là encore une nouvelle économie de 3 à 4 millions ; mais le gouvernement, pour une raison ou pour une autre, n’a pas cru devoir aller jusque-là cette fois. On aime cependant à croire que la mesure n’est qu’ajournée, et qu’elle viendra bientôt à la décharge de l’un de nos prochains budgets.

Nous ayons donc 25 millions d’économie sur le budget de 1867. Jusqu’à ce jour, depuis le rétablissement de l’empire, tous les budgets en prévision ont été en augmentation les uns sur les autres, ; sans parler des charges supplémentaires que sont venus y ajouter les budgets rectificatifs, — si bien qu’après être partis d’un budget réglé à 1,491 millions en 1852, nous sommes arrivés à un budget probable de 2 milliards 200 millions pour 1866. En voici un qui, pour la première fois depuis plusieurs années, n’est pas en augmentation sur les précédens et qui même est en diminution, après avoir fait très large la part des travaux extraordinaires. Afin de rendre la comparaison plus exacte entre le budget de 1867 et le précédent, nous allons rétablir au budget de 1867 les dépenses que des dispositions nouvelles proposent d’en retrancher, et nous allons les résumer d’ensemble sans tenir compte des budgets séparés. Voici les chiffres des deux budgets :

Budget de 1866 adopté par la commission du corps législatif (chiffres ronds).


Dépenses ordinaires 1,700,000,000 fr.
Dépenses départementales et communales 236,000,000
Budget extraordinaire 150,000,000
Total 2,086,000,000 fr.

Projet de budget pour 1867.


Dépenses ordinaires 1,524,000,000 fr.
Dépenses départementales et communales 245,000,000
Budget extraordinaire 133,000,000
Dotation de l’amortissement supprimée par le budget de 1867. 122,000,000
Dépenses mises a la charge de la nouvelle caisse d’amortissement et qui, au budget de 1866, figuraient tant au budget ordinaire qu’au budget extraordinaire 43,000,000
Total 2,067,000,000 fr.

Ainsi, en prévision, la diminution de dépenses pour 1867 sur 1866 serait d’environ 19 millions[2]. C’est assurément peu de chose sur un budget qui dépasse 2 milliards, et les contribuables n’en sentiront pas beaucoup le bénéfice ; mais c’est au moins un temps d’arrêt dans la progression des dépenses, et à ce titre il faut s’en, féliciter comme d’un succès.

Il y a cinq ans, après avoir signalé cette progression des dépenses, qui n’a fait que continuer depuis[3], nous en appelions aux économies et nous disions en désespoir de cause, à propos d’une situation déjà très tendue : « Veut-on la détendre, on n’a, si on ne peut mieux faire, qu’à s’arrêter à ce chiffre (2 milliards) déjà fort élevé, et bientôt, si la prospérité continue, nous pourrons aisément, grâce au développement des revenus indirects, supporter le budget de 2 milliards qui aujourd’hui dépasse nos forces. » Eh bien ! le gouvernement se décide enfin à suivre notre conseil. Il est vrai que la mise en pratique n’aura lieu qu’en 1867, tandis que nous la demandions dès 1862, et que depuis on a trouvé moyen d’ajouter encore une certaine quantité de millions à ce que l’on considère comme les dépenses nécessaires ; n’importe, nous ne nous plaindrons pas trop pour quelques années de retard. L’élasticité de la fortune publique est telle qu’en supposant qu’il y ait encore un écart plus ou moins considérable entre les dépenses vraies et les ressources vraies, cet écart ne tardera pas à être comblé par la plus-value naturelle des impôts, si l’on persiste résolument dans la voie des économies ; nous pouvons même espérer qu’à l’exemple de l’Angleterre on pourra diminuer les taxes et conserver encore les mêmes revenus.

Ceci néanmoins appartient trop à l’avenir ; voyons dans le présent comment est le budget de 1867, quelle chance il a de réaliser ce qu’il promet. Tout à l’heure, en comparant le budget de 1867 à celui de 1866, nous avons, pour rendre la comparaison plus exacte, inscrit la dotation de l’amortissement comme si elle devait encore figurer au budget de 1867 ; elle n’y figurera plus, si le projet qui est en ce moment soumis au corps législatif relativement à un nouveau système d’amortissement est adopté. Ce budget se trouve donc allégé du montant de cette dotation, qui serait aujourd’hui de 122 millions. En comprenant toutes les autres charges, tant ordinaires qu’extraordinaires et départementales, il s’élève en prévision à 1,946 millions ; les recettes pour le couvrir sont portées à 1,976 millions[4], laissant 30 millions d’excédant, dont 10 sont réservés pour assurer l’équilibre des budgets ordinaire et extraordinaire, et 20 sont affectés à l’amortissement en dehors des 6 millions à provenir de l’aliénation des forêts.

