Le Bouquet inutile/Texte entier
ÉDITIONS DE LA
NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
3, RUE DE GRENELLE. 1923
Les amis de Jean Pellerin ne pleurent pas que le poète mais ce grand garçon vif et charmant qu’il était avec ceux qu’il aimait, et sa nature pleine de franchise. Hélas ! Jean Pellerin n’est plus. Il nous a quittés, jeune encore, au moment où ses livres rencontraient des lecteurs et où les dons qu’il cultivait depuis déjà de longues années, devenaient — chaque jour — plus plaisants. Comment ainsi ne pas porter deux fois son deuil et ne pas demeurer inconsolables de cette mort qui nous atteint, en même temps que dans une amitié constante, dans le respect et l’amour des beaux vers joints aux jeux les plus clairvoyants de l’esprit ?
C’était en effet chez lui la première qualité que cette clairvoyance et elle ne le servait pas que dans l’amitié. Je me souviens du culte qu’avait, pour Stendhal, Jean Pellerin, au moment où je le connus. Nous faisions nos deux ans d’active à Grenoble, dans une arme de fantaisie. Ah ! que l’épaulette blanche de Jean et son sabre série Z me donnaient d’envie ! Et que son titre de Secrétaire d’État-Major me semblait distingué près de celui de vaguemestre dont on m’avait doté aux C. O. A. ! Cela remonte bientôt à douze années, mais qu’elles m’étaient légères, avant sa mort, ces années de jeunesse ! et qu’elles avaient de charme et de rayonnement quand je les évoquais ! Aujourd’hui, j’ai beau faire. Je remue seul d’anciens souvenirs et Grenoble que j’aimais tant ne m’est plus qu’une ville quelconque et sans écho, une ville abandonnée aux passants anonymes, aux touristes et à tous les plaisirs que le seul être au monde capable de m’en rappeler le détail, a laissés pour toujours.
écrivait Jean Pellerin.
Ses premiers vers, qu’il me lisait, étaient tout spontanés et faits à son image. Un miroir sur lequel il aurait incliné mille gestes, n’eût pas été moins prompt à les saisir. Jean Pellerin ne demandait pas autre chose à ses essais. Il les mettait au net sur un cahier et n’en parlait plus à personne. Dieu ! qu’il me fallut dépenser de temps et d’arguments pour décider Jean Pellerin à envoyer ses vers aux jeunes revues ! Il redoutait qu’ils n’y fussent pas accueillis ou qu’on ne les lui prît que pour m’être agréable. Et cependant, voici quelques-uns de ces vers : j’en fais juge qui voudra.
Notre amour ce soir se penche, Danse une danse de femme, |
Le Feu, que dirigeait alors Émile Sicard ; l’Oliphant, publié par Tristan Derème ; Isis ; la Phalange ; la Rénovation esthétique ; Scheherazade ; le Divan furent les premières revues qui imprimèrent Jean Pellerin et son talent y rencontra, dès le début, les encouragements qu’il méritait.
Toutefois, Jean Pellerin ne quitta pas, après son service militaire, la province pour Paris. Il retourna près de Grenoble, à Pontcharra, où il avait longtemps vécu et où son père dirigeait une fabrique de papiers. Je connaissais Pontcharra. J’y étais allé quelquefois le dimanche, avec Jean et j’y avais été témoin de l’affection qui l’unissait à sa famille. — Vertes campagnes du Dauphiné, chemins bordés de clairs feuillages, ruines presque effacées du château de Bayard, c’est à vous que je pense quand je relis telle ou telle page du précieux manuscrit de poèmes que laisse Jean Pellerin en témoignage de la raison profonde qu’il eût de vivre ! Je n’ai qu’à fermer un instant les yeux pour disputer à je ne sais quelle ombre affreuse, des jours si doux et si paisibles. Comme si cette ombre y pouvait quelque chose et possédait, en fin de compte, une chance de l’emporter sur la durée d’un beau vers ou l’éclatante promesse du temps ! Non. Il n’est pas ici question de perdre une seconde fois Jean Pellerin. L’œuvre qu’il a construite, de son vivant, demeure après sa mort et c’est cette œuvre qui, sans le secours de personne, défend à présent de la mort tant de beautés et de trésors nouveaux dont nous ne serons pas les seuls à être visités.
Quand mon fil se cassera sous |
demandait-il,
Quand ma bouche aura les deux sous |
Déchirante et discrète manière qu’avait Jean Pellerin de céder, par moments, à ce pressentiment qui l’éclairait et qui, sous les dehors d’une aimable fantaisie, puisait aux sources noires du désenchantement et lui faisait biffer le premier titre de son volume de vers pour le remplacer par : le Bouquet inutile. Mais, de ce désenchantement, il ne souffrait jamais qu’on en prît au tragique les allusions voilées d’une amère ironie. Cela lui était odieux. Il n’en voulait pas entendre parler et sa fierté, qui était grande, se regimbait sitôt qu’on la voulait forcer ou approcher pour la percer à jour.
ripostait-il aux importuns et, plus tard :
C’est vrai, j’aurais pu devenir |
Vingt fois, près de s’abandonner à de soudaines détresses, une sorte de stoïcisme l’en empêchait. Je veux dire que Jean Pellerin reprenait le dessus et que, si le terme de stoïcisme peut nous paraître un peu bien solennel, le poète écrivait :
Écartez les mois que j’aimais |
Or — qu’on le veuille ou non — ce stoïcisme qui n’acceptait aucun système et n’empruntait qu’à sa mesure, dans la sensibilité du poète, des moyens d’échapper au ridicule, est la clef de son œuvre. Par lui, Jean Pellerin rompt avec le désordre des pseudo-romantiques et le fatras du symbolisme. Il s’en sert comme d’un réactif puissant. C’est sa sauvegarde et il ne l’ignore pas.
insiste-t-il.
