Le Bouclier d’Alexandre/Texte entier

Calmann-Lévy, éditeur (p. --216).


LE


BOUCLIER


D’ALEXANDRE


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Il a été tiré de cet ouvrage


CINQUANTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE HOLLANDE


tous numérotés.



Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays.


Copyright, 1922, by Calmann-Lévy.


À NOËL PINELLI

En souvenir de la mer qui fut le berceau de votre race et votre premier amour ; en souvenir des soirs d’Orient dont la lumière demeure au fond de nos yeux ; en souvenir des jours radieux et des jours tragiques, acceptez ce livre où vous retrouverez l’écho de nos entretiens et l’ombre nuancée de nos rêves.

M. T.



LE


BOUCLIER D’ALEXANDRE


I


Il était deux frères à Tarente, Grecs d’origine, descendants d’une famille autrefois célèbre, quand elle exerçait, dans la cité de Corinthe, les arts du fondeur et du ciseleur. Hermotime et Nicias avaient reçu en héritage des traditions qu’ignoraient leurs rivaux italiotes, et, non moins bien que leurs ancêtres, ils savaient animer l’or, l’argent et l’airain. Dans leurs ateliers, les esclaves, instruits dès la jeunesse, devenaient de grands artistes. Tous leurs ouvrages étaient reconnaissables à certain éclat mystérieux qui était comme la fleur du métal et qui désespérait les fondeurs de Brindisi et d’Alexandrie. Les deux frères comptaient, parmi leurs clients, le divin Trajan lui-même. Ils exécutèrent plusieurs statues pour le Palatin et, la faveur impériale les soutenant, ils firent commerce de statues et d’objets ciselés avec toutes les provinces de l’empire.

Nicias venait d’épouser une Syracusaine quand Hermotime, dégoûté de la vie sédentaire, prit la résolution de voyager, rompant ainsi une association fort heureuse. Ils partagèrent leurs biens et le cadet garda l’établissement de Tarente dont il vit croître la prospérité. Cependant, l’aîné parcourait l’Orient, seul ou avec des caravanes, si bien qu’il apprit les divers langages et les traditions de tous les peuples barbares qui vivent entre le Pont-Euxin et l’Indus.

Après dix ou quinze ans d’aventures, Hermotime connut un banquier macédonien qui lui donna sa fille en mariage, et lui céda son comptoir. Bientôt, il perdit coup sur coup son beau-père, sa femme et sa fille unique. Dans cette épreuve, Hermotime montra une fermeté philosophique vraiment digne d’admiration. Il se consola en faisant des affaires et ne voulut pas se remarier, car il avait déjà la tête blanche. D’ailleurs, il ne manquait pas d’héritiers et il consentait que sa fortune enrichît — le plus tard possible — son cher Nicias, le seul être qu’il eût aimé profondément, ou les enfants de Nicias. Séparés depuis tant d’années, les deux frères entretenaient toujours des relations affectueuses. Ils se procuraient l’un à l’autre de bons clients, surtout depuis qu’Hermotime, sur le conseil de Nicias, s’occupait de réunir des pierres gravées et des médailles anciennes, fort recherchées des collectionneurs.

