Le Bonheur (Sully Prudhomme)/Harmonie et beauté

Œuvres de Sully Prudhomme, Poésies 1879-1888Alphonse Lemerre, éditeurPoésies 1879-1888 (p. 201-218).


IV

HARMONIE ET BEAUTÉ



faustus

Que cette matinée en ce beau lieu m’apaise !
Sa fraîcheur, qui m’inonde et me pénètre d’aise,
Dissout le reste amer de mon terrestre ennui.
Jamais je n’ai senti, Stella, comme aujourd’hui,
La parenté secrète et l’harmonie intime
De l’âme et du bonheur que le printemps exprime.
Cette aurore au sourire immense et caressant
Fait songer à l’espoir d’un grand amour naissant ;
Le tendre affaissement de ce vallon qui rêve
Rappelle l’abandon d’un baiser qui s’achève.
Vois là-bas dans la brume onduler ce coteau,
Rose, au bord d’un lac bleu qui miroite et se plisse :
Il semble qu’une Hébé s’éveille avec délice,
Froissant le lit soyeux que lui fait son manteau ;
Cette haleine est vraiment la grâce qui respire :
Ce qu’elle dit aux fleurs l’amour l’aurait pu dire ;

Dans ces lis qu’elle incline on ne discerne plus
Leurs lentes flexions des plus chastes saluts ;
Et pourrait-on jurer qu’il ne tremble personne
Dans le feuillage ému de ce bois qui frissonne ?
Ah ! quelle aménité dans la communion
De l’âme et du zéphyr, du cœur et du rayon !

stella

Nous sommes seuls, la terre est très loin, goûte encore
Des mauvais jours vécus la fuite à l’infini ;
Que l’oubli lentement un par un les dévore,
Et tout entier te rende à ce séjour béni !

faustus

O Stella, mon amie, après tant de vacarmes :
___Blasphèmes, cris, sanglots, soupirs, clameurs,
___Appels aigus et confuses rumeurs,
Voix d’hommes, bruits d’outils, fracas de chars et d’armes,
 
Que ce silence est doux, ineffablement doux !
___Qu’il est suave à l’àme, ce silence
___Où, clair et pur, dans l’air serein s’élance
Le chant de ces oiseaux qui n’ont pas peur de nous !

Vers nous de tous côtés ils arrivent par bandes.
___Regarde-les près de nous voltiger,
___Ou balancer en éventail léger
Leurs ailes, sur nos fronts ouvertes toutes grandes.


Écoutons-les. Jadis l’hymne du rossignol.
___Si renommé sur notre ancienne terre,
___Des nuits d’alors enchantait le mystère
Sans jamais rendre au ciel l’âme enchaînée au sol.

Te souvient-il du parc où nous errions si tristes ?
___Dans un sentier tout jonché de lilas
___La solitude alanguissait nos pas,
Le crépuscule aux fleurs mêlait ses améthystes.

Où sombrait le soleil, dans un lointain pays,
___Nos cœurs rêvaient une patrie absente...
___Quand une note au ciel retentissante
Comme un trait d’or soudain s’éleva du taillis ;

Une autre, puis une autre, en sonores fusées
___Par temps égaux jaillirent de ce bois ;
___Puis, d’un essor qui s’essayait, la voix
Préluda vaguement par roulades brisées.
 
Tu t’arrêtas, le doigt sur la bouche, et me dis :
___« Le rossignol chante ! prêtons l’oreille.»
___Avidement tu l’écoutais, pareille
A quelque ange en exil au seuil du paradis.

La nuit mélancolique achevait de descendre
Et semblait sur le parc avec lenteur tomber.
Comme d’un fin tamis une légère cendre.
En noyant les contours qu’elle allait dérober ;


L’écharpe du zéphyr frissonnait sans murmure,
Et molle s’affaissait sur les prés assoupis ;
Le ciel, obscur enfin, couvrit la terre obscure
Comme un dais somptueux parsemé de rubis.

Et le chant déchira, plus large et plus sonore,
De l’azur assombri les voiles plus épais.
De monde en monde allant plus haut, plus haut encore.
Troubler de l’infini l’inaccessible paix.

L’étoile au cœur de feu qui tressaille et palpite
Paraissait écouter avec étonnement
La lyre si puissante et pourtant si petite
Qui vibrait au gosier de son terrestre amant.