Grâce à cette pudeur déguisée et jalouse de ne pas se trahir, Jean Pellerin atteint au meilleur de lui-même et découvre sa voie. Bien avant d’autres, il reconnaît ses maîtres ; il vit dans leur fréquentation ; il ne lit qu’eux : Verlaine, Laforgue, Rimbaud, Corbière, Mallarmé, Baudelaire, Moréas pour les premiers et, bientôt, Charles d’Orléans, Villon, Sigognes, Magnard, Perin, afin de revenir, sûr de lui-même, aux chatoiements multipliés tant par le rythme que par la métrique pittoresque d’un Banville par exemple ou de P.-J. Toulet. Alors, de spontanés qu’étaient ses courts poèmes du début, ils tâchent à enfermer dans une arabesque précise une cadence appliquée à son but et comme prisonnière d’elle seule et de sa perfection. Rappelez-vous ces strophes serrées et frémissantes, à la subtile acrobatie :
Voir enfin l’île nuancée |
Jeux ! dira-t-on. Mais la poésie qu’est-elle d’autre de plus noble ou de plus émouvant ? Je ne vois, ailleurs, que redites, rabâchis, navrantes et banales lourdeurs ou confuses onomatopées. Sans doute, la foule s’enivre d’un délire si vulgaire. Est-ce à la foule de formuler un jugement ? Demain la foule aura changé d’avis ou plutôt elle acceptera docilement que le nom d’un poète dont elle ignorait tout, soit en réputation chez les libraires. Déjà, par la Romance du Retour, Jean Pellerin avait conquis plus que l’attention des lettrés. On le citait. On admirait qu’il eût si librement tracé, dans une forme plastique et tout en raccourcis, sa route à la poésie même et à ses pires caprices. Par là, pourtant, chemin hardi, fil invisible tendu d’un sommet au suivant, Toulet était passé, et Moréas. Doit-on ne pas le dire ? Jean Pellerin ne s’en défendait pas. Après les Stances, après les Contrerimes, il n’a pas fait que reprendre leur manière. Cette manière ne date pas d’aujourd’hui. Elle est dans notre tradition, la plus française, chez un Sigognes parfois, toujours chez un Maynard et, de nos jours, chez ces poètes dont Pellerin faisait partie et qu’on appelle « les fantaisistes ».
Qu’était-ce donc alors que ces poètes ? Que cherchaient-ils ? Quels desseins saugrenus formaient-ils au moment dont je parle et quelle fantasque humeur les animait ? Je ne sais trop. On lisait cependant, dans de petites revues, leurs petits vers et on s’habituait à ne pas pousser avec eux de grands cris. L’amitié plus que l’amour, inspirait ces poètes. Dans leurs strophes, les noms de Pellerin, de Jean-Marc, de Vérane, de Derème combinaient, à la rime, une espèce de complicité ou de discrète entente. Puis tous ces noms, tant de fois répétés, devinrent en quelque sorte inséparables les uns des autres… L’école fantaisiste était fondée et il fallut bien qu’elle eût l’air de se prendre au sérieux. Étrange école ! On la reconnaissait à la pipe et à l’escargot de Derème, aux larmes de Jean-Marc, au sourire de Jean Pellerin et aux paillons que, dans son encrier, puisait Léon Vérane sans les compter.
Ainsi vont les choses dans la vie et il n’est pas besoin d’en tirer d’autres conclusions que celles qui, naturellement, en découlent, — la preuve faite une fois de plus que le talent finit toujours par s’imposer… J’avais oublié le talent, à propos des poètes qui formèrent au début le petit groupe des fantaisistes : le talent et tout ce qu’il exprimait de nouveau, pour le temps, de tendre, de sensible, de jeune, de sincère. Il n’est peut-être pas trop tard pour y revenir car, avec lui, toute une génération devait avoir assez vite à compter et à défendre ses languissantes idoles. D’ailleurs, de cent côtés, le vieux et clair langage français perçait les brumes du Symbolisme. De petites revues, comme les Guêpes, dirigées par Jean-Marc Bernard, à Saint-Rambert-d’Albon, criblaient impitoyablement de leurs traits les gloires bouffonnes des vieux cénacles ; Psyché faisait accueil à de jeunes écrivains capables d’entendre ce qu’ils voulaient ; le Divan se mettait de la partie et les Marges nous étaient acquises…
Qu’on ne s’y trompe pas ! Une école, si elle n’avait eu que la pipe de Derème pour programme, ne serait point aujourd’hui ce qu’elle est. Mais ce n’était pas une école. C’était une réaction profonde de la sensibilité contre de vieux clichés, des procédés usés jusqu’à la corde et un incroyable charabia. Il n’y avait pas autre chose. Seulement tout ceci se passait entre 1912-1913 et 1914 et nos aînés nous prenaient pour des fous.
