Le Banquet (Trad. Talbot)/Texte entier

Le Banquet (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 1 (p. Le banquet-299).


LE BANQUET[1].


CHAPITRE PREMIER.


Occasion du Banquet. — Repas donné par Callias au jeune Autolycus, vainqueur au pancrace. — Socrate assiste à ce repas. — Arrivée du bouffon Philippe.


Oui, selon moi, non-seulement les actions sérieuses des hommes beaux et bons, sont dignes de mémoire, mais encore leurs simples amusements. Or, ce que je sais en ce genre, pour en avoir été témoin, je veux le publier.

Aux grandes Panathénées[2], il y eut une course de chevaux. Callias, fils d’Hipponicus[3], épris du jeune Autolycus, qui venait de remporter le prix du pancrace, le conduisit à ce spectacle. La course finie, Callias, ayant avec lui Autolycus et son père, retournait à sa maison du Pirée ; il était suivi de Nicératus. Voyant ensemble Socrate, Critobule, Hermogène, Antisthène et Charmide[4], il ordonna à un de ses gens de conduire chez lui Autolycus et sa compagnie, puis abordant Socrate et ceux qui l’entouraient : « Je vous rencontre bien à propos, leur dit-il ; j’ai à dîner Autolycus et son père[5] ; et je crois que la fête n’en sera que plus brillante, si des hommes comme vous, dont l’âme est épurée, viennent orner mon appartement plutôt que des stratéges, des hipparques, de futurs magistrats. » Alors Socrate : « Tu railles toujours, dit-il, et tu cherches à nous ravaler, parce que tu as prodigué l’argent à Protagoras, à Gorgias[6] et à tant d’autres pour leurs leçons de sagesse, tandis que tu vois en nous des gens réduits à tirer leur philosophie de leur propre fonds. — Jusqu’ici, répondit Callias, je vous cachais que j’avais beaucoup de belles choses à vous dire ; mais aujourd’hui, venez chez moi et je vous prouverai que je mérite bien quelques égards. » Socrate et ses amis commencèrent naturellement par le remercier de son invitation, mais ils ne promirent pas de s’y rendre. Cependant lui voyant un air tout fâché de ce refus, ils finirent par le suivre ; puis, les uns s’étant exercés et parfumés, et les autres baignés, ils entrèrent. Autolycus était assis auprès de son père ; les autres prirent la place qui leur convenait.

Un simple coup d’œil jeté sur le groupe eût fait comprendre que la beauté a de soi quelque chose de royal, surtout lorsqu’elle s’unit, comme alors dans Autolycus, à la pudeur et à la modestie. Telle qu’une lumière qui, brillant soudain dans la nuit, fixe tous les regards, ainsi la beauté d’Autolycus attirait sur lui tous les yeux. Des convives qui le contemplaient, il n’en était aucun dont l’âme ne fût émue : les uns étaient silencieux, les autres faisaient quelque geste. Tous ceux qu’un dieu possède attirent l’attention ; et quand c’est toute autre divinité, ils ont le regard terrible, la voix effrayante, les mouvements violents ; mais quand c’est l’amour chaste qui les inspire, leurs yeux deviennent aimables, leur voix se fait douce, et leurs gestes pleins de noblesse. Callias, en agissant de la sorte sous l’influence de l’amour, attirait l’attention de ceux qui sont initiés aux mystères de cette divinité. Cependant les convives dînaient en silence, comme par ordre d’un personnage supérieur.

Le bouffon Philippe, ayant frappé à la porte, prie l’esclave qui vient à sa rencontre d’annoncer qui il est, et pourquoi il demande à être introduit : il dit qu’il se présente muni de tout ce qu’il faut pour souper aux dépens des autres, que son esclave est très-mal à son aise de ne rien porter et d’être encore à jeun. Callias, à ces mots : « Certes, dit-il, ce serait grande honte, mes amis, de ne pas lui donner au moins un abri : qu’il entre donc ! » Et en même temps il regardait Autolycus, évidemment pour examiner ce qu’il pensait de la plaisanterie. Alors Philippe entrant dans la salle à manger des hommes : « Vous savez tous, dit-il, que je suis bouffon : je viens ici volontiers, convaincu qu’il est plus plaisant de se présenter à un repas sans être invité que sur une invitation. — Assieds-toi donc, lui dit Callias ; nos convives, comme tu vois, sont fort sérieux, ils ont besoin qu’on les égaye. » Durant le repas, Philippe se mit à faire quelques plaisanteries, afin de remplir son rôle usité partout où il était invité à un festin. Personne ne riait : son dépit était manifeste ; aussi voulut-il, bientôt après, dire encore quelque facétie ; mais aucun convive ne s’étant mis à rire, il cessa de manger, se couvrit la tête et se renversa tout de son long. Alors Callias : « Qu’est-ce cela, Philippe ? dit-il ; quel mal te prend ? — Par Jupiter ! un bien grand mal, Callias. Puisque le rire est banni de chez les hommes, mes affaires sont en piteux état. Autrefois on m’invitait aux banquets pour divertir les convives par mes bouffonneries ; mais à présent pourquoi m’appellerait-on ? Dire quelque chose de sérieux m’est aussi impossible que de me faire immortel ; cependant on ne m’invite pas dans l’espoir d’être invité : tout le monde sait que de temps immémorial il n’entre point de souper chez moi. » En même temps il se mouchait et contrefaisait à merveille la voix d’une personne qui pleure. Tous les convives alors se mettent à le consoler, à lui promettre de rire, à lui ordonner de manger ; et Critobule rit aux éclats de cette commisération. Philippe, en entendant rire, se découvre le visage, et, l’âme rassurée par l’espoir de futurs repas, il se remet à table.



CHAPITRE II.


Divertissement donné par un Syracusain. — Digression sur les parfums, l’éducation des femmes, la danse et l’ivresse.


Dès qu’on a retiré les tables, fait les libations et chanté le péan, il entre, comme divertissement, un Syracusain, suivi d’une excellente joueuse de flûte, d’une danseuse merveilleuse par ses tours, d’un garçon fort joli, jouant de la cithare et dansant à ravir. L’homme qui faisait voir ces merveilles en tirait de l’argent. Quand la joueuse de flûte eut assez flûté, le cithariste assez joué de la cithare, et que tous deux parurent avoir suffisamment amusé : « Par Jupiter ! dit Socrate, tu nous traites splendidement, Callias ! Ce n’est point assez d’avoir servi un repas magnifique ; tu nous donnes un spectacle et une musique des plus agréables. » Alors Callias : « Mais si l’on nous apportait encore des parfums, nous jouirions de leur senteur. — Pas du tout, reprit Socrate ; de même que tel vêtement convient à une femme, tel autre à un homme, ainsi tel parfum convient à un homme, tel autre à une femme ; et jamais homme ne se parfume pour un autre homme. Cependant les femmes, et surtout les jeunes épouses, comme celles de Critobule et de Nicératus, se plaisent aux parfums ; elles aiment à en exhaler l’odeur. Mais celle de l’huile des gymnases paraît aux hommes plus agréable qu’un parfum ne l’est aux femmes, au moment où ils la respirent, et plus désirable quand ils ne la respirent pas. Qu’un esclave et un homme libre se parfument, tous deux à l’instant même exhaleront une égale senteur ; mais l’odeur que répandent les exercices libéraux a besoin d’application et de temps pour acquérir cette suavité qui caractérise l’homme libre. » Alors Lycon : « Cela va bien aux jeunes gens ; mais nous qui ne fréquentons plus les gymnases, quelle odeur devons-nous exhaler ? — Par Jupiter ! celle de la vertu, dit Socrate. — Et où prend-on ce parfum ? — Ce n’est pas, ma foi, chez les parfumeurs. — Où donc enfin ? — Théognis nous l’apprend[7] :

L’honnête homme du bien te montre le sentier ;
Le méchant te corrompt et te perd tout entier. »


Alors Lycon ; « Tu entends cela, mon fils ? — Sans doute, reprit Socrate, et il profite. Et comme il a eu le désir d’être vainqueur au pancrace, parce qu’il t’a pris pour modèle, c’est d’après ton avis que celui qui lui paraîtra le plus propre à lui enseigner la bonne voie, deviendra son guide[8]. »

