Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 6

Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 180-184).
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CHAPITRE VI.

L’ÊTRE SUPRÊME PÉNÈTRE LES PRINCIPES.


1. Mâitrêya dit : Reconnaissant l’état de ces énergies sorties de lui, qui restaient isolées les unes des autres et en qui sommeillaient les moyens de créer l’univers,

2. Le souverain Seigneur dont la puissance est immense, portant avec lui son énergie divine que le temps avait manifestée, pénétra d’un seul coup la réunion des vingt-trois principes.

3. Cet être, qui est Bhagavat, étant entré, sous la forme de l’activité, dans cette réunion de principes jusque-là séparés, fit cesser leur isolement, éveillant l’action endormie [en eux].

4. Les vingt-trois principes dont l’activité était éveillée, mis en mouvement par le Destin, engendrèrent de leurs propres éléments Adhipurucha [dont le corps est Virâdj].

5. [En effet] ces principes, créateurs de l’univers, en qui sont contenus les mondes mobiles et immobiles, poussés par l’action de l’Être suprême qui les avait pénétrés avec une portion de sa substance, s’étaient agités en se réunissant les uns aux autres.

6. Ce Purucha, qui était d’or, habita pendant mille années sur les eaux, renfermé dans l’intérieur de l’œuf [de Brabmâ], et réunissant en lui toutes les existences.

7. Cet Être, fruit des principes créateurs de l’univers, à l’aide de la triple énergie du Destin, de l’action et [de la portion détachée] de l’Esprit, fit lui-même une triple division de sa substance, restant unique, ou se partageant en dix ou en trois portions.

8. Car cette âme de toutes les existences, qui est une portion de l’Esprit suprême, fut la première incarnation, celle dans laquelle la collection de tous les êtres apparaît à l’existence.

9. Virâdj divisé en trois portions possède les trois attributs de la spiritualité, de la divinité et de la matérialité ; divisé en dix portions, c’est le souffle de vie [dont on compte dix espèces] ; considéré comme unique, c’est le cœur.

10. Adhôkchadja, le maître des principes créateurs de l’univers, se souvenant de ce qui lui avait été promis [par les Dêvas], échauffa de sa splendeur Virâdj, pour donner à ces principes le moyen d’accomplir leurs diverses fonctions.

11. Apprends maintenant de moi, qui vais t’en instruire, combien d’asiles s’ouvrirent pour les Dêvas au sein de Virâdj échauffé.

12. Sa bouche s’ouvrit, et Agni (le feu), le Gardien du monde, y entra pour y prendre place avec la voix qui est une portion de sa substance, et à l’aide de laquelle l’homme produit la parole.

13. Le palais de Hari s’ouvrit, et Varuna (le Dieu des eaux), le Gardien du monde, y entra avec la langue qui est une portion de sa substance, et à l’aide de laquelle l’homme perçoit la saveur.

14. Les narines de Vichṇu s’ouvrirent, et les deux Açvins y entrèrent pour y prendre place avec l’odorat qui est une portion de leur substance, et à l’aide duquel a lieu la perception de l’odeur.

15. Ses yeux s’ouvrirent, et Tvachṭrĭ (le soleil), le Gardien du monde, y entra avec la vue qui est une portion de sa substance, et à l’aide de laquelle a lieu la perception des formes.

16. Ses enveloppes extérieures s’ouvrirent, et Anila (le vent), le Gardien du monde, y entra avec le souffle qui est une portion de sa substance, et à l’aide duquel l’homme perçoit l’attribut tangible.

17. Ses oreilles s’ouvrirent, et les points de l’horizon y entrèrent avec l’ouïe qui est une portion de leur substance, et à l’aide de laquelle l’homme obtient la perception du son.

18. Les plantes annuelles prirent place dans sa peau qui s’était ouverte, avec les poils qui sont une portion de leur substance, et par lesquels l’homme éprouve le sentiment du frottement.

19. Ka entra, pour y prendre place, dans l’organe de la génération qui s’était ouvert, avec la liqueur séminale qui est une partie de sa substance, et par laquelle l’homme connaît la volupté.

20. Mitra, le maître du monde, entra dans l’anus qui s’était ouvert, avec l’organe excrétoire qui est une portion de sa substance, et à l’aide duquel l’homme se débarrasse de ses excréments.