Vers cette époque, Jean Pellerin vint à Paris et il y fit figure, durant un temps, de joyeux compagnon à Montmartre jusqu’au moment où son amitié pour André du Fresnois le rapprocha du journalisme et lui donna du goût pour un labeur quotidien. C’est alors véritablement que Pellerin disciplina ses dons et les porta si haut. On ne le voyait plus ou presque. Il travaillait. Il ne voulait garder de vers qu’ils ne lui eussent coûté de veilles à les écrire. Et ces vers, il me les récitait lorsque j’allais le voir et n’en semblait jamais content. Que de fois, cependant, l’ai-je pressé de les réunir en plaquette ou de les faire paraître dans des revues ! Il ne s’y décidait qu’à de rares exceptions, pour le Divan, par exemple, qui lui était, des très nombreuses publications qui le sollicitaient, la plus précieuse et la plus amicale. Noble exemple, s’il en est, et touchant et durable pour nos cadets qui, comme moi, sauront par cœur des poèmes aussi purs que celui-ci :
La Marguerite à l’écheveau La maquerelle met des bas |
… Dois-je l’écrire le premier ? On n’a pas fait encore à Jean Pellerin la place qu’il méritait d’avoir et qu’il aura parmi tant de poètes où seuls, peut-être, Guillaume Apollinaire et quelques-uns de ses amis le mettaient malgré lui. Comment l’aurait-on fait ? Jean Pellerin n’était pas glorieux. Il n’avait de souci que de ses sympathies, de son travail et de son empressement à rendre service à tous. Plus que ses vers, il chérissait la poésie ; plus que l’ambition, le talent et il a malheureusement fallu sa fin pour que ceux qui l’aimaient le plus et l’admiraient pussent trouver dans le souvenir qu’il leur laisse et dans ce mince volume de vers qu’un soin pieux m’a fait pour eux seuls assembler, la preuve incontestable qu’ils n’aimaient pas ni n’admiraient à tort Jean Pellerin.
FRANCIS CARCO
Sonnet
Je veux courir en Bièvre et je boucle mes guêtres Vous aurez le miroir qui sait votre visage |
La Grosse Dame chante…
Manger le pianiste ? Entrer dans le Pleyel ? La note de la fin monte, s’assied, s’impose. |
Le Papellier 1785
À M. Pierre Louys.
Vingt ans, il a tenu les formes, les puiseaux, … Les éditeurs de Kehl ont prôné son vélin. |
À Francis Carco
Prends ta pipe que vêt, précieuse, la crasse Mais le désir nous tient, chaque soir plus brutal, |
Intérieur
À André Salmon.
Que suis-je ici ? le locataire Perroquet, siffle un air connu ! |
Faut-il que je revienne à toi ? II
Elle aimait ceux dont le gousset III
Marsyas, ô divin écorché, IV
Tu veux, par les Messieurs en vert, V
Puisque le maréchal-ferrant |
Quotidiennes
À Tristan Derème.
C’est vrai, j’aurais pu devenir Je peindrai l’eau, le ciel, le port |
Veneris Dies
Femme de deuil et d’opprobre, À nous, c’est la lampe jaune, |
Poème pour le Faune
Faune agile et muet des livres que j’ai lus, Mais, au jardin je sais qu’elle se doit |
Le Petit Comptable
Le petit comptable écrivait sur son livre : Ô mon amie, voici la pluie. |
Ronde
Il faut une chanson Mais ce sera, peut-être, |
La Petite Bergère
À Émile Sicard.
La petite bergère
|
Chanson
Je ne sais déjà plus Ah ! monsieur le curé, |
Saisons
I
Le gîte, nous l’avons si longtemps attendu ! |
II
Les foins hauts suggèrent la brousse |
III
Melicerte
Suis-moi. Le beau jour qui flambe Myrtil
On sème les épinards |
IV
Mais voici déjà l’automne… |
Les Donneurs de Sérénades…
P. V.
On dirait : « C’est Monsieur le Bon Oh !… ton bras fin passé, saisi, |
Octobre !
Octobre ! Une chambre d’hôtel… Un jour… et ce nous fut assez. |
Notre Amour
Notre amour, ce soir, se penche, De la paresse et du lit, |
La Nuit d’Avril
Je ne me suis pas fait la tête de Musset, Des couplets sur ce bon Monsieur de La Palice |
I
En quel bar, mon ami Douglas, Revivez ces soirs enchanteurs |
II
L’Amour — et son arc irrité, Ce tournoiement où le repas |
III
Caporal Carco, vous n’étiez On s’arrêtait soudain, charmé. |
IV
Une lèvre mordue au sang, Les gentils souvenirs furtifs ! |
V
J’ai rêvé que Paul Fort tout nu, À l’abri du parasol vert, |
VI
Accepte ce vers agrafé Le ruisseau couler — et tes pleurs, |
VII
La dame au rire gracieux Vous a vu monter à midi |
VIII
Broderai-je autour de ton nom J’ai des sonnets flambants d’aveux |
La patronne d’un tir forain
Fut indulgente à mon caprice.
Gardons, mon cher Jean Pellerin,
Que sa mémoire ne périsse !
Clara, disputée aux couteaux Clara, Toulousaine Clara, |
Son époux, atteint de cirrhose,
Et, las ! indifférent,
Laissait bayer son vieux parent
Au sein qu’elle avait rose.
Mais, voilà ! Le sein ne voulait
S’extirper de sa gaîne…
L’archet du tzigane semblait
Harponner la rengaine…
Saison thermale et soirs sans joie !
Giron, quels rends-tu fous ?
Métèque, où ton œillade ? Et vous,
Comment va votre foie ?
