Le Billet des Tuileries


LE BILLET DES TUILERIES.

Pluviôse an viii (1806).

C’était vers la fin de l’été dernier, le matin d’un beau jour, tout près de ce charmant bosquet des Tuileries où Hippomène et Atalante courent si bien sans arriver jamais, que Linval trouva sous ses pas un billet décacheté ainsi conçu :

« On offre à la personne qui trouvera ce billet, l’occasion de faire une bonne action. Si elle y est disposée, on la prie de se rendre dans la rue de Saintonge, au Marais, no 1342, et de demander Eugénie de Mirande.

P. S. Si vous ne voulez point venir au secours d’une mère infortunée, n’empêchez pas une autre personne de le faire, et laissez le billet à la place où vous l’aurez trouvé. »

Linval est le meilleur danseur de Paris après Trénis ; il lut ce billet en continuant de fredonner un air nouveau qu’il avait commencé, et après l’avoir lu, d’un coup de son bambou le fit sauter en l’air, et courut au faubourg du Roule pour donner son avis sur une garniture de robe d’un goût exquis, mais qu’on craignait qui ne fût pas assez remarquée.

La seconde personne qui ramassa l’écrit, était un homme d’un âge mûr, vêtu simplement, qui marchait vite (car il était tard pour arriver à son bureau). Il se donna pourtant le temps de le lire ; mais aussitôt après, il leva les yeux au ciel comme pour dire : Ce n’est pas à moi que s’adresse cette lettre ; et il la reposa respectueusement par terre.

Un traitant passa ensuite : c’était un de ces gens qui se croient modérés, parce qu’ils se contentent d’un gain modique de trois mille francs par jour, de ces gens à qui une grande richesse donne tant d’assurance, et dont Labruyère dit qu’ils toussent fort et qu’ils crachent loin ; d’abord il poussa du pied le billet, ensuite la curiosité le lui fit ramasser ; à peine daigna-t-il le lire : après quoi il s’amusa à le déchirer en mille morceaux, en disant : C’est une attrape.

Le lendemain, précisément au même endroit, il se trouva un billet en tout pareil au premier. La première personne qui l’aperçut eut la délicatesse de prendre l’adresse au crayon, et de remettre le billet où il était. Deux jeunes époux, en se promenant, l’aperçurent quelques instants plus tard. Après l’avoir lu, Julie C… qui pourtant était en voie de devenir mère, à trois mois de là tout au plus, dit à son mari : « Mon bon ami, allons voir la personne dont il s’agit ; ce que nous pouvons offrir est peu de chose ; mais souvent un léger bienfait empêche un malheureux de se livrer au désespoir, et lui donne le courage d’attendre une occasion meilleure. Allons-y. »

Voilà nos deux époux arrivés dans la rue de Saintonge. Mais à Paris, quand on a le nom, la rue et le numéro, on est loin d’avoir trouvé une adresse. Quelques maisons portent le numéro qu’elles avaient avant la révolution ; ailleurs la révolution les a emportés ainsi que beaucoup d’autres choses. Les sections sont venues et ont successivement accumulé sur nos murailles des chiffres de toutes les couleurs qui ne se suivent point, des dénominations inutiles ou ridicules ; et où l’indication est nécessaire, c’est là qu’elle manque. Enfin, en voyant tout cela disposé avec tant de négligence, et si grossièrement barbouillé, on se croirait, non dans une capitale où les mœurs sont si raffinées et les arts si bien perfectionnés, mais bien plutôt dans quelque bourg demi-barbare de la Valaquie ?

Après avoir parcouru deux fois la rue de Saintonge, d’un bout à l’autre, le mari et la femme découvrirent le no  1342 ; ils apprirent que cette maison était occupée par un vieillard autrefois médecin, maintenant retiré, qui passait pour riche, et qui avait une fille distinguée par son esprit et par ses talents.