Or, c’était le temps heureux où la paix romaine couvrait le monde. L’Italie, fatiguée de gloire militaire, connaissait cette douceur de vivre qui précède les catastrophes, si l’on croit les gens chagrins. L’autorité d’Hadrien s’exerçait sans tyrannie. Cet empereur cultivé, spirituel et sceptique n’aimait pas la guerre, bien qu’il eût réprimé l’audace des barbares et la turbulence insupportable des juifs. Il avait ce tempérament particulier de l’archéologue, plus soucieux de restaurer que de détruire et de conserver que de conquérir. Une curiosité insatiable le poussait à voyager. Il visita une grande partie de son empire, dont il avait ramené les bornes en deçà des frontières marquées par Trajan et difficiles à défendre. Sous ses pas, les villes anéanties ressuscitèrent. Il dessina des plans, composa des tableaux, cisela des épigrammes, visita les sanctuaires célèbres, sollicita toutes les initiations et reçut, dans le Panthéon de Rome, tous les dieux qui voulaient bien souffrir la compagnie de dieux étrangers. Hadrien les confondait dans un même culte et, ne croyant à rien, s’amusait de tout. À son exemple, les gens des hautes classes prirent figure d’amateurs et de curieux. Ils se firent, selon la mode, une âme grecque ou une âme égyptienne. La superstition, cette lie de la foi, demeura intacte quand les vieilles croyances disparurent ; mais un esprit de tolérance naissait du scepticisme, et le fanatisme religieux resta l’apanage des femmes ignorantes, du bas peuple et des sectaires juifs ou chrétiens.

Après la mort de son favori Antinoüs, noyé dans le Nil par un accident peut-être volontaire, l’empereur cessa de voyager. Il habita plus volontiers son palais de Tibur où il contenta, par la seule imagination, son goût inquiet de l’exotisme. Au flanc des monts Sabins, il recréa le Pœcile d’Athènes, l’Alphée, Canope, Tempé, les Champs-Élysées et le Tartare. Entouré d’artistes et de philosophes, il rivalisait avec eux et les traitait familièrement. Un sot patricien n’avait pas de crédit à sa cour, tandis qu’un affranchi comme Phlégon possédait toute sa confiance. Ce rhéteur grec, élevé au rang de secrétaire intime et de collaborateur littéraire d’Hadrien, ouvrit les portes de Tibur à ses compatriotes. Il provoqua une véritable invasion de Grecs — architectes, sculpteurs, peintres, bibliothécaires, médecins — et il favorisa particulièrement Nicias de Tarente.

Quantité de statues, de vases, de plats, de miroirs, qui ornaient la demeure impériale, sortaient des ateliers de Nicias. Souvent, il était mandé à Tibur. Hadrien lui soumettait les pièces rares que proposaient certains marchands. Nicias donnait librement son avis et se faisait un jeu de démasquer les faussaires. Chacune de ces expertises lui valait une avantageuse rétribution.


Ainsi, par ses talents personnels et par la faveur d’Hadrien, Nicias devint le plus riche citoyen de Tarente, et bien qu’il fût Grec de race et qu’il affectât de ne jamais parler latin, des personnages consulaires l’honoraient de leur amitié. Il imitait l’empereur en toutes ses manières, portant comme lui les cheveux courts et la barbe taillée en rond, une belle barbe couleur de châtaigne, sans un poil gris, frisée au fer et parfumée. Son front était large, ses yeux bruns, son nez droit ; l’arc de ses lèvres fines lançait aisément la flèche de la moquerie. Il donnait à ses vêtements un style archaïque ou oriental. La noblesse de ses attitudes était incomparable. À force de vivre parmi les statues des anciens maîtres, il semblait avoir appris de Phidias lui-même l’art difficile de se draper.

Son double caractère se révéla dans la conduite de sa vie. Il était à la fois un amateur d’esthétique et un industriel avisé, un voluptueux et un diplomate. Il parlait bien et mesurait toujours ses paroles ; il ne flattait pas les puissants, mais il utilisait leurs faiblesses ; il était secourable aux malheureux, mais il ne s’embarrassait pas des gens qu’un mauvais destin poursuit. Une sagesse naturelle, qu’il avait cultivée à l’école de l’expérience, le défendit contre le périlleux orgueil qu’engendre une extrême prospérité ; ses largesses désarmèrent l’envie, et, parvenu au sommet de sa fortune, il n’eut plus d’ambition que pour ses fils.


