Le Banquet chez Clinias

POÉSIE

LE BANQUET CHEZ CLINIAS

Clinias, disciple de Socrate, reçoit son hôte, Ctésiphon de Samos, dans un banquet auquel assistent plusieurs autres disciples du maître. Au moment où la joueuse de flûte commence, Lysis, un de leurs compagnons, entre brusquement, et reproche à Clinias ces préparatifs de fête, s’étonnant qu’il laisse retentir chez lui des chants, le jour où Socrate est jugé. Clinias répond que les Dieux nous ordonnent avant tout, quand un hôte visite notre foyer, que nous lui cachions tout ce qui pourrait attrister notre accueil ; il cite l’exemple d’Admète recevant Hercule. Il invite Lysis à prendre place parmi eux. Lysis refuse, et, désireux de ne pas nuire aux devoirs de l’hospitalité, il veut s’éloigner en silence. Mais son trouble est si apparent que ses amis le pressent de questions. Il leur apprend que Socrate vient d’être condamné à boire la ciguë. L’émotion suspend le festin, et Clinias, ayant avoué à son hôte l’inquiétude commune, prie Lysis de leur retracer la séance à laquelle il vient d’assister.

LYSIS


Lorsque l’accusateur eut fini sa lecture,
Dont la sottise allait du mensonge à l’injure.
Socrate qui l’avait écouté sans bouger,
Comme à quelque débat qui lui fût étranger,
Se leva lentement. Il commença par dire
Qu’il n’avait point appris l’art subtil de conduire
Par un verbe savant un discours concerté,
Mais parlait simplement la simple vérité,
Telle qu’il la parlait sur la place publique,
De la même façon familière et modique

Dont il usait, lorsqu’il rencontrait des amis.
Dès lors, continuant comme il l’avait promis,
En propos modérés, unis, précis et justes,
Mais, comme il l’est lui-même, étrangement robustes,
Il reprit un par un les griefs. L’examen
Par lequel il les mit en poudre sous sa main,
Sous son aspect sans art, n’était rien qu’un chef-d’œuvre.
Comme un chasseur adroit étrangle une couleuvre,
Il saisit Melitus dans une question,
Et le tordant d’un seul et décisif affront,
Sans augmenter l’effort d’un esprit qui se joue,
Le laissa retomber dans sa honte et sa boue.
Sous cette causerie — à peine un plaidoyer —
On voyait se troubler, s’affaiblir et ployer
Les accusations, les accusateurs mêmes,
Dont les traits devenaient plus confus et plus blêmes.
« Vous m’accusez d’avoir, leur dit-il, corrompu
Et de corrompre encor les jeunes gens : j’ai pu,
Dénouant les liens de passions funestes,
En rendre quelques-uns de violens, modestes,
De paresseux, actifs, de prodigues, prudens,
D’avares, généreux. S’ils étaient impudens,
Mes mots seraient ici réprimés, à ma honte,
Car, en les prononçant, Athéniens, j’affronte
Les pères, les parens, que je vois parmi vous,
De ceux que je déclare avoir rendus plus doux,
Chastes et tempérans. Que Mélitus, s’il l’ose,
En prenne quelques-uns pour témoins dans ma cause,
Ceux-là m’accuseront ! Et s’il ne le fait pas,
Et si leur amitié me suit dans ces débats,
C’est comme s’ils étaient ici pour me défendre ;
Et n’est-ce pas miracle, ô Mélitus, d’attendre
Un service, un bienfait, un secours, un appui
De ceux auxquels tu veux que ma parole ait nui ?
Mais sais-tu, Mélitus, ce que dit leur silence,
Ce qu’il proclame haut avec plus d’éloquence
Que tu n’en dépensas tantôt pour m’accuser ?
C’est que tu n’es qu’un fourbe, un imposteur d’oser
Affirmer ce que nie et dément leur visage ;
Et peut-être toi-même aurais été plus sage

D’avoir, ô Mélitus, avec eux écouté
Mon conseil corrupteur d’aimer la vérité. »