À ces mots, ils se mirent tous à parler ; et l’un disait : « Mais où trouver un maître de cette science ? » Un autre soutenait qu’elle ne s’enseigne point ; un troisième qu’il n’y a rien de si facile à apprendre. Alors Socrate : « Puisqu’il y a doute, renvoyons la question à un autre moment : achevons à présent de qui est commencé. Pour moi, je vois la danseuse qui attend et à laquelle on apporte des cerceaux. » Sur cela, la musicienne fait entendre sa flûte, et quelqu’un placé près de la danseuse lui donne des cerceaux jusqu’à douze. Elle les prend : aussitôt elle danse et les jette en l’air, en calculant à quelle hauteur elle doit les jeter pour les recevoir en cadence. Alors Socrate : « Il y a mille preuves, mes amis, et ce que fait cette enfant en est une nouvelle, que la nature de la femme n’est pas inférieure à celle de l’homme : il ne lui manque qu’un peu plus d’intelligence et de vigueur. Qu’ainsi ceux d’entre vous qui ont une femme lui apprennent résolûment tout ce qu’ils veulent qu’elle sache et qu’elle mette en pratique. — Eh bien, dit Antisthène, comment se fait-il, Socrate, qu’avec cette opinion tu n’apprennes rien à Xanthippe, mais que tu t’accommodes de cette femme, la plus acariâtre des créatures passées et à venir ? — C’est que je vois, répondit Socrate, que ceux qui veulent devenir bons écuyers ne se procurent pas les chevaux les plus dociles, mais les plus fougueux, persuadés que, s’ils les domptent, ils viendront facilement à bout des autres chevaux. De même moi, qui veux apprendre à vivre en société avec les hommes, j’ai pris Xanthippe, convaincu que, si je la supportais, je m’accommoderais facilement de tous les caractères. »

Ce discours ne parut pas s’éloigner trop du but. On apporte ensuite un cerceau garni d’épées, la pointe en haut : la danseuse y entre par une culbute et en sort par une autre, de manière à faire craindre aux spectateurs qu’elle ne se blesse, mais elle achève ses tours avec assurance et sans accident. Alors Socrate s’adressant directement à Antisthène : « Pour cette fois, dit-il, les spectateurs ne nieront pas, je crois, qu’on ne puisse donner des leçons de courage, puisque cette danseuse, toute femme qu’elle est, passe si hardiment à travers les épées. — En vérité, répond Antisthène, est-ce que ce Syracusain ne ferait pas parfaitement de montrer cette danseuse au public, et de dire aux Athéniens que, pour de l’argent, il apprendra à tous les citoyens d’Athènes à marcher résolûment contre les lances ? — Par Jupiter ! dit Philippe, que j’aurais, moi, de plaisir à voir l’orateur Pisandre[9] apprenant à courir tête baissée contre les lances, lui qui, à cette heure même, n’osant pas regarder une lance en face, refuse de marcher au combat ! »

Sur ce point le jeune garçon se met à danser. Alors Socrate : « Voyez, dit-il, comme ce beau garçon paraît encore plus beau, quand il prend des attitudes, que quand il est en repos. — Tu as l’air, dit Charmide, de faire l’éloge d’un maître de danse. — Mais oui, répond Socrate ; et j’ai même remarqué qu’en dansant nulle partie de son corps n’est demeurée inactive : cou, jambes et mains, tout était en mouvement ; c’est ainsi que doit danser quiconque veut avoir le corps souple. Ma foi, Syracusain, ce serait volontiers que j’apprendrais de toi ces attitudes ! » Alors celui-ci : « À quoi donc cela vous servirait-il ? — Mais à danser, par Jupiter[10] ! » À ce mot, tout le monde se met à rire. Et Socrate d’un air sérieux : « Vous riez de moi, dit-il : est-ce parce que je veux, grâce à l’exercice, me porter mieux, manger et dormir plus agréablement ; ou bien est-ce parce que je désire m’exercer ainsi, de peur d’avoir, comme les coureurs du long stade, les jambes grasses et les épaules maigres, ou comme les lutteurs les jambes maigres et les épaules grasses, mais afin de donner à mon corps exercé tout entier de justes proportions ? Riez-vous de ce que je n’aurai pas besoin de chercher un compagnon d’exercice, ni de me mettre, moi vieillard, tout nu en présence de la foule, mais de ce qu’il me suffira d’un appartement à sept lits, comme cette salle vient de suffire à ce garçon pour le faire suer, de ce que je m’exercerai l’hiver à l’abri, et à l’ombre, quand il fera trop chaud ? Riez-vous enfin de ce qu’ayant un peu trop de ventre, je veux le rendre plus raisonnable ? Ne savez-vous donc pas qu’un de ces matins, Charmide que voici m’a trouvé dansant ? — Mais oui, par Jupiter ! dit Charmide, et d’abord je fus abasourdi, et je craignis que tu ne fusses devenu fou ; mais après avoir entendu des raisons pareilles à celles que tu viens de dire, en rentrant chez moi je me mis, non pas à danser, puisque je n’ai jamais appris, mais à faire de la pantomime, parce que je savais. — Par Jupiter ! dit Philippe, je le crois ; car tes jambes et tes épaules me paraissent être d’un poids tellement égal que, si tu donnais à peser aux agoranomes ton haut et ton bas, comme des pains à vendre, tu n’aurais pas d’amende à payer[11]. — Eh bien, Socrate, dit Callias, avertis-moi quand tu voudras apprendre à danser ; je me mettrai en face de toi, et nous étudierons ensemble. — Allons, dit Philippe, qu’on joue aussi de la flûte pour moi, je vais danser. »

Il se lève, en effet, et fait le tour de la salle, en imitant la danse du garçon et celle de la jeune fille. Et d’abord, comme on avait félicité ce jeune garçon de paraître embelli par ses attitudes, Philippe affecta dans ses vêtements un ridicule plus grand que nature. La jeune fille avait fait la roue en se renversant en arrière ; Philippe, en se courbant en avant, prétendait l’imiter. Enfin, on avait loué ce garçon de ce que tous ses membres étaient en action pendant la danse ; Philippe commande à la joueuse de flûte un rhythme plus vif, et en même temps agite tout ensemble sa tête, ses bras et ses jambes, jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il se jette sur un lit en disant : « La preuve, mes amis, que ma danse même est un bon exercice, c’est que je meurs de soif : hé ! garçon, emplis-moi la grande coupe. — Oui, dit Callias, et à nous aussi ; tu nous as donné soif à nous faire rire. » Alors Socrate : « Buvons donc, amis, c’est aussi mon sentiment. Le vin, en arrosant nos esprits, endort les chagrins, comme la mandragore assoupit les hommes : quant à la joie, il l’éveille comme l’huile la flamme. Selon moi, le corps[12] de l’homme éprouve ce qui arrive aux végétaux dans la terre. Si la divinité arrose trop les semences, elles ne peuvent lever ni se prêter au souffle de la brise ; si elles ont juste de quoi boire, elles lèvent, se développent, fleurissent et arrivent à fruit. De même, si nous buvons trop d’un coup, bientôt notre corps et notre âme chancellent et nous perdons haleine, loin de pouvoir parler ; mais si nos esclaves nous versent souvent dans de petites coupes, pour employer les paroles de Gorgias[13], le vin ne nous inspire pas la violence de l’ivresse, et nous descendons par la persuasion aux douceurs de l’enjouement, » Tout le monde fut de cet avis. Philippe ajouta que les échansons devaient imiter les bons conducteurs de chars, en faisant courir habilement les coupes ; ce qu’exécutèrent les échansons.


CHAPITRE III.


Chacun des convives loue ce qu’il préfère.


