Le Bhâgavata Purâna/Préface du tome 2

PRÉFACE.

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Depuis la publication du premier volume de cet ouvrage, j’ai eu à ma disposition de nouveaux secours que je crois nécessaire d’indiquer ici en peu de mots. Je m’acquitte même de cette tâche avec d’autant plus de plaisir, que j’y trouve l’occasion de témoigner publiquement ma gratitude aux personnes à l’entremise amicale desquelles je dois les matériaux dont je vais parler.

Pendant son séjour à Londres en 1841, M. Gaspard Gorresio se chargea d’acquérir pour moi un volume in-4o, d’une épaisseur considérable, qui renferme le Bhâgavata Purâṇa, avec le commentaire de Çrîdhara Svâmin, le tout en caractères dêvanâgaris. Ce volume a été lithographie avec le plus grand soin à Bombay, l’an 1761 de Çaka, c’est-à-dire en 1839. C’est un des plus beaux produits des presses lithographiques de cette ville, produits si rares en Europe, et je me regarde comme très heureux d’en avoir fait l’acquisition. Outre que cette édition du Bhâgavata est une nouvelle preuve de la popularité de ce poème, elle m’a fourni un texte qui ne m’a pas été inutile pour la critique de celui que je donne. Elle est en général soignée et correcte ; elle me paraît cependant inférieure à l’édition bengalie dont j’ai parlé dans la Préface de mon premier volume. Quoiqu’elle ait le mérite de ne pas être copiée sur cette édition, elle n’est pas entièrement exempte de fautes, et elle renferme en plus d’un endroit des irrégularités grammaticales qu’on ne trouve pas dans tous les manuscrits. Cette observation mérite d’autant plus d’attention, que l’auteur du Bhâgavata Purâṇa s’est trop souvent écarté des règles de l’école classique de Pâṇini, et qu’il s’est permis des licences qui n’ont pas toujours pour excuse les nécessités du mètre. C’est même un des caractères de sa poésie, caractère qui en atteste la date récente ; et on ne pourrait l’effacer sans supprimer un des traits dont le témoignage a pour la critique le plus de valeur. Mais il ne faut pas non plus l’exagérer ; et entre deux leçons dont l’une est grammaticale et l’autre ne l’est pas, il n’y a aucun avantage à choisir la seconde, quand la première ne contredit ni le sens ni le mètre. C’est là le principe qu’a suivi le plus souvent l’éditeur bengali, et que ne semble pas avoir toujours respecté celui de Bombay. Je ne m’en suis pas moins servi utilement de son texte ; et chaque fois qu’il s’est trouvé d’accord avec celui du Bengale et avec nos manuscrits les plus anciens, je l’ai adopté avec une entière confiance.

J’ai trouvé le même genre de secours dans le magnifique manuscrit du Bhâgavata que je dois à l’amitié de M. Saint-Hubert Theroulde. Ce volumineux exemplaire, qui n’est pas l’ouvrage le moins précieux que M. Theroulde ait rapporté de l’Inde, est écrit en dêvanâgari et daté de l’an de Samvat 1896, c’est-à-dire de 1840. Toute moderne qu’elle est, cette copie est d’une correction remarquable, qui pourrait même passer pour irréprochable, si le copiste n’y avait pas quelquefois oublié des syllabes et des mots entiers. Cet excellent manuscrit, qui est accompagné de la glose de Çrĭdhara, m’a été fort utile, et j’ai vu avec satisfaction qu’il se rapprochait ordinairement du manuscrit de 1420, le plus ancien de ceux que nous possédons à Paris. Aussi ne puis-je trop vivement remercier M. Theroulde d’avoir bien voulu s’en dessaisir en ma faveur ; je regrette toutefois que son désintéressement ne m’ait laissé d’autre moyen de reconnaître un tel service, que de lui adresser ce témoignage public de ma gratitude.