Déjà ces simples mots d’une force indignée,
Mais parlés simplement, ainsi qu’une cognée,
Faisaient sauter le bois de l’accusation.
D’autres suivaient bientôt d’un effet aussi prompt.
« Les Dieux, dit-il, comment pourrais-je n’y pas croire,
Moi qui crois aux Démons, et dont la propre histoire
Fut toujours dirigée, aux momens anxieux,
Aux tournans indécis, par la voix de l’un d’eux,
Qui me suit dès l’enfance et qui se fait entendre,
Non pour me suggérer ce qu’il faut entreprendre,
Mais bien pour empêcher ce que j’ai résolu ?
Et ces divins conseils ont toujours prévalu.
C’est d’après cette voix écoutée et suivie
Que j’ai réglé toujours, et règle encor ma vie.
Comment, si les Démons sont les enfans des Dieux,
Nier qu’il est des Dieux ? Diras-tu, si tu veux
Employer, Mélitus, des images profanes,
Qu’il y a des mulets nés de chevaux et d’ânes,
Et qu’il n’existe point d’ânes ni de chevaux ?
Et voilà les raisons de quoi tu te prévaux
Pour m’accuser ici d’être impie, incrédule !
Tu te rends, Mélitus, chétif et ridicule,
Toi qui dis à la fois : « Socrate reconnaît
Et ne reconnaît pas les Dieux, » car ce qui naît
D’un être est le meilleur témoin que l’être existe.
L’excellent Mélitus pour Mélitus m’attriste. »

Pour la Loi qu’il avait jusqu’à présent suivie,
Il était prêt encore à déposer sa vie.
Il n’apporterait point, comme il se fait souvent,
Pour attendrir les cœurs d’un spectacle émouvant,
Ses parens, ses enfans, dont les larmes versées
Pourraient vers l’indulgence incliner leurs pensées,
Encor qu’il eût trois fils : l’un d’eux adolescent,
Les autres, tout enfans. Car il n’est point décent
Qu’un juge, ayant prêté son serment, outrepasse

La ligne que le doigt de la Justice trace ;
Il ne doit prononcer qu’avec son seul esprit.
En outre, il convient mal au renom, au crédit
D’Athènes, qu’il soit cru, sur la terre étrangère,
Que ses fils les meilleurs ont l’âme assez peu fière
Pour vouloir se sauver par d’infimes moyens ;
Il faut qu’il soit connu que tous ses citoyens,
Délaissant aux rhéteurs un improbe artifice,
Jugent et sont jugés par la stricte Justice.
Enfin : « Sans prendre exemple à d’autres oraisons,
Athéniens, dit-il, j’ai donné des raisons,
Mais je ne vous ai point adressé de supplique.
Je m’abandonne à vous ainsi qu’au dieu delphique,
Pour que vous me jugiez, comme il sera le mieux
Et pour vous et pour moi, sous nos juges les Dieux.

Son manteau brun ouvert sur sa pauvre tunique,
L’air tranquille, et pareil à celui qui s’explique
Dans un mince débat dont il fait peu de cas,
Avec la même voix, et le geste du bras
Qui tantôt suit la phrase et tantôt la précède,
— Son geste habituel, dont il semble qu’il aide
Sa pensée à venir vers ceux qu’il entretient, —
Avec sa même aisance, et son même maintien
Que l’on sent si dispos dans sa calme habitude,
Il parlait. Merveilleuse était la certitude
Qui naissait lentement de ces simples propos !
La mesure parfaite et la clarté des mots,
L’argument sans surcroît, sans hâte et sans entrave,
La justesse du ton plein d’enjoûment ou grave,
Le jeu sûr de l’accent discret et modéré,
Étaient tels que jamais nous n’avions admiré
Ces dons de notre maître avec tant de surprise.
Et sous eux, la pensée allait ferme et précise ;
Chaque habile raison semblait n’être qu’un fait
Qu’il donnait en passant, et cependant l’effet
En était, à bien voir, savamment efficace.
La marche du discours était sûre et sagace,
Quelques mois décisifs sur le point discuté
Suffisaient ; il passait. Cette simplicité,

Qui frémissait parfois au bord de l’éloquence,
Eut peut-être éclaté, n’était la vigilance
Dont il a toujours su maîtriser son discours ;
El les mots revenaient à leur calme parcours.
Quel puissant orateur aurait été Socrate,
S’il n’avait préféré cacher, comme l’agate,
Sa veine précieuse en un fruste dehors
Plein, quand il est ouvert, d’un reploiement d’essors.


