Le Bouddhisme au Tibet/Chapitre 3

Traduction par Léon de Milloué.
Texte établi par Musée Guimet, Impr. Pitrat Ainé (p. 11-13).

CHAPITRE III


système religieux de Sakyamouni

La loi fondamentale. — Le dogme des quatre vérités et les chemins du salut.

Quoique fondateur du bouddhisme, Sakyamouni n’est plus considéré comme le premier Bouddha. Plusieurs Bouddhas très parfaits l’avaient précédé (à ce que l’on croit maintenant), et d’autres paraîtront plus tard ; mais tous ont enseigné la même loi[1].

Le système religieux original, tel que l’enseignait Sakyamouni, est simple en ses principes ; son caractère est la hardiesse de la spéculation philosophique. Voici son dogme fondamental[2] :

Toute existence est un mal ; car la naissance enfante le chagrin, la souffrance, la décrépitude, la mort.

La vie présente n’est pas la première ; d’innombrables naissances l’ont précédée dans les siècles antérieurs.

La reproduction d’une nouvelle existence est la conséquence du désir des objets existants et des actions agrégées en une succession non interrompue depuis le commencement de l’existence. La propension aux plaisirs de la vie produit le nouvel être ; les actes des premières existences déterminent la condition dans laquelle ce nouvel être devra naître.

Si ces actes ont été bons, l’être naîtra dais un état de bonheur et de distinction ; au contraire, ont-ils été mauvais, l’être est destiné à un état de misère et de dégradation. L’annihilation absolue des conditions et douleurs de l’existence — Nirvâna — s’obtient par une domination très complète de la passion, des mauvais désirs et des sensations naturelles.

Sakyamouni développe cette doctrine fondamentale dans la théorie des quatre excellentes vérités : la douleur, la production, la cessation, le chemin. Elles s’appellent en sanscrit : Aryani Satyani, et en tibétain : Phagpai Denpazhi. Leur sens peut se définir ainsi :

1° La douleur est inséparable de l’existence.
2° L’existence est produite par les passions et les mauvais désirs.
3° La cessation des mauvais désirs met fin à l’existence.
4° Révélation de la voie qui mène à cette cessation.

En détaillant les préceptes moraux de la quatrième vérité, il indique huit bons chemins :

1° La bonne opinion ou orthodoxie ;
2° Le bon jugement qui dissipe tous doutes et incertitudes ;
3° Les bons discours ou parfaite méditation ;


Annales du Musée Guimet t. III, pl. I


DOGME FONDAMENTAL
DE LA
RELIGION BOUDDHIQUE

I
EN SANSCRIT, ÉCRIT EN CARACTÈRES TIBÉTAINS

ཡེ་ངྷརྣྰ་ཏུ་པྱ་བྷ་བྰ ། ཧེ་ཏུནྟེཐྰ་ག་ཏོ་ཧྱ་བ་དཏ །

ཏེཁྰཞྕ་ཡོནི་རོདྷ ། ཨི་ཝཔྰ་དྰི་ནྰཧ་ཤ་མ་ནཿ །

སརྦ་པྰ་པསྱ་ཀ་ར་ནི ། ཀུ་ཤ་ལ་སྱོ་པ་ས་པྱ་དྃ །

སྦ་ཅོཏྟ་པ་རི་ད་ན་ནུ ། ནོ་ཏདྦུད་དྷྰ་ནུ་ཤྰ་ས་ན ། །


II
TRADUCTION TIBÉTAINE

ཆོས་ནམས་ ཐནས་ཅད་རྒྱུ་འས་བྱུང །

དེ་རྒྱུ་ཏེ་བཞེན་གཤེགས་པས་གསུངས །

རྒྱུ་ལ་འགོག་པ་གང་ཡིན་པ །

འདི་སྐད་གསྱང་བ་དགེ་སྦྱོང་ཆི །

སྟིག་པ་ཅི་ཡང་མེ་བྱ་སྟེ །

དགེ་བ་པུན་སུམ་ཆོགས་པར་ཟྤྱད །

རང་གི་སེནས་ནི་ཡོང ས་སུ་གདུལ །

སངས་རྒྱས་བསྟན་པ་འདི་ཡིན་ནོ ། །



4° La bonne manière d’agir, ou de garder dans toute action un but pur et honnête ;