Ce plastron de ciel, cravaté
D’un nuage en batiste,
Le monsieur peintre au genre artiste,
À la plage d’été,
Le fixe, lèche. Et puis, avant
De terminer sa toile,
En guise d’épingle, au-devant
Il y pique une étoile.
Le jour passe la sombre ligne
Des pins dressés là-bas…
Ô jour qui viens, de quels combats
Donneras-tu le signe ?
Quelles peines sont dans ta main ?
De quel plaisir tenace
Offert — ou refusé — demain
La rançon nous menace ?
Indifférente, sans songer
À ce que tu fais naître,
La servante, jour étranger,
Va t’ouvrir la fenêtre…
Dieu nouveau, monarque subtil,
Pour te rendre propice
Jour qui commences, que faut-il
Jeter à ton caprice ?
Tes aînés, tyrans sans amour,
Ont trompé mon envie.
Toi, jour, feras-tu d’un seul jour
La raison d’une vie ?
Le moustique est vénitien
Et la dame mordue,
Cheveux dorés, gorge éperdue,
Eut séduit Titien.
Lui, s’amuse avec le corset.
Il s’est mis à son aise
En marmonnant quelque Musset :
« À la Zueccque, à Saint-Blaise… »
Elle, lasse de voyager,
S’aimerait mieux aux Ternes
Où vont les fiacres échanger
Les rires des lanternes.
Cependant, malgré la chaleur,
En dépit du moustique,
Elle dit son rare bonheur
D’être à l’Adriatique,
Et, bâillant de sommeil, d’ennui,
Louchant vers son horaire :
« Que c’est beau Venise, la nuit !
Comme c’est littéraire ! »
L’arracheur de dents aura fait
Une bonne journée.
Après le maire, le préfet
Parle. C’est sa tournée.
La patronne du Cadran Bleu
Que désolent des kystes
Avec ses airs de quand il pleut.
S’attendrit aux lakistes ;
Sa bonne, tablier coquet,
Se laisse aimer d’un nègre…
Ce que voyant, le perroquet
Clame d’une voix aigre :
« Même histoire, même désordre
Aux détails affligeants,
Depuis que l’amour cherche à mordre
Le cœur des jeunes gens ! »
C’est l’heure où parle le clocher
De choses éternelles,
L’heure où se vont toutes coucher
Les rouges coccinelles,
L’heure où, sur le seuil du Lapin,
Bonnet frondeur, hilare,
Frédé, l’avant-dernier rapin,
Accorde sa guitare,
L’heure où le vent se fait chanson
Quand la chanson s’est tue,
Où la lumière, d’un frisson,
Anime la statue.
C’est l’heure tendre où notre émoi,
Dépouillé d’amertume,
Te voudrait plus toi, chère, et moi
Plus moi que de coutume.
Le fleuve balance un chaland ;
Le noyer, une branche ;
L’air joue, espiègle et nonchalant,
Dans ton écharpe blanche.
Garder l’instant déjà pressé…
L’heure glisse, s’essaime…
Pourquoi faut-il que ce qu’on aime
Ne soit que du passé ?
Sur un banc à meilleurs moments,
Le valétudinaire
Dévore cinquante romans
De Marcelle Tinayre.
La caissière écrit ses menus.
Enfin, lasse de coudre,
Cilysane tord ses bras nus
Les caresse, les poudre.
Il fait chaud. Là-bas sur les monts
L’air se fixe, grésille.
Versez l’eau, pressez les limons,
Aimable jeune fille.
Musique, parfums, sons, odeurs,
Nous viennent par bouffées.
Torpeur, fatigue, chiens rôdeurs
Et femmes dégrafées.
Somnolence. Vers languissant.
Le valétudinaire
Reprend (quand nous serons à cent…)
Un Marcelle Tinayre.
… Active, bravant la buée
Où je me sens dissoudre,
Après s’être toute poudrée,
Cilysane se poudre…
Le camelot à brune guiche
Offre « Fieramosca ».
Je suivrai mon désir qu’aguiche
Un verre de muscat.
J’irai, Florentine inclinée,
Fumer sur tes coussins
Et voir ta folle destinée
Railler sur tes dessins.
Demain, tristesse. Au matin blême,
Encore un livre lu !
Encore un séduisant problème
Strictement résolu !
Les fleurs les plus rares ne sont
Que fleurs lorsque coupées.
C’est le même insipide son
Dans toutes les poupées.
C’est la loi, l’ordre, le lien !
J’obéis. Nul n’échappe…
— Ton manteau. Donne-moi ma cape
Ici, garçon. Combien ?
Ce film vous enchante où le flic
S’avère épileptique,
Image — dirait Monsieur Frick —
Hypercinématique.
Le voleur y franchit un mur
À pieds joints, sans que batte
Un cil. L’autre enfonce l’azur
Comme nul acrobate.
Poète, tu t’en vas ainsi,
Lorsque le souffle passe,
Par l’air et le monde, affranchi
Du temps et de l’espace....
… Positifs et souffle ont passé.
C’est la fin du mystère.
Le poète est chez lui, lassé.
L’acrobate est par terre.
Il exigeait la vérité
De toutes. Et le pire
Fut qu’il l’obtint. L’âpre Shakespeare
Ne l’avait point tenté.
Bottom baisé. Charmante fable !
Symbole précieux
De l’illusoire, seul affable,
Sous d’aussi tristes cieux !