THÉÉTÈTE



Quel souvenir sacré dans ton âme va vivre !


LYSIS


Plus grand que tu ne crois ! C’était beaucoup de suivre
Le travail ou plutôt le jeu de son esprit,
— Vous n’en avez par moi qu’un rapport amoindri, —
Mais c’était plus encor de l’admirer lui-même,
D’admirer, embellis d’une clarté suprême,
Ces traits dont quelquefois il aime à plaisanter
Je rends grâces aux Dieux d’avoir pu l’écouter,
Mais combien plus encor d’avoir vu sur sa face
Tout ce qu’un seul instant magnanime ramasse
De grandeur sur le marbre étroit d’un front humain.

Il était arrivé, le visage serein ;
Je ne sais pas encor si sa paix coutumière
Et cet abord rieur qu’aucune humeur n’altère
Portaient réellement un air de gravité,
Ou si c’est notre esprit qui le leur a prêté,
Car nous étions émus plus qu’il ne semblait l’être.
Un commerce fidèle et long m’a fait connaître
Le jeu discret, mais riche et divers de ses traits ;
Je les ai vus railleurs, pénétrans et distraits,
Je ne les vis jamais plus souples à l’idée ;
Et mon âme attentive, anxieuse, guidée
Par des indices fins inaperçus de tous,
Put suivre tout l’émoi de son âme, au-dessous
De ces mots qui déjà contenaient tant de choses,
Comme on voit sous l’effet la réserve des causes.
Tout le temps qu’il parla, modestement hautain,

A peine devinai-je une ombre de dédain
Recouvrir, par instant, une ombre de colère.
Tous, disciples, savans et la masse vulgaire
Sentirent dès l’abord, pris d’un même respect,
La noblesse cachée en son modique aspect.
Sa première parole éclaira son visage ;
Au cours de ses propos si simples, son image
Par-delà la mesure humaine grandissait,
Si bien qu’une terreur enfin nous remplissait,
Comme on l’éprouve auprès de présences divines
Et cet homme aux façons humbles et citadines,
Au maintien négligé, si pauvrement vêtu,
Paraissait, — peu à peu, — resplendir de Vertu.
Ses yeux si beaux et bons, bleus et gris tout ensemble.
Et toujours habités d’une lueur qui tremble
Etroite et retirée au fond de leur regard,
Ou qui nage diffuse en un pensif brouillard,
Tantôt ils s’emplissaient d’une clarté plus ample
Digne de s’allumer sur le parvis du temple
Où les Dieux, sous son front, ont un culte nouveau ;
Tantôt on ne savait si la fleur ou si l’eau
Fournissait ce reflet d’azur limpide et tendre,
Jeune, frais, innocent, et qui semblait étendre
Sur nous tous la candeur d’un cœur naïf d’enfant ;
Tantôt il y passait un éclair triomphant,
Et tantôt un éclat plus dur et plus sévère ;
Mais toujours revenait la lueur familière
Qui, retirée au fond des regards amoindris,
Leur rendait leur jeu fin d’amusement surpris.
Tout cela se passait par-dessus son langage,
Qui restait sur le sol, comme on voit un nuage
Transformer ses trésors d’ombres et de rayons
Au-dessus des labeurs penchés sur les sillons.