21. Indra, le chef du ciel, entra dans ses mains qui s’étaient ouvertes, avec l’activité qui est une portion de sa substance, et à l’aide de laquelle l’homme se procure le moyen de vivre.

22. Vichṇu, le maître du monde, entra dans ses pieds qui s’étaient ouverts, avec la marche qui est une portion de sa substance, et par laquelle l’homme parvient au point auquel il veut atteindre.

23. Son intelligence s’ouvrit, et le maître de la parole y entra pour s’y placer, avec la connaissance qui est une portion de sa substance, et à l’aide de laquelle l’homme atteint ce qui doit être connu.

24. Son cœur s’ouvrit, et Tchandramas (la lune) y entra pour s’y placer, avec le sentiment qui est une portion de sa substance, et à l’aide duquel l’homme connaît les diverses modifications [de la volonté, du doute, etc.].

25. Sa personnalité s’ouvrit, et Abhimâna (Rudra) y entra pour s’y placer, avec la conscience qui est une portion de sa substance, et à l’aide de laquelle l’homme a le sentiment de l’action.

26. Sa pure essence s’ouvrit, et Mahat (Brahmâ) y entra pour s’y placer, avec l’esprit qui est une portion de sa substance, et à l’aide duquel l’homme obtient la science parfaite.

27. Le ciel occupa sa tête, la terre ses pieds, l’atmosphère son nombril ; c’est dans ces trois régions que se trouvent les Suras et les autres êtres, qui sont produits par les modifications des qualités.

28. À cause de la qualité de la Bonté qui domine en eux, les Dêvas obtinrent le ciel ; à cause de la qualité de la Passion qui est leur nature, les hommes et les êtres qui leur sont subordonnés eurent la terre [pour demeure].

29. Les troupes des serviteurs de Rudra, à cause de leur nature, qui est celle de la troisième qualité (les Ténèbres), eurent pour habitation l’atmosphère, qui est le nombril de Bhagavat, entre le ciel et la terre.

30. Le Vêda, ô descendant de Kuru, sortit de la bouche de Purucha, ainsi que le Brâhmane qui, pour avoir été créé le premier, fut le chef et le précepteur des autres classes.

31. La protection sortit de ses bras, ainsi que le Kchattriya qui la suivit, et qui, créé d’une portion de la substance de Purucha, protège les classes contre les injures des méchants.

32. Les métiers, qui donnent au monde les moyens de vivre, sortirent des cuisses du Souverain de l’univers, ainsi que le Vâiçya qui fournit aux hommes leur subsistance.

33. Des pieds de Bhagavat naquit l’obéissance pour l’accomplissement du devoir ; de l’obéissance naquit jadis le Çûdra dont la soumission plaît à Hari.

34. Ces diverses classes, en accomplissant chacune leur devoir, honorent Hari leur précepteur, parce qu’elles ont été créées avec leurs fonctions pour se purifier par la foi.

35. Qui oserait, ô guerrier, concevoir l’espérance de décrire cette forme que Bhagavat, avec les énergies du Destin, de l’action et de la disposition naturelle, a produite par la puissance de sa mystérieuse Mâyâ ?

36. Aussi, Vidura, te raconté-je la gloire de Hari selon que je l’ai entendue et que je la comprends, afin de relever ma propre voix qui serait impure en prononçant un autre nom.

37. Les sages disent que l’énumération des qualités de celui dont le diadème a tant de gloire, est certainement, pour la voix des hommes, l’acquisition du bonheur suprême, et que, pour les oreilles [de ceux qui les entendent], le nectar de ses histoires racontées par les sages est la présence même [du Dieu].

38. Ami, le premier chantre inspiré, avec son intelligence mûrie par une contemplation de mille années, est-il parvenu à connaître la grandeur de l’Esprit ?

39. Aussi la Mâyâ dont s’enveloppe Bhagavat plonge-t-elle dans le trouble ceux-là même qui font illusion aux autres ; puisque l’Esprit lui-même ne peut connaître la voie de l’Esprit, comment les autres y parviendraient-ils ?

40. Adorons-le donc ce Bhagavat d’où sont revenues, sans avoir pu l’atteindre, les paroles avec le cœur, la conscience et tous les autres Dêvas.


FIN DU SIXIÈME CHAPITRE AYANT POUR TITRE :
ENTRÉE DE L’ÊTRE SUPRÊME DANS LES PRINCIPES,
DANS LE TROISIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.