______Ah ! que ces notes sanglotantes.
______Ces beaux cris épars, où souffrait
______L’oiseau blessé d’un mal secret.
______Caressaient nos âmes, flottantes
______Du vœu stérile au vain regret !

______Nous pleurions, nous croyions entendre
______Tour à tour triompher, gémir,
______Douter, croire, espérer, frémir.
______Dans cette voix vaillante et tendre.
______Le genre humain prince et martyr.

______Car un mal aussi le tourmente
______Quand, sous les riches nuits d’été,

______Par l’appel de l’immensité
______A fuir sa planète inclémente
______Il sent qu’il est sollicité,
 
______Mais que, trop fragile et trop brève.
______L’aile d’Icare audacieux
______Jusqu’au seuil effleuré des cieux
______À cette fange ne l’enlève
______Que pour l’y précipiter mieux !

Nous revînmes, gagnés par un trouble indicible,
Nous parlant du bonheur qui ne sera possible
______Qu’ailleurs, plus tard, très loin, très haut...
Dans un astre où l’amour sans mensonge et sans tache.
D’incorruptibles cœurs indissoluble attache.
______Respirera l’air qu’il lui faut !

Puis dans le vieux salon désert, calme retraite
Qu’éclairait mollement une lune discrète,
______Tu t’assis à ton clavecin ;
Une gamme rapide en émut chaque touche.
Et tu laissas éclore et vibrer sur ta bouche
______L’angoisse qui gonflait ton sein.

Tu repris d’une voix pénétrante et fiévreuse,
Pour en approfondir la douceur douloureuse,
______Tous les trilles du rossignol ;
Ton art en lit monter jusqu’à Dieu l’harmonie
Sur les ailes que prête aux sons l’humain génie
______En les accouplant à son vol !


J’écoutais, tour à tour lente ou vive, ta plainte
Descendre, s’élever, puis retomber éteinte.
______Puis ardente se ranimer ;
Écho vivant, mon cœur en sentait chaque phrase
A ton gré, tour à tour, le ravir dans l’extase,
______Dans la détresse l’abîmer...

Ton chant s’évanouit comme un baiser qui tremble.
Et sous tes doigts tendus, arrêtés tous ensemble.
______Expira le dernier accord ;
Et pâle, les yeux clos, la tête renversée,
Stella, tu répondis tout bas à ma pensée :
______« Après la mort, après la mort ! »
 
Maintenant que je touche à la suprême vie,
Aux biens que de si loin la race humaine envie.
Maintenant qu’immortels mon sang, ma chair, mes os,
Goûtent après la tâche un souverain repos,
Que ce monde à mon cœur par tous mes sens envoie
Avec de purs plaisirs une innocente joie.
Qu’enfin je suis heureux sans trouble, entièrement,
Il ne se mêle en moi plus de vague tourment,
D’aspiration vaine a la douceur d’entendre
L’onde fraîche des sons par tes lèvres s’épandre
Des profondeurs de l’âme aux profondeurs du ciel ;
L’amertume terrestre en altérait le miel.
Ah ! je comprends pourquoi j’en redoutais l’ivresse
Comme une jouissance excessive et traîtresse,
Comme un cruel délice ! Aujourd’hui je comprends

Les rêves à la fois suaves et navrants
Qu’inspire la musique aux hommes sur la terre ;
La coupe qu’elle y tend jamais n’y désaltère,
Coupe à la fois offerte et refusée au cœur,
Dont il sent le parfum sans goûter la liqueur.

stella

Ami, de ce nectar, ici, rien ne nous sèvre ;
Nous pouvons y porter sans obstacle la lèvre.
Et, d’un philtre allégeant sans alarme enivrés.
Des chaînes qui liaient nos ailes délivrés,
Aller boire à leur source, en torrents d’harmonie,
La pure extase au pur enthousiasme unie ?

______Je chante avec l’ancienne voix
______Dont le timbre encore te charme ;
______Mais, plus sereine qu’autrefois,
______Il n’y tremble plus une larme ;

______Il n’y languit plus de soupir.
______Comme en ces jours de longue attente
______Que l’idéal faisait subir.
______Là-bas, à notre soif ardente ;

______Il n’y passe plus de frisson,
______Comme au temps de l’amour fragile
______Où sans cesse un doute, un soupçon
______Menaçaient l’idole d’argile ;


______Il n’y tinte plus de sanglot,
______Comme sur la terre où tout passe,
______Où toute beauté meurt si tôt,
______Où si fuyante est toute grâce !