Tous ne discernaient pas, comme nous ses disciples.
Sous sa tranquillité, les profonds, les multiples,
Les subtils mouvemens qui traversaient ses yeux ;
Encor moins pouvaient-ils discerner, — plus loin d’eux
L’infini mouvement qui traversait son âme.
Mais tous sentaient pourtant qu’il brillait une flamme

Magnifique au sommet de cet humble maintien.
Des milliers de regards se suspendaient au sien ;
Mais parfois, par un prompt glissement, son sourire
Par qui sa bouche a l’air heureuse de séduire,
Faisait que les regards sur sa lèvre étaient tous.
Son ancienne ironie, exempte de courroux,
Toujours fine, mais plus contenue et discrète,
S’y jouait comme aux jours où sa lente conquête,
Attirant les esprits constamment amorcés,
Les menait d’une erreur, consentans ou forcés,
Vers un large sommet balayé d’éloquence.
C’était le même jeu, toujours de connivence
Avec quelque raison que l’on sent s’approcher,
Sans qu’on sache s’il veut l’offrir ou la cacher.
Et le vaste auditoire où frémissait la fièvre,
Gagné par la malice habile de sa lèvre,
Oubliait son angoisse, un instant conforté
Par tant de bonhomie et de simplicité,
Capables de charmer même notre détresse.

Mais parfois il semblait qu’il eût de la tristesse,
Non pour lui, mais pour ceux auxquels il s’adressait,
Les juges devant lui. Le regard qu’il fixait
Sur ces gens dans lesquels il pouvait voir d’avance,
Lui, le liseur d’esprits, se former sa sentence,
Se remplissait de peine et de compassion.
La beauté qui passait dans cette expression
De pitié, de clémence et de pardon sublime
Pour tous ceux qui, tenant entre leurs mains un crime,
Attendaient qu’il se tût, afin de les ouvrir,
Était celle d’un dieu. Mais, pour la ressentir,
Il fallait, comme nous, connaître son visage.
Les autres ne voyaient que son calme courage,
Tant il était discret à rien laisser passer,
Hormis les justes mots qu’il voulait prononcer
Pour accorder aux Lois le respect et l’hommage
De défendre, en leur temple et devant leur image,
Un citoyen sans crime accusé sans raison.
Et je voyais des pleurs dans les yeux de Platon.

Quand il eut terminé sa sobre apologie,
Il s’assit avec calme. Une rumeur surgie
En long frissonnement sans un seul son de voix,
Comme ces grands soupirs dont s’émeut un grand bois,
De tant de seins émus par cette grandeur d’âme
S’éleva. Mais, ses yeux ayant perdu leur flamme,
Il paraissait distrait, ainsi qu’il l’est souvent,
Quand il se perd au fond de lui-même, suivant
Le fil intérieur de pensers qu’il démêle,
Et son esprit errait, loin de l’heure réelle,
Dans les champs lumineux des immortalités ;
Nous savions qu’il montait des degrés enchantés.

Mais lorsque le greffier annonça la sentence,
Il sortit tout à coup de son étrange absence,
Et reprit simplement son regard attentif.
Les cœurs des matelots, quand le choc du récif
Déchire le navire et le livre au naufrage,
N’ont point de battemens de colère et de rage,
Comme en eurent nos cœurs quand l’arrêt fut donné !
Jamais le lieu sacré ne fut tant profané
Où l’antique Justice a sa demeure auguste !
Il semblait que le Vrai, le Bon, le Bien, le Juste,
Par ce forfait dément tous ensemble outrages,
Tombaient et s’écroulaient à nos yeux affligés,
Et qu’un effondrement immense et redoutable
Se prolongeait autour du sublime coupable
Qui, tel qu’un haut pilier, demeurait seul debout
Dans la chute, le bris, le désastre de tout.
Une vague terreur passa sur l’auditoire,
Comme devant un crime auquel on ne peut croire,
Tant il est monstrueux, et qui pourtant est là.
Un épouvantement de vengeances frôla
Ce peuple tout à coup muet et immobile.
Socrate seul avait son sourire tranquille,
Et ce fut, mes amis, un spectacle très grand
Que ce visage clair, paisible et rassurant
Ceint de fronts sur lesquels s’étendait de la cendre,


Lysis rapporte ensuite la partie de sa défense où Socrate, ayant à proposer la peine dont il pourrait être frappé, a dit qu’il méritait d’être nourri au Prytanée. Puis il raconte comment la peine de mort a été votée par plus de voix que le verdict de culpabilité. Au milieu de la douleur et de la colère de ses amis, il leur retrace l’attitude de Socrate, lorsqu’il prit congé de ses juges.