II


Tarente, allongée sur deux presqu’îles inégales qui se rejoignent jusqu’à se toucher, se mire, au nord et au sud, dans l’eau marine. Quand on l’aperçoit du golfe, on ne devine pas la grande rade intérieure, et les maisons jaunes, pressées sur l’acropole, n’ont derrière elles que le bleu du ciel. Cette acropole, flanquée de remparts, s’élève au bout de la plus longue presqu’île. Elle porte le temple de Neptune et la cité primitive, habitée par le petit peuple marin. Sur l’autre presqu’île, moins détachée de la côte, une ville neuve s’est formée qui contient les demeures patriciennes, les tribunaux, les théâtres, les thermes et le forum, centre de la vie élégante et voluptueuse. Entre les deux Tarente, un canal, accessible aux vaisseaux, fait communiquer le golfe avec la rade intérieure, vaste bassin naturel, à la fois port de guerre et port marchand.


La maison de Nicias était bâtie aux confins de la ville neuve, du côté de la haute mer. Un rideau de cyprès la défendait contre le vent du nord ; un bois d’oliviers la séparait des ateliers de ciselure, et de la fonderie où des esclaves, surveillés par un contremaître, coulaient dans des moules de sable le cuivre mêlé d’airain. Un bâtiment spécial servait de dépôt pour les curiosités et antiquités de toute espèce. Nicias possédait encore des fermes en Campanie et une villa au bord du Galèse, mais il ne quittait guère Tarente que pour aller à Tibur.

Sa femme Chrysis, de Syracuse, lui avait donné tardivement deux garçons qu’il fit élever avec soin. Dioclès et Chrysanthe apprirent la géométrie, la musique, les grammaires grecque et latine et quelques fragments des poètes et des orateurs les plus célèbres, exerçant leur esprit dans l’école, comme ils exerçaient leur corps sur la palestre et dans le stade. Tous deux, fidèles à l’esprit hellénique, méprisaient les vainqueurs de leur ancienne patrie et ne faisaient pas de différence entre un Scythe et un paysan sabin ; mais ils vénéraient, dans la personne sacrée de l’empereur, celui qui avait enrichi leur famille et plus encore : le bienfaiteur d’Athènes, qui aimait les lettres et les arts grecs.

Là s’arrêtait leur ressemblance ; car Dioclès, blond comme sa mère, ne songeait qu’à partager les travaux de Nicias et à le suppléer dans la direction de la fonderie. Il avait, disait-on, la figure et l’âme moutonnières, tandis que Chrysanthe était un vrai faucon. Les yeux dorés de ce bel enfant pouvaient se fixer de très loin et très longtemps sur les choses à peine visibles. Tout son visage brun était ensoleillé par ces yeux. Ses cheveux noirs frisaient aussi rudement que les touffes de poil au front d’un buffle. Dans sa maigreur adolescente, il avait des muscles fins qui annonçaient la force future et qui se dessinaient élégamment sous la peau couleur d’olive.

Dès sa onzième année, Chrysanthe montra un goût extraordinaire pour l’aventure. La grammaire l’ennuyait, et les discours des savants lui plaisaient moins que les contes de sa nourrice. Cependant, il s’intéressait à la nature des choses et surtout à la configuration de l’univers ; il observait les vents et suivait les révolutions des étoiles ; il construisait de petits bateaux de bois, gréés avec des cordelettes, qu’il lançait sur le bassin de l’impluvium. Il disait : « C’est la nef Argo ! » ou bien : « C’est le radeau d’Ulysse ! »

Et il était lui-même Ulysse ou Jason. D’une voix impérative, il criait des ordres à des matelots imaginaires, comme il avait vu faire aux capitaines des bateaux marchands. D’autres fois, il dessinait sur les murs des galères avec leurs mâts et leurs antennes, et il n’oubliait pas d’onduler symétriquement les crêtes des vagues et de figurer les poissons nageant dans la profondeur des eaux.