La franchise ? On la lui donna,
Il se vit sans chimère
Tel que le sort le façonna
Après ses père et mère.
Il vit ses rides, son souci
Mesquin et sa détresse,
Ses amitiés. Il vit aussi,
Ô douleur ! sa maîtresse…
Ainsi, mourut de mille flammes,
Sinon vierge, martyr.
Nous ne vous prions, rêves, femmes,
Que de savoir mentir !
Elle protestait : « Ça, le Caire ?
Non ! » Le Caire avait l’air
En son entendement précaire
D’un décor pour mujer
Menant la danse abdominale.
Ce palace correct
Où l’on buvait l’eau minérale
Lui tournait l’intellect.
Elle ne retint que l’ânier
Avec sa selle à franges
Qui dort, plié dans le panier
De ses blondes oranges,
Et dont le sourire d’enfant,
Heureux de ses mains sales,
S’enlève, édenté, triomphant
Sur les cartes postales.
Le chat rôde. Le clavecin
D’une corde soupire.
Syrène parle à son coussin
Du meilleur et du pire,
De son greluchon, de l’ennui,
Du lit et de la guerre,
Des hommes gardés aujourd’hui
Et des moutons, naguère.
Le paulownia secoue au vent
Ses coques bruissantes,
Une feuille court de l’auvent
Au tapis roux des sentes,
Et la main que Syrène étend
Semble, portant cinq roses,
Un oiseau qui, jusqu’au printemps,
Fuirait ces jours moroses.
Dis, amour, quel parfum choisir ?
De quel titre bizarre
Où l’été brille — et le désir,
Le mélange se pare ?
Ô chef des suaves odeurs
Conseille, inspire, assiste :
Quel flacon propice aux ardeurs
Pencher sur la batiste ?
Ambre de « Mon enfant, ma sœur… ? »
Lilas musqué de Perse ?
Ce troisième où dort la douceur
D’avril après l’averse ?
Laisse. Il ne souhaite aujourd’hui,
En son plus tendre rêve,
Que le parfum qui monte à lui,
Lorsque ton bras se lève.
Belle à damner. Et ce fichu,
Le diable l’entrebâille.
On jurerait d’un pied fourchu
Dans l’ombre de la faille.
L’œil est menteur comme un baiser.
La bouche, si charnue,
Malgré le rouge à déguiser,
La bouche est toute nue
Telle, en son désordre, doigts joints
Sur la jambe cachée,
Apparaît, sinueuse, moins
Assise que couchée,
Madame Lise, dédiant
Sa mortelle apparence,
Voyant seigneur ou mendiant
Avec indifférence,
Et qui, sous ces fauves rayons,
Tentante et décevante,
Regrette qu’un jeu de crayons
La fasse, seul, vivante.
Sorti du bain ton corps vainqueur,
Te voit-il — jalousie ! —
Plus douce et fraîche que le cœur
D’une rose choisie ?
Devant ton Steinlein subtil,
Est-ce qu’il se pavane ?
Vautré dans le fauteuil, a-t-il
Allumé son havane ?
Rêvant du nombreux espalier
Des précédentes Lises,
T’entend-il monter l’escalier
Des dures vocalises ?
Cette ombre qui passe soudain
En voit-il le passage
Sur le visage du jardin
Et sur ton clair visage ?
Dis s’il aime tes bibelots
Et s’il se passionne
Pour le bel ange aux yeux mi-clos
De l’Incoronazione ?
Dans la coupe où mon souvenir
A grisé sa folie,
Voit-il, cercle fatal, venir
Le cerne de la lie ?
L’alcool était quadragénaire
Et, sur le guéridon,
L’idole, dont avait fait don
Guillaume Apollinaire,
Nous fixait de ses yeux cruels.
Riant à la séquelle,
La dame esquissait des pas qu’elle
Prétendait rituels.
Et moi, j’évoquais cette terre
Où, fille de beauté,
Ta danse tisse du mystère
Et de la volupté.
Ta danse, la naïade en joie
Au milieu des roseaux
Où, tournoyant, monte et s’éploie
Un millier d’oiseaux
Légers, ivres d’azur… ta danse
Où la paresse dort,
Où l’ardeur se couche et s’élance
Sur une flèche d’or…
Il fallait cesser d’être dupe.
Ayez pitié de nous.
La dame autour de ses genoux
Levait sa lourde jupe.
Que ton bras se lève et trace
Un furtif rayon de chair,
Que, bouche pendante et lasse,
Tu t’abreuves au grand air,
Que ta nuque se corrode
Aux acides des clartés,
Que le soleil d’ombre brode
Tes chaudes intimités,
Que, dans tes cheveux, baignées
Sous tes mains libres enfin
Les épingles araignées
Tissent des fleuves d’or fin,
Glissant du lit, que tes lisses
Jambes nous suggèrent les
Chiffres inscrits aux caprices
Des mondes émerveillés !
Nous te remercions, femme,
De parfaire et d’ébaucher,
D’être l’eau, d’être la flamme,
Déesse qu’on peut toucher !
Abrite sous tes paupières
Tout ce qui n’est pas à nous
Et place pour tes prières
Nos têtes sur tes genoux.
Les mille insectes de la pluie
Grignotent les carreaux ;
Une sorcière qui s’ennuie
Retourne ses tarots.
Sur la lampe s’enfle, grésille
Le pavot ténébreux
Et la fumée à tes cheveux
Esquisse une résille.
Le rêve vient, danse, m’évite,
Revient tourner en rond.