LYSIS



Ah ! ceux-là ne sauront jamais sur quelle cime
Un homme peut porter une paix magnanime,
Qui n’ont point vu Socrate accueillir cet arrêt.
Il leur dit simplement qu’il n’avait qu’un regret,
C’est qu’ils allaient ternir le pur renom d’Athènes,
Pour n’avoir point songé que les saisons humaines
Emporteraient bientôt le vieillard qu’il était ;
Ils seraient châtiés par leur propre forfait,
Car ils portaient en eux un éternel outrage !

Avec ceux qui l’avaient absous par leur suffrage
Il désirait, dit-il, s’entretenir encor,
Avant d’être appelé par les Onze : la mort
Est un passage court de ce lieu vers un autre,
Ou bien un long sommeil auprès duquel le nôtre
N’est qu’un rêve agité qui nous délasse mal.
S’il est encore un peuple au climat infernal,
Quel chemin si fleuri qu’il égale la voie
Par où l’homme s’en va vers la durable joie
De voir les demi-dieux, les juges, les héros,
Ulysse, Achille, Ajax, Rhadamante, Minos,
D’entendre Orphée, Homère, Hésiode, Musée ?
Ainsi peut-il mourir l’âme tranquillisée
Celui qui vécut juste, intègre et bienfaisant ;
Derrière le trépas, rien d’amer ne l’attend.
Et c’est pourquoi, dit-il, il n’éprouvait de haine
Ni pour ceux dont le vote a décidé sa peine,
Ni, malgré leurs desseins, pour ses accusateurs.
Alors il souhaita qu’au temps venu les mœurs
De ses fils, grandissant sans lui, fussent guidées
Par les mêmes conseils et les mêmes idées
Pour lesquels il allait mourir dans quelques jours.

Ce qu’il disait ainsi n’était point un discours ;
Quelle harangue aurait surpassé sa parole,
Cet adieu familier d’un homme qui s’immole
Pour sa pensée, et qui, dès longtemps dégagé

De nos chétifs émois, prend un noble congé
De la haine des uns et de l’amour des autres ?
Et nous sentions son cœur qui grandissait les nôtres !
Puis il dit : « Le soleil va perdre ses rayons,
C’est l’heure maintenant que nous nous retirions,
Moi qui m’en vais mourir, vous qui restez à vivre.
Dieu seul sait, — lui qui sait ce qui lie ou délivre, —
Qui de vous ou de moi tient la meilleure part.
Je le saurai demain ; vous l’apprendrez plus tard. »

Un instant, ces seuls mots, si simples et sublimes,
Parurent s’élargir dans d’immenses abîmes
De silence pieux et de recueillement,
Comme en un sanctuaire, où le Dieu est présent.
Puis soudain, des sanglots et des cris éclatèrent,
Ses disciples vers lui, ses amis se jetèrent ;
Et, dans ce flot tragique agité de douleurs,
Son front calme, entouré de visages en pleurs,
Se tournait pour donner à chacun la parole
Qui rassure, affermit, remercie ou console ;
Quelquefois il passait la main sur les cheveux
D’un disciple plus jeune, ou réprimandait ceux
Qui faisaient éclater trop bruyamment leur peine.
Nos lamentations s’élevaient comme un thrène ;
Les poètes n’ont point sur la scène évoqué
De roi, ni de héros par les destins traqué,
Faisant front aux malheurs qu’un instant accumule,
Sans que sa voix faiblisse ou que son pied recule,
Qui reçût l’infortune avec tant de grandeur ;
Œdipe détrôné n’est point suivi d’un chœur
Comparable à celui dont la noble détresse
Faisait gémir l’espoir et la fleur de la Grèce.

Il partit, escorté de tous, vers la prison,
Comme s’il retournait du stade à sa maison,
Et le gardien ferma les deux portes de bronze.
Le reste de sa vie est au pouvoir des Onze.


AUGUSTE ANGELLIER.