______Ici j’exhale en notes d’or
______Dont la douceur est sans mélange.
______Dont plus rien n’entrave l’essor,
______Un amour qui jamais ne change,
 
______Un bonheur sans borne, éternel !
______Et sous l’irrésistible empire
______Du besoin d’en remplir le ciel
______Je le chante comme on respire.

______Parcourant l’échelle sans fin
______D’une neuve et sublime gamme,
______L’hosanna d’un orgue divin
______Monte en ma poitrine de femme !
 
______Je veux t’emporter aux sommets
______Où mes propres chants m’ont ravie !
______Sois deux fois heureux à jamais :
______La musique double la vie ;

______Car dans leurs mouvements égaux
______L’âme et la voix vibrent ensemble,
______Les notes se font les échos
______Du sentiment qui leur ressemble ;

 
______Et par son incantation
______La mélodie au cœur rappelle
______La tendre ou vive passion
______Dont l’accent se réveille en elle,

______Ou, n’évoquant rien du passé,
______Elle ouvre une immense avenue
______A son grand vol jamais lassé
______Dans le suprême azur sans nue !
 
Mon chant va te bercer, égal et lent d’abord
______Comme un chant de nourrice,
Pour te faire oublier des blessures du sort
______Même la cicatrice,

Pour effacer en toi du récent souvenir
______La tache encore noire,
Pour qu’il ne reste plus même une ombre à bannir
______Du fond de ta mémoire,

Pour qu’un rêve calmant délivre ton cerveau
______De la pensée ancienne,
Et que des vieux soucis rien dans ton cœur nouveau
______Désormais ne revienne.

Dans les profondes eaux d’un murmurant Léthé
______Il faut que tu te plonges,
Comme il faut bien dormir pour être visité
______Par l’essaim des beaux songes ;


Et quand des jours mauvais ne te hantera plus
______L’image évanouie,
Tu goûteras entier le bonheur des élus
______Révélé par l’ouïe !

Alors tu sentiras se lever doucement
L’opaque et lourd rideau qui te voile à toi-même,
Éclore dans ton âme une aube vague et blême,
Puis croître et resplendir l’intime firmament.

Grand comme l’autre ciel, celui-là se déploie
Ensoleillé d’amours et d’espoirs étoile.
Ouvrant de toutes parts, comme l’autre peuplé,
A d’innombrables vœux des abîmes de joie !

Ces amours, ces espoirs dormaient inaccomplis.
Et ma voix de leur tombe en vibrant les exhume :
La musique ressemble au soleil qui rallume
Les spectres des objets dans l’ombre ensevelis.

Ce qu’en l’espace font la lumière et la flamme
Qui donnent à la fois couleur et force au corps.
Pour donner forme et vie aux rêves, les accords.
Émules des rayons, le font aussi dans l’âme !

O musique, soleil du monde intérieur.
Montre à mon bien-aimé tout le fond de mon être ;
Qu’il puisse, au fond du sien me reflétant, connaître
Ce que j’ai de plus beau, ce que j’ai de meilleur !


Fais que, par ta vertu sympathique éveillées,
Les fibres de son cœur répètent mon émoi,
Qii’il sente en lui frémir ce qui frémit en moi,
Que nos ailes enfin battent appareillées !
 
Alors, couple parfait, d’un vol harmonieux
Nous irons explorer l’infini côte à côte,
Du plus profond amour à la paix la plus haute,
L’infini du bonheur, impénétrable aux yeux ! —

Stella se tait. Au loin son regard semble lire.
Caressant d’une main qu’agite son délire
Les cheveux du jeune homme assis sur le gazon,
Et de l’autre attestant le sublime horizon,
Debout, la bienheureuse en extase s’arrête.
Avec un lent sourire elle penche la tête,
Sur sa poitrine croise et presse ses deux mains.
Et pour se préparer aux cantiques prochains
Elle songe, et tout bas recueille sa pensée.
Puis, d’une voix d’abord lentement cadencée,
Elle chante...
_________O merveille ! ô fête ! Hélas ! quels mots
Seront jamais d’un chant les fidèles échos ?
duels vers diraient du sien l’indicible harmonie ?
Toute l’œuvre possible au langage est finie
Quand il a seulement fait signe au souvenir ;
Symbole indifférent, impropre à contenir
Le moule et le miroir des choses qu’il doit rendre,
A qui n’en connaît rien il n’en peut rien apprendre.