Nicias et Chrysis ne prenaient pas garde à ces jeux, mais leur ami, l’ancien navarque, Caïus Livius, admirait les belles dispositions de Chrysanthe. Ce vieil homme, inconsolable d’avoir quitté la mer, habitait, sur l’acropole, une maison décorée d’étoffes lybiennes qui lui rappelaient ses voyages d’autrefois. Sa fortune était médiocre, sa chère frugale, sa famille réduite à deux affranchis, naguère matelots dans ses équipages ; son langage et ses vêtements gardaient quelque chose de l’austérité militaire, et l’ennui de la vieillesse inactive le dévorait. Simple de cœur, il n’osait participer aux discussions philosophiques, et, presque seul entre les commensaux de Nicias, il croyait aux dieux de l’empire qu’il servait avec toute la gravité d’un vieux Romain. Comme il s’ennuyait chez lui, Caïus Livius passait ses journées sur le port, du côté des « longs vaisseaux », entouré d’un respectueux auditoire de pilotes invalides, et, parfois, il prenait avec lui l’enfant Chrysanthe, quand la grosse chaleur était tombée et que l’ombre des maisons jaunes étendait un voile azuré sur les dalles encore tièdes. C’était le moment où la vieille ville se réveillait de sa torpeur. Le ciel occidental chatoyait comme la nacre d’une coquille, irisant de ses reflets et de ses frissons les eaux tranquilles de la « petite mer ». Après la sieste, les débardeurs reprenaient le travail ; les marchands rouvraient leurs boutiques ; on voyait paraître le devin au bonnet pointu et le nègre charmeur de serpents. Des pêcheurs accroupis offraient des oursins ; des paysans vendaient des figues violettes et des raisins bleus ; l’improvisateur montait sur une pierre pour déclamer ses poèmes emphatiques ; les prostituées des basses ruelles, fardées d’un fard nouveau, se montraient au seuil de leurs logettes ; et l’Afrique et l’Asie se déversaient en foules criardes et bariolées, à forte senteur… Puis le vent du soir se levait, émouvant les pavillons des galères, agitant les guenilles pendues aux cordes en travers des rues, faisant palpiter toutes les couleurs, mêlant les sons de tous les dialectes que parlaient les voyageurs et les passants, — langages mélodieux, patois rauques, certains vaguement intelligibles pour des oreilles grecques ; les autres confus, comme le bruit des galets roulants et des armes entre-choquées.

Caïus Livius désignait, dans la foule, les hommes qui venaient des contrées lointaines, mages perses, cavaliers numides, pêcheurs des Syrtes, Ibères vêtus de peaux, Éthiopiens noirs et lippus, Thraces, Gaulois romanisés, esclaves germains aux tresses rouges. Et le petit Chrysanthe, émerveillé, rêvait aux pays extraordinaires dont ces hommes conservaient l’image au fond de leurs yeux. Serrant plus fort la main de Caïus Livius, il lui disait :

— Parle-moi de la terre des aromates, ô mon maître !… Raconte-moi comment les perles naissent de la mer indienne ; comment les Phéniciens achètent les dents des éléphants aux peuples noirs qui ne connaissent pas le sel… Raconte… Raconte…

— Tu me ferais parler jusqu’à demain…

— Tu as vu le monde tout entier ?

— Non, pas tout entier… Le monde est vaste et la vie de l’homme est brève ; mais trois fois j’ai passé les colonnes d’Hercule, et deux fois j’ai remonté la mer Érythrée jusqu’à l’île des Dioscorides. Je commandais une trirème à neuf rangs de rames…

Souvent, Caïus prenait un petit bateau et l’on rendait visite aux bâtiments de la division navale. Les navarques recevaient avec déférence leur vieux camarade, et Chrysanthe, lâché en liberté, se mêlait aux matelots qui lui faisaient goûter leur biscuit et lui apprenaient des chansons naïvement obscènes. Il s’asseyait sur le trône du pilote, touchait le gouvernail, grimpait dans les funins, et il lui arrivait même d’atteindre la corbeille de la vigie où il s’installait. Alors, il avait la ville et le golfe sous ses pieds et il se croyait le roi de l’univers. Criant de joie comme une mouette, il buvait le vent des grands espaces…