5° La bonne manière de supporter la vie, ou de gagner sa subsistance par des moyens honnêtes sans la souillure du péché ;

6° La bonne direction de l’intelligence qui conduit au salut final (de l’autre côté de la rivière) ;

7° La bonne mémoire qui permet à l’homme d’imprimer fortement dans son esprit ce qu’il ne doit pas oublier ;

8° La bonne méditation, ou esprit tranquille, par lequel seulement on peut atteindre à la constance dans la méditation sans être troublé par aucun événement.

On a douté avec raison que Sākyamouni ait enseigné les quatre vérités sous cette forme ; mais il doit avoir parlé des moyens d’atteindre à la libération finale, ou au salut et j’ai ajouté ici ces huit classes du chemin qui lui sont attribuées déjà dans les plus anciens soûtras[3]. La théorie des quatre vérités a été formulée en une courte sentence, qu’on a découverte sur plusieurs anciennes images bouddhiques ; en outre, on la récite actuellement comme une sorte de profession de foi et on l’ajoute aux traités religieux. La voici :

« Toutes choses procèdent de causes ; le Tathāgata a expliqué la cause de leur procession. Le grand Sramana a également déclaré la cause de la fin de toutes choses[4]. »

Tathāgata et Sramana sont deux épithètes de Sākyamouni, ainsi qu’il a été dit précédemment. Les anciens livres religieux appliquent aux disciples de Sākyamouni le titre Srāvakas, « auditeurs », nom qui se rapporte à leur perfection spirituelle. Les bouddhistes de cette époque paraissent s’être donné le nom de Sramanas, « ceux qui domptent leurs pensées, qui agissent purement » par allusion à leurs vertus morales et à leur conduite générale[5].

  1. Cette théorie paraît avoir été déjà introduite dans la mythologie bouddhiste par l’école sautrantika. Voyez Wassdjew, Der Buddhismus, p. 315. À ce dogme se rapporte aussi le nom de Tathāgata (v. pt 4 pour l’explication philosophique de cette expression par thus gone (ainsi allé), citée par Hodgson d’après les œuvres originales). Voyez Burnouf, Introduction, p. 75.
  2. Voyez l’importante exposition de Köppen Die Religion des Buddhas, pp. 213, 226. On trouve des notes sur les dogmes primitifs du bouddhisme dans de nombreux passages de Burnouf, Introduction au bouddhisme indien et Lotus de la bonne Loi ; dans Hardy Eastern monachism et Manual of Buddhism.
  3. Au sujet des quatre vérités voyez : Csoma, Notices dans As. Res., vol. XX, pp. 294 à 303 ; Burnouf, Introduction, pp. 290, à 629 et Lotus de la bonne Loi, appendice V. Dans le chapitre suivant on verra une autre série de ces huit classes, qui sont évidemment le produit d’écoles plus nouvelles.
  4. Cette sentence sert aussi de conclusion à l’adresse aux Bouddhas de Confession, voir chapitre IX. Nous avons suivi Hodgson dans la traduction de cette sentence ; voyez : Illustrations, p. 158 ; d’autres traductions de diverses versions ont été publiées par Prinsep, Csoma, Mill et récemment comparées par le Colonel Sykes. Voyez : Miniature Chaityas and inscriptions of the Buddhist religion’s dogma dans R. As. Soc., vol. XVI, p. 37. Le texte sanscrit écrit en caractères tibétains et la version tibétaine sont donnés planche I.
  5. Wassiljew, Der Buddhismus, p. 69.