Or, dans l’air d’ici-bas que seul nous connaissons,
Jamais pareils transports n’émurent pareils sons.
Ah ! ton art est cruel, misérable poète !
Nul objet n’a vraiment la forme qu’il lui prête ;
Ta muse s’évertue en vain à les saisir :
Les mots n’existent pas que poursuit son désir ;
Si beau que soit un vers par le souffle et le nombre,
La beauté qu’il décrit n’y laisse que son ombre...
 
______On voit les brumes du matin,
______Que disperse la tiède aurore.
______En légers lambeaux de satin
______Sur les prés se traîner encore.

______Errer sous la brise un moment,
______S’allonger, s’éclaircir, s’étendre,
______Puis disparaître entièrement
______Dans l’azur gai, limpide et tendre ;
 
______Faustus voit ainsi le passé.
______Aux douceurs du chant qui commence.
______Se fondre et se perdre, effacé
______Dans la béatitude immense.

______Son regard étonné trahit
______Combien cette paix sans mélange
______Qui le pénètre et l’envahit
______Lui semble doucement étrange.


______Avait-il jamais pu goûter
______Rien de bon, depuis sa naissance,
______Qu’une amertume à redouter
______N’en corrompît pour lui l’essence ?

______Mais à mesure que décroit
______Le nuage ancien qui l’obsède,
______Avec moins de surprise il croit
______Au calme ignoré qu’il possède.

______Il sent enfin s’évanouir
______Du souvenir les derniers restes ;
______Il peut boire aux urnes célestes.
______Certain de n’en rien laisser fuir.

Pendant qu’il s’abandonne au suave bien-être
Qui partout comme un baume apaisant le pénètre,
Et que, dans un linceul de joie enseveli,
La paupière abaissée, il savoure l’oubli,
Le bonheur le plus vif, le plus doux, le plus rare,
Pour lui ravir les sens et le cœur, se prépare,
Stella, qu’il ne voit pas, debout à son côté,
Revêt une nouvelle et suprême beauté.

Elle n’est plus la femme à la grâce fragile.
Fleur pâle, ouvrage obscur de la terrestre argile,
Qui, sous des cieux changeants par la brume couverts,
Disputait sa fraîcheur à l’affront des hivers,
Et, battue âprement par la pluie et la bise,

Penchait sa tige frêle aux tourmentes soumise.
Vulnérable autrefois et mortelle, sa chair,
Offerte maintenant à la tiédeur de l’air.
S’y peut épanouir à l’aise, enfin rendue
A son moule éternel qui l’avait attendue.
Elle l’a tout à coup, du premier jet, rempli :
Un col fier, un front lisse à tout jamais sans pli,
Que ne courbera plus une vie inquiète,
De l’ancienne exilée ont ennobli la tête ;
Et sur sa tempe court, délicat comme un fil,
Le bleuâtre réseau d’un sang vif et subtil.
Le trait de ses sourcils, déjà si pur, décore
La voûte de ses yeux d’un arc plus pur encore ;
L’azur de sa prunelle encor plus ingénu
Qui sur terre déjà montrait son âme à nu,
A travers l’infini reflété, la dévoile
Plus sereine et plus neuve, inextinguible étoile
Que baigne avec douceur, comme un soir qui descend,
De ses longs cils soyeux l’ombrage caressant.
Aux senteurs qu’un Avril durable a composées,
Palpitent de plaisir ses narines rosées ;
Une lueur d’ivoire avive le carmin
De ses lèvres qu’entr’ouvre un souris plus qu’humain.
Sa chevelure, au bord de l’oreille mignonne,
Comme un sable d’or fin qui ruisselle et rayonne.
Ondule étincelante, et jusques à ses pieds
Retombe, somptueuse, à flots multipliés ;
Et sur ce rideau blond qui l’embaume et le flatte
Son corps renouvelé, frais et splendide, éclate !