Sur les coussins ma tête hésite
À reposer mon front.
Le haut bûcher de mon délire
Où le dressera-t-on ?
La flamme s’envole. Ouvre ton
Kimono, Déjanire !
La Marguerite à l’écheveau
Penche sa gorge nue ;
Faust que le diable rend dévot
Regrette sa cornue ;
Don Juan, devant un seuil galant,
Huile quelque serrure ;
Masoch fait jaillir en tremblant
Deux seins d’une fourrure ;
La maquerelle met des bas
À la Vénus Pudique ;
L’enfant latin parle tout bas
De lever sa tunique ;
Barbe-Bleue est l’amant repu
De ses assassinées ;
Le succube prit ce qu’il put
De deux hallucinées…
Mais, toi, qui gardera ta bouche
Et vaincra ton baiser,
Ta bouche où le baiser se couche
Et meurt sans s’apaiser ?
Le vent a poussé les auvents ;
La crépitante averse
De milliers d’aiguilles traverse
Les nuages mouvants ;
Aux étangs morts, l’automne las
Boit dans ses mains noircies…
La cloche abandonne son glas
Aux brumes épaissies…
L’opium et lui vous ont pris
Le cœur, de telle sorte
Qu’ils ne m’ont rien laissé. Tant pis !
Pour nous, vous êtes morte.
Vivante pourtant, de vos yeux
Perfides et tranquilles
Où se reflètent en leurs cieux
L’Inde, Dakar, les Îles
Sous-le-Vent… Ce qui fut nous deux
Vous est comme une histoire
Tombée au fond de la mémoire
En un coin hasardeux.
Je dis : « Le pas de la naissante
Averse nous pressait.
Vous luttiez avec un lacet
Sur la route d’Oissante,
Vous rappelez-vous ? » Votre oui
Condescend et termine.
Car il va venir. Ébloui
Votre cœur s’achemine,
Et votre désir, vers le soir
Dénouant votre tresse,
Vers son regard et sa caresse
Et vers le poison noir.
Le premier frisson du matin,
Une cloche qui tinte.
Le songe est mort. Le feu s’éteint.
La lampe s’est éteinte.
Un mouvement sur la litière.
Soupirs. Un geste pour
Tendre le bas de la portière
Où glisse l’œil du jour.
Que du pavot naisse la terre
Où, fille de beauté,
Ta danse tisse du mystère
Et de la volupté,
Ta danse, la naïade en joie
Au milieu des roseaux
Où, tournoyant, monte et s’éploie
Un millier d’oiseaux
Légers, ivres d’azur… Ta danse
Où la paresse dort,
Où l’ardeur se couche et s’élance
Sur une flèche d’or.
Ce souffle qui chante au-dessus
De la lampe en veilleuse,
À bercé vos espoirs déçus,
Votre fierté railleuse,
Le désir qui nous rassembla
Ou notre solitude,
Noyant amour, haine dans la
Même béatitude…
Écartez les mots que j’aimais
De votre bouche lasse.
Le dieu nous parle à voix trop basse :
On ne l’entend jamais.
D’UNE VIEILLE MYTHOLOGIE
Si tu lui parles de Champsaur,
Elle est comme une teigne,
Car elle s’est fait ce teint saur
À relire Montaigne.
Mords le passage où dort dessus
Vulcain, Vénus bourgeoise.
Où digitos habet versus…
« Horreur ! » qu’elle dégoise,
Et couvre d’un papier les vers
Où Cupidon agile
Suit, apprenant ses doigts pervers,
La méthode Virgile.
Voir enfin l’île nuancée
Où, sur un rayon d’or,
L’abeille danse et puis s’endort
Au creux d’une pensée,
Où les fleurs sont des fruits, où les
Fruits sont des fleurs, où lance
La fontaine, aux cieux constellés,
Le refrain du silence.
Aux soirs plus roses que des joues
Sous ce rideau tremblant,
Femme qu’ennuage du blanc,
Est-ce ici que tu joues ?
Un paon vient, superbe, iriser
Une flaque de lune ;
La lune donne à l’ombre brune
Un lumineux baiser.
L’eau s’étire, tourne, se moire,
Au centre des bassins.
La dame a mis la rose noire
À dormir sur ses seins…
On plaisantait Jupin, là-haut —
Joyeux propos de table —
Diane criait : « T’as Io, t’as Io ! »
Calembour détestable !
Vénus, sur tous, le harcelait.
Le maître, à la pécore,
En regardant Mars dit : « Encore
Un peu de ce filet ? »
Quand mon fil se cassera sous
Les ongles de la Parque,
Quand ma bouche aura les deux sous
Pour la dernière barque,
Où serez-vous ? Dans le jardin
Où je devrai descendre ?
Que serez-vous ? Charme, dédain,
Douce chair ou bien cendre ?…
— Nous n’entendrons plus ta chanson,
Marchande, « belles fraises »,
Ni ta trompette à l’aigre son,
Doux rempailleur de chaises !
— Prépare l’omelette au lard,
Je vais plier les nappes.
— Oh ! ces écharpes de brouillard
Sur mon quai de Jemmapes.
— Ou sont les restes du pâté ?
— Où, tes rires, faunesse ?
— J’ai perdu la passoire à thé.
— J’ai vécu ma jeunesse…
Nos premières heures d’amants
Ses baisers d’étourdie,
Rêve !… — Deux déménagements
Valent un incendie.