En ce moment, le jeune garçon ayant accordé la cithare sur la flûte, se met à jouer de son instrument et à chanter. Tout le monde applaudit. Alors Charmide : « Pour moi, mes amis, dit-il, je crois, comme Socrate à propos du vin, que ce mélange de jeunes sujets et de sons endort les chagrins et éveille l’amour. » Socrate, de son côté, reprenant la parole : « Il me semble, mes amis, dit-il, que ces gens sont en état de nous divertir ; mais je suis sûr que nous pensons valoir mieux qu’eux. Ne serait-il pas honteux, nous trouvant réunis, de ne pas essayer de nous être utiles aussi bien qu’agréables ? — Eh bien, s’écrient plusieurs des convives, indique-nous quels discours nous devons aborder qui produisent cet effet. — Pour ma part, dit Socrate, je désirerais fort que Callias nous tînt parole ; car il nous assurait que, si nous soupions ensemble, il nous donnerait un échantillon de son savoir. — Volontiers, pourvu que vous tous veniez mettre en commun ce que chacun sait de bon. — Il n’y a personne ici, répliqua Socrate, qui se refuse à dire ce qu’il croit le plus avantageux pour les autres. — Pour moi, reprit Callias, je vais vous faire part d’une connaissance que je prise fort : je me crois capable de rendre les hommes meilleurs. » Alors Antisthène : « Sera-ce en leur enseignant un art manuel ou la probité ? — Oui, si la probité fait partie de la justice. — Par Jupiter, dit Antisthène, c’est une vertu qui ne prête point à la controverse : quelquefois le courage et la prudence semblent nuisibles à nos amis et à l’État, mais la justice ne s’associe jamais à l’injustice[14]. — Lors donc, reprit Callias, que chacun de nous aura dit ce qu’il sait d’utile, moi aussi je me ferai un plaisir de vous révéler le secret de mon art et ce qu’il opère. Mais toi, Nicératus, dis-nous quelle est la science qui te rend fier. — Mon père, dit Nicératus, désirant que je devinsse honnête homme, m’a forcé à apprendre toutes les œuvres d’Homère, et je pourrais en ce moment vous réciter l’Iliade tout entière ainsi que l’Odyssée. — Ignores-tu donc, dit Antisthène, que tous les rapsodes savent par cœur ces deux poëmes ? — Comment l’ignorerais-je, quand je les entends presque tous les jours ? — Connais-tu pourtant une engeance plus inepte que celle des rapsodes ? — Ma foi, je n’en vois guère, dit Nicératus. — Il est bien évident, dit Socrate, qu’ils ne comprennent pas le sens des vers[15] ; mais toi qui as donné beaucoup d’argent à Stésimbrote[16], à Anaximandre[17] et à quelques autres[18], pour en savoir les passages les plus estimés. Et toi, Critobule, continua-t-il, qu’est ce qui te rend fier ? — La beauté. — Comment, tu prétends donc avec ta beauté nous rendre meilleurs ? — Oui, et si j’échoue, il est clair que je suis le dernier des hommes. — Et toi, Antisthène, de quoi es-tu fier ? — De ma richesse, » dit-il. Hermogène lui ayant demandé s’il avait beaucoup d’argent, celui-ci jura qu’il n’avait pas une obole. « Mais tu as beaucoup de terres ? — À peu près ce qu’il en faudrait à Autolycus pour se rouler dans la poussière[19]. — Écoutons aussi ce que tu vas dire, Charmide : et toi qu’est-ce qui te rend fier ? — Moi, c’est ma pauvreté ! — Par Jupiter, dit Socrate, voilà une chose aimable. Elle n’est nullement sujette à l’envie ; elle ne soulève pas de disputes, on la conserve sans gardien, et en la négligeant on la fortifie. — Et toi Socrate, dit Callias, quel est l’état qui te rend fier ? » Alors Socrate se faisant un visage plein de gravité : « Celui d’entremetteur[20], » dit-il. Tout le monde éclatant de rire : « Vous riez, dit-il, mais moi je suis sûr que ce métier me vaudrait beaucoup d’argent, si je voulais m’en servir. — Pour toi, dit Lycon à Philippe, il est certain que tu te piques de faire rire. — À plus juste titre, je crois, que le comédien Callippide, qui se vante insolemment d’arracher des larmes à un grand nombre de spectateurs. — Et toi, Lycon, dit Antisthène, de quoi donc es-tu fier ? — Ne savez-vous pas tous, dit Lycon, que c’est de mon fils que voici ? — Et ce fils, dit quelqu’un, il est évident qu’il est fier d’être vainqueur ? » Alors Autolycus : « Non, par Jupiter, » dit-il en rougissant. Tout le monde, enchanté d’entendre sa voix, tourne les yeux vers lui, et quelqu’un lui demande : « Mais alors de quoi donc es-tu fier, Autolycus ? — De mon père ! » Et en même temps il se penche sur le lit. Alors Callias le regardant : « Ne sais-tu pas, Lycon, dit-il, que tu es le plus riche des hommes ? — Par Jupiter, je l’ignore ! — Quoi ! tu ignores que tu ne voudrais pas changer ton fils contre les trésors du grand roi ? — Me voilà pris en flagrant délit d’être, à ce qu’il paraît, le plus riche des hommes. — Et toi, Hermogène, dit Nicératus, de quoi donc es-tu fier ? — D’avoir des amis vertueux et puissants, et qui, malgré cela, ne me négligent point. » À ce mot, tous le regardèrent, et bon nombre lui demandèrent s’il les leur désignerait. Il dit qu’il s’en ferait un vrai plaisir.



CHAPITRE IV.


Développement des raisons qui rendent chaque convive fier de tel ou tel talent : Critobule loue la justice ; Nicératus, l’utilité d’Homère ; Critobule, sa beauté ; Charmide, sa pauvreté ; Antisthène, ses richesses ; Hermogène, ses amis ; Philippe, sa profession de bouffon ; le Syracusain, la sottise humaine qui le fait vivre de ses spectacles ; Socrate, l’excellence et les avantages du métier d’entremetteur.


Après cela, Socrate prenant la parole : « Reste maintenant à démontrer, dit-il, suivant notre promesse, l’excellence de ce que chacun de nous a placé par-dessus tout le reste. — Écoutez-moi le premier, dit Callias. « Dans le moment même où je vous entends vous demander en quoi consiste la justice, moi, je rends les hommes plus justes. — Comment cela, excellent homme, dit Socrate ? — En donnant de l’argent, ma foi ! » À ce mot Antisthène se lève, et d’un ton tranchant : « Les hommes, selon toi, Callias, lui demande-t-il, ont-ils donc la justice dans le cœur ou dans la bourse ? — Dans le cœur. — Et toi, en versant de l’argent dans la bourse, tu rends le cœur plus juste ? — Certainement. — Comment cela ? — Parce que, sachant qu’ils auront de quoi acheter le nécessaire, ils ne veulent pas risquer de mal agir. — Te rendent-ils donc ce qu’ils reçoivent de toi ? — En aucune façon. — Tout au moins as-tu des remercîments pour ton argent ? — Non ma foi, pas de remercîments ; quelques-uns même me haïssent encore plus qu’avant de recevoir. — Voilà qui est étonnant, dit Antisthène en regardant fixement Callias comme pour le confondre ; tu peux rendre les hommes justes envers les autres, et non pas envers toi ? — Qu’y a-t-il d’étonnant, dit Callias[21] ? Ne vois-tu pas nombre de charpentiers et d’architectes qui bâtissent des maisons pour je ne sais combien d’autres, et qui, hors d’état de le faire pour eux-mêmes, se logent à loyer ? Souffre donc, beau sophiste, que je te batte à ton tour. — Par Jupiter, dit Socrate, il faut bien qu’il le souffre : puisqu’il y a, dit-on, des devins qui prédisent l’avenir aux autres, tandis qu’ils ne prévoient pas pour eux-mêmes ce qui doit arriver. » Ils brisèrent là-dessus. Sur ce point Nicératus : « Écoutez, dit-il, de ma bouche le moyen de devenir meilleurs, si vous suivez mes leçons. Vous savez, sans doute, qu’Homère, ce sage accompli, a embrassé dans ses poëmes presque tout ce qui a trait à la vie humaine. Ainsi quiconque de vous voudra devenir économe, orateur, général, ressembler à Achille, à Ajax, à Nestor, à Ulysse, qu’il m’écoute ; car je puis enseigner tout cela. — Sais-tu aussi l’art de régner, dit Antisthène ? Tu n’ignores pas qu’Homère louait Agamemnon[22]

D’être à la fois bon prince et brave combattant.

— Mais oui, par Jupiter, continua Nicératus, je sais également qu’un conducteur de char doit se pencher en arrivant près de la borne[23] :

Sur ce char élégant penche-toi vers la gauche ;
Que le coursier de droite, animé par ta voix,
S’élance, entraînant tout et brides, et harnois.

Outre cela, je sais une autre chose, et vous pouvez à l’instant même en faire une preuve. Homère a dit quelque part[24] :

Rien n’assaisonne mieux la boisson que l’oignon.

Que quelqu’un vous apporte de l’oignon, et sur-le-champ vous vous trouverez bien, vous boirez avec plus de plaisir. » Alors Charmide : « Mes amis, dit-il, Nicératus veut retourner chez lui sentant l’oignon, afin que sa femme croie que personne n’a songé à l’embrasser. — Par Jupiter, dit Socrate, j’aurais peur qu’on ne prît de nous une autre idée plaisante. Comme assaisonnement, il paraît que l’oignon ne rend pas moins agréable le manger que le boire. Si donc nous en mangions au dessert, on pourrait dire que nous avons mené joyeuse vie chez Callias. — Pas du tout, Socrate, dit Nicératus ; car quand on marche au combat, c’est une bonne chose de manger un peu d’oignon : c’est ainsi que parfois on fait manger de l’ail aux coqs avant de les faire battre ; mais peut-être ici songeons-nous moins à nous battre qu’à nous embrasser. » Le propos se termina là.

Alors Critobule : « À mon tour, dit-il, je vais vous expliquer pourquoi la beauté me rend fier. — Parle, lui dit-on. — Si je ne suis pas beau, comme je le pense, vous méritez de passer pour des imposteurs : car, sans que personne vous demande de serment, vous jurez toujours que je suis beau ; et moi je vous crois, parce que je vous regarde comme des gens beaux et bons. Si donc je suis réellement beau, et si je produis sur vous la même impression que quelqu’un de beau produit sur moi, je jure par tous les dieux que je ne préférerais pas le pouvoir du grand roi à la beauté. En effet, je contemple Clinias avec plus de plaisir que tout ce qu’il y a de beau parmi les hommes, et je souffrirais volontiers d’être aveugle pour tout autre objet que Clinias ; j’en veux à la nuit et au sommeil, parce que je ne le vois plus, et je sais un gré infini au jour et au soleil, parce qu’ils me font revoir Clinias. Il est juste aussi que, nous qui sommes beaux, nous éprouvions quelque fierté de ce qu’un homme vigoureux ne peut acquérir de biens qu’en travaillant, le brave qu’en affrontant les dangers, le sage qu’en parlant, tandis que le beau, sans rien faire, en vient à bout. Moi donc, qui sais pourtant quelle douce possession est la richesse, je trouverais plus doux de donner mon bien à Clinias que d’en recevoir autant d’un autre ; j’aimerais mieux être esclave que libre, si Clinias voulait être mon maître ; le travail, pour le servir, me serait plus doux que le repos, et j’aurais plus de plaisir à braver le danger pour lui qu’à vivre sans danger. Si donc toi, Callias, tu es fier de pouvoir rendre les autres plus justes, il est bien juste que je croie pouvoir, mieux que toi, conduire les hommes à toute espèce de vertu.