Les deux époux montent un très-bel escalier qu’on leur indique ; au premier étage, on les introduit dans un appartement meublé sans faste, mais avec une propreté et un goût presque recherchés. Ils demandent à parler à Eugénie de Mirande, et une jeune dame de 22 à 24 ans, pleine de décence et de grâces, se présente à eux, et les fait entrer dans un petit salon où tout indiquait que les talents agréables et les talents plus solides de l’esprit étaient habituellement cultivés. Des livres, des brochures, des cahiers de musique, des instruments, des dessins, troublaient seuls l’ordre qui présidait à l’arrangement de cette maison ; tout y respirait l’aisance, et il était difficile d’imaginer, en y entrant, qu’on y pût faire l’aumône à quelqu’un.

« Je crains, dit Julie, d’avoir fait une erreur. Nous avons lu votre adresse, Madame, sur un billet égaré aux Tuileries ; et nous nous imaginions pouvoir offrir quelques consolations à la personne qui s’y trouve désignée ; mais nous nous apercevons qu’il y a ici beaucoup plus d’agréments à partager que de consolations à répandre. »

Eugénie de Mirande, car c’était elle, leur expliqua, non sans quelque embarras, qu’elle n’était que l’interprète d’une dame fort à plaindre, qu’un reste de fierté obligeait à se tenir cachée, mais qui était digne de l’intérêt qu’on paraissait prendre à elle. « Si cela est, dit Julie, engagez-la à permettre que je la voie ; je ne pense pas qu’elle doive rougir de la visite d’une personne de son sexe, qui n’est pas étrangère à toute espèce de chagrins. » La jeune dame éluda cette demande sous prétexte que sa protégée avait une imagination bizarre qui la rendait difficile à obliger. « Elle a des enfants ? — Trois, Madame, et elle vient de perdre, à la suite d’une maladie longue et dispendieuse, un mari dont le travail fournissait à leurs besoins. — Bon Dieu ! quelle triste situation ! Et quel âge ont les enfants ? — Ils sont tout jeunes, une petite fille de cinq ans est l’aînée des trois. — Madame, dit Julie, je serai bientôt mère moi-même ; c’en est assez pour m’intéresser au sort de ces petites créatures ; malheureusement cette circonstance même m’interdit la satisfaction de me charger du sort de l’une d’elles ; mon enfant réclamera tous mes soins : mais souffrez qu’au moins je vous envoie un petit trousseau pour la jeune fille ; car je ne puis croire qu’avec une protectrice comme vous, cette famille soit exposée aux premiers besoins. »

Eugénie de Mirande se confondit en remercoments au nom de l’inconnue, et accepta, en prenant toutefois le nom et la demeure de Julie C…

À peine était-elle sortie, qu’un jeune homme se présenta dans le même but. « Pardon, Madame, dit-il à Eugénie, ce n’est point vous que je cherche, c’est Eugénie de Mirande… » Même étonnement, même explication. Après avoir entendu ce qu’on lui dit de cette famille infortunée, le jeune homme parut ému, frappé : « Pourquoi faut-il, disait-il d’un ton pénétré, qu’une femme et trois petits innocents restent absolument sans secours, sur un sol fertile autant que le nôtre, et au milieu d’une nation éclairée ? Cela n’accuse-t-il pas nos institutions ? — Vous avez bien raison, Monsieur, mais quel remède y voyez-vous ? — Le remède, Madame, serait de donner un peu de prévoyance à nos Français, de leur faire entendre qu’après le jour de demain il en est un autre, et que lorsque nous quittons la vie nous y laissons souvent la plus chère partie de nous-mêmes. Mais il ne s’agit point de tout cela ici. La position de la personne à laquelle vous vous intéressez est affreuse, et quelles qu’en soient les causes, tâchons de l’adoucir. »

