Le Beau Voyage (1916)/Histoire

Bibliothèque-Charpentier (p. 17-18).
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HISTOIRE

Ma nourrice me racontait une petite fille
Qui allait à l’école sous les pistachiers,
Au pays de Castille.
Elle était de la tête aux pieds
Comme une sainte coloriée,
Elle avait des lèvres de pastille
Et des cheveux filés par les quenouilles des rois.
Des yeux couleur de cendre, bleue,
Une gorge de blonde argile et des doigts
Comme le col des limaçons quand il pleut…
Sa robe était pleine de nacres

Et brodée de géraniums blancs,
Comme à la grand’messe les robes des diacres.
Toute petite, toute seule, sans maman…
Je ne me souviens pas de son nom.
Il était, je crois, comme le nom d’une vallée
Ou comme celui d’un golfe… Elle s’en est allée.
Et il en fut ainsi de toutes mes chansons…
Pourtant je me souviens, comme de Cendrillon,
Que lorsque je pleurais, que j’avais la fièvre,
Elle posait sur mon front
Ses mains de porcelaine fraîche et ses lèvres…
Ô la petite fille de Castille ;
Je m’endormais bien plus content
Quand vous étiez venue, petite fille !…
Colombe charmée, colombe parée.
Il y a maintenant bien longtemps.
Vous êtes partie, je vous ai amiée,
Colombe parée, colombe charmée.