Jeanne lutte avec un huissier
Et le poëte Chose
Récite chez le financier
Sa ballade à la rose.
Les dieux s’en vont — s’en vont au trot !
Jeanne se décourage
Et le dernier Abencérage
Est mort dans le Métro.
La créole couchait sans draps
Et, sans autre vêture
Qu’un large et bigarré madras,
Écoutait Louverture,
Son nègre robuste et charmant,
Égrener la romance,
Avec un accompagnement
De mandole en démence.
Bon ménage ! Paisibles mœurs !
Ignorant l’indécence,
Telles deux exotiques fleurs
En ce doux coin de France,
Ils ont vécu, rideaux ouverts,
Leur paresse licite.
Permets qu’après quatorze vers,
Muse, on les félicite !
Tu veux un bouquet de jonquilles,
On te l’accorde et l’on
Danse autour de l’accordéon.
Famuche joue aux quilles.
Dodo cessant d’être rétif
Tend la peau de son rable
Afin qu’un tatouage admirable
Azure un cœur votif.
Ce cœur qu’à droite de la flamme
Un trait vient de percer
Réponds, Dodo, quel nom de femme
Y feras-tu tracer ?
Veux-tu Méloche, la Sans-Honte,
La Rose du Poteau,
Et devrais-je, sous ton couteau ?…
Dansons. L’aurore monte…
Elle préférait celui-ci,
L’emportait sur la plage,
Et sa cigarette a roussi,
Le soir, plus d’une page.
Verlaine ! Et cité mot à mot,
Parfois tout d’une haleine !
J’eusse compris Monsieur Rameau…
Mais Verlaine, Verlaine ?
Que te disait, maître divin,
Cette âme inanimée
Où rien ne veillait que de vain
Où l’Envie, enfermée
Avec la Sottise, tenait
Cénacle de bassesse ?
Et toi quel désir te prenait
De lui parler sans cesse ?
Aussi rêvé-je, se cachant
En elle, d’une autre elle —
D’une autre en qui parfois le chant
Venait plier son aile…
Ce brouhaha de Mi-Carême
Évoque ce jour-là,
Où tu dansais dans un gala
Sous un domino crème.
Un gentilhomme ensatiné
Que parfumait l’absinthe —
Son masque chevauchant un nez
En oignon de jacinthe —
Avait pris ton cœur et ton bras
Après son pernod-gomme.
Vous souvient-il du Mardi-Gras,
Du maigre gentilhomme ?
Parlant de l’étage, Lisa,
Le concierge, homme austère,
Déplorait qu’il réalisât
Le vœu du phalanstère.
Ce sixième fraternisait.
Jamais l’humeur jalouse
À l’épouse n’interdisait
Le lit d’une autre épouse.
Et l’on s’adorait, partageant
Avec l’honneur, le cuivre.
On ne connaissait pas l’argent.
Cela s’appelait vivre.
Nous nous sommes quittés. Pourquoi ?
Une dame sournoise,
L’ambition à l’œil narquois,
Monta nous chercher noise
Et parvint à nous déranger.
Mais faut pas qu’on insiste,
On en aimerait Béranger…
Ce serait le plus triste !
C’était au temps où l’écolier
Consciencieux tartine,
Pastiche honnête et régulier,
Sa jeune Tarentine.
Je gréais des nefs sur les mers
Où glissait l’Argonaute.
Le pion venait chercher mon hôte
À l’heure des amers.
Le patron passait des bouteilles,
Louait son Calvados.
Des voiles se gonflaient, pareilles,
Non loin de Tenédos.
Nausicaa lavait un linge
Moins blanc que ses pieds nus.
Le zingueur tenait sur son singe
Des propos saugrenus.
La fille aux peignes surchargés,
Venant reprendre haleine,
S’accoudait, comme dût Hélène.
Et les rires légers
Consécutifs à la recette
Peuplaient un bois sacré
Fleurant le vermouth, l’anisette
Et le tassé sucré.
— Même histoire, même désordre
Aux détails affligeants,
Depuis que l’Amour cherche à mordre
Le cœur des jeunes gens !
Ainsi parlait, l’index à l’œil,
Notre bon moraliste.
Il connaissait toute la liste,
Et, écueil à écueil,
Dénombrait les mauvais passages.
Pourquoi ne fûmes-nous
Ni moins attentifs, ni plus sages
Que tous les autres fous ?
C’est que le professeur lui-même,
Lorsque Zette glissait
Un long ruban de satin crème
Aux pièges du corset,
En avalait son éloquence…
Zette, votre ruban
Emprisonnait plus de sapience
Que son docte turban.
Vos coussins d’or et ces tentures
D’un jaune canari
Et ces poëmes d’aventures
Où Monsieur Kahn a ri,
Nos accords ou nos désaccords —
Rares et dont nous rîmes.
Nos cœur à cœur, nos corps à corps,
Nos gammes et nos rimes,
Le galon nonchalant d’un fil
D’or sur votre saignée,
Lorsque, boudeuse de profil,
De face, résignée,
Notre voisine à l’œil si doux,
Aux lèvres trop mordues,
Nous régalait de chants hindous
À des heures indues.
DU TEMPS DE GUERRE
Je me rappellerai la masure concave,
|
Chanson
Si tu veux, fuyons la ville.
|
Le chat s’étire, se caresse,
|
La musique. On applaudit
|
Marie a lavé sa vaisselle, |
Petite pipe et petit matin. |
Le destin propose à la chance
|
ROMANCE DU RETOUR
Paris, milliers de promesses,
|
Page 34.