Si les choses se passent ainsi qu’on le prévoit, nous aurons donc non-seulement un équilibre, mais encore quelques ressources à consacrer à l’amortissement. Deux causes peuvent déranger cet équilibre (ce sont les mêmes qui ont déjà été indiquées pour le budget de 1866) : la première, si les revenus de l’impôt ne donnent pas ce qu’on suppose, ou si on a compté sur des ressources extraordinaires qui ne se réaliseront pas ; la deuxième, si les dépenses sont de beaucoup supérieures aux prévisions. Quant aux ressources à réaliser, il faut distinguer entre les ressources ordinaires et les ressources extraordinaires. Les ressources ordinaires, assises sur le produit des impôts, ont été calculées en prévision, comme cela doit se faire, sur les résultats acquis de l’exercice qui vient de finir, celui de 1865 ; elles sont donc parfaitement assurées, — il est même probable qu’il y aura une augmentation sensible qu’on pourra appliquer aux dépenses imprévues. Il n’en est pas de même en ce qui concerne les ressources extraordinaires. — Nous ne parlons pas des 16 millions 1/2 à recevoir de la Société algérienne ; bien que cette société ne soit pas encore constituée, il faut espérer qu’elle le sera d’ici à l’exercice 1867. D’ailleurs, si elle ne l’était pas, comme on a porté au budget extraordinaire de l’Algérie des dépenses qui sont subordonnées à la réalisation de cette ressource, les dépenses ne devraient pas se faire, si là ressource venait à manquer : il n’y a donc pas à s’en préoccuper pour le budget de 1867. Mais on compte toujours sur l’annuité de 25 millions à payer par le Mexique. Or si le paiement de cette annuité est douteux pour 1866, il l’est encore beaucoup plus pour 1867. A mesure qu’on s’éloigne de l’époque où ont été faits les emprunts, on s’éloigne par cela même des seuls moyens de paiement qu’a eus jusqu’à ce jour le Mexique, et on a d’autant moins de chance de recevoir ce qui pourra être dû dans l’avenir. Puis quelle sera l’année prochaine notre situation par rapport à l’expédition que nous entretenons à si grands frais dans ce pays ? l’expédition durera-t-elle encore ? Si elle dure, comme on n’a rien inscrit de ce chef au budget de 1867, il faudra y pourvoir par un budget rectificatif, ainsi qu’on le fait cette année (1866). Le budget rectificatif pour 1866, en ce qui concerne la guerre et la marine, est de 50 millions. Ne serait-il que de 40 et même de 30 millions l’année prochaine, ces 30 millions de dépenses extraordinaires, joints aux 25 de l’annuité non payée, nous constituent immédiatement en déficit de 55 millions sur les prévisions gouvernementales. Qu’aura-t-on pour y faire face ? On aura l’excédant prévu de 10 millions, la plus-value des impôts, qui pourra être d’au moins 40 millions, puisque, les prévisions ayant été calculées sur les produits de 1865, cette plus-value sera celle de deux exercices, et en moyenne elle est de 20 à 25 millions par an. On pourra y affecter encore les annulations, qui sont portées à 24 millions pour 1866. À ces conditions, on aura toujours un budget en équilibre, mais ce sera un équilibre péniblement obtenu, qui aura absorbé toutes les ressources possibles, et s’il se présente d’autres dépenses extraordinaires que celles que l’on prévoit, il n’y aura plus rien pour y répondre, elles formeront un découvert. Ce sont là, il est vrai, les plus mauvaises chances ; si nous supposons maintenant qu’elles ne se réalisent pas toutes, que nous ayons par exemple évacué le Mexique avant le commencement de l’année prochaine, et qu’il ne nous manque que le paiement de l’indemnité de 25 millions, alors la situation devient plus favorable. L’équilibre est assuré ; on a même un excédant assez beau dont on peut faire profiter l’amortissement, en dehors de ce qu’on lui affecté spécialement cette année[5]. Cette question de l’équilibre n’est donc pas la grosse affaire du budget de l’année 1867 : c’est à l’égard de l’amortissement qu’il introduit une innovation importante.

Il y a plusieurs systèmes au sujet de l’amortissement. Il y a celui de certains financiers qui par ce mot entendent le remboursement, l’extinction totale de la dette. C’est en effet le véritable sens du mot « amortir ; » qui dit « amortir » dit « éteindre une dette. » C’est dans cet esprit-là qu’après avoir affecté un fonds spécial à l’amortissement en 1816, on l’a grossi successivement des intérêts de la rente rachetée, de façon à éteindre complètement la dette dans un temps donné. C’est le système imaginé par le docteur Price à la fin du siècle dernier, et d’après lequel, moyennant une dotation de 1 pour 100 à chaque emprunt, la dette se trouve rachetée au bout de trente-six ans. On comprend ce qu’il a de séduisant ; aussi a-t-il été adopté par l’Angleterre, par la France et par toutes les nations qui ont songé à éteindre leur dette. C’est encore cette théorie qui, sur une échelle moindre, préside au rachat successif des valeurs Industrielles qui doivent disparaître dans un temps donné. Avec une dotation annuelle de 18 à 20 centimes pour 100 francs, on peut amortir en cent ans une obligation ou une action remboursable à 500 francs. Dans le second système, on ne conteste pas l’idée de l’extinction de la dette, qui peut être renfermée dans le mot d’amortissement ; mais on s’effraie des conséquences pratiques de cet amortissement. On trouve qu’il arrive un moment où, avec les intérêts composés, on peut avoir une telle somme à consacrer au rachat de la dette, que le rachat fait dans ces conditions lèse d’autres intérêts beaucoup plus essentiels, empêche la réduction des impôts ou l’exécution de certains travaux d’une grande utilité. Dans ce système, l’amortissement doit avoir pour objet non de rembourser la dette, mais de soutenir le crédit d’une façon assez efficace pour que, selon l’expression de M. Thiers dans son admirable discours de 1865 sur les finances, le créancier de l’état qui veut réaliser son titre trouve toujours à le faire à un taux convenable. C’est aussi l’intérêt de tout le monde, car le taux de la rente étant en quelque sorte le thermomètre du crédit public, il importe qu’il se tienne à des cours favorables.

Le troisième système est plus radical ; il considère comme arriérée cette méthode du rachat successif de la rente pour arriver à l’éteindre. Qu’est-ce qui importe en définitive ? C’est que l’état soit toujours en mesure de remplir ses engagemens, c’est-à-dire de payer les intérêts de sa dette. On ne lui prête pas comme à un particulier en vue d’un remboursement à échéance déterminée. On lui prête, sans échéance aucune, en titres de rentes perpétuelles, et il ne rembourse que s’il le juge utile à ses intérêts. Ce qui importe donc, c’est qu’il fasse de l’argent qu’on lui prête le meilleur usage possible, et s’il l’emploie à développer les travaux publics, à construire des chemins de fer, à creuser des canaux, à améliorer des routes, etc., il a plus fait pour le crédit que s’il avait racheté la rente, car il a augmenté la richesse publique, qui est le gage des créanciers de l’état. — Ce n’est pas l’importance de la dette qui amène l’affaiblissement du crédit, c’est le peu de développement des ressources pour y faire face ; l’Angleterre avec 18 milliards de dette a un crédit mieux établi que l’Autriche avec 8 milliards, que l’Italie avec 4 milliards 1/2, que nous-mêmes avec 11 ou 12 milliards ; son 3 pour 100 consolidé est à 87, tandis que le nôtre est au-dessous de 69, que le 5 pour 100 autrichien est à 60, et celui de l’Italie à 61. Dans ce système, le véritable amortissement, le seul efficace, c’est l’emploi en travaux utiles des ressources disponibles.

Enfin il y a non pas le quatrième système, mais la malheureuse situation de ceux qui voudraient bien amortir, qui croient à l’utilité de l’amortissement, sous une forme quelconque, mais qui n’ont pas de ressources à y affecter. Cette situation a été la nôtre depuis 1848, sauf un moment en 1859 et 1860. Depuis 1848, nous avons supprimé l’amortissement non par système, mais par nécessité, parce qu’il nous a semblé qu’il valait mieux se servir des ressources de l’amortissement pour équilibrer nos budgets tant bien que mal que de recourir à des aggravations de taxes qui eussent été fort préjudiciables à la richesse publique et fort impopulaires. — Aujourd’hui enfin, sans autre aggravation de taxe que celle qui a eu lieu en 1862, aggravation considérable, il est vrai, puisqu’elle n’a pas été moindre de 74 millions à la fois, mais à laquelle le pays commence, à s’habituer comme on s’habitue à tout, on nous offre la perspective d’un excédant de recettes pour 1867, et on songe à rétablir l’amortissement. — Sous quelle forme le rétablira-t-on ? — Sera-ce en revenant au système de 1816, modifié en 1833, et qui assure à l’amortissement une dotation aujourd’hui de 122 millions ? Sera-ce sous la forme anglaise, en consacrant purement et simplement à l’extinction de la dette, sans système aucun, nos excédans de recettes, ou bien sera-ce par un système nouveau qui affectera encore des ressources spéciales à l’amortissement ?