A sa voix, dont l’appel tinte mélodieux,
Faustus tourne vers elle à demi clos ses yeux.
Tel Adam se réveille étonné devant Eve,
Devant cette beauté que le bonheur achève
Il se dresse ébloui... L’idéal imprévu
Prend, comme son regard, son âme au dépourvu.
Muet, dans sa stupeur peu s’en faut qu’il ne tremble ;
Il blêmit ; sa surprise à la frayeur ressemble.

stella

______Faustus, ne reconnais-tu pas
______Ta véritable bien-aimée ?
______C’est elle, mais par le trépas
______D’éléments divins reformée,
______D’un souffle immortel ranimée,
______Plus tienne encore que là-bas !

faustus

______Je contemple le Beau céleste
______Que l’ombre me dissimula ;
______Le rayon qui le manifeste,
______Oui, c’est bien ta grâce, ô Stella !
______Ce que j’y rêvais, le voilà !
______Tout ce que j’en aimais y reste.

stella

Vois-le réalisé ! Dans notre ancien séjour
Ton songe sans figure attristait ton amour.


faustus

Je sentais se mêler une angoisse inconnue,
______Un vague et téméraire espoir
______Au terrestre émoi de te voir.

stella

Tu rêvais la Stella qui n’était pas venue.
______Tu l’attendais sans le savoir.

faustus

Je sentais ta beauté, dont une humble matière
______Emprisonnait la floraison,
______Chercher la céleste saison.

stella

Vois, le lis est éclos, et sa candeur altière
______A dépouillé toute prison !

faustus

Je sentais vaguement plus haut que ma tendresse,
______Dans les sanctuaires secrets,
______Planer l’idéal de tes traits.

stella

Déjà s’ouvrait ton cœur assez grand pour l’ivresse
______Que si haut je lui préparais !


faustus

Si grand ouvert qu’il soit, ta beauté le dépasse,
______Il ne saurait la posséder.
______Nul transport ne l’y peut aider…

stella

Une aspiration qui jamais ne se lasse,
______Quel idéal peut l’excéder ?

La pudeur sur la terre est le refus que l’âme
Fait aux sens de mêler son amour à leur flamme
Avant d’être conquise et d’assurer ses droits.
Mais affranchie enfin des pudiques effrois,
L’âme, vêtue ici d’une chair éthérée,
Sœur des lèvres, s’y pose, en paix désaltérée,
Et goûte une caresse où, né sans déshonneur.
Le plaisir s’attendrit pour se fondre en bonheur.

faustus

______Quoi ! le bonheur inexprimable
______Qui me semblait en vain promis
Par ta grâce accomplie infiniment aimable,
______Va m’être à tes genoux permis !

______Par une âme, indigne étrangère,
______Plus d’un beau corps fut habité,
Mais la forme chez toi n’était pas mensongère :
______Elle m’a dit la vérité.


______Ah ! que de chères découvertes
______Dans ta pure essence, aujourd’hui.
Par tes contours divins sont à mon cœur offertes,
______Pour te révéler toute à lui !

stella

Nous nous sommes choisis et nous sommes nos maîtres,
Tu m’as rejointe au ciel, la terre est loin de nous.

faustus

Dans un hymen sublime unissons nos deux êtres !

stella

Je m’abandonne entière, épouse, à mon époux.


VOIX DE LA TERRE


 
______Égaré dans les déserts blêmes
______Où tressaillent des points vermeils
______A d’humbles veilleuses pareils,
______Il marche, le flot des blasphèmes,
______Des vœux et des appels suprêmes,
______Depuis Abel accumulés !
______Il sonde, clameur éperdue.
______Les horizons par l’étendue
______Indéfiniment reculés.

Combien a-t-il déjà franchi de nébuleuses,
Amas d’astres fondus en de laiteux brouillards,
Où, de près, l’œil lassé compte par milliards
Des constellations aux formes anguleuses !

Leurs globes d’or n’ont point frémi plus à ce vent
Qu’aux haleines d’été les fruits dans la ramure.
Courage ! dans l’abîme, ô douloureux murmure,
Pour trouver qui t’écoute enfonce plus avant !


______L’espace est un : tout y respire ;
______Tous les êtres l’ont pour aïeul
______Et communiquent par lui seul ;
______Rien ne se perd dans son empire !
______Quelqu’un t’entendra quelque part :
______Du cri que l’humanité pousse
______L’éther propage la secousse,
______Qui doit aborder tôt ou tard !

Un atome enfoui sous terre est peu de chose ;
Pourtant tout l’univers en sent le poids léger.
Peut-on croire que l’homme, où l’idée est éclose,
Roi du monde, ne soit partout qu’un étranger ?

Le corps, qui pèse et tombe, à toute la matière
Est de loin rattaché par un attrait puissant.
Se peut-il qu’à jamais la terrestre frontière
Sèvre du ciel entier l’âme qui rêve et sent ?