impr. des Clairvoyants (p. 3-12).

LE BRANLE
DES CAPUCINS,
ou
LE MILLE-ET-UNIÈME TOUR
DE MARIE-ANTOINETTE.
Petit Opéra, en deux Actes.

ACTE PREMIER



Scène PREMIERE

Antoinette, seule.

Où diable d’Artois a-t-il été s’aviser de venir me voir en capucin… Et ma chere Polignac dans le même costume… Hélas, Qu’il est loin ce tems où tous ensemble… Mais pourquoi s’arrêter à un fâcheux souvenir… Nation maudite, puisses-tu être un jour anéantie. Puissé-je un jour te voir nager dans des flots de sang de tes détestables soldats :… je m’égare … D’Artois est ici je veux bannir la tristesse et m’en donner aux dépens de mon vieux cocu…

Air : Laire lan là &c.

Quand de vin il sera épris
Ce pauvre Blaise de Louis,
Comme nous allons le faire !
Laire lan là, laire lan laire,
Laire lan laire, laire lan là.



Scène II

ANTOINETTE, DEUX CAPUCINS.
Antoinette, à d’Artois.

En vérité, comte, j’aime à te contempler sous cet habit, avec ta barbe, ton capuchon et ton gros cordon…

La Polignac.

C’est l’Amour frere quêteur.

La canaille un jour en fureur
Le fit éloigner de vos charmes,
Mais pour vous il quitte les armes
Et se fait frere quêteur.

d’Artois.

Pour qu’un même toit nous rassemble
Il faut te rendre capucine ;
Quand on sonnera matines(bis).
Nous les dirons ensemble(bis).

Antoinette.

Tu es toujours gai, tu as raison, il n’est rien de tel que la gaieté. Il faut faire renaître notre ancien tems, pendant que nous voici ensemble. Il m’est venu une idée… mais une idée bien risible…

la Polignac.

Il faut l’effectuer.

Antoinette.
Air : du Port-Mahon.

Mon vieux débonnaire
Ne ver ne verra rien à l’affaire,

Et du sénat les peres
Je les ai tous pendus
A mon cul, à mon cul, à mon cul.
Je les ai tous pendus
A mon cul, à mon cul,
Eux et la clique entière
De leurs de leurs soldats volontaires.
Aujourd’hui je veux faire
Papa Louis miché
A son nez, à son nez, à son nez.


Il ne vous reconnoitra, j’en suis sûr, ni l’un ni l’autre : je lui ferai croire que vous êtes deux religieux d’une pieté éminente, en qui je mets toute mon estime et ma confiance, que je veux toujours avoir près de moi… pour m’avertir lorsque je ferai quelque faute, et m’imposer une pénitence… Il donnera dans le piege le bonhomme, il n’y voit pas plus long que son nez… Ensuite à table, je commence par le faire boire comme un trou ; après lui avoir fait signer tout ce que nous jugerons à-propos, je lui redouble la dose, et le fais dormir comme une chouette… C’est alors que je lui joue la meilleure des pièces…

d’Artois.

Tu me fais languir.

Antoinette.

Nous nous prendrons par la main et tournerons à l’entour de lui, en chantant :

Dansons le branle des capucins oin, oin,
Dansons &c.

la Polignac, éclatant de rire.

Bien imaginé, Madame.

d’Artois.

Allons, que veux-tu gager ?

la Polignac.

Il faut gager de maniere que le perdant ait autant d’avantage que le gagnant.

Antoinette, d’Artois, à la fois.

Comment ça ?

la Polignac.

Il faut gager l’action même de la gageure : vous danserez et ferez en même tems le branle des capucins.

d’Artois.

Bien dit. C’est fait.

Antoinette.

Parole. Cependant il faudra prendre garde, car ce la Fayette est toujours ici comme un furet. Monsieur se donne les tons de m’épier, si je veux faire un pas, il faut que Monsieur m’accompagne, ou me fasse accompagner… S’il vous reconnoissoit, il l’iroit bien vîte dire aux bandits qu’il commande… Ils oseroient, je gage, te menacer de leur lanterne…

d’Artois.
Air : Un vain étalage.

Tout leur étalage
Ne me fait point peur.
Tout leur bavardage
N’effraye pas mon cœur.(bis).

Quand notre mitraille
Balaiera les fauxbourgs,
Ces soldats de paille
Pourront dire à leur tour :

Tout notre étalage
Ne faisoit point peur,

Notre bavardage
N’effrayoit pas leur cœur.(bis).

Notre bavardage
Notre bavardage
N’effrayoit point leur cœur.
N’effrayoit point leur cœur.

La Polignac.

Tout cela n’aura qu’un tems.

Ça n’dur’ra pas toujours.
Ça n’dur’ra pas toujours.

Antoinette.

Ils ne feront pas toujours tant d’embarras avec leurs habits bleues…

Malheur à la race infernale
Qui nous menace du trépas.
Cette garde nationale
Ne nous intimidera pas.
Si mon pouvoir ma rage égale,
Je brave son ton imposant.
Je sévirai tant tant tant tant
Qu’un jour la famille royale
Reconquérira sa splendeur
Par ma vengeance et ma fureur.(bis).

La Polignac.

Bannissons pour l’instant toutes les idées qui pourroient nous attrister, et ne songeons qu’à jouir de nos courts instans à rester ensemble.

d’Artois.

L’office pour ce jour prescrit
Est, dans notre breviaire,
Au commun des cocus écrit
Par un commendataire.
Il faut, à l’honneur de Louis,
La faridondaine, la faridondon,
Ensemble le chanter ici,
Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.

Tous ensemble.

Il faut, à l’honneur de Louis,
La faridondaine, la faridondon,
Ensemble le chanter ici,
Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.

La Polignac.

Ah, j’apperçois la Fayette, sauvons-nous

[Ils s’en vont.]


Scène III

la Fayette, seul.

J’ai tout entendu… Que faire cependant ? Les découvrirois-je ?… Non : Je me tairai encore pour l’honneur de mon roi, et je me contenterai de leur porter ombrage… Ils m’en voudront encore… Peu m’importe… Rien ne doit arrêter un bon citoyen, lorsqu’il s’agit des intérêts de sa patrie et de son roi…

Air : où peut-on être mieux

Ah ! Peut-on faire mieux
Ah ! Peut-on faire mieux
Que d’aimer sa patrie !
Toujours content, toujours joyeux,
En dépit de mes envieux,
Je l’aimerai, la chérirai
Comme ont fait mes ayeux.

Comme mes bons ayeux,
Je veux pour elle toujours combattre,
Toujours fidèle, je veux abattre
Ses ennemis et ses tyrans.
Toujours unis, soyons vaillans.

On ne peut faire mieux
On ne peut faire mieux
Que d’aimer sa patrie.
Toujours content, toujours joyeux,
En dépit de mes envieux,
Je l’aimerai, la chérirai,
Comme mes bons ayeux.

Fin du premier Acte.