Avant de nous prononcer sur aucun de ces systèmes, il importe d’interroger les précédens et de savoir quels ont été chez nous les principes et les faits. Je ne veux pas remonter plus haut que 1816, ni parler de la caisse de M. de Calonne en 1784, qui fut détruite par la révolution, ni des systèmes qui furent essayés sous le consulat et l’empire. J’arrive tout de suite à la législation de 1816 et 1817, qui a établi en quelque sorte le principe de l’amortissement en proportionnant la dotation à l’importance de la dette. La loi de 1816 affecta d’abord 20 millions à l’amortissement, lesquels devaient être pris sur le revenu des postes, et, en cas d’insuffisance, sur les autres revenus publics. La loi de 1817 augmenta cette dotation et la porta à 40 millions en la prenant toujours sur certaines branches de revenu déterminées, telles que le produit net de l’enregistrement, du timbre et des domaines, des postes, etc., et en y ajoutant une dotation immobilière, celle des bois de l’état. Cette dotation de 40 millions représentait à peu près 1 pour 100 du total de la dette à cette époque. Malheureusement, comme on était obligé d’emprunter pour liquider les désastres des dernières guerres, on empruntait et on amortissait en même temps, ce qui ne contribuait pas à diminuer la dette. Bientôt pourtant, de 1819 à 1822, on eut des excédans de recettes, l’amortissement put fonctionner régulièrement, et sous l’influence des rachats qui eurent lieu avec ces excédans, le 5 pour 100, de 59 en 1816, s’éleva jusqu’au-dessus du pair en 1824, et cela malgré une émission de rentes considérable qui suivit les emprunts (environ 110 millions). On fut alors dans une situation toute nouvelle, que n’avaient pas prévue les lois de 1816 et 1817. Devait-on continuer à racheter la rente au-dessus du pair lorsqu’on pouvait la rembourser à ce taux ? On pensa qu’il valait mieux essayer de la réduire par voie de conversions, et M. de Villèle proposa d’abord la conversion obligatoire, qui échoua devant la résistance de la chambre des pairs, puis la conversion facultative, qui n’eut pas tout le succès qu’on attendait. On offrait aux porteurs du 5 pour 100 la faculté de convertir leurs titres en rentes 3 pour 100 à 75 francs, ou en 4 1/2 au pair, et on décidait que l’amortissement cesserait de fonctionner sur les fonds qui seraient au-dessus du pair. 31,700,000 francs de rentes sur 145,000,000 fr. qui existaient à cette époque en dehors de celles qui appartenaient à des établissemens publics, se convertirent en 25 millions 1/2 de rentes 3 pour 100 et procurèrent au trésor une économie annuelle d’un peu plus de 6 millions ; mais la même loi créait, pour les donner aux émigrés à titre d’indemnité, 30 millions de rentes nouvelles 3 pour 100, au capital de 1 milliard ; ce qui porta ce fonds à 55 millions de rentes annuelles. Il fut seul appelé à profiter de l’action de l’amortissement, et pour que celle-ci fût plus efficace, pour qu’elle neutralisât autant que possible les rentes qu’on avait été obligé de créer, on stipula que les rentes qui avaient été rachetées jusqu’à ce jour, et qui pouvaient être annulées en vertu de la loi de 1816, seraient conservées et consacrées ainsi que la dotation au rachat de la dette, qu’on annulerait seulement celles qui seraient rachetées dans l’intervalle de 1825 à 1830. Seize millions de rentes furent ainsi rachetés dans cet intervalle.

En 1830, après l’ébranlement causé par la révolution, le 5 pour 100 retomba au-dessous du pair. On put consacrer à le racheter une partie des ressources de l’amortissement ; mais comme on empruntait en même temps, la somme des rentes ne diminuait pas. Bientôt, le calme ayant été rétabli et la prospérité publique ayant repris son essor, le 5 pour 100 revint au-dessus du pair, et on se trouva encore une fois obligé de reporter sur le seul 3 pour 100 toutes les ressources de l’amortissement. Et comme ces ressources, en y comprenant les supplémens de dotation par suite des emprunts et les rentes rachetées, s’élevaient alors à 95 millions, on eut 95 millions à consacrer par an au rachat d’un fonds qui ne dépassait point 40 millions en rentes, 1,300 millions en capital nominal, et qui n’était pas le tiers de la dette publique, pendant que le seul fonds important de l’état, le 5 pour 100, qui était environ de 160 millions de rente, au capital de plus de 3 milliards, devait être privé du bénéfice de la réduction par voie de l’amortissement. Évidemment il y avait là quelque chose qui appelait une réforme. On fit la loi de 1833, qui répartit entre tous les fonds qui existaient, et proportionnellement au capital, les ressources de l’amortissement, tant celles qui provenaient de la dotation (44 millions 1/2) que celles qui résultaient des rentes rachetées (50 millions). On annula 32 millions de ces rentes, et la répartition entre tous les fonds se fit de la manière suivante :


Le 5 pour 100 reçut 45,000,000 fr.
Le 4 1/2 pour 100 417,000
Le 4 pour 100 1,160,000
Le 3 pour 100 16,423,000
Total 63,000,000 fr.