On voit que les moyens de donner un texte correct ne m’ont pas manqué, et je sens tout ce que la critique aura de reproches à me faire si cette édition ne l’est pas. Ce n’est cependant pas à un éditeur à rendre témoignage de la correction du texte qu’il publie, car l’attention la plus soutenue a ses moments de relâche, et les fautes les plus grossières sont ordinairement les moins visibles pour celui qui les a faites. J’en ai découvert quelques-unes pendant le cours de l’impression, et je me sens obligé à les relever dans une note[1]. J’ai eu d’ailleurs, pour ce second volume, un avantage dont j’avais été privé pour le premier. J’ai été à même de profiter, depuis la page 200 environ, des conseils d’un jeune indianiste allemand, M. Théodore Goldstuecker, avec lequel mon illustre et excellent ami, le professeur Lassen, de Bonn, m’avait mis en relation. M. Goldstuecker a relu les épreuves après moi ; il m’a signalé quelques fautes dans le texte, proposé quelques changements pour la traduction, et il s’est acquitté de cette tâche ingrate avec une complaisance et une exactitude dont je suis heureux de le remercier publiquement.

Je me suis efforcé, comme pour le volume précédent, de traduire aussi exactement que cela m’a été possible, sans tomber dans l’obscurité, et j’ai toujours eu devant les yeux ce précepte de Fénélon : « Quand un auteur parle au public, il n’y a aucune peine qu’il ne doive prendre pour en épargner à son lecteur. » Il n’y a, il est vrai, ici qu’un auteur, c’est le poète indien, et il paraît bien à son ouvrage qu’il n’a pas connu le précepte de Fénélon ; mais son interprète n’en a senti que plus vivement le besoin d’exprimer nettement la pensée de l’original, et d’en rendre en quelque sorte l’obscurité visible, quand les ténèbres dans lesquelles elle s’enveloppe n’ont pu être entièrement dissipées. J’ai continué à accorder une assez grande confiance au commentaire de Çrîdhara Svâmin, qui est en général ample et exact. Je l’ai suivi principalement toutes les fois qu’il a été question d’un point de fait ou de doctrine ; dans les passages purement poétiques, je me suis permis plus de liberté. Ce n’est pas que je pense que nous devions abjurer le sens commun et la connaissance que nous avons acquise de la langue sanscrite, pour nous soumettre en aveugles aux explications souvent mesquines et erronées des commentateurs indigènes ; mais je suis d’avis que leurs opinions mériteront toujours une attention particulière. En premier lieu, elles font partie de la tradition littéraire de l’Inde, qu’il ne nous appartient pas de mutiler, sous peine de fermer volontairement les yeux au développement d’idées qu’ont produit les anciens monuments. Ensuite, en face de ces monuments, nous ne sommes que des commentateurs, et il y aurait peut-être quelque orgueil à nous croire mieux préparés à ce rôle que les Indiens eux-mêmes. Enfin, la condescendance qu’on peut avoir pour leurs opinions n’exercera jamais sur le progrès européen des études indiennes une très-fâcheuse influence ; car de deux choses l’une : ou les explications brahmaniques sont vraies, et alors elles se justifieront plus tard d’elles-mêmes ; ou elles sont fausses, et alors la critique ne tardera pas à posséder les moyens d’en faire justice. Qui aurait le courage de reprocher au digne et à jamais regrettable Frédéric Rosen d’avoir suivi, un peu servilement peut-être, les sentiments des commentateurs indiens ? Et qui, d’un autre côté, pourrait être blâmé d’opposer à ces sentiments quelques-unes de ces interprétations simples et fécondes, qui sortent si naturellement des textes expliqués par les seuls secours de la philologie ? Si aujourd’hui qu’on ne possède encore qu’une faible portion des Vêdas, aucune des suppositions de la critique ne doit être taxée d’audace, que sera-ce quand on connaîtra la totalité de ces livres, et qu’on pourra les placer au grand jour de la raison européenne, sous un horizon plus vaste que celui où se tient le génie brâhmanique ? En un mot, rien ne me paraît plus légitime, et j’ajouterai plus nécessaire, que le travail de la critique ; mais je pense aussi qu’avant de réfuter les explications indiennes, et pour le faire avec avantage, la critique a besoin de les connaître et de les exposer.