« En effet, la passion, que nous autres beaux nous inspirons aux cœurs aimants, les rend plus affranchis de l’amour des richesses, plus épris du travail et de la gloire acquise par les dangers, plus modestes et plus réservés, puisqu’ils rougissent de demander ce qui leur manque le plus. C’est être fou que ne pas choisir de beaux hommes pour généraux. Pour ma part, avec Clinias je passerais même à travers le feu, et vous tous avec moi, j’en réponds. N’hésite donc plus à dire, Socrate, que ma beauté est utile aux hommes. En outre, il ne faut point la dédaigner, si elle se flétrit promptement, puisque, de même que l’enfant a sa beauté, l’adolescent, l’homme fait et le vieillard ont chacun la leur. Témoin les thallophores[25] de Minerve, qui sont choisis parmi les beaux vieillards, comme pour déclarer que la beauté est de tous les âges. Or, s’il est doux d’obtenir sans peine ce qu’on désire, je suis sûr qu’en ce moment même, sans dire un mot, je persuaderais plus vite à ce garçon et à cette fille de me donner un baiser, que tu ne le ferais, Socrate, avec toutes tes belles paroles. — Eh quoi, dit Socrate, tu te vantes comme si tu étais plus beau que moi. — Oui, par Jupiter, dit Critobule, ou bien alors je serais plus laid que tous les Silènes de nos drames satiriques. » Socrate, en effet, se trouvait ressembler à ces personnages[26]. « Souviens-toi bien, dit Socrate, qu’il faut qu’on prononce sur notre beauté, lorsque chacun de nous aura parlé ; et notre juge ne sera pas Alexandre, fils de Priam[27], mais ceux-là mêmes auxquels tu crois une grande envie de te donner un baiser. — Et Clinias, Socrate, tu ne le prendrais pas pour juge ? — Mais tu ne cesseras donc pas de nous parler de Clinias ? — Mais, si je ne le nomme pas, penses-tu que je songe moins à lui ? Tu ne sais pas que j’ai son image si nettement dessinée dans mon âme, que, si j’étais statuaire ou peintre, je la ferais aussi ressemblante que si j’avais le modèle même sous les yeux. Alors Socrate : « Eh ! bien, puisque tu en as une image si ressemblante, pourquoi me donnes-tu tant de mal en m’entraînant où tu espères le voir ? — C’est que, Socrate, sa vue peut me charmer, tandis que son image, sans me donner de jouissance, éveille en moi le désir. — Quant à moi, Socrate, dit à son tour Hermogène, je ne trouve pas bien de ta part de laisser là Critobule en proie à un si vif amour. — Mais crois-tu, reprit Socrate, qu’il en soit épris depuis qu’il me fréquente ? — Depuis quand donc ? — Ne vois-tu pas ce duvet naissant qui serpente près de ses oreilles, tandis que la barbe de Clinias frise déjà ? — C’est dès le temps qu’il fréquentait avec lui les écoles que ce feu violent s’est allumé. Son père s’en apercevant me le confia, dans l’espoir que je pourrais le guérir ; et certes il est déjà beaucoup mieux. Autrefois, semblable à ceux qui regardent les Gorgones[28], il restait pétrifié en face de Clinias, et ne le quittait pas d’un instant ; maintenant je ne le vois plus que lancer des œillades. Cependant, au nom du ciel, il m’a semblé, soit dit entre nous, mes amis, qu’il a donné un baiser à Clinias. Or, il n’y a rien qui attise plus vivement l’amour, puisque, sans le satisfaire, le baiser lui offre un doux espoir. Peut-être même que le baiser n’est pas encore proscrit, parce que c’est le seul acte où l’union des lèvres porte un nom qui rappelle l’union des âmes[29]. C’est aussi pour cela qu’il faut s’abstenir de donner des baisers à ceux qui sont beaux, quand on vit chaste. » Alors Charmide : « Mais pourquoi donc, Socrate, nous faire un épouvantail de la beauté, à nous tes amis ? Un jour pourtant, j’en atteste Apollon, que vous étiez tous deux chez un copiste à chercher un passage dans un livre, je t’ai vu approcher ta tête de la tête de Critobule et ton épaule nue de son épaule nue également. — Hélas ! dit Socrate, j’ai été mordu là comme par un animal terrible ; mon épaule s’est ressentie de cette douleur pendant plus de cinq jours, et j’ai éprouvé comme une démangeaison au cœur. Aussi maintenant, Critobule, je te le dis devant témoins, ne m’approche plus, avant que tu aies autant de poil au menton que de cheveux à la tête. »

C’est ainsi que l’on mêlait le plaisant au sérieux. Alors Callias : « À ton tour, Charmide, dit-il, de nous expliquer pourquoi tu es fier de ta pauvreté. — N’est-ce pas, répondit-il, une vérité reconnue qu’il vaut mieux vivre dans la sécurité que dans la crainte, être libre qu’esclave, recevoir des hommages qu’en rendre, avoir la confiance de sa patrie qu’être en butte à ses soupçons ? Or, dans cette ville-ci, quand j’étais riche, je craignais d’abord qu’un voleur n’enfonçât ma maison, n’enlevât mon argent et ne me fît à moi-même un mauvais parti ; je faisais ensuite ma cour aux sycophantes, me sentant plus en état de souffrir le mal que de le faire ; c’était d’ailleurs chaque jour quelque ordonnance pour payer une nouvelle taxe publique ; et jamais la liberté de voyager. À présent que je suis dépouillé de ce que j’avais hors des frontières, que je ne tire aucun revenu de mes immeubles, que tout mon mobilier est vendu, je dors paisiblement couché tout de mon long ; la république a confiance en moi, je ne suis plus menacé, mais c’est moi qui menace les autres ; en ma qualité d’homme libre, j’ai le droit de voyager ou de rester ici. Quand je parais, les riches se lèvent de leurs siéges ou me font place dans la rue ; aujourd’hui je ressemble à un tyran, lorsque jadis j’étais esclave : jadis je payais tribut à l’État ; aujourd’hui la république est devenue ma tributaire et me nourrit. Il y a plus : quand j’étais riche, on m’injuriait à cause de mes relations avec Socrate ; maintenant que je suis devenu pauvre, personne n’en prend aucun souci. Quand je possédais de grands biens, tour à tour je m’en voyais enlever par l’État ou par la fortune ; à présent, je ne perds rien, puisque je n’ai rien, et j’ai toujours l’espoir de gagner quelque chose. — Ainsi, reprit Callias, tu ne désires plus être riche, et si tu vois un beau songe, tu sacrifies aux dieux Apotropes[30]. — Ma foi, non ; mais j’attends bravement, si j’espère quelque bien.

— À ton tour maintenant, dit Socrate à Antisthène ; dis-nous pourquoi toi, qui es si à court, tu es fier de ta richesse. — Parce que je crois, mes amis, que les hommes n’ont pas leur richesse ou leur pauvreté dans leurs maisons, mais dans leurs âmes. Je vois, en effet, un grand nombre de particuliers qui, avec une grande fortune, se croient si pauvres, qu’ils bravent tous les travaux, tous les dangers pour acquérir plus encore. Je sais des frères qui ont hérité par portions égales, dont l’un a le nécessaire et même le superflu, tandis que l’autre manque de tout. J’observe même qu’il y a certains tyrans si affamés de richesses qu’ils commettent des crimes dont rougiraient les plus nécessiteux. L’indigence, en effet, conseille à ceux-ci de dérober, à ceux-là de percer les murailles, à d’autres de vendre des hommes libres ; mais il y a des tyrans qui ruinent des familles entières, égorgent des millions d’hommes, et souvent même asservissent des villes entières pour s’en approprier les trésors. Franchement, j’ai pitié de leur affreuse maladie. Ils ressemblent, selon moi, à un homme qui, ayant beaucoup et mangeant sans cesse, ne se rassasierait jamais. Pour ma part, ce que je possède est si considérable, que j’ai grand’peine à le trouver ; cependant il me reste du superflu, même en mangeant jusqu’à ce que je n’aie plus faim, en buvant jusqu’à ce que je n’aie plus soif, en m’habillant enfin de manière à ne pas souffrir du froid plus que cet opulent Clinias. Quand je suis au logis, les murailles me semblent des tuniques chaudes ; les planchers, des manteaux épais ; et j’ai une si bonne couverture que je dors de manière que c’est toute une affaire de m’éveiller. Suis-je sollicité par quelque désir amoureux ? Qui se présente me suffit. Celles à qui je m’adresse me comblent de caresses, parce qu’elles n’ont personne qui veuille aller avec elles. Toutes ces jouissances me ravissent au point qu’en les goûtant je ne les souhaite pas plus agréables ; je les voudrais même moins vives, parce que j’en éprouve quelques-unes qui vont au delà de ce qu’il faut. Mais ce qu’il y a, selon moi, de plus précieux dans ma richesse, c’est que, si l’on m’enlevait ce que je possède à présent, je ne vois pas d’occupation, si misérable qu’on la suppose, qui ne pût me procurer une nourriture suffisante. Si j’ai résolu de me régaler, je n’achète point au marché des morceaux rares, ils coûtent trop cher ; je consulte mon appétit : car je trouve bien plus délicieux ce que je mange après avoir attendu le besoin, que ce qu’il a fallu se procurer à grands frais ; témoin ce vin de Thase qui se trouve à cette table, et dont je bois sans soif[31]. D’ailleurs, il est beaucoup plus juste de considérer plutôt la simplicité que la somptuosité des mets. Ceux qui, en effet, se contentent de ce qu’ils ont, ne convoitent pas le bien des autres. Il est encore à propos d’observer qu’une semblable richesse inspire l’indépendance. Socrate que voici, et qui m’a procuré cette fortune, ne calculait, ne pesait jamais avec moi, mais tout ce que je pouvais emporter, il me le donnait. Et moi, maintenant, loin d’être jaloux de mon opulence, je la montre à tous mes amis, et je partage avec qui veut les richesses de mon âme. Il est encore une possession bien douce, le loisir, que vous me voyez posséder tous, et qui me permet de voir ce qui mérite d’être vu ou d’entendre ce qui mérite d’être entendu, et enfin, ce que je prise par-dessus tout le reste, de passer à l’école de Socrate des journées entières. Or, Socrate n’admire pas avant tout ceux qui comptent des sommes d’or, mais ceux qui lui plaisent : c’est avec ceux-là qu’il passe sa vie. »