Mais la loi de 1833 ayant maintenu cette disposition de la loi de 1825, qu’on ne rachèterait pas les fonds au-dessus du pair, les 45 millions du 5 pour 100 restèrent sans emploi. On dut les mettre de côté jusqu’au jour où le 5 pour 100 retomberait au-dessous du pair. Ils constituèrent ce qu’on a désigné sous le nom de « réserves de l’amortissement ; » on les versa au trésor contre des bons à 3 pour 100, lesquels étaient échangés plus tard contre de nouvelles rentes qu’on pouvait supprimer ensuite par des lois spéciales. Après avoir chargé la dette flottante, les réserves de l’amortissement venaient ainsi augmenter fictivement le chapitre de la dette publique. Il fallait pourtant leur trouver un emploi ; on s’en servit pour les grands travaux d’utilité générale, pour subventionner ces chemins de fer qui ont exercé sur le développement de la richesse une si heureuse influence, et comme, sous le gouvernement du roi Louis-Philippe, le 5 pour 100 ne redescendit plus au-dessous du pair, l’amortissement ne fonctionna plus que sur le 3 pour 100 et sur le 4 pour 100, c’est-à-dire jusqu’à concurrence de 18 millions par an seulement. Après la révolution de 1848, on aurait pu encore rendre à leur destination les fonds de l’amortissement en ce qui concerne le 5 pour 100, car il était retombé au-dessous du pair ; mais on avait bien d’autres besoins à satisfaire, et loin de songer à rétablir l’amortissement conformément à la loi de 1833, on le supprima tout à fait. A partir de cette époque jusqu’à ce jour, il n’y eut plus d’amortissement sur aucun fonds, sauf jusqu’à concurrence de 54 millions en 1859 et 1860. Toutes les ressources qui en provenaient furent absorbées par les ressources ordinaires et extraordinaires du budget.

On voit par ces précédens que notre législation, en fait d’amortissement, a été loin d’être immuable, et que les principes, s’il y en a eu de consacrés, ont reçu de telles modifications suivant les époques et suivant les circonstances, que c’est comme s’ils n’existaient pas. La loi de 1816 avait eu beau placer de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative l’amortissement tel qu’elle l’établissait, on n’a pas tenu compte de ses prescriptions et on a agi à toutes les époques suivant les intérêts du moment. En 1825, on pensa qu’il était illogique au plus haut point, très préjudiciable aux intérêts généraux, de racheter au-dessus du pair une rente qu’on avait le droit de rembourser à ce taux, et qui avait été émise à des conditions bien inférieures. En 1833, lorsqu’après avoir fait profiter pendant quelque temps le 5 pour 100, — qui était retombé au-dessous du pair après la révolution de juillet, — du bénéfice de l’amortissement, il fallut de nouveau l’en priver à cause de l’élévation du cours et reporter sur le seul 3 pour 100, qui était à peine le tiers de la dette publique, toute la dotation. On estima que cette action exclusive de l’amortissement sur le 3 pour 100 détruirait l’équilibre entre les divers fonds de l’état et favoriserait certains créanciers au préjudice des autres. On fit une loi pour proportionner la dotation à l’importance de chaque fonds. Enfin en 1848, quand on supprima tout à fait l’amortissement, on avait besoin de ses ressources pour équilibrer le budget, et on crut qu’il valait mieux cesser d’amortir que d’imposer des taxes extraordinaires. Serait-ce donc qu’en faisant toutes ces modifications on manquait à des engagemens pris vis-à-vis des créanciers de l’état ? Et l’engagement de la loi de 1816, — pour prendre le premier en date, celui qui a constitué ce qu’on appelle le principe d’amortissement, — cet engagement était-il de telle nature qu’il enchaînât à jamais les législateurs à venir, et qu’on dût toujours amortir selon les formes qu’il avait prescrites ? C’est la première question à examiner.

Quand l’état contracte un emprunt et s’engage à payer une rente déterminée, ou quand encore il promet de garantir un intérêt dans une entreprise industrielle, ainsi qu’il l’a fait pour les chemins de fer, il est tenu, comme tout particulier, à l’exécution stricte de son engagement ; il n’en peut rien rabattre, parce que tout ce qu’il en rabattrait serait un préjudice causé à ceux envers lesquels il s’est engagé. Vous m’avez promis une rente de 3 pour 100 ou une garantie de 4 pour 100 ; j’ai le droit de compter que j’aurai toujours, quelles que soient les circonstances et quoi qu’il en coûte à l’état, cette rente de 3 pour 100 ou cette garantie de 4 pour 100. Les législateurs de l’avenir ne peuvent rien changer au contrat, ils sont liés comme ceux qui l’ont fait ; mais en est-il de même pour l’amortissement ? Est-ce un contrat de droit aussi strict ? Peut-on dire que la garantie qui a été donnée à une certaine époque devra toujours s’exécuter, quelles que soient les circonstances, selon les formes qui ont été prescrites à cette même époque ? Ce serait évidemment aller trop loin. On doit s’appliquer avant tout à ne pas léser les intérêts des créanciers de l’état ; on doit examiner si, par les modifications qu’on propose à l’amortissement tel qu’il a été établi, on améliore ou on empire leur situation : si on l’empire, ils ont le droit de se plaindre et de dire qu’on manque à un engagement ; mais si on l’améliore, ils n’ont rien à dire. Qu’ont-ils voulu lorsqu’ils ont prêté à l’état ? Ils ont voulu être toujours assurés du paiement exact de la rente ; ils ont voulu encore qu’on n’affaiblît pas les conditions de solvabilité de leur débiteur. — Si loin de les affaiblir, on les fortifie, ils n’ont pas à se plaindre. On ne leur avait pas promis le remboursement ; on leur avait promis tout au plus que par un rachat de rentes successif on soutiendrait assez le crédit pour qu’ils pussent réaliser facilement ; et convenablement leurs titres le jour où ils en auraient besoin.

Hors de là, l’état est le maître de faire ce qui lui convient, et il peut modifier les conditions de l’amortissement selon les circonstances et selon d’autres intérêts que ceux de ses créanciers ; il faut bien qu’il en soit ainsi, puisqu’à la suite des modifications qui se sont déjà produites, personne n’est venu dire, soit à propos de la loi de 1825, soit à propos de celle de 1833, qu’on manquait à un engagement inviolable. En Angleterre, — dans ce pays du respect par excellence, je ne dis pas des contrats (nous les respectons comme lui), mais des traditions, — on a parfaitement supprimé en 1829, à la suite d’une enquête très approfondie, les conditions anciennes de l’amortissement, et au lieu d’inscrire chaque année au budget une somme considérable pour un amortissement obligatoire, quel que fût l’état des finances, on a décidé qu’on n’amortirait plus qu’avec des excédans de recette. Et encore ces excédans, lorsqu’ils atteignent des proportions considérables, comme on l’a vu ces dernières années, ne sont-ils point tous appliqués au rachat de la dette. M. Gladstone aurait pu racheter 140 ou 150 millions de rentes en 1864 et 1863 ; il a préféré n’en racheter que 75 millions et consacrer le reste à réduire les impôts. En diminuant les impôts chaque année, il a favorisé le développement de la richesse publique de son pays beaucoup plus que s’il avait consacré au rachat de la rente les 150 millions d’économie qu’il aurait pu faire. Or favoriser le développement de la richesse publique, c’est fortifier les conditions de solvabilité de l’état, c’est augmenter le gage de ses créanciers, c’est pratiquer le meilleur des amortissemens. De même pour les travaux publics : lorsque le gouvernement de juillet prenait tous les ans les fonds de l’amortissement pour les consacrer à la création des canaux et à la construction des chemins de fer, il agissait certainement beaucoup plus dans l’intérêt des créanciers de l’état que s’il avait racheté à 120 francs et plus de la rente émise à des cours bien inférieurs. La France à la veille de la révolution de février était certainement plus riche avec 186 millions de rentes inscrites qu’en 1830 avec 163. Et quant à l’Angleterre, qui a encore 18 milliards de dette, personne ne s’inquiète de voir l’amortissement obligatoire supprimé et ne s’imagine que la dette est moins sûre que lorsqu’il existait.

