Mertens et fils (p. 315-317).


STANCES


Ma saincte, sans mentir, confesse moy ce poinct,
M’ayme-tu de bon cœur, ou si tu le déguise ?
Ma foy, soit que tu ayme, ou que tu n’ayme point :
Tu as beaucoup d’amour, ou beaucoup de feintise.
Mais si tu n’ayme point, à quoy tant de douceurs ?
Et si tu aymes bien à quoy tant de rudesses ?
Faut-il nourrir amour de haineuses rigueurs,
Et la haine allaicter d’amoureuses carresses ?
Souvent un faux amour est si bien coloré
Qu’il est bien mal aisé d’en découvrir la feinte,
Puis ce qu’on ayme tant, n’est jamais asseuré
Un tel thresor ne peut se posseder sans crainte.
Estrange effect d’amour ! Quand te panchant sur moy
Maistresse, je te tiens quelque fois embrassée,

Encor ne suis-je pas asseuré que c’est toy
Tant je crain qu’un demon ne trouble ma pensée.
D’Ixion malheureux je crain la vanité,
Et que pensant tenir ma Junon toute nuë,
Le ciel pour me punir de ma temerité,
Ne suppose en mes bras l’idole d’une nuë.

Si tu m’aymes de cœur je diray que jamais
A tel degré d’amour femme ne sçeut atteindre,
Si tu ne m’ayme point, je diray desormais
Que jamais je n’en vy qui sçeussent si bien feindre.
Je sçay bien que logeant si haut mes passions
Je n’en dois esperer qu’une cheute mortelle,
Mais pour quoy cederay-je à tes perfections,
Ne suis-je aussi constant que tu me semble belle.
Ouy, mon extresme amour égale ta beauté,
Tes vertus et ma foy dans un moule sont faictes,
Joinct que mon cœur se sent en si bon lieu planté
Qu’il ne sçauroit aymer que les choses parfaictes.
O puissant Cupidon ! Si je suis bien aymé
Ne perisse jamais mon amoureuse flame,
Si non esteins le feu que tu m’as allumé
Et brize le pourtraict que je porte en mon ame.

Qu’il ne m’en reste rien qu’un despit desormais
D’avoir tant honoré une ingratte mocqueuse,
De toutes celles-là qui aymerent jamais
La plus dissimulée et la moins amoureuse.
Que dis-je ? Amour, pardonne à mon feu violent,
Si mon traict jusqu’au vif n’entame sa poictrine :
Ce m’est assez d’honneur qu’elle en faict le semblant,
Et suis assez content puis que je l’imagine.
Quelle ayme, ou n’ayme pas, je l’aimeray tousjours,
Et si ses cruautez veulent avoir la gloire
D’attaquer au combat mes fideles amours,
Je suis bien asseuré d’emporter la victoire.

Ne te force donc plus ma déesse, et ne crains
Que jamais ta rigueur me porte à la vengeance,
Le furieux torrent de tes ingrats dédains
N’esbranlera jamais le roc de ma constance.
Mais, plaignons nous tous deux de nos communs excez,
Toy de ma passion, moy de tes injustices,
Pourveu qu’amour en soit le juge du procez,
J’oze bien esperer de payer les espices.