Et je restai, le cœur léger,
Sur la place des Ternes
Où vont les fiacres échanger
Les rires des lanternes…
Var. :
Elle, lasse de voyager,
S’aimerait mieux aux Ternes
Où vont les fiacres échanger
Les rires des lanternes.
Page 57.
Ce poème Octobre fut publié dans la revue Les Petites Feuilles, en 1908, sous le pseudonyme de Eve Arrighi. Jean Pellerin rêvait alors de donner, en les attribuant à la même et imaginaire poëtesse, plusieurs poèmes, non moins que chastes. La critique s’y laissa prendre. Guillaume Apollinaire, dans un ouvrage sur l’amour au xixe siècle, a reproduit en effet Octobre avec la signature : Eve Arrighi.
Plus tard, Jean Pellerin abandonna son projet, après quelques articles dont un parut au Divan, mais il citait volontiers des vers comme celui-ci, qu’il attribuait par fantaisie à l’innocente Eve Arrighi :
Et j’irai sous ton ventre écraser la vendange…
Page 82.
Lui, s’amuse avec le corset…
Var. :
L’homme joue avec le corset…
Page 85.
Concert. Visite à quelque ruine,
Et panne de moteur.
Ton sourire, perçant la bruine
D’un vaporisateur,
Sur un banc à meilleurs moments,
Le valétudinaire
Dévorant soixante romans
De Marcelle Tinayre,
Pour une affiche, un kimono,
La moindre poësie,
L’air, le croupier du casino,
Ton cœur qui s’extasie,
Décolletés blonds et hardis
Des jeunes divorcées,
Cantaloups glacés des midis
Aux nappes damassées,
Anciens ministres du Pérou,
Ténors de Carcassonne,
Et Messaline au chignon roux
Que son mari soupçonne…
Aujourd’hui je reviens et tel
Qu’hier. La cloche sonne…
La même cloche au même hôtel.
Je ne revois personne.
Rapprocher la deuxième strophe de ce poème de celle qui forme le début de la pièce VII (Déplacements et villégiatures).
Sur le banc à meilleurs moments
Le valétudinaire
Dévore cinquante romans
De Marcelle Tinayre.
Page 87.
Encore un séduisant problème…
Var. :
Encore un savoureux problème…
Page 91.
… Qui dort, plié dans le panier
De ses blondes oranges.
Var. :
… Qui dort, plié dans le panier
Où couchent ses oranges.
Page 91.
Cette strophe remplace dans certaines versions, des poèmes de Jean Pellerin, la strophe finale de la pièce XI (Déplacements et villégiatures).
Et la terrasse d’Ardiveh
À l’horizon notoire
Que bleuit un soir enivré…
Mais c’est une autre histoire…
Page 95.
De son greluchon, de l’ennui…
Var. :
De son amant, de son ennui…
Page 97.
Belle à damner. Et ce fichu…
Var. :
Belle à damner. Ce noir fichu…
Page 102.
Les deux dernières strophes de ce poème ont été ajoutées dans une copie écrite de la main de Jean Pellerin sur l’un des manuscrits qu’il laisse.
Page 125.
Et sans autre vêture
Var. :
Et n’ayant pour vêture
Page 125.
Permets qu’après quatorze vers…
Var. :
Tu permets qu’en ces seize vers…
Page 128.
Aussi rêvé-je, se cachant…
Var. :
Je voudrais rêver, se cachant…
Page 129.
Ce sixième fraternisait…
Var. :
Notre entresol fraternisait…
Page 129.
Ce poème VII (Bohème) a, pour variante, après la deuxième strophe, les vers suivants :
Lisa, disputée aux couteaux
Dans le suburbain louche
Et qui règnes sur les Puteaux
L’œillet rouge à la bouche…
Plus épiée en vos amours
Que princesse du Tage,
Aux heures des désirs trop lourds,
Rappelez-vous l’étage.
La première de ces deux strophes est à peu de chose près une variante également de la pièce IX (Dédicaces) qui débute :
Clara, disputée aux couteaux
Dans le suburbain louche,
Vous m’apparûtes à Puteaux,
Un œillet à la bouche…
Page 130.
Pastiche honnête et régulier…
Var. :
Pastiche morne et régulier…
Page 130.
Je gréais des nefs sur les mers…
Var. :
Vous nolisiez des nefs aux mers…
Un monde est reconstruit. Il étage les vignes,
En recréant un ordre exaspéré des lignes.
On ignorait le ciel que peut mordre un coteau,
La fleur parmi les fleurs, la pomme, le couteau…
Un caprice a fondu dans l’âme des vieux marbres
La pâte qui se cherche et se tord sous les arbres,
Avant de se figer, désespoir assouvi…
Les dames à tournures qui discutent le geste de Francillon,
Ont trouvé le genre Velasquez pour les hôtels du parc Monceau.
Un monsieur bien cambré cueille, avec son pinceau,
Une touche ronde de vermillon
Grosse comme une rosette de la Légion d’Honneur.
Les modèles posent pour le Louvre
Ignorant que le destin, peu fait aux usages, ouvre
Déjà le livre d’un triste musée de province…
Ivre d’anis et de tristesse,
L’arlequin géant a plié…
Les gants noirs d’une Yvette maigre,
La fille traînant, ébahie,
De bar en bar, le prince nègre
Qu’elle a conquis à l’abbaye.