Il n’y a qu’une situation qui appelle une attention toute spéciale, c’est celle où, sous le coup d’une nécessité plus ou moins impérieuse, pour des causes qui n’étaient pas productrices de richesse, on a été obligé d’emprunter en assez peu de temps des sommes fort considérables. Dans cette situation, la richesse ne s’étant pas accrue aussi vite que les nouvelles charges, les créanciers de l’état, ceux qui lui ont prêté avant que ces nouvelles charges ne fussent survenues, ont évidemment le droit de demander que la génération présente s’impose des sacrifices, paie même des impôts exceptionnels pour faire face aux engagemens qui ont été contractés vis-à-vis d’eux. Ç’a été le cas en Angleterre après la grande guerre qui a fini en 1815, c’est le cas aujourd’hui en Amérique après la lutte gigantesque que les États-Unis viennent de soutenir. Enfin chez nous tout récemment, quand, pour les besoins de la guerre de Crimée et de celle d’Italie, nous avons tout à coup augmenté notre dette publique d’un intérêt annuel de plus de 100 millions et d’un capital nominal de plus de 3 milliards, nous devions bien à nos créanciers quelque chose de plus que de leur payer exactement les arrérages de leur rente : nous leur devions de consacrer quelques fonds à l’amortissement pour soutenir le crédit et empêcher les cours de s’avilir, quand même il aurait fallu les demander à l’impôt. Si la rente est aujourd’hui au-dessous de 69, — lorsqu’elle a connu des cours beaucoup plus élevés, — lorsqu’elle était encore à 81 fr. en 1853, — la cause en est sans doute dans les conditions économiques, qui sont complètement changées. La rente n’est plus seule sur le marché comme autrefois, elle a maintenant à lutter contre mille valeurs industrielles que le progrès de la richesse publique a créées ; mais cette cause même n’est pas la seule : le cours de la rente a surtout fléchi au moment de ces grands emprunts, et il ne s’est pas beaucoup relevé depuis, parce qu’il n’y a pas eu de contre-poids à l’accroissement trop rapide de la dette.

Certainement la richesse publique s’est beaucoup développée, et la France est mieux en état de payer aujourd’hui 340 millions de rente qu’elle ne l’était, il y a douze ans, d’en payer 240 ou 100 millions de moins. Il n’en est pas moins vrai que le créancier de l’état, qui a prêté son argent à des cours bien supérieurs à ceux d’aujourd’hui, a le droit de se plaindre et de trouver qu’on lui a causé un préjudice en augmentant sensiblement la dette, sans rien faire pour la diminuer. Cette nécessité de l’amortissement après nos grands emprunts a été tellement sentie par tout le monde, qu’il n’est pour ainsi dire aucun rapport de la commission du budget depuis quelques années qui n’en ait exprimé le vœu formel. C’est ce qui faisait dire l’année dernière encore à M. Thiers : « Adoptez l’amortissement facultatif ou obligatoire, celui qui vous plaira, mais adoptez-en un. » Ce conseil a été enfin entendu, et le gouvernement se dispose à rétablir l’amortissement pour 1867 d’après un nouveau système qu’il soumet à la sanction du corps législatif. Voyons quel est ce système.

Il consiste à créer une caisse qui sera dotée, comme celle de 1816 et 1817, de certaines ressources qu’on détache du budget ordinaire et extraordinaire ; mais à la différence des précédentes, les revenus de cette caisse ne représentent pas une somme fixe, qui restera toujours la même : ils pourront s’accroître, et on impose des charges corrélatives qui, selon le projet, sont destinées à diminuer. On estime que pour 1867 la différence entre les revenus et les charges sera de 20 millions, en dehors d’une ressource provenant de l’aliénation des forêts, et c’est cette différence de 20 millions qu’on propose d’affecter à l’amortissement ; si plus tard elle est plus considérable, l’amortissement en profitera. Voici du reste l’économie du projet tel qu’il a été soumis au corps législatif.

On donné à la caisse comme nu-propriété les bois de l’état et les chemins de fer à la fin des concessions, et comme jouissance immédiate le produit des coupes ordinaires de bois, le produit de l’impôt du dixième sur le trafic des chemins de fer en grande vitesse, les sommes à provenir du partage des bénéfices avec les compagnies de chemins de fer, les bénéfices réalisés chaque année par la caisse des dépôts et consignations, les arrérages des rentes rachetées par la caisse d’amortissement et les excédans de recette du budget lorsqu’il y en aura. Par contre, on charge la caisse nouvelle du paiement des intérêts et de l’amortissement des obligations trentenaires, du paiement des intérêts, primes et amortissement des emprunts spéciaux pour le rachat des canaux et ponts, de l’avance à faire des sommes que l’état s’est engagé à payer aux compagnies de chemins de fer à titre de garantie d’intérêts. Les ressources immédiates de la caisse sont évaluées à 63 millions, et les charges à 43 millions, laissant ainsi l’excédant d’une vingtaine de millions que nous avons indiqué. Le projet de loi propose encore d’augmenter cette dotation d’une somme de 6 millions à provenir des aliénations des forêts et coupes de bois extraordinaires, ce qui porterait dès à présent à 26 millions les ressources de l’amortissement.