Le navarque le rappelait, et parmi les officiers du bord, il l’interrogeait complaisamment sur l’art nautique, lui demandant quels étaient les caractères spéciaux des divers navires, en quoi la liburne diffère de la trirème, quels vents soufflent dans l’Adriatique au printemps, quelle fut la manœuvre qui perdit la flotte de Marc-Antoine devant Actium, et cent autres choses encore. L’enfant répondait, tantôt bien, tantôt mal, et le maître se fâchait quelquefois, mais les officiers, indulgents, déclaraient :

— Voilà de la bonne graine de marin… Quand va-t-il embarquer ?

— Quand j’aurai treize ans, disait Chrysanthe.

Le navarque le ramenait à la maison paternelle et, chemin faisant, il déplorait la décadence de la flotte. Les vaisseaux étaient moins bien tenus qu’autrefois et la discipline se relâchait.

— N’importe ! Il est beau d’être marin… Celui-là est heureux qui commande, pour le service de l’État, une trirème ornée d’un rostre de cuivre. Le navarque représente l’empereur. Il tient de César son autorité souveraine. Il emporte avec lui Rome, maîtresse du monde, et les peuples saluent la force latine dans la flamme rouge qui flotte sur l’aplustre du vaisseau !

Les yeux de Chrysanthe luisaient de désir, et Caïus Livius, qui connaissait les sentiments secrets de Nicias et de Chrysis, n’osait dire toute sa pensée. Un jour, cependant, il murmura :

— Que feras-tu dans une fonderie, petit constructeur de galères, petit Argonaute dont la nef est une coque de noix sur un bassin ? Ton âge est tendre, mais je devine en toi le cœur d’un vrai matelot… Mes camarades qui t’ont vu ne s’y trompent guère… Ô Chrysanthe, laisse ton frère honorer Vulcain. Nos dieux, à nous, ne s’enferment pas dans les forges. Nos dieux, comme dans la chanson des pêcheurs d’Hydra :

Ce sont les douze vents, les astres du ciel, l’eau très arrière

— Maître, maître, soupira l’enfant… Mes parents veulent que je sois fondeur, et je suis trop jeune pour me faire écouter… Parle-leur, toi !

— Je leur parlerai, dit le navarque.

Le même jour, il emmena Chrysanthe dans sa maison qui ne ressemblait guère à la demeure somptueuse de Nicias, mais qui était, au gré de l’enfant, beaucoup plus intéressante et plus riche en véritables trésors. Ici, point de luxe, mais l’ordre minutieux que fait régner un vieil homme un peu maniaque, des serviteurs silencieux et fidèles, des lits sans sculptures, des murailles nues, et, dans le modeste atrium, un autel domestique orné d’hippocampes et de coquillages. Le bon navarque ouvrit un coffre. Il en tira des étoffes rayées, des armes, des colliers d’os perforés. Chacun de ces objets avait une histoire que Chrysanthe savait par cœur et ne se lassait pas d’entendre. Mais, ce jour-là, Caïus Livius ne pensait pas à redire ses souvenirs de jeunesse. Il atteignit, au fond du coffre, deux rouleaux de métal qui contenaient un livre et un grand papyrus aux dessins bizarres.

— Tu vois ce livre, Chrysanthe ? C’est le Stadiasme de la Méditerranée ; c’est le compagnon inséparable du navigateur. On y trouve marqués, stade par stade, tous les accidents des côtes, les baies, les promontoires, les récifs, les villages, les tours, les phares, les estuaires, les mouillages bons et mauvais. Je tiens ce livre de mon père qui fut un marin fameux en son temps, et je veux qu’après moi tu le possèdes, puisque je n’ai pas de fils. Maintenant, déroule ce papyrus sans l’abîmer. Regarde bien : c’est la carte de Marin de Tyr, — un grand homme, Chrysanthe, qui a dessiné là toute la figure du monde, comme un peintre habile dessinerait la tienne. — Ah ! c’est une chose admirable !… Vois-tu l’Océan qui entoure la terre habitée ; vois-tu les pays hyperboréens, l’Afrique brûlant les îles, les montagnes ? Regarde encore, de plus près : là est notre Italie, et là notre cité de Tarente…

— Et ta maison, ô Caïus, où est-elle ?