Ainsi parla Antisthène. Alors Callias : « Par Junon, dit-il, il y a bien des choses qui me font envie dans ta fortune, mais c’est surtout de ce que la république ne te commande point comme à un esclave, et que les hommes, quand tu ne prêtes pas, ne s’emportent point contre toi. — Par Jupiter, reprit Nicératus, ne lui porte point envie : je vais lui emprunter l’avantage de n’avoir besoin de rien. Instruit par Homère à compter

Sept trépieds veufs du feu, vingt cuvettes brillantes,
Et puis dix talents d’or, et puis douze chevaux[32] ;


toujours calculant et comptant, je ne cesse de soupirer après de plus grandes richesses, et peut-être quelques-uns me trouveront-ils trop intéressé. » À ce mot, tout le monde éclate de rire, pensant qu’il venait de dire la vérité.

Mais un autre continuant l’entretien : « C’est à toi, Hermogène, dit-il, de nous faire connaître quels sont tes amis, de nous prouver qu’ils sont puissants, et cependant qu’ils te ne négligent point, et l’on verra par là si tu as raison d’en être fier. — Les Grecs et les barbares, dit alors Hermogène, croient que les dieux voient tout, le présent et l’avenir ; c’est un fait reconnu. Aussi toutes les villes et toutes les nations recourent-elles à la divination, pour interroger les dieux sur ce qu’elles doivent faire ou non. Nous croyons encore que les dieux ont le pouvoir de nous faire du bien ou du mal ; c’est un fait également notoire. Tous, en effet, les prient de détourner d’eux les maux et de leur envoyer les biens. Eh bien ! ces dieux qui voient tout, qui peuvent tout, sont tellement mes amis, s’intéressent tellement à moi, qu’ils ne me perdent de vue, ni jour, ni nuit, ni quand je voyage, ni quand j’entreprends quelque chose. Et comme ils savent d’avance l’issue de chaque événement, ils m’avertissent en m’envoyant pour messagers des voix, des songes, des augures, sur ce que je dois faire ou non ; et moi je leur obéis, et je ne m’en suis jamais repenti, tandis que ma désobéissance a parfois été punie. » Alors Socrate : « Il n’y a rien d’incroyable à cela ; mais j’apprendrais avec plaisir par quels hommages tu en fais tes amis. — Par Jupiter, reprit Hermogène, il m’en coûte peu. Je les loue sans aucuns frais ; je leur offre leurs propres dons ; j’en parle aussi bien que possible ; et, si je les prends à témoin, jamais je ne mens volontairement. — Sur ma foi, dit Socrate, si, en agissant ainsi, tu as les dieux pour amis, les dieux évidemment aiment la probité. »

Ainsi la conversation avait pris une tournure grave. Mais quand on en vint à Philippe, on lui demanda ce qu’il voyait dans sa bouffonnerie de propre à le rendre fier. « N’est-ce pas tout naturel, dit-il, quand je vois tout le monde, sachant que je suis bouffon, s’empresser, dès qu’il leur arrive une bonne fortune de m’inviter à en prendre ma part, puis, s’il leur arrive quelque malheur, fuir sans se retourner, de peur de rire malgré eux ? — Par Jupiter, dit Nicératus, tu as bien sujet d’en être fier. Pour moi, quand mes amis sont dans la prospérité, ils me tournent les talons ; dès qu’ils sont dans le malheur, ils me prouvent leur parenté par généalogie et ne me quittent pas d’un instant. — Soit ; et toi, Syracusain, dit Charmide, de quoi es-tu fier ? Sans doute d’avoir ce garçon ? — Par Jupiter, il s’en faut bien ; j’ai à son sujet des craintes sérieuses : je vois certaines gens qui complotent de le perdre. — Par Hercule, dit Socrate, en entendant ces mots, quel tort croient-ils donc que leur a fait ton garçon pour vouloir le tuer ? — Mais ils ne veulent pas le tuer, ils veulent lui persuader de coucher avec eux. — Et toi, à t’entendre, si cela arrivait, tu le croirais donc perdu ? — Oui, par Jupiter, et perdu sans ressource. — Mais, toi, ne couches-tu pas avec lui ? — Oui, toutes les nuits, les nuits entières. — Par Junon, dit Socrate, le grand bonheur d’être le seul dont la peau soit faite de sorte que tu ne tues pas ceux qui couchent avec toi ! Il n’est donc rien dont tu sois plus fier que de ta peau. — Mais non, ce n’est pas de cela que je tire le plus vanité. — Et de quoi donc ? — Des fous ; ma foi ! ce sont eux qui me nourrissent en venant voir mes marionnettes[33]. — C’est donc pour cela, Philippe, qu’hier je t’entendais prier les dieux de verser, partout où tu irais, abondance de fruits, mais disette de raison.

— Bien, dit Callias. Et toi, Socrate, que peux-tu dire pour justifier la fierté que te donne cette honteuse profession dont tu as parlé ? » Alors Socrate : « Convenons d’abord des faits qui constituent le métier d’entremetteur. À tout ce que je vous demande n’hésitez point à répondre, afin que nous sachions sur quoi nous sommes d’accord. Y consentez-vous ? — Sans doute, » répondit-on ; et, ce « sans doute » une fois dit, tous le répétèrent jusqu’au bout de l’entretien. « Eh bien, dit Socrate, l’emploi d’un bon entremetteur n’est-il pas, selon vous, de mettre celui ou celle pour qui il s’entremet, en état de plaire à ceux qu’il veut pourvoir ? — Sans doute. — Un bon moyen de plaire, n’est-ce pas d’avoir une bonne tenue de cheveux et de vêtements. — Sans doute. — Ne savons-nous pas qu’un homme, avec les mêmes yeux, peut avoir des regards tendres ou farouches ? — Sans doute. — Que la même voix peut être tour à tour modeste ou fière ? — Sans doute. — Et les discours, n’y en a-t-il pas qui provoquent la haine, et d’autres qui font naître l’amitié ? — Sans doute. — Un bon entremetteur enseignera donc ces divers moyens de plaire ? — Sans doute. — Mais lequel est le plus habile, de celui qui rend agréable à un seul ou de celui qui rend agréable à plusieurs ? » Ici, il y eut scission ; les uns répondirent : « Évidemment, celui qui rend agréable à plusieurs ; » et les autres : « Sans doute. » Alors Socrate : « Voilà qui est encore convenu ; mais si un homme mettait les gens en état de plaire à toute la ville, celui-là ne serait-il pas un entremetteur accompli ? — Certainement, par Jupiter ! dirent tous les convives. — Et si quelqu’un formait ainsi ceux qu’il instruit, n’aurait-il pas raison d’être fier de son métier, et ne mériterait-il pas un ample salaire ? » Tout le monde en tomba d’accord. « Eh bien, reprit Socrate, tel est, à mon avis, Antisthène. » Alors Antisthène : « Eh mais, Socrate, tu m’attribues ta profession ! — Oui, par Jupiter ! car je te vois très-fort dans celle qui est la suivante de la mienne. — Laquelle ? — Celle de courtier[34]. » Antisthène, vivement froissé, répliqua : « Mais où m’as-tu donc vu, Socrate, rien faire de pareil ? — Je t’ai vu, reprit Socrate, servir de courtier à Callias que voici, auprès du sage Prodicus, voyant l’un épris de la philosophie et l’autre manquant d’argent ; je t’ai vu l’introduire chez Hippias d’Élée, de qui il a appris la mnémonique ; et depuis lors il est devenu bien plus amoureux, puisqu’il n’oublie jamais rien de ce qu’il a vu de beau. Dernièrement encore, tu louais en ma présence notre hôte d’Héraclée[35] ; tu m’as inspiré le désir de le connaître, tu me l’as présenté, et je t’en sais gré ; c’est un homme tout à fait beau et bon. Quant à Eschyle de Phliase[36], l’éloge que tu m’en as fait et celui que tu lui as fait de moi ne nous ont-ils pas si étroitement unis, grâce à tes paroles, qu’épris d’un amour mutuel nous sommes toujours à la piste l’un de l’autre ? En te voyant cette puissance, je te juge un excellent courtier. Quiconque, en effet, a le talent de connaître les personnes qui se deviendront utiles, et leur fait désirer d’entrer en relation, celui-là me paraît capable de rendre des villes amies, de négocier d’importants mariages, et la possession d’un tel homme est chose précieuse pour des républiques, des amis, des alliés. Cependant, toi, comme si c’était une injure[37] de dire que tu es bon courtier, tu t’es fâché. — Non, par Jupiter ! plus maintenant ; car si j’ai ce pouvoir, j’aurai l’âme toute bondée[38] de richesses. » Ainsi fut achevé le cercle des questions que chacun devait traiter.