Les passages touchant lesquels je pourrais me repentir d’avoir trop facilement cédé à l’autorité du commentateur, ne sont, je l’espère du moins, ni importants, ni nombreux. Il en est un au sujet duquel je regretterais de m’en être affranchi, pour me laisser guider par des considérations étrangères, si la bienveillance de M. Lebrun, directeur de l’Imprimerie royale, ne m’eût donné le moyen de corriger une erreur que le tirage des premières feuilles avait rendue irréparable. Il s’agit de la généalogie de l’ancien sage Uçanas, dont le nom, comme on sait, a été transporté à la planète Vénus. Notre Purâṇa le fait descendre du patriarche Bhrĭgu, par Vidhâtrĭ, deuxième fils de Bhrĭgu et père de Prâṇa, qui eut pour fils le solitaire Vêdaçiras. Jusque-là cette descendance, qui d’ailleurs n’est pas la même dans tous les Purâṇas[2], ne fait pas difficulté ; le texte est si clair que Çrîdhara ne le commente même pas. Arrivé à Vêdaçiras (liv. IV, ch. i, st. 45), le texte continue ainsi : प्रणाहेदशिरा मुनिः । कविश्व भार्गवो यस्य भगवानुशनाः सुताः, ce qui interprété littéralement, signifie : « De Prâna [est né] Vêdaçiras le solitaire, et Kavi le Bhargavide, dont le bienheureux Uçanas fut le fils. » Tel fut en effet le sens qui s’offrit le premier à moi lorsque je traduisis ce passage, et c’est exactement celui qu’adopte Çrîdhara dans son commentaire[3]. Mais, et le dictionnaire de Râdhâkant Dêb, et celui de Wilson, et la traduction du Vichṇu Purâṇa, publiée par ce savant, citant tous ces noms propres, je devais consulter ces livres, et voici les renseignements que j’y trouvai et dont je crus longtemps qu’on devait se servir pour l’interprétation du texte en question.

Premièrement, Râdbâkant Dêb et Wilson[4] donnent le nom de Kavi, non comme celui d’un sage distinct d’Uçanas, mais comme celui d’Uçanas lui-même, qui, on le sait, est appelé encore Çukra. Une fois Kavi devenu synonyme à Uçanas, ce mot n’était plus susceptible d’un autre sens que de celui de « sage, chantre inspiré, » qu’il a dans tous les monuments de la littérature sanscrite, et je devais en faire une épithète du nom d’Uçanas. Secondement, M. Wilson développant dans une note spéciale la généalogie des descendants de Bhrǐgu, s’exprime ainsi : « Védaçiras épousa Pîvarî, et en eut beaucoup d’enfants, qui formèrent la famille ou tribu brâhmanique des Bhârgavas, fils de Bhrǐgu. Le plus célèbre d’entre eux fut Uçanas, le précepteur des Dâityas, qui, suivant le Bhâgavata, était fils de Védaçiras, mais que le Vâyu Purâṇa dit fils de Bhrǐgu et de Pâulômî, et qu’il fait naître dans un autre âge[5]. » Les mots, suivant le Bhâgavata, étaient décisifs ; il me parut évident que M. Wilson avait eu sous les yeux le passage qui nous occupe, qu’il y avait vu qu’Uçanas était fils de Védaçiras, et qu’ainsi il ne fallait pas chercher dans Kavi un personnage distinct d’Uçanas. Je franchis donc ce degré, et je fis rapporter le vers cité plus haut à Védaçiras, de cette manière : « Duquel le chantre inspiré, descendant de Bhrǐgu, le bienheureux Uçanas fut le fils. »

Dans tout ceci je cédais évidemment à l’influence qu’exerçait sur mon esprit une grande autorité européenne, celle d’un homme qui a sur nous tous l’incontestable avantage d’avoir puisé la connaissance qu’il possède de l’Inde ancienne à la source encore vive de la tradition brâhmanique. On va voir maintenant avec quelle facilité le texte se prête à une interprétation différente ; et l’on jugera s’il ne vaut pas beaucoup mieux le suivre ici servilement, et se soumettre à l’autorité, si souvent contestable d’ailleurs, de Çrîdhara, le Vichnouvite avenue et passionné.

Et d’abord, l’interprétation littérale du vers est toute en faveur du premier sens. Le texte, il est vrai, ne s’explique pas sur le rapport de Kavi à Vêdaçiras, mais il place le premier de ces personnages auprès de l’autre, comme s’ils étaient frères, de cette façon : « De Prâṇa [est né] le solitaire Vêdaçiras, et Kavi, descendant de Bhrǐgu, duquel fut fils le bienheureux Uçanas. » C’est déjà une présomption en faveur de ce sens, que la facilité avec laquelle on l’obtient. Mais qu’est-ce que ce Kavi dont Râdhâkant Dêb et Wilson, d’après l’autorité des lexicographes indiens, Amarasim̃ha et Hêmatchandra, font un autre nom d’Uçanas ? Y a-t-il deux Kavis, l’un dont parle le Bhâgavata et qui est le père d’Uçanas, l’autre dont parlent les lexicographes précités et qui est Uçanas lui-même ? Voici, je crois, le moyen de sortir de cette difficulté. Oui, il y a un Kavi, que le Bhâgavata Purâṇa nous représente comme le père d’Uçanas, et auquel le Rǐgvêda fait allusion en plus d’un endroit, quand il joint au nom d’Uçanas le titre patronymique de Kâvya, de la manière suivante : उशना काव्यः, ce que Rosen a bien traduit : Usanas Kavis filius, guidé ici parle commentaire de Sâyana, qui explique Kâvya par कवेः पुत्रः « le fils de Kavi[6]. » Ce nom de Kâvya est même vulgaire chez les lexicographes indiens. Amara, et après lui Hêmatchandra le donnent parmi les noms d’Uçanas ; c’est le seul que cite Puruchôttama Dêva dans son court vocabulaire[7]. Notre Bhâgavata le connaît également, car la fille d’Uçanas est nommée en un endroit « fille de Kâvya[8] ; » et dans un autre, Kâvya est employé comme synonyme d’Uçanas[9]. L’existence d’un Kavi, père d’Uçanas, cité par le Rǐgvêda et par son commentateur Sâyana, n’est donc point contestable ; c’est le Kavi de notre Purâṇa, c’est le père d’Uçanas[10].

Mais qu’est-ce que le Kavi qui est identifié avec Uçanas ? Rien autre chose qu’un titre qui est devenu un nom propre, comme cela est si souvent arrivé. Kavi signifie le sage, et ici en particulier il désigne le précepteur des Dâityas. Cette explication résulte même du rapprochement de ces deux noms d’Uçanas, Kâvya et Kavi. Si Kâvya signifie « le fils de Kavi, » c’est-à-dire Uçanas, Kavi ne peut devenir le nom d’Uçanas qu’à condition de le désigner par quelque caractère, à savoir par celui qu’exprime ce nom de Kavi, « le sage ou le chantre inspiré. » Tout cela me paraît résulter clairement de la seule lecture du passage classique d’Amara où est exposée la synonymie des noms d’Uçanas : शुक्रो दैत्यगुरुः काव्य उशना भार्गवः कवीः, c’est-à-dire : « Çukra le précepteur des Dâityas, le fils de Kavi, Uçanas le Bhargavide, le sage. » Nous pouvons donc nous en tenir à l’opinion de Çrîdhara, et le passage qui a donné lieu à cette discussion doit se traduire de manière à placer entre Prâṇa et Uçanas, Kavi père de ce dernier ; c’est le plus sûr parti à prendre, tant que nous ne posséderons pas d’autres détails plus précis sur la généalogie d’Uçanas.

Il ne me reste plus, pour terminer cette courte Préface, qu’à donner l’analyse succincte des trois livres que renferme le présent volume, analyse qui a pour objet de faciliter au lecteur l’intelligence du plan de l’ouvrage.

Au commencement du IVe livre, Mâitrêya reprend l’histoire de la descendance du Manu Svâyam̃bhuva, qu’il avait suspendue vers la fin du IIIe livre, et il y joint celle des autres fils de Brahmâ. Cette généalogie, qui occupe le 1er chapitre, conduit le poète à introduire épisodiquement le récit de la

querelle de Dakcha avec Çiva son beau-fils, la mort de Satî fille de Dakcha, la destruction du sacrifice que célébrait le patriarche, sa mort, sa résurrection, et enfin le rétablissement de la cérémonie. Cette légende ancienne, qui n’est peut-être que l’histoire d’une révolution religieuse qui aurait substitué, dans le sacrifice, les animaux aux victimes humaines « occupe six chapitres, remarquables par diverses beautés poétiques. Au chapitre viii le narrateur reprend la généalogie des enfants de Svayam̃bhû, et il se trouve ainsi naturellement conduit à exposer l’histoire de Dhruva, l’un des fils d’Uttânapâda, second fils lui-même du Manu. Dhruva obtient, comme récompense de sa dévotion à Vichṇu, de monter au ciel où il prend la place de l’étoile polaire. Cette légende occupe cinq chapitres, du viiie au xiiie.

La célébrité de Dhruva, dont la gloire fut chantée par Nârada, pendant un sacrifice que célébraient les Pratchêtas, fournit au narrateur une transition pour passer du xiie au xiiie chapitre, en ce qu’il se fait demander par Vidura ce que sont ces Pratchêtas. Avant de répondre sur ce point, Mâitrêya énumère rapidement les successeurs de Dhruva jusqu’à Vêna et à Prǐthu, qui passe pour avoir été le premier roi, et pour avoir su forcer la terre à donner ses biens aux hommes ; ce que la légende, qui s’étend du chapitre xiii au chapitre xxiii, représente par le symbole de la terre prenant la figure d’une vache que viennent traire le roi, et après lui tous les êtres qui ont besoin de son lait. Le chapitre xxiv donne la suite des descendants de Prǐthu. La terre se trouve partagée entre ses petits fils, et c’est dans la famille de l’un d’eux que naissent les dix Pratchêtas, qui se retirent sur le rivage de la mer occidentale, pour s’y livrer à la dévotion, à l’effet d’avoir des enfants. Ils y rencontrent Rudra, qui leur chante un hymne en l’honneur de Bhagavat. Pendant que les Pratchêtas sont absorbés dans leurs pratiques religieuses, le divin Nârada se rend chez leur père Prâtchînavarhis, pour le détacher de la vie active, qu’il continue à mener. Il lui raconte, en conséquence, du chapitre xxv au chapitre xxix, la vie d’un roi nommé Puram̃djana, laquelle n’est autre chose qu’une histoire allégorique de l’âme dans le corps de l’homme. Ce morceau, dont l’ensemble est une composition fort originale, renferme, parmi quelques traits obscurs et singuliers, des beautés remarquables ; c’est sans contredit la portion la plus distinguée du livre IVe. Au chapitre xx reparaissent les Pratchêtas, qui obtiennent une femme de Bhagavat. Les dix sages reconnaissants célèbrent ce dieu en Vichnouvites zélés ; et Nârada vient, au chapitre xxi, leur donner une instruction philosophique à la connaissance de laquelle ils doivent la béatitude suprême, et qui termine le livre IVe.

Au commencement du Ve livre, le narrateur reprend l’histoire de Priyavrata et de ses fils ; c’est à Priyavrata qu’on attribue la division de la terre en sept Dvîpas ou continents, sortes de cercles concentriques séparés les uns des autres par autant de mers de nature diverse. Le chapitre ii représente Âgnîdhra son fils adorant Vichṇu pour obtenir de lui une femme et des enfants : la rencontre du roi et d’une nymphe céleste fait l’objet de ce chapitre, qui est un des morceaux les plus gracieux du livre. Le chapitre iii donne l’histoire de Nâbhi, fils du précédent roi ; Bhagavat lui apparaît, et, au chapitre iv, s’incarne dans le sein de sa femme, sous le nom de Rĭchabha. Ce dernier devient un ascète célèbre qui accrédite par son exemple les pratiques les plus bizarres du Yoga. Bharata, fils aîné d’Agnîdhra, lui succède, puis se retire du monde pour se livrer au culte de Bhagavat. Mais il ne sait pas assez résister à l’attachement qu’il éprouve pour un jeune faon qu’il a sauvé des eaux, et il est condamné, pour cette faute, à renaître sous la forme d’une gazelle. Cette légende, qui occupe les chapitres vii et viii, est semée de charmants détails. Bharata, cependant, revient au monde dans la famille d’un Brâhmane ; mais pour ne pas retomber dans la faute d’un trop grand attachement pour les choses extérieures, il renonce à tout et se met à errer sur la terre en idiot et en insensé. Il n’échappe que par miracle à une bande de Çûdras, qui cherchant une victime humaine, voulaient l’immoler à Bhadrakâlî ; et il est enrôlé comme porteur de palanquin, par les serviteurs de Rahûgaṇa, roi des Sâuviras, sur les bords de l’Indus. Son inexpérience lui attire les reproches du roi, qui finit par reconnaître, à la profondeur de ses réponses, que sous les dehors de la stupidité, le porteur cache une haute sagesse, et qui lui demande pardon de l’avoir outragé. Ce récit, qui est emprunté au Vichṇu Purâṇa, s’étend du chapitre ix au chapitre xii. C’est terminé par une allégorie de la vie humaine, qui ne ressemble pas à celle de Puram̃djana et qui lui est inférieure ; ce morceau, qui forme deux chapitres, le xiiie et le xive, est rédigé avec quelque négligence, et déparé par des répétitions et par des obscurités.

Le chapitre xv énumère les descendants de Bharata ; et au chapitre xvi, le roi Parîkchit demande à Çuka de lui donner de plus amples détails sur les divisions de la terre, qui lui a été décrite sommairement comme formée de sept continents entourés d’eau. Çuka expose alors la cosmologie poétique des Purânistes, en y comprenant la marche du soleil, la description de la sphère céleste représentée sous la figure d’une immense tortue, celle des régions de l’Abîme et des Enfers, où sont punis les crimes des hommes. Ces divers sujets occupent dix chapitres, du xvie au xxvie, lequel termine le Ve livre. Cette partie du Purâṇa se distingue des autres livres par son style ; elle est écrite en prose poétique, circonstance qui ne sert pas autant qu’on le pourrait croire à la clarté de l’exposition.

Le VIe livre s’ouvre par une question que Parîkchit adresse à Çuka, touchant les moyens qu’a l’homme d’échapper aux punitions de l’Enfer. Çuka lui répond en lui racontant la légende d’Adjâmila, Brâhmane débauché, qui fut sauvé de l’Enfer, pour avoir prononcé par hasard et sans aucune intention religieuse le nom de Nârâyaṇa. Ce récit, qui est empreint de l’immoralité propre à toutes les croyances où les pratiques d’une dévotion facile s’élèvent au-dessus des jugements infaillibles de la conscience humaine, s’étend du ier au iiie chapitre. Au ive, le narrateur reprend le fil du récit principal, qui est l’histoire des anciennes familles, récit qui s’est arrêté à Dakcha, le fils des Pratchêtas. Il résume rapidement ce qu’il a déjà dit de ces sages, et montre Dakcha adorant Bhagavat et recevant de ses mains une femme nommée Açiknî. Dakcha en a un grand nombre de fils nommés les Haryaçvas, qui se retirent du côté de l’occident, où cédant aux conseils de Nârada, ils quittent le monde. Dakcha les remplace par des milliers d’autres fils nommés les Çavalâçvas, qui suivent l’exemple de leurs frères. Désolé de la perte de ses enfants, le patriarche maudit Nârada qui en est la cause. Ce récit, qui fait l’objet du chapitre v, renferme de vieilles traditions, un peu altérées par l’introduction d’idées propres aux sectateurs de Vichṇu, Dakcha continue cependant l’œuvre de la création, et il marie ses filles aux patriarches et aux Dieux. Ces alliances et les généalogies en partie allégoriques auxquelles elles donnent lieu, occupent le chapitre vi tout entier. Le narrateur y rencontre le nom de Viçvarûpa fils de Tvachṭrĭ, et il en prend occasion de raconter une partie de la lutte d’Indra, le Dieu du ciel, contre les Asuras, lutte dans laquelle les Dieux, privés de l’appui de leur précepteur spirituel qui les avait abandonnés, ne purent vaincre qu’avec le secours de Viçvarûpa, qui transmit à Indra la formule magique nommée la Cuirasse de Nârâyaṇa. Mais Viçvarûpa, qui descendait par sa mère des Dâityas, ayant voulu donner aux Asuras leur part du sacrifice des Dieux, Indra lui trancha sa triple tête. Tvachṭrĭ, père de Viçvarûpa, lui suscita un adversaire qui fut Vrĭtra, le célèbre ennemi d’Indra, que l’on connaît déjà par le Rĭgvêda et le Mahâbhârata. Vrĭtra résiste longtemps au Dieu du ciel ; mais enfin il succombe, après avoir fait plus d’une profession de foi à Vichṇu, additions qui enlèvent à cette légende ancienne une partie de la grandeur épique qu’elle a dans les Vêdas. Tout ce récit s’étend du vie au xiiie chapitre. Mais le poète éprouve le besoin d’expliquer comment il se peut faire que Vrǐtra ait été un aussi zélé Vichnouvite ; et pour y arriver, il introduit, du chapitre xvi au chapitre xvii, l’histoire d’un ancien roi nommé Tchitrakêtu, qui eut un fils unique que la mort lui enleva au berceau, et qui consolé de cette perte par les sages Ag̃giras et Nârada, devint un des êtres célestes connus sous le nom de Vidyâdharas. Dans cette situation nouvelle, il s’oublie jusqu’à insulter Çiva et sa femme, et il est, pour cette faute, condamné à renaître parmi les Dânavas, c’est-à-dire qu’il devient Vrǐtra. Cette explication, bien suffisante pour un Indien, parce qu’elle repose sur la croyance antique et populaire à la transmigration des âmes, achève d’ôter à la légende de Vrǐtra son véritable caractère. Vrǐtra devenu un personnage presque humain, n’est plus cette imposante image de l’obscurité contre laquelle lutte le Dieu du ciel, et qu’il chasse devant lui sous les coups de son tonnerre.

Le chapitre xviii reprend l’histoire des familles issues de Dakcha, et ensuite celle des fils de Kaçyapa et de sa femme Diti. Cette Déesse, la mère des Dâityas, est aussi celle des Maruts ou des vents, représentés sous la forme de quarante-neuf génies. La légende des Maruts se rattache aux récits précédents, en ce que c’est après avoir vu ses fils les Dâityas tués par Vichṇu et Indra, que Diti obtient de Kaçyapa un fils destiné à venger ses frères. Cependant Indra, qui veille pour arrêter le cours des dévotions qui doivent donner un fils à Diti, finit par la trouver en faute. Il frappe son fruit de sa foudre ; mais le fruit, divisé en quarante-neuf parties, reste immortel, et reçoit du Dieu la faveur de revêtir une forme semblable à la sienne. Cette légende ancienne, et qui représente sous une forme symbolique l’alliance des vents avec le Dieu du ciel, et leur division d’après les points du compas, est suivie du détail des pratiques que doit accomplir la femme qui désire avoir un fils. Ce détail occupe le chapitre xix et termine le VIe livre.