— Enfant stupide !… La ville n’est qu’un Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/35 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/36 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/37 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/38 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/39 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/40 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/41

Après, il connut bien des filles, les unes hardies comme Melœnis, et d’autres, timides et tendres, qui pleuraient sur son épaule et dont les bras étaient lents à se dénouer. Mais lui, plein d’un mépris tranquille, pensait que les plus beaux bras du monde ne le retiendraient jamais plus d’une nuit. À ces faciles amantes, vite conquises, vite oubliées, il préférait les déesses sculptées sur la poupe des vaisseaux, les « Figures tutélaires » que les marins, rentrant au port, couronnent de bandelettes et de guirlandes. 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XIV


Au temps marqué pour le retour, l’Alcyone toucha le port d’Hermonassa et le vieux Clodius gagna Trapézonte par voie de terre. Il se rendit à l’hôtellerie où il espérait trouver Chrysanthe et les Macédoniens. La petite troupe était revenue, en effet, depuis trois semaines, mais combien éprouvée et combien réduite ! Des membres de l’expédition, dix seulement, avec le chef, survivaient aux fatigues du voyage. La fièvre avait tué tous les autres et Chrysanthe, sauvé de la mort par le Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/217 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/218 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/219 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/220 Page:Tinayre - Le Bouclier d Alexandre.pdf/221

— S’il plaît aux dieux.

Chrysanthe embrassa Clodius et Perdiccas. Quand l’Alcyone eut appareillé, il demeura sur la grève, contemplant la voilure blanche qui diminuait au loin…

Trois jours plus tard, il offrit un sacrifice aux Cabires qui régnent sur les feux des volcans et qui mûrissent les métaux dans les ténèbres souterraines. Comme il descendait du temple vers le port, il vit, à la même place qu’avait quittée l’Alcyone, un vaisseau noir dont les voiles étaient rouges.

Il reconnut le navire qu’il avait vu en songe et comprit enfin la volonté des dieux. Toujours, il devrait naviguer, sans revoir sa patrie et sa famille, expiant la faute qu’il avait commise par un éternel exil.

Sans même demander le nom du bâtiment et sa destination, il alla se présenter au capitaine et il se fit engager comme rameur. Il apprit alors que le vaisseau ferait campagne pendant trois étés et trois hivernages, sur les côtes de la Baltique et jusque dans les mers hyperboréennes, car le hardi capitaine se flattait de découvrir des terres nouvelles et la fabuleuse Thulé.


Ainsi Chrysanthe disparut du monde, où ni la fortune, ni l’amour des femmes, n’auraient pu le consoler de ce qu’il avait possédé et perdu. À tout prendre, son destin fut beau. La jalousie des dieux n’empêcha point qu’il n’eût touché, de ses mains mortelles, la forme vivante de son rêve, ce qui ne fut pas donné aux plus grands hommes et même à l’auguste Hadrien, lequel se contenta toujours d’imaginations et de simulacres. Parmi les mensonges ingénieux qui amusèrent quelque temps cet empereur, il faut citer un prétendu bouclier d’Alexandre, apporté à Thessalonique même, par des marchands thraces, et que le vieil Hermotime acheta pour l’envoyer à Tibur. Nicias, ayant examiné le bouclier, le certifia authentique.

Longtemps après cette aventure, les caravanes qui traversaient l’Arménie évitaient de camper dans la région des Aiguilles rouges. Elles redoutaient encore le cheval blanc que nul ne revit jamais.



FIN

188-3-22. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 169-3-22.


TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)