On peut faire à ce projet deux sortes d’objections : une objection de principe et une objection de forme. L’objection de principe consiste à dire qu’on est en présence d’engagemens pris vis-à-vis des-créanciers de l’état, qu’on n’a pas le droit de les modifier. Nous avons déjà examiné cette objection, elle ne peut pas nous arrêter longtemps. La dotation aujourd’hui, telle qu’elle a été établie par la loi de 1816, serait de 122 millions. Propose-t-on de rétablir l’amortissement jusqu’à concurrence de cette somme ? Car il ne faut rien moins que cela pour remplir l’engagement de 1816, si tant est qu’il y ait eu par cette loi un engagement absolu, inviolable, pris vis-à-vis des créanciers de l’état. Il faut chaque année, coûte que coûte, consacrer 122 millions à l’amortissement, quelles que soient nos ressources, quel que soit l’état du budget, dût-on les demander à l’impôt. Personne n’ose aller jusque-là ; on sent très bien qu’il y aurait dans les conditions actuelles dommage excessif à consacrer chaque année 122 millions à l’amortissement, et même que, si nous avions une pareille somme disponible, il serait infiniment préférable d’en affecter une partie, la plus grande, soit à diminuer les impôts, soit à faire de grands travaux d’utilité publique. Et si on ne va pas jusque-là, c’est qu’on n’est pas en présence d’un engagement absolu qui ne puisse être modifié, et du moment qu’il peut être modifié, la question de principe disparaît, et il ne s’agit plus, je le répète, que d’examiner si par les modifications qu’on propose on améliore ou on empire la situation du créancier de l’état. À ce point de vue, il n’est pas douteux que le projet nouveau améliore la situation du créancier, puisqu’il consacre quelques millions à un amortissement qui n’existe plus depuis longtemps.

Reste l’objection de forme ; celle-ci est plus importante. On voit d’abord figurer parmi les ressources de la nouvelle caisse une somme de 6 millions provenant des aliénations de forêts et des coupes extraordinaires de bois ; on peut craindre que ce ne soit un retour déguisé à ce projet d’aliénation des forêts qui avait été si mal vu l’année dernière par le corps législatif, et qu’on a dû retirer cette année devant les manifestations de l’opinion. On ne voit pas non plus que la diminution des charges soit aussi certaine qu’on le prétend. Ainsi, pour prendre la plus importante, celle de la garantie d’intérêt accordée aux compagnies de chemins de fer, oh-établit bien que cette garantie, après être restée stationnaire entre 35 et 40 millions pendant une dizaine d’années, est appelée à décroître sensiblement à partir de 1877 et à disparaître à peu près complètement en 1884 ; mais est-on sûr que le dernier mot de cette garantie soit dit, qu’elle ne franchira pas les limites actuelles ? Elle s’applique aujourd’hui au deuxième et au troisième réseau ; il y a encore le quatrième à construire, et si les départemens ne s’en chargent pas, ce qui est à craindre, et que l’état soit obligé d’en demander l’exécution aux grandes compagnies, il est évident que celles-ci ne s’en chargeront pas pour rien ; le moins qu’elles puissent demander en échange, ce sera une extension de la garantie d’intérêt. Il y a même des esprits fort compétens sur la matière qui prétendent que la loi de 1859 qui établit la garantie actuelle est une loi à refaire ; elle désintéresse trop les compagnies dans la plus-value immédiate qu’elles peuvent espérer d’une bonne exploitation des chemins de fer.

On sait en effet qu’en vertu de cette loi, au-delà d’un certain chiffre, les recettes du premier réseau doivent se déverser sur le second pour en atténuer les charges, et comme les charges du second sont couvertes par la garantie de l’état jusqu’à concurrence de 4, 65, que la différence seule entre la garantie et le taux de l’emprunt est à prendre sur le revenu réservé des compagnies, il’ en résulte que les compagnies qui ont atteint le chiffre au-delà duquel le déversoir a lieu, et elles sont toutes dans ce cas, n’ont d’autre intérêt en augmentant leur trafic que de diminuer dans le présent la garantie de l’état, et dans l’avenir la dette qu’elles seraient appelées à contracter vis-à-vis de lui en vertu de cette garantie. Est-ce un intérêt suffisant pour les porter à tirer de leur exploitation tout le profit qu’elles pourraient en tirer ? Quelques personnes en doutent et aimeraient mieux que par une combinaison tout autre l’intérêt immédiat des actionnaires fût en jeu et dépendît plus qu’il n’en dépend aujourd’hui de l’état actuel des recettes. Par conséquent, si la loi est à refaire, comment la refera-t-on ? Cela peut modifier une des bases sur lesquelles repose la nouvelle caisse d’amortissement.

Ces objections incontestablement ont de la valeur ; il dépend néanmoins du corps législatif qu’elles n’en aient pas une absolue. D’abord, en ce qui concerne le produit des aliénations de forêts, il pourra, s’il le veut, soit diminuer cette ressource à mesure que les autres se développeront, soit même la supprimer tout à fait pour écarter les appréhensions qui peuvent naître à ce sujet. La nouvelle caisse n’en dépend pas absolument. Quant aux modifications possibles de la loi sur la garantie d’intérêt, elles ne sont pas liées non plus à la nouvelle caisse d’amortissement : cette caisse s’établit sur les données actuelles, sur celles de la loi de 1859, qui portent la garantie d’intérêt au maximum de 40 millions et la font s’éteindre à peu près en 1884. Si on accorde de nouvelles garanties ou si on change la loi de 1859, ce sera un règlement nouveau à faire avec la caisse d’amortissement : on lui donnera d’autres ressources, si on lui impose d’autres charges. Le corps législatif, gardien des engagemens qu’il aura pris vis-à-vis des créanciers de l’état, pourra toujours les faire respecter, si cela lui convient. Quant à une autre assertion qui prétend que la garantie d’intérêt sera dès à présent plus considérable qu’on ne l’évalue, et qu’elle mettra bientôt la caisse en déficit, cette assertion est peu vraisemblable. — D’abord on doit supposer que les calculs qui servent de base à l’établissement de la caisse ont été sérieusement établis, et ensuite, quand on voit chaque année se développer comme elles le font les recettes de nos chemins de fer, celles du second réseau comme celles du premier, on est porté à croire que, s’il y a de l’imprévu, ce sera plutôt dans le sens de la diminution de la garantie.

Ceci dit sur les difficultés pratiques de la caisse d’amortissement, il est certain qu’elle est dotée d’une ressource principale qui est destinée à s’accroître : c’est celle de l’impôt du dixième sur le trafic des chemins de fer en grande vitesse. Cet impôt rapporte aujourd’hui 27 millions, il en rapportera bientôt 30 et plus. Et quant aux charges, il y en a une aussi dont on peut calculer la décroissance assez rapide : c’est celle des annuités pour rachat des ponts et canaux. Cette annuité, de 13 millions aujourd’hui, ne sera plus que de 5 en 1877 et de 3 en 1884. Voilà déjà du chef de ces deux chapitres, l’un en accroissement, l’autre en diminution, une différence nouvelle qui dans dix ans pourra être d’une vingtaine de millions encore et s’ajouter aux ressources actuelles de l’amortissement, ce qui les porterait à 40 millions en supposant qu’il n’y ait pas d’autres excédans de recette, car, il ne faut pas l’oublier, le nouveau projet stipule qu’on pourra ajouter à l’amortissement les excédans du budget.

Je ne mentionne pas parmi les ressources de la caisse la nu-propriété des chemins de fer qui lui est affectée comme dotation ; cette propriété cependant est considérable : elle donne aujourd’hui 300 millions de produit net, et en donnera certainement 500, lorsqu’elle fera retour à l’état ; mais les concessions sont encore si longues (la plus courte ayant au moins quatre-vingts ans à courir), qu’il est difficile de classer une telle propriété parmi les ressources actuelles. Cependant les créanciers de l’état ne doivent pas perdre de vue qu’en dehors même de toute affectation spéciale, cette propriété, qui s’accroît chaque jour, par cela seul qu’elle exerce la plus heureuse influence sur le développement de la richesse publique, augmente le gage sur lequel repose la créance, et que lorsqu’elle se réalisera, il ne sera pas difficile de leur faire leur part dans la plus-value que donnera le rendement naturel des impôts. Par conséquent, si ce n’est pas pour l’amortissement une ressource actuelle, c’est au moins une ressource de l’avenir, qu’elle soit ou non l’objet d’une affectation spéciale.

Mais pourquoi, dira-t-on, cette nouvelle complication ? Autrefois nous n’avions qu’un budget qui comprenait les dépenses ordinaires et extraordinaires, même les dépenses d’ordre ; on y ajoutait les crédits supplémentaires, qui étaient ouverts par ordonnances ou par décrets, et le tout formait un total facile à saisir. Aujourd’hui nous avons d’abord le budget ordinaire, puis le budget extraordinaire, puis le budget rectificatif, et enfin le budget complémentaire, sans compter les petits budgets d’ordre, — en tout quatre budgets principaux, et voilà qu’on en ajoute un cinquième sous le nom de « caisse d’amortissement. » Nous n’avons pas besoin de ce surcroît de complication. Il est bien évident que si la nouvelle caisse d’amortissement, de même que le sénatus-consulte de 1861, n’avait pour effet que de créer une nouvelle comptabilité sans autre profit, ce ne serait pas la peine de l’établir ; mais on est injuste envers le sénatus-consulte de 1861 lorsqu’on prétend qu’il n’a eu d’autre effet que d’embarrasser la comptabilité. Il a eu l’avantage aussi, en mettant fin à l’ouverture des crédits supplémentaires par décret et en n’autorisant les dépenses que sur crédits votés par le corps législatif, de rapprocher le contrôle des faits sur lesquels il est appelé à s’exercer et par conséquent de le rendre plus efficace. Autrefois les crédits supplémentaires étaient ouverts quinze ou dix-huit mois avant d’être soumis au corps législatif ; les faits étaient depuis longtemps consommés, et on n’avait plus qu’à les ratifier. Aujourd’hui on demande les crédits lorsque les faits sont encore présens, lorsqu’il serait possible à la rigueur de les modifier[6]. Le sénatus-consulte fournit donc les élémens d’un contrôle plus sérieux. Si le corps législatif ne l’exerce pas comme il le doit, s’il se laisse trop aller aux entraînemens vers des dépenses peu justifiées, c’est sa faute, et il ne faut pas s’en prendre au sénatus-consulte. On a mis entre ses mains une arme plus efficace que celle qu’il avait jadis, c’est à lui de s’en servir comme il le doit dans l’intérêt du pays.

Le même raisonnement peut s’appliquer à la nouvelle caisse d’amortissement. Sans doute elle crée une nouvelle annexe au budget, sans doute elle n’opère par elle-même aucune économie ; mais elle peut amener à en faire, si le corps législatif le veut. Elle met un obstacle à l’entraînement des dépenses ; elle lie surtout les mains au pouvoir exécutif, et c’est là son principal mérite. Quand on aura établi la nouvelle caisse, si on l’établit, il s’offrira des ressources qui auront une destination spéciale, et on ne pourra plus les détourner de cette destination qu’avec l’adhésion du corps législatif. Il se peut que l’obstacle ne soit pas grand ; mais, si faible qu’il soit, il vaut mieux que s’il n’y en avait pas du tout.

On oppose encore à la création de cette caisse le système anglais. Depuis 1829, il n’y a plus en Angleterre de dotation spéciale de l’amortissement ; on n’amortit plus qu’avec des excédans de recette, ce qui est en effet le meilleur mode d’amortissement. Nous n’avons qu’à faire comme l’Angleterre, qu’à réaliser des excédans de recette, et nous les appliquerons à l’amortissement sans qu’il soit besoin de créer des ressources spéciales. Il est certain que, si nous étions en Angleterre, on n’aurait pas à se préoccuper d’un budget spécial pour l’amortissement. On serait bien sûr que les finances seraient toujours administrées selon les vœux du pays, et que, s’il désirait qu’on amortît, le gouvernement trouverait des ressources pour le faire ; mais nous ne sommes pas en Angleterre. L’empereur, dans son discours d’ouverture de la dernière session, a pris soin lui-même de nous dire que notre forme de gouvernement n’avait aucune analogie avec celle de l’Angleterre, et en effet, sous le rapport des économies, il est facile de voir que les choses ne se ressemblent pas dans les deux pays. Depuis tantôt dix ans, notre pays, par ses mandataires légaux, réclame ces économies, demande le rétablissement de l’amortissement, et cependant jusqu’à ce jour les budgets ont été plutôt en augmentant qu’en diminuant, et on ne songe à l’amortissement que pour 1867. Il faut donc se gouverner suivant la situation.

Ah ! si on voulait nous donner un peu plus de droits politiques, si nous avions la responsabilité ministérielle, plus de liberté pour la presse, la suppression des candidatures officielles avec le droit de réunion électorale, nous ne tiendrions pas beaucoup à la caisse d’amortissement. On aurait un moyen beaucoup plus énergique, beaucoup plus efficace pour opérer des économies, si le pays tenait à en faire. — Malheureusement nous n’en sommes pas là, et quand on n’a pas le mieux qu’on peut désirer, il faut prendre le moins mal qu’on nous offre. C’est à ce point de vue qu’il faut considérer la caisse d’amortissement ; elle est incontestablement une amélioration sur ce qui existe.

Supposons dans l’état actuel des choses que le gouvernement soit assez ferme pour résister aux entraînemens de dépenses, qu’il fasse sérieusement des économies : immédiatement on verra se présenter, pour se disputer ces économies, d’autres intérêts aussi essentiels que celui de l’amortissement, — d’abord celui des contribuables, qui demanderont un dégrèvement d’impôt, et après la surtaxe extraordinaire de 1862 il faut reconnaître qu’ils y auront bien quelque droit, ensuite l’intérêt des grands travaux publics, qui sont loin d’être achevés, même dans les parties les plus utiles. Il est fort à craindre que dans ces conditions l’intérêt de l’amortissement ne passe encore le dernier, comme on l’a vu jusqu’à ce jour. Par conséquent, étant donnée la nécessité de l’amortissement, il n’y a pas, après les garanties politiques dont nous avons parlé tout à l’heure, de moyen plus efficace pour l’assurer que de créer une caisse avec une dotation spéciale. Sans doute on pourra dans l’avenir mettre la main sur la caisse et s’emparer encore des ressources qu’elle possède ; mais la difficulté sera plus grande que s’il n’y a pas de loi du tout pour la protéger. Nous en avons la preuve dans ce qui s’est passé depuis 1848, dans ce qui s’est passé même en 1860, car après avoir amorti en 1859 avec un excédant de recettes, on n’a plus eu d’excédant pour le faire en 1860. Maintenant cette caisse que l’on nous propose d’établir répond-elle bien aux exigences actuelles de la situation ? Est-elle suffisamment efficace ? C’est la dernière question qu’il reste à examiner.

On a vu que jusqu’en 1877 la différence entre les recettes et les charges de la nouvelle caisse d’amortissement ne variera qu’entre 20 et 25 millions, non compris l’aliénation des forêts : c’est bien peu de chose quand on rapproche ce chiffre de celui de la dette publique, qui atteint aujourd’hui 12 milliards ; mais nous avons dans la loi nouvelle l’article qui dit qu’on pourra ajouter à cette dotation les excédans de recettes du budget, s’il y en a. — Par conséquent il dépend du gouvernement et du corps législatif de l’enrichir chaque année en faisant des économies. On en a réalisé pour 25 millions cette année, pourquoi ne ferait-on pas le même effort l’année prochaine ? Et si on ne fait pas le même effort, il est facile au moins de ne pas escompter d’avance la plus-value des impôts. Cette plus-value, jointe aux 20 millions actuels de la nouvelle caisse, donnera déjà une somme assez ronde à consacrer à l’amortissement sans attendre la progression de 1877. Si on arrivait ainsi à obtenir une cinquantaine de millions pour l’amortissement, nous nous estimerions fort heureux, et nous n’en demanderions pas davantage ; mais ces 50 millions, nous sommes loin de les avoir : on nous propose en attendant, pour 1867, d’en affecter d’abord une vingtaine sur les premières économies qu’on a faites, et pour qu’ils ne nous échappent pas et que nous soyons sûrs de les retrouver chaque année, on nous offre de les placer sous la sauvegarde d’une caisse spéciale. Acceptons-les toujours. — Sans doute la nouvelle caisse n’a pas le pouvoir de créer ce qui n’existe pas, elle n’est à la rigueur qu’un déplacement de chiffres ; mais elle peut être un déplacement de chiffres utile, obliger à faire des économies, et une fois faites, empêcher qu’on ne les détourne au profit d’autres intérêts que ceux de l’amortissement. Dans tous les cas, si elle ne réalise pas les avantages qu’on espère, elle est au moins sans inconvénient ; elle ne blesse aucun intérêt, laisse le budget avec ses ressources comme avec ses charges. C’est au moins une tentative pour rendre les économies plus certaines ; à ce titre, elle mérite d’être encouragée, et on aurait mauvaise grâce à ne pas l’accepter en attendant mieux.

En résumé, si le budget de 1866 se présente encore dans des conditions d’équilibre fort incertaines, celui de 1867 nous offre une perspective plus rassurante ; il y a lieu d’espérer que celui-ci se soldera en équilibre, et qu’on trouvera facilement pour la caisse d’amortissement les 20 millions qu’on lui promet. Ce n’est là pourtant qu’un premier pas. Il faut que M. Fould persiste résolument dans la voie où il s’est engagé, qu’il s’oppose avec énergie à toutes les dépenses qui ne seraient pas absolument nécessaires ; il faut que chaque année, pendant quelque temps au moins, il nous apporte un budget en diminution : c’est la seule manière de donner aux efforts qu’il a faits pour 1867 une signification véritable et de les rendre féconds. Il y a en ce moment dans le pays, pour soutenir le ministre qui voudra faire des économies, le même appui que pour celui qui conseillerait des réformes libérales. De même qu’on sent qu’il est temps de clore la période qui a restreint nos libertés politiques, on sent aussi qu’il faut changer de système financier. Au lieu d’énerver les forces productrices du pays, comme on l’a fait, par des appels incessans à l’emprunt ou à l’impôt, il faut s’appliquer à les activer par des dégrèvemens judicieux, des travaux utiles, et par un amortissement modéré, mais permanent. Le ministre qui entreprendra cette tâche et qui saura l’accomplir se créera une situation exceptionnelle et trouvera en France la même popularité dont jouit M. Gladstone en Angleterre ; mais, en sens inverse, celui qui laisserait croître les budgets et les déficits sans rien faire pour l’empêcher engagerait sérieusement sa responsabilité dans l’avenir.


VICTOR BONNET.

  1. Voyez le Moniteur du 24 décembre 1865.
  2. La diminution portant sur les dépenses afférentes à l’état est plus considérable ; mais elle se trouve atténuée de quelques millions par l’augmentation des dépenses départementales et communales.
  3. Voir la Revue du 1er janvier 1861.
  4. En voici la décomposition (chiffres ronds) :
    Dépenses.
    1° Dépenses du budget ordinaire de 1867, y compris le nouveau budget de l’amortissement 1,568,000,000 fr.
    2° Dépenses départementales et communales 245,000,000
    3° Dépenses du budget extraordinaire 133,000,000
    Total 1,946,000,000 fr.


    Recettes.

    Recettes du budget ordinaire, y compris les ressources détachées par la caisse d’amortissement

    1,686,000,000 fr

    Ressources extraordinaires 45,000,000
    Ressources départementales et communales 245,000,000
    Total 1,976,000,000 fr.
  5. Il ne faut pas oublier non plus après tout que cette annuité de 25 millions dont le recouvrement nous paraît douteux figure au budget extraordinaire, et que, selon la théorie du sénatus-consulte de 1861, les dépenses de ce budget devant être subordonnées à ses ressources, on pourrait, si on le veut bien, ne rien enlever aux excédans naturels, et retrancher purement et simplement ces 25 millions de dépenses extraordinaires.
  6. Excepté pourtant en ce qui concerne l’expédition du Mexique ; mais cette expédition est tellement en dehors de toutes les règles d’une bonne comptabilité financière, qu’il devient impossible de la prendre pour exemple.