Eugénie se chargea du secours qu’il offrit pour l’inconnue. « Je ne suis point riche, Madame, ajouta t-il ; voilà pourquoi mon offrande est si petite ; mais quand on est garçon et qu’on est sage, on peut toujours disposer d’un peu d’argent. — Monsieur, dit Eugénie, l’argent n’est pas le seul bienfait qu’on puisse offrir aux malheureux ; souvent des soins et des démarches leur sont d’un bien plus grand service. — Votre amie aurait-elle besoin de quelques démarches ? Parlez, Madame ; il n’est rien que je ne fasse à votre recommandation. — Pardonnez, répondit-elle, mon indiscrétion en faveur de mon motif : votre état vous met-il en relation avec le ministre ? — Non, madame, mon père se borne à cultiver une propriété qu’il a dans les environs de Paris ; il a passé sa vie à en doubler la valeur par des soins constants et bien entendus ; mais jamais on ne l’a vu assiéger les avenues du pouvoir ; c’est de quoi je le félicite beaucoup plus que je ne le loue, car on ne fréquente pas les antichambres des gens en place pour son plaisir. Heureusement que je n’en ai pas eu besoin plus que lui. Je me bornerai à partager avec cinq frères ou sœurs qui m’aiment et que je chéris, le patrimoine qu’il nous laissera, et j’espère que jamais le ministre n’entendra parier de nous. Cependant, s’il faut le solliciter en faveur de votre amie, me voilà prêt : de quoi s’agit-il ? — De la réclamation la plus juste, dit Eugénie. La sûreté d’une de nos armées a rendu nécessaire la destruction d’un établissement qu’avait fondé le mari de ma veuve ; elle demande des indemnités. — Faut-il qu’on ait besoin de protection ? — La protection n’est pas nécessaire pour obtenir cela, dit Eugénie, parce que c’est juste ; mais pour obtenir que cette affaire ne s’égare pas dans les bureaux avant de parvenir au Ministre.

Je vois, dit Latremblaye (c’était le nom du jeune homme), qu’il faut mettre sous les yeux du ministre un Mémoire concis et pourtant clair, qui lui fasse vivement sentir la justice de la réclamation. — C’est cela même ; mais il faut le rédiger ce Mémoire. Là, il se lit un silence. Je n’ose vous en prier, dit Eugénie. — Pourquoi non ? répartit vivement le jeune homme ; je vous l’aurais offert sans la crainte d’y mal réussir. — Je crois que vous le ferez très-bien au contraire. — Mais je ne connais pas assez les détails de l’affaire. — Je vous les communiquerai.

Eugénie se retira pour un instant, et rentra bientôt après avec son père. Mon père, lui dit-elle, engagez Monsieur à diner avec nous un de ces jours, afin que nous puissions lui donner les détails nécessaires pour le succès de l’affaire que vous savez.

Le vieillard pressa le jeune homme de fixer un jour, et après quelques compliments réciproques, la chose fut convenue. Latremblaye vint au jour indiqué ; le diner fut assez gai, et surtout sans façon. On parla de tout, hormis du motif qui avait été l’occasion de ce diner. Latremblaye trouva Eugénie charmante. Elle était instruite et avait de l’esprit. Le hasard les plaça fort près l’un de l’autre, et vers le temps du dessert, Latremblaye commença à s’apercevoir que Mlle  de Mirande avait non-seulement un excellent cœur et une conversation agréable, mais que sa personne était fort séduisante, et qu’elle avait ce que n’ont point les trop jeunes femmes, ce besoin du sentiment, cette vie du désir qui embellit la beauté même.

Après le diner, elle s’empara de lui, et lui expliqua dans le plus grand détail les affaires de l’inconnue. Latremblaye l’écouta avec attention, et promit que dans deux jours le Mémoire serait rédigé. Il le fut, en effet, et le fut parfaitement bien. Force, clarté, précision, rien n’y manquait. Eugénie le lut avec les marques de la plus vive satisfaction. — Il y a de la sensibilité, de la chaleur dans votre écrit, Monsieur. — Et elle en mettait à le dire. — Il est impossible que le ministre ne se rende pas à vos raisons, et si j’étais à sa place vous n’éprouveriez certainement pas un refus.

Latremblaye rougit et ne sut que répondre. Il voulait exprimer combien le suffrage d’Eugénie avait de prix à ses yeux, et n’en put venir à bout. — Ce n’est pas tout, lui dit-elle ; il faut prêter à votre Mémoire un nouveau degré d’éloquence, il faut qu’il soit présenté par la personne même qui est censée l’avoir écrit ; le geste, la voix, le regard de la personne intéressée, ajouteront à l’impression qu’il doit produire. Ayez la complaisance d’obtenir un rendez-vous où l’inconnue puisse le remettre en main propre.

Après huit jours de soins et de démarches, Latremblaye entra un soir chez Eugénie d’un air triomphant : J’ai obtenu une entrevue pour demain, dit-il, avertissez votre amie : avec cet écrit toutes les portes lui seront ouvertes. — Combien ne vous dois-je pas de reconnaissance ? lui dit Eugénie. Vous aurez la satisfaction d’avoir arraché cette pauvre famille au désespoir ; mais ne l’abandonnez pus avant de l’avoir conduite au port. Une femme affaissée par la douleur, timide, se présenterait avec désavantage, si elle n’était accompagnée ; consentez-vous à lui donner la main ?

Ce dernier acte de complaisance coûtait à Latremblaye ; cependant l’habitude de céder aux désirs d’Eugénie dans toute cette affaire, l’envie d’en assurer le succès, la curiosité de voir l’inconnue à laquelle il s’était intéressé, l’emportèrent sur sa répugnance ; il promit de venir le lendemain chez Eugénie, où devait se rendre en même temps la dame mystérieuse.

Avant d’aller plus loin, je dois, en ma qualité de conteur, c’est-à-dire de confident des plus secrètes pensées de tout ce monde-là, faire connaître au lecteur quelques-unes des réflexions qui se présentèrent à l’esprit d’Eugénie, ce même soir, dans la solitude et le silence de son lit, à cet instant où les écarts de l’imagination éveillée se perdent insensiblement dans les rêves du sommeil.

Ce jeune Latremblaye, se disait-elle, me parait avoir un caractère composé de solidité et de douceur. Sa figure n’est pas mal ; elle n’est pas très-bien. Il n’a pas fait la moindre attention à moi au commencement… Mais ensuite… Il est bien fait : mon père, … il m’a dit cent fois que cela me regardait beaucoup plus que lui… Au surplus il sera bien de mon avis en ceci. Toutes ses informations prouvent la vérité de ce qu’a dit le jeune homme. Il était facile de voir qu’il n’en imposait pas. C’est ce ton, cet air de franchise qui me plait. On commande la confiance avec cet air-là… Oh ! oui, il n’y a point d’arrière-pensée dans cette tête. D’ailleurs, quel intérêt ? aucun… Des yeux bleus avec des cheveux bruns, cela sied toujours… de la douceur… le voudra-t-il ? Il a peut-être d’autres vues ; … non, … ses regards.

Je crois que c’est là, ou tout au plus deux ou trois idées plus loin, que le sommeil prit décidément le dessus ; et comme les rêves ne sont point de mon domaine, je passe au lendemain à midi.

Je ne sais comme cela se fit, mais Eugénie, sans être parée, était mieux mise encore que de coutume. Ses cheveux tombaient avec grâce sur son front, sur son cou : ses yeux étaient languissants, et sa poitrine un peu agitée, lorsque Latremblaye entra.

Il jeta d’abord ses regards tout autour du salon et dit : Elle n’est point encore arrivée. — Non, répondit Eugénie, avec un peu d’émotion. — Je vais l’attendre. — Oui, il faut attendre. Alors il prit un siège et s’assit à côté d’une table à thé auprès de laquelle Eugénie elle-même était assise. Après ces premiers mots, il se fit un silence assez prolongé. On se regarda… à plusieurs reprises. Latremblaye devint rouge, et il se serait trouvé tout à fait décontenancé si l’on n’avait rougi aussi. L’un désirait autant que l’autre sortir de cet embarras mutuel ; mais le moyen quand on n’ose se parler ! Latremblaye prit enfin la parole : Je dois, Mademoiselle, dit-il, non sans hésiter souvent, bénir cette circonstance… (Eugénie baissa les yeux, mais beaucoup) qui m’a fourni l’occasion de nous connaître. — Si vous avez, Monsieur, quelque satisfaction en ceci, vous devez la trouver dans votre conscience. Le zèle que vous avez montré… je vous assure que j’en ai été… touchée. Il baissa les yeux à son tour et il s’ensuivit un second silence aussi long que le premier.

Enfin Latremblaye prit une grande résolution. Je ne sais si je fais bien, dit-il ; mais je ne saurais cacher ce qui se passe dans mon âme. Vous le savez aussi bien que moi, Mademoiselle ? — Eugénie aurait pu, d’un mot, le tirer d’embarras ; mais, en pareille circonstance, le cœur féminin le plus compatissant ne pousse jamais l’humanité jusque là ; et, parvenues à ce point, les femmes vous forcent toujours de leur apprendre ce qu’elles savent déjà ; de sorte que le pauvre jeune homme se vit contraint de franchir le pas et d’avouer qu’il aimait.

Eugénie avait assez d’esprit pour ne point se prévaloir d’un semblable aveu. Elle sut garder un juste milieu entre l’air offensé qui n’aurait convenu qu’à une prude et l’air satisfait qui ne convient jamais à la modestie de son sexe. La conversation changea d’objet, mais qu’elle devint animée et pressée au prix de ce qu’elle était ! Débarrassée d’un pesant fardeau, elle marchait, cette conversation, avec aisance, avec légèreté. On se faisait des questions, on y répondait sans gêne ; on se communiquait ses goûts, on disait quelle était sa façon de penser sur tels et tels sujets, avec une sorte de confiance, d’abandon, tellement qu’on ne s’apercevait point qu’on attendait depuis trois quarts d’heure.

Il fallut bien enfin s’en apercevoir. Il fut question de l’inconnue. Elle ne vient point, dit Latremblaye. — Elle ne viendra pas, répondit-on. — Latremblaye étonné interrogea les yeux d’Eugénie, et ils ne répondirent que par une expression de langueur, mêlée d’un sourire, d’où il résultait un ensemble plein d’une grâce inexprimable.

Seriez-vous, dit Eugénie, fâché, mais bien fâché contre moi, si par hasard il n’y avait rien de vrai dans l’histoire de ma dame infortunée ? si tout cela n’était qu’une épreuve, un moyen de désigner à mon cœur un homme dont la sensibilité ne fût point l’ouvrage des désirs sensuels ? Latremblaye ne savait que répondre ; mais il n’avait point l’air courroucé. Vous me croirez peut-être, poursuivit Eugénie, quand je vous dirai que j’ai reçu les hommages de plusieurs hommes ; me croirez-vous encore, quand j’ajouterai qu’aucun de ceux qui m’ont distinguée n’était précisément tel que j’aurais voulu ? La mort de ma mère que j’ai perdue de bonne heure, a laissé à mon esprit beaucoup d’indépendance. Mon père est devenu mon ami, je l’ai consulté sans cesse ; sa manière de voir est très-libérale : il m’a permis de faire un essai, un peu hardi, sans doute, mais qui pouvait au surplus n’aller que jusqu’où je voulais.

Je ne reviens pas de ma surprise, dit Latremblaye. Quoi ! ce n’était qu’une feinte ! Elle vous a coûté, j’en suis sûr ; car je me rappelle à présent plusieurs circonstances où vous étiez interdite. — C’est vrai ; mais j’étais soutenue par l’intention de tout avouer. Et mon Mémoire… ? — Je le garde, dit Eugénie, comme un monument de votre bon cœur et de votre éloquence. — Et l’auteur du Mémoire, qu’en voulez-vous faire ? — Mon mari, s’il veut, et si nos deux familles y consentent. —

Ces deux familles, composées de bonnes gens, y consentirent sans peine, comme on peut bien le penser ; on alla voir Julie C… pour la tirer de sa bienveillante sollicitude ; on lui fit cadeau d’une charmante layette en retour du trousseau déjeune fille qui fut donné à de pauvres gens ; et, depuis l’été dernier, on n’a pas cessé un seul instant de s’applaudir du parti qu’on a pris.