CHAPITRE V.


Discussion plaisante entre Critobule et Socrate.


Alors Callias : « Et toi, Critobule, dit-il, est-ce que tu ne disputeras pas à Socrate le prix de la beauté ? — Oh ! que non pas, dit Socrate : l’entremetteur a trop de crédit auprès des juges ; il le voit bien. — Cependant, reprit Critobule, je ne refuse point : allons, si tu as de bonnes raisons, prouve que tu es plus beau que moi. — On n’a tout simplement qu’à approcher une lampe[39]. Je vais néanmoins procéder à l’interrogatoire ; réponds. — Et toi, interroge. — Crois-tu que la beauté existe dans l’homme seul ou dans d’autres objets encore ? — Je crois, ma foi, qu’elle existe dans un cheval, dans un bœuf et dans beaucoup d’objets inanimés : ainsi l’on dit un beau bouclier, une belle épée, une belle lance. — Mais comment peut-il se faire que tant d’êtres si dissemblables soient également beaux ? — S’ils sont bien adaptés par l’art ou par la nature à la destination que nous voulons leur donner dans l’usage, ils sont beaux, dit Critobule[40]. Sais-tu pourquoi nous avons besoin d’yeux ? — Évidemment, c’est pour voir. — Cela étant, il se peut faire que mes yeux soient plus beaux que les tiens. — Comment cela ? — Parce que les tiens ne voient qu’en ligne droite, tandis que les miens voient de côté, étant à fleur de tête. — À ton compte alors, l’écrevisse est de tous les animaux celui qui a les plus beaux yeux. — Assurément, et de plus il a naturellement des yeux d’une force étonnante. — Soit ; mais en fait de nez, lequel est le plus beau, le tien ou le mien ? — Je crois que c’est le mien, s’il est vrai que les dieux nous aient fait un nez pour sentir. Or, tes narines sont dirigées vers la terre, tandis que les miennes sont relevées, de manière à recevoir de toutes parts les odeurs. — Mais comment un nez camus serait-il plus beau qu’un nez droit ? — Parce qu’au lieu de faire obstacle, il permet aux yeux de voir d’abord ce qu’ils veulent, tandis qu’un nez haut les sépare comme un mur. — Quant à la bouche, dit Critobule, je te cède la palme : si elle est faite pour mordre, tu peux mordre beaucoup mieux que moi ; et, avec tes lèvres épaisses, ne crois-tu pas que tes baisers soient plus doux que les miens ? — J’aurais donc, d’après ce que tu dis, la bouche plus laide que celle d’un âne ? Mais regardes-tu comme une faible preuve de ma beauté que les Naïades, qui sont des déesses, engendrent les Silènes, qui me ressemblent plus qu’à toi ? — Je n’ai rien à répliquer : qu’on distribue les cailloux[41], afin que je sache bien vite mon châtiment ou mon amende. Seulement, qu’on aille au scrutin secret ; car je crains que tes richesses et celles d’Antisthène ne me fassent perdre. » Le garçon et la danseuse reçurent les votes secrets ; en même temps, Socrate fit apporter une lampe auprès de Critobule, afin que les juges ne fussent point surpris, et il dit que le vainqueur recevrait non des bandelettes, mais des baisers pour couronne. Bientôt les cailloux sont tirés de l’urne : ils étaient tous pour Critobule. « Bons dieux ! dit Socrate, ton argent, Critobule, ne ressemble pas à celui de Callias : le sien rend plus juste, et le tien, ce qui arrive d’ordinaire, est capable de corrompre et juges et tribunal. »




CHAPITRE VI.


Discussion entre Hermogène, Socrate, Callias, le Syracusain, Antisthene et Philippe.


Au même moment, les uns pressent Critobule de se faire donner le baiser de la victoire ; les autres, d’en demander la permission au Syracusain ; les plaisanteries se croisent ; Hermogène se tait ; alors Socrate l’apostrophant : « Pourrais-tu nous dire, Hermogène, ce que c’est que παροινία[42] ? — Ce que c’est ? répond Hermogène ; je n’en sais rien, mais je puis te dire ce que je crois. — Dis-le. — Avoir le vin insupportable pour les convives, voilà ce que je crois être παροινία. — Or, sais-tu que, toi aussi, tu es insupportable par ton silence ? — Est-ce donc lorsque vous parlez ? — Non ; mais quand nous cessons. — Ignores-tu donc qu’il n’y a pas moyen d’intercaler, je ne dis pas un mot, mais un cheveu dans votre conversation ? » Alors Socrate : « Callias, dit-il, n’y a-t-il pas moyen que vous veniez en aide à un battu ? — J’arrive, dit Callias ; dès que la flûte résonne, nous gardons tous le silence. — Voudriez-vous donc, reprend Hermogène, qu’à l’exemple du comédien Nicostrate, qui récitait ses tétramètres au son de la flûte, ce fût également au son de la flûte que je m’entretinsse avec vous ? — Au nom des dieux, repart Socrate, fais-le, Hermogène. De même qu’un chant est plus doux avec la flûte, de même tes discours, soutenus par ces sons, auront plus de douceur, surtout si tu sais, comme cette joueuse de flûte, accompagner du geste tes paroles. » Alors Callias : « Eh bien, lorsque Antisthène aura quelqu’un à reprendre dans le banquet, de quel instrument à vent se servira-t-on ? — Pour un homme à reprendre, dit Antisthène, je ne vois rien qui convienne mieux que le sifflet. »

Au milieu de cette conversation, le Syracusain s’aperçut que les convives négligeaient son spectacle et s’amusaient entre eux. Jaloux de Socrate : « N’est-ce pas toi, Socrate, lui dit-il, qu’on appelle le songe-creux ? — Il serait plus juste, répond Socrate, de m’appeler le songe-peu[43]. — Oui, si tu ne passais pas pour un songeur en l’air[44]. — Connais-tu rien qui soit plus en l’air que les dieux ? — Non, par Jupiter ! seulement on prétend que tu n’en as point souci ; mais de choses d’une utilité si haute…[45] — Eh bien, voilà justement pourquoi je m’occupe des dieux ; c’est d’en haut qu’ils sont utiles en pleuvant ; c’est d’en haut qu’ils envoient la lumière. Si le jeu de mots est froid, la faute en est à toi qui me cherches chicane. — Laissons cela ; mais dis-moi combien de sauts de puce il y a entre nous[46] ; on dit que tu es fort sur cette géométrie. » Alors Antisthène : « Dis-moi, Philippe, tu es un habile homme pour les comparaisons : est-ce que cet homme ne te fait pas l’effet de ressembler à un insolent[47] ? — Mais oui, ma foi, et je crois qu’il fait cet effet à bien d’autres. — Cependant, dit Socrate, ne le compare à personne, pour ne pas avoir l’air toi-même d’un insolent. — Mais si je le compare à tous les gens de bien et aux plus honnêtes, on me comparera moi-même à un flatteur plutôt qu’à un insolent, et on aura raison. — Et dès ce moment même tu as l’air d’un insolent, si tu dis que tout en lui est bien. — Veux-tu donc que je le compare aux gens de la pire espèce ? — Pas aux gens de la pire espèce. — À personne ? — À personne. — Mais, en me taisant, il me semble que je ne fais plus ce que je dois faire dans un banquet. — Tu le feras mieux en taisant ce qu’on ne doit pas dire. » Ainsi s’éteignit le feu qu’avait allumé παροινία.



CHAPITRE VII.


Socrate s’amuse à chanter et demande au Syracusain quelque divertissement.