Paris, 30 décembre 1843.

  1. Voici les fautes que j’ai reconnues depuis l’impression : il en est quelques-unes qui ne se trouvent pas dans tous les exemplaires. Dans le texte : l. IV, ch. i, st. 32 b, au lieu de द्म्पत्यो॰, lisez दंपत्यो॰. Ch. v, st. 12 b, au lieu de भूभौ, lisez भूमौ. Ch. ix, titre final, au lieu de चरितो, lisez चरितं. Ch. xix, st. 34 a, au lieu de माऽस्मिनू, lisez मास्मिनू. Ch. xxv, st. 32 b, au lieu de हसन्तीवीर, lisez हसन्ती वीर. L. V, ch. xiv, st. 10, au lieu de ॰स्तयैवमरीचि॰, lisez ॰स्तयैव मरीचि॰. Ch. xviii, st. 24, au lieu de प्रदर्शीत, lisez प्रदर्शीतं. Ch. xx, st. 24, au lieu de वासयाती, lisez वासयती. L. VI, ch. ii, st. 2 a, au lieu de शभां, lisez साभां. Ch. ix, st. 34, au lieu de भावनू, lisez भवानू. Dans la traduction : l. IV, ch. i, st. 62, au lieu de « Varhichads, » lisez « Varhiḥchads. » Ch. xiii, st. 11, au lieu de « Brahmi, », lisez « Bhrami. » Ch. xvi, st. 14, lisez : « L’autorité de Prithu s’étend sans obstacle jusqu’à la montagne Mânasa (Mânasôttara), sur tous les lieux que le divin soleil éclaire de ses rayons. » Ch. xxiv, st. 10, lisez : « C’est lui qui faisant succéder les sacrifices aux sacrifices, couvrit de tiges de Kuça dont les extrémités regardaient l’orient, la surface de la terre, dont il faisait ainsi un terrain consacré. » L. V, ch. xx, st. 5, au lieu de « Nous implorons, » lisez « Implorons. » Ch. xxiii, st. 8, au lieu de « Nous adressons, » lisez « Adressons. » L. VI, ch. xiii, st. 15, au lieu de « des lotus, » lisez « d’un lotus. »
  2. Wilson, The Vishṇu Purâṇa, pag. 82, note 1.
  3. Voici sa glose : कविश्व भार्गवो भृगोः पुत्रः । यस्य कवेः सुतः उशनाः « Et Kavi le Bhargavide, c’est-à-dire le descendant de Bhrĭgu, duquel Kavi Uçanas fut le fils. » Cette glose importante ne se trouve pas dans l’édition du Bengale ; je remprunte à l’édition lithographiée de Bombay.
  4. Çabdakalpadrama, tom. I, pag. 514, col. 2 ; et Sanscrit Diction, p. 204, col. 1, 2e  édition.
  5. Wilson, The Vishṇu Purâṇa, loc. cit.
  6. Rǐgvêda, l. I, c. vi, hymn. 83, p. 164 ; c. viii, hymn. 121, pag. 262. Vedârtha prakâça, tom. I, pag. 266 a et 365 a de mon manuscrit.
  7. Hârâvali, st. 36, pag. 8, éd. Calc,
  8. Bhâgavata Purâṇa, l. V, ch. i, st. 35.
  9. Ibid. l. VI, ch. vii, st. 23.
  10. Il ne faut pas confondre ce personnage avec le dixième des fils de Priyavrata (Bhâgavata Purâṇa, liv. V, chap. i, st. 25), ni avec le Feu dont Kavi est aussi un des noms dans le Vêda, ni enfin avec les Kabis cités dans les Genealogies of the Hindu de Fr. Hamilton, pag. 77, col. 2.