Éditions Prima (Collection gauloise ; no 39p. 15-19).

VII


Un « monsieur-habitué » s’est permis, tantôt, de critiquer la toilette de Marie-Louise. La jolie fille a riposté vertement en langage populaire :

— C’est pas vos oignons ! Je connais l’élégance mieux que vous, peut-être. J’en ai donné, des leçons d’élégance à une femme du monde.

— Non ?

— Si ! C’était la femme de mon amant !

— Vous avez eu un amant, Marie-Louise ?

Elle pouffe de rire :

— Un amant ! Mon pauvre ami, j’en ai eu dix, j’en ai eu vingt, j’en ai eu trente…

— Je voulais dire : vous avez eu un amant protecteur, un entreteneur, quoi ?

Le monsieur habitué s’exprime avec une clarté fâcheuse. À l’allure, il n’est certainement pas diplomate. Je le croirais plutôt courtier en vins.

— Oui, j’ai été entretenue, une fois dans ma vie, par un seul homme.

— Bigre ! Quel était ce capitaliste ?

— Charriez pas ! Il était quart d’agent de change. Et un quart comme celui-là, ça fait plusieurs entiers comme vous.

Marie-Louise, qui ne se soucie plus de moi et tient à prouver ses compétences d’élégante, continue :

— Il s’appelait Chaussey. Il venait me voir régulièrement trois fois par semaine. J’avais une bonne. Je ne me souciais pas du lendemain. J’étais heureuse

Voilà qu’un jour on m’annonça la visite d’une dame. Je connais peu de dames. Nous autres, ce sont plutôt les messieurs qui viennent nous voir. Enfin, je demande :

— Qui est cette dame ? Qu’est-ce qu’elle veut ?

Et ma bonne me rapporte une mignonne carte sur quoi il y avait écrit : Madame Gaston Chaussey. On m’aurait mis un serpent vivant dans le creux de la main que je n’aurais pas été plus émue, parole ! Mais on a son courage dans tous les métiers, même dans… celui-là. Elle avait peut-être un revolver ou un vaporisateur de vitriol, la dame. Je dis :

— Faites entrer.

Et je vois arriver une petite femme blonde, très gentille, faut avouer qu’elle était très gentille, mais habillée comme… je ne sais pas dire comme quoi. On ne s’habille
Elle est ravissante, toute nue, cette petite
(page 13).
plus pareillement, même en province : une robe mal coupée, un chapeau de quatre sous, des chaussures sans chic.

Et jolie avec ça ! Et bien faite, sous sa robe sévère.

Mme Gaston Chaussey a commencé par me reprocher de lui avoir pris son mari.

— Oh ! pardon ! J’ignorais, moi qu’il avait une légitime, ce monsieur ! Il m’a parlé. Je lui ai répondu.

— Naturellement.

— Naturellement. Je suis polie.

— Surtout avec les hommes. C’est votre métier.

Là-dessus, je me fâche. Elle me traite de sale créature. Elle cherchait des injures. Elle n’en trouvait pas, la pauvre gosse. Ça ne connaît rien à rien. Et tout à coup elle s’écrie :

— Mais qu’est-ce que vous avez, vous autres, pour attirer les hommes ? J’aimais tant Gaston !

Et elle se met à fondre en larmes.

— Justement, que j’y dis, vous l’aimiez peut-être trop. Fallait pas le lui laisser voir.

Là-dessus elle tique et elle dit :

— Comment ? Comment ?

Je lui explique la sale nature des hommes. Tant moins qu’on a l’air de les aimer, tant plus qu’ils tiennent à vous.

Elle n’avait pas l’air d’y croire. Elle se met à me reprocher mon rouge, mes bas de soie, mon genre. Et je ne peux me tenir de lui dire :

— Bah ! ils aiment ça, allez. Vous auriez mis des bas de soie et une autre robe, votre mari serait probablement resté fidèle.

— Qu’est-ce qu’elle a, ma robe ?

Il ne faut pas parler de toilette à une femme. Cinq minutes après, j’en étais à lui montrer mes robes, mes pantalons, mes chemises. Je lui ai relevé la jupe d’autorité, pour voir ses dessous ; un linge d’ouvrière ! monsieur !

— Et c’est avec ça que vous comptez ramener votre mari ?

J’ai fini par lui donner l’adresse de mes fournisseurs. Elle avait séché ses larmes. Elle poussait encore de gros soupirs, comme les gosses qui ont eu du chagrin. Elle a pris les adresses. Nous nous sommes quittées bonnes amies. Et, sur le seuil, elle m’a dit :

— Vous avez un bon parfum. Qu’est-ce que c’est ?

Je lui ai donné ma recette. Et les recettes de parfums, ça ne se donne pas facilement entre femmes. Je lui avais pris son homme. Je lui devais bien une compensation ».

J’admire, tout haut, la générosité de Marie-Louise. Elle conclut :

— La vertu n’est pas toujours récompensée. Mme Chaussey m’a repris son mari. Et je n’ai jamais trouvé d’autre entreteneur. Je suis libre.

Elle se tourne, pour dire cela, d’un air engageant vers le « monsieur habitué » qui solde les consommations et s’en va précipitamment.