Éditions Prima (Collection gauloise ; no 39p. 60-64).

XVI


Marie-Louise s’en va. Sa malle est bouclée, son sac de voyage fermé. Nous aurons vécu huit jours ensemble, chez moi. Elle retourne en son appartement. Notre ménage avait pourtant bien commencé. Quand elle a su que je m’installais définitivement à Paris :

— Écoute, mon chéri, j’ai une proposition à te faire.

« Je me méfie des propositions de Marie-Louise. J’ai sollicité des explications. Les voici :

— Ça t’ennuie que le commandant vienne me voir. Ne dis pas non, ça t’ennuie. Tu es jaloux. Je l’ai bien compris, l’autre soir, au dîner. Je m’y connais, tu penses, depuis le temps que j’en vois autour de moi, des types jaloux. Eh bien, écoute : il n’est pas riche, malgré sa situation d’aide de camp d’un monarque, parce que les monarques… Toi non plus, tu n’es pas riche, parce que la littérature…

— C’est comme les monarques.

— Justement. À vous deux, vous me faites pourtant une bonne petite situation. Mais je préférerais toi seul, même avec moins de luxe.

Debout contre moi, elle câline sa joue à ma joue. Les cheveux échappés me chatouillent le cou. Je caresse d’une main la jolie fille, à la manière d’une jument de sang. Nous avons l’air d’une carte postale illustrée. Marie-Louise me regarde avec tendresse pour m’annoncer :

— Puisque tu t’installes à Paris, je vais lâcher le commandant pour venir habiter avec toi, mon chéri. Tu m’auras là tout le temps, hein ! tout le temps.

Aïe ! Marie-Louise très emballée, développe son programme.

— Je surveillerai ton ménage. Ça te fera des économies. Quand tu travailleras, je resterai bien sage, dans un fauteuil ou à tes pieds, sur un coussin ; et le soir, si tu vas dîner en ville, tu retrouveras au retour ta petite femme qui t’attendra, ta petite femme pour toi tout seul.

J’accepte donc la proposition de Marie-Louise. Je la remercie. Je suis touché, bien touché. Et ma gratitude s’exprime en périodes de discours officiel : « Profondément ému… » Je m’étonne de ne pas entendre la Marseillaise à la fin de la dernière phrase.

Voilà comment nous nous sommes mis en ménage, pour n’avoir qu’un loyer. Marie-Louise admire mon installation. Je suis flatté. Malheureusement, elle admire avec des gestes.

— Oh ! comme c’est joli ! À quoi ça sert ça ? Et ça, qu’est-ce que c’est ?

Elle déplace les photographies, met les tableaux de travers, bouleverse les papiers « pour être la première à lire les histoires ». Elle s’apprête même à examiner ma correspondance,

— Non, voyons, ma chérie, laisse mes lettres.

— C’est des femmes qui t’écrivent, hein ? Moi, je t’ai bien montré les miennes, de lettres, l’autre jour.

— Ce n’est pas une raison.

— Puisque c’est ça, je vais me faire écrire par des tas de types. Et tu ne verras pas non plus mes lettres.

— Comme tu voudras.

— Alors, ça t’est égal ? Tu n’es seulement pas jaloux. Tu ne m’aimes plus.

— Mais si, ma petite Malou, je t’aime.

— Tu es agaçant avec ton calme. Il n’y a même pas moyen de te faire des scènes. Tu ne te fâches jamais.

Évidemment, je ne conçois pas l’amour à la façon de Marie-Louise. C’est sans doute moi qui ai tort. Ma petite amie s’est agitée toute la journée. Je n’ai pas écrit une ligne. Mais nous nous installons. Ce soir, au retour d’un dîner, je la trouve offerte en une chemise de linon blanc, les épaules hors du couvre-lit de satin.

Elle me pose des questions sur le menu, les toilettes, les femmes. Et puis, je me couche. Je voudrais reposer tranquillement sur mon sommier neuf, en des draps fins. La chambre est sombre. L’abat-jour éclaire seulement l’oreiller et les pages d’un livre intéressant. Comme on est bien !

— Oh ! tu ne vas pas te mettre à lire, méchant. Tu ne m’aimes donc plus ?

Ma petite amie me lie ses beaux bras roses autour du cou. Ah ! le geste délicieux célébré par les poètes et les romanciers. Seulement, voilà : ils n’avaient probablement, point mangé de filet jardinière ou de salade de homards les poètes et les romanciers, quand ils ont célébré ce geste-là. Marie-Louise m’étouffe.

— Écoute, ma jolie Zette, desserre-moi. Je ne peux plus respirer.

— Ça t’ennuie de dormir entre mes bras ?

— Mais non. Ça m’enchante. Seulement, ne m’étrangle pas.

Elle s’installe, la tête sur mon épaule. C’est tout à fait joli à voir, dans la glace. Mais, au bout d’une demi-heure, elle devient, cette charmante tête aux cheveux foncés, de plus en plus lourde. Elle me cause une courbature intolérable.

— Écoute, Malou, mon petit trésor, mets-toi sur l’oreiller, s’il te plaît.

— Mon pauvre mimi, je te fais mal ? Attends.

Elle s’installe sur l’oreiller. Enfin ! Elle me prend la main. Nous éteignons. Je voudrais dormir. Je cherche à dégager ma main pour me tourner, trouver une place fraîche. Impossible, J’entends une voix plaintive dans l’obscurité :

— Tu ne veux pas que je te tienne la main, René. Ça me fait tant de plaisir.

— C’est que, voilà : je désirerais me tourner un petit peu.

— Oh ! que tu es ennuyeux. Moi qui voudrais te câliner. Si c’était une autre, tu ne retirerais pas ta main. Si c’était ta danseuse… Faudra ôter son portrait de dessus ton bureau.

— Mais oui. Dormons.

Un silence. Je me retourne. Je vais m’endormir. Il est deux heures.

— René, pourquoi que tu me tournes le dos ? Tu ne m’aimes pas, tu vois. Jure-moi que tu vas retirer le portrait de ta danseuse.

— Décidément, non. Il y a une dédicace flatteuse. Et puis, qu’est-ce que tu dirais si, un jour, une autre femme me faisait ôter ton portrait, à toi ? Ne touchons point aux souvenirs du passé.

— C’est ça, j’en étais sûre : tu l’aimes encore, ta danseuse. Je suis bien malheureuse.

Marie-Louise fond en larmes. Le cartel donne deux heures et demie. Je suis éreinté. Je l’ai, la petite femme qui m’attend dans mon dodo, la petite femme à moi tout seul ! Où est le temps où nous étions deux ? Est-ce qu’il ne va pas bientôt revenir ?

Cette existence a duré huit jours — et huit nuits. Malou, le cœur gros, a regagné son appartement. Elle avait pris la précaution de ne pas donner congé. Elle est montée en voiture. Nous nous séparons par des mots gentils.

— Tu viendras me voir ce soir ? propose-t-elle.

— Heu ! Je préférerais demain, si tu consens, dis, ma chérie ?

Ce soir, je vais dormir seul dans le lit, où nous étions serrés. Je lirai un livre, en silence. En silence ! Et je me tournerai quand je voudrai. Mes photographies ne bougeront plus. Mes tableaux demeureront droits.

Je songe à tous les couples qui dorment ensemble pendant des années, à cette promiscuité de l’amour, de la couche commune, à tout ce que cette vie nocturne a de triste, de lamentable, de décevant, de grotesque aussi, parfois.

Et, dans le lit où ma jolie maîtresse a reposé sa chair nue je m’endors doucement, avec le délicieux regret de ne retrouver qu’un parfum.