Sur ce point, les uns demandent des comparaisons, les autres s’y opposent. Au milieu du tumulte, Socrate reprenant la parole : « Puisque nous voulons tous parler, dit-il, nous pourrions bien chanter tous ensemble ? » Et en même temps il commença une chanson. Lorsqu’il l’eut achevée, on apporte à la danseuse une roue de potier, sur laquelle elle devait faire des tours merveilleux. « Syracusain, dit alors Socrate, j’ai bien peur de passer, comme tu dis, pour un vrai songe-creux : car je songe en ce moment par quel moyen ton garçon et cette fille pourraient se livrer à des exercices faciles et nous causer une joie vive à nous autres spectateurs ; et je suis bien sûr que c’est aussi ce que tu désires. Je trouve donc que faire la culbute à travers un cercle d’épées est un tour dangereux, et qui ne convient pas à un banquet. C’est encore une chose étonnante de lire et d’écrire en tournant sur une roue ; mais je ne vois pas quel plaisir peut donner un pareil spectacle. Il n’est pas plus agréable de voir de frais et jolis enfants se démener le corps à faire la roue que de les regarder tranquilles. D’ailleurs il n’est pas rare de voir du surprenant quand on en veut. Ainsi, nous avons là sous les yeux quelque chose de merveilleux : c’est cette lampe. Pourquoi sa flamme brillante répand-elle de la lumière, tandis que le cuivre[48], qui brille aussi, n’en donne point, et que les objets environnants s’y reflètent ? Comment l’huile, un liquide, augmente-t-elle la flamme, tandis que l’eau, autre liquide, éteint le feu ? Mais ce sont là des questions qui ne vont pas dans le vin. Si ces enfants prenaient des poses qui figurent les Grâces[49], les Heures ou les Nymphes, il me semble que l’exécution en serait plus facile et le banquet plus charmant. — Par ma foi, Socrate, dit le Syracusain, tu as raison et je vais vous faire voir un spectacle qui doit vous divertir. »



CHAPITRE VIII[50].


Discussion sur l’amour.


Le Syracusain sort pour tout disposer, et Socrate, commençant un nouveau discours : « Amis, dit-il, puisque nous sommes en présence d’un dieu puissant, égal en âge aux dieux éternels, qui a les traits d’un enfant, dont l’immensité embrasse tout, et qui a l’âme d’un homme, en un mot de l’Amour, serait-il juste de ne pas nous en entretenir, vu que nous faisons tous partie d’un thiase en l’honneur de ce dieu ? Pour moi, je ne puis citer aucune époque de ma vie où j’aie vécu sans aimer : je sais que Charmide, ici présent, a eu de nombreux soupirants et qu’il a soupiré lui-même ; que Critobule, encore aimé, est encore aimant. On m’a dit même que Nicératus est l’amant de sa femme qui le paye de retour. Quant à Hermogène, qui de nous ignore que l’honnêteté, sous quelque forme qu’elle se présente, le passionne et le consume ? Ne voyez-vous pas ces sourcils austères, ce regard fixe, ces discours mesurés, cette voix douce, ces manières affables ? Quoiqu’il ait pour amis les dieux vénérés, il ne nous dédaigne pas, nous autres hommes. N’y a-t-il donc que toi, Antisthène, qui n’aimes personne ? — Par tous les dieux, reprit Antisthène, je t’aime de tout mon cœur. » Alors Socrate raillant et faisant le renchéri : « Ne me dérange pas en ce moment, dit-il ; tu le vois, je m’occupe d’autre chose. — Ohé ! l’entremetteur, reprit Antisthène, comme tu exerces bien ton métier ! tantôt c’est ton démon qui t’empêche de converser avec moi ; tantôt c’est parce que tu es à la piste d’une idée. — Au nom des dieux, Antisthène, dit Socrate, ne m’obsède pas ; j’ai déjà supporté ton humeur et je la supporterai toujours en ami ; mais dissimulons ton amour, puisqu’il n’en veut pas à mon âme, mais à ma beauté. Pour toi, Callias, tu aimes Autolycus ; toute la ville le sait, et aussi, je pense, bon nombre d’étrangers. La cause en est que vos pères sont gens bien connus, et que tous deux n’êtes point sans renommée. Quant à moi, j’ai toujours admiré ton heureux naturel, Callias, mais à présent bien plus encore, puisque je te vois aimer un jeune homme qui, loin de languir dans les plaisirs et de s’oublier dans la mollesse, fait preuve aux yeux de tous, de vigueur, de patience, de courage et de sagesse. La recherche de semblables amours prouve l’excellent naturel de celui qui aime[51]. N’y a-t-il qu’une seule Vénus ou bien deux, la Vénus Uranie et la Vénus Pandème[52] ? Je l’ignore : car Jupiter, qui sans doute est seul, a lui-même tant de noms ! Mais ont-elles leurs autels et leurs temples distincts ? offre-t-on à la Vénus Pandème des sacrifices moins relevés, et à la Vénus Uranie des offrandes plus chastes ? C’est ce que je n’ignore point. Et l’on peut croire que la Vénus Pandème inspire les amours du corps, tandis que la Vénus Uranie inspire l’union des âmes, l’amitié, les actes généreux. C’est de cet amour, Callias, que je te crois épris. Je le présume du moins, quand je songe à l’honnêteté de celui que tu aimes, quand je vois que tu n’as d’entretien avec lui qu’en présence de son père. On n’a rien, en effet, à cacher à un père, quand on est aimé par un homme beau et bon.

— Par Junon[53] ! dit Hermogène, je t’admire, Socrate, à plus d’un titre, mais surtout de ce qu’en flattant Callias, tu lui apprends aussi ce qu’il doit être. — Oui, par Jupiter ; mais, afin de lui plaire encore davantage, je veux prouver que l’amour de l’âme l’emporte de beaucoup sur l’amour du corps. Aucune liaison n’a de prix sans l’amitié ; c’est une vérité connue de nous tous : ensuite l’affection qu’on éprouve pour le caractère de celui qu’on aime s’appelle une douce et volontaire contrainte ; mais la plupart de ceux qui ne désirent que le corps blâment et détestent le moral de ceux qu’ils aiment. S’ils aiment tout ensemble le corps et l’âme, la fleur de la beauté se fane bientôt, et avec elle il faut que l’amitié se flétrisse ; plus l’âme, au contraire, marche avec le temps vers la perfection, plus elle devient aimable. D’ailleurs aux jouissances de la beauté est attaché je ne sais quel dégoût : la satiété que produisent les mets, les mignons finissent aussi par la produire ; mais l’amour de l’âme est insatiable, parce qu’il est pur. Et cependant qu’on ne lui suppose pas pour cela moins de charmes ; c’est alors, au contraire, que s’accomplit la prière faite à la déesse de n’inspirer que des paroles et des actes dignes de son nom. En effet, qu’un être aimé soit l’objet de l’affection, de la tendresse d’une âme qui joint à des formes distinguées, à un caractère généreux, une supériorité marquée sur ses égaux et une grande bienveillance, cela n’a pas besoin d’être prouvé ; mais comment la personne aimée doit payer un tel amant d’un juste retour, c’est ce que je vais démontrer. Et d’abord comment quelqu’un pourrait-il haïr celui qu’il sait le regarder comme beau et bon, qu’il voit plus occupé de la beauté de la personne aimée que de son propre plaisir, dont il est sûr que l’amitié ne s’amoindrira ni par de légers torts, ni par la maladie ? Comment deux personnes qui s’aiment d’un mutuel amour ne seraient-elles pas heureuses de se contempler à loisir, de s’entretenir affectueusement, de se témoigner une confiance, une prévenance réciproques, de partager ou la joie d’un succès ou le chagrin d’un revers, d’éprouver un bonheur continuel à se voir tous deux en santé ; et, si l’un devient malade, de s’intéresser plus à l’absent qu’au présent ? Tout cela n’est-il pas délicieux ? Oui, ce sont ces bons offices qui rendent l’amitié chère et qui en entretiennent le feu jusqu’à la vieillesse. Mais pourquoi un jeune garçon aimerait-il celui qui ne s’attache qu’au corps ? Est-ce parce qu’il se réserve la satisfaction du désir et ne laisse à l’objet aimé que la honte ? Est-ce parce que, pour faire ce qu’il souhaite de celui qu’il aime, il se plaît à éloigner de lui ses parents ? Il y a plus : si, au lieu de la persuasion, il emploie la violence, il n’en est que plus haïssable : en effet, celui qui violente ne fait preuve que de perversité ; quiconque persuade corrompt l’âme de celui qui se laisse convaincre. D’ailleurs, comment celui qui vend sa beauté pour de l’argent pourra-t-il plus aimer l’homme qui le paye qu’au marché le vendeur n’aime l’acheteur ? Parce qu’il est jeune et le soupirant hors d’âge, parce qu’il est beau et l’autre laid, parce qu’il est aimant et que l’autre ne l’est pas, ce n’est pas un motif pour qu’il lui donne sa tendresse. Un garçon en commerce avec un homme ne partage pas, comme une femme, les joies de l’amour : c’est à jeun qu’il en voit l’ivresse[54]. Il ne faut donc pas s’étonner si l’on méprise de pareils amants.

« Qu’on réfléchisse encore, et l’on verra que la passion qui a pour objet les belles qualités n’a jamais eu de funestes effets, tandis qu’un commerce honteux a souvent produit des actes criminels. Maintenant, tout ce qu’a d’indigne d’un homme libre la liaison qui s’attache au corps plutôt qu’à l’âme, c’est ce que je vais faire voir. Si celui qui enseigne à bien dire et à bien faire[55] mérite d’être honoré, comme Chiron et Phénix l’étaient par Achille, celui qui n’en veut qu’au corps est un mendiant qui vous obsède. Toujours quêtant, toujours demandant soit un baiser, soit quelque autre attouchement, il s’attache à vos pas. Que la hardiesse de mon langage ne vous surprenne point. Le sien m’inspire, et l’amour qui vit en moi m’excite à m’exprimer avec franchise contre un amour rival du mien. Oui, selon moi, ne s’attacher qu’à la forme, c’est agir comme le fermier d’un champ : il ne prend aucun souci de l’améliorer, mais il cherche à en tirer, la saison venue, le plus de fruits possible. Celui, au contraire, qui se propose l’amitié, a plutôt quelque ressemblance avec le maître héréditaire d’un champ : de toute part il apporte ce qu’il peut pour embellir ce qu’il aime.

« En outre, tout mignon qui sait qu’en prêtant sa beauté il aura de l’ascendant sur un amant, doit commettre d’autres désordres ; mais celui qui est persuadé que, s’il cesse d’être beau et bon, il perdra toute tendresse, dirigera plutôt ses sentiments vers la vertu. C’est d’ailleurs un très-grand bien pour celui qui aspire à l’amitié d’un jeune homme que d’être lui-même dans la nécessité de pratiquer la vertu. Car il lui serait impossible, en faisant le mal, de donner l’exemple du bien à son ami, et, en se montrant sans pudeur ni tempérance, de rendre celui qu’il aime pudique et tempérant.

« J’ai à cœur de te prouver, Callias, continua Socrate, même d’après la mythologie, que non-seulement les hommes, mais les dieux et les héros ont plus prisé l’union de l’âme que le commerce du corps. Toutes les mortelles dont Jupiter a aimé la beauté, après avoir eu leurs faveurs, il les a laissées mortelles ; mais ceux dont il a aimé les âmes, il leur a donné l’immortalité. De ce nombre, dit-on, sont Hercule, les Dioscures et d’autres encore. Je prétends même que Ganymède a été transporté dans l’Olympe par Jupiter[56], moins à cause de son corps que de son âme. Son nom même en porte témoignage : il y a quelque part dans Homère[57] :

..... Il est ravi d’entendre.


Autrement dit : il se plaît à entendre ; et ailleurs :

..... Et dans son cœur sont de prudents desseins[58]

,


Ce qui veut dire qu’il a l’âme pleine de sages résolutions. C’est de la réunion de deux mots grecs signifiant ravi et desseins que se compose le nom de Ganymède[59] ; et ce n’est pas parce qu’il a un corps charmant, mais un charmant esprit, qu’il est honoré par les dieux. Autre part, Nicératus, Achille est représenté dans Homère vengeant glorieusement la mort de Patrocle, non comme d’un amant, mais comme d’un ami. Oreste et Pilade, Thésée et Pirithoüs, et tant d’autres demi-dieux illustres, ne sont pas célébrés pour avoir partagé le même lit, mais pour avoir associé leur tendresse dans de grandes et belles entreprises[60]. Et maintenant encore ne trouvera-t-on pas tous les beaux exploits accomplis par des hommes prêts à tout souffrir, à tout braver pour la gloire, plutôt que par ceux qui ont accoutumé de préférer le plaisir à la renommée ? Cependant, Pausanias, amant du prêtre Agathon[61], a dit pour la défense de ceux qui se vautrent dans la fange de ces plaisirs, qu’une armée d’amants et de mignons serait invincible parce que, selon lui, tous rougiraient de s’abandonner[62]. Propos étrange ! Quoi ! des hommes insensibles au blâme, accoutumés à ne plus rougir entre eux, craindraient de se déshonorer par une lâcheté ? Il allègue comme témoignage les Thébains et les Éléens[63] élevés dans ces principes. Quoiqu’ils couchent ensemble, cependant, d’après lui, les amants sont rangés ensemble dans le même corps de bataille. Mais ce n’est point là une assertion légitime, puisque ce qui est autorisé chez eux est chez nous opprobre. À mes yeux, des gens qui se rangent ainsi dans la même bataille ont l’air de craindre que les amants, séparés les uns des autres, ne fassent pas leur devoir d’hommes de cœur. Les Lacédémoniens, au contraire, persuadés qu’en s’attachant au corps, on ne pense plus à rien de beau et de bon, font de ceux qu’ils aiment des gens si braves que, même avec des étrangers, même séparés de leur amant et dans une autre ville, ils rougiraient d’abandonner leur compagnon d’armes[64]. C’est que leur divinité n’est point l’Impudeur, mais la Pudeur[65]. Il me semble que nous serons tous du même sentiment sur ce que je dis, si nous nous demandons auquel de ce genre d’amants nous confierions plus volontiers nos biens ou nos enfants, auquel nous rendrions de préférence un service. Pour ma part, je pense que celui même qui s’attache à la forme de l’objet aimé accorderait plutôt sa confiance à celui qui n’aime que l’âme.

« Quant à toi, Callias, il me semble que tu as des actions de grâces à rendre aux dieux qui t’ont mis au cœur ton amour pour Autolycus. Il est évidemment épris de la gloire, lui qui, pour s’entendre proclamer vainqueur au pancrace, a supporté tant de travaux, enduré tant de souffrances ! S’il espère non-seulement illustrer et lui-même et son père, mais encore devenir capable par sa valeur de servir ses amis, d’agrandir sa patrie en élevant des trophées pris sur les ennemis, et d’obtenir par là et gloire et renommée chez les Grecs et chez les Barbares, comment ne croirais-tu pas que celui dont il fera le compagnon le plus actif de ses travaux, sera entouré d’honneurs immenses ? Si donc tu veux lui plaire, considère par quelles connaissances Thémistocle fut en état d’affranchir la Grèce ; considère quel était le savant qui fit de Périclès le plus sûr conseiller de son pays ; songe quelle fut jadis la philosophie de Solon, qui donna d’excellentes lois à notre république ; recherche à quels exercices les Lacédémoniens doivent leur supériorité dans la guerre. Tous les jours d’ailleurs les plus distingués d’entre eux viennent te demander l’hospitalité. Aussi la république est-elle prête à se donner à toi si tu le veux, sache-le bien. Les plus grands avantages te secondent. Tu es eupatride, prêtre des déesses[66] qui se rattachent au nom d’Érechthée[67], l’un de ceux qui, avec Iacchus, ont combattu contre le Barbare[68], et maintenant dans nos solennités tu parais plus auguste encore que tes ancêtres ; tu as un air de grandeur que n’a aucun de tes concitoyens, et tu sembles propre à supporter tous les travaux. Si vous trouvez mon discours trop sérieux pour un banquet, n’en soyez point surpris. Les cœurs naturellement bons et pris d’une ardeur généreuse pour la vertu trouvent en moi, comme dans leurs compatriotes, un amant passionné. »

Tandis que les autres convives faisaient des observations sur ce discours, Autolycus regardait Callias, et Callias lui jetait un regard furtif : « Ainsi donc, Socrate, tu vas si bien me servir d’entremetteur auprès de la république, que je vais être lancé dans la politique, que je plairai toujours au peuple ? — Oui, par Jupiter ! répondit Socrate, si l’on te voit réellement, et non pas en apparence, épris de la vertu. La fausse gloire est bientôt démasquée par l’expérience ; mais la véritable valeur, à moins qu’un dieu ne lui soit contraire, acquiert par l’action même une gloire de plus en plus brillante. »


CHAPITRE IX.


Représentation du mariage d’Ariadne et de Bacchus[69].


La conversation finit là. Autolycus, comme c’était l’heure, sortit pour faire sa promenade. Lycon, son père, sortit avec lui, et se retournant : « Par Junon ! Socrate, dit-il, tu m’as l’air d’un homme beau et bon ! »

Sur ce point, on place une sorte de trône au milieu de la salle ; vient ensuite le Syracusain : « Citoyens, dit-il, voici Ariadne qui entre dans la chambre nuptiale destinée à elle et à Bacchus. Bientôt va paraître Bacchus, qui a un peu bu chez les dieux ; il va s’approcher d’elle, et tous les deux se mettront à folâtrer. » Après ce prologue, Ariadne entre parée comme une jeune épouse et s’assied sur le trône ; ensuite, à l’entrée de Bacchus, la flûte se met à jouer un air bachique. Ce fut alors qu’on admira le maître de danse. À peine Ariadne a-t-elle entendu cet air qu’elle fait des gestes qui font comprendre à tous la joie qu’elle en éprouve, et, quoiqu’elle n’aille point à sa rencontre, quoiqu’elle ne se lève point, on voit qu’elle a peine à se contenir. Aussitôt que Bacchus l’aperçoit, il se met à danser de l’air le plus passionné, s’assied sur ses genoux, l’embrasse et lui donne des baisers. Ariadne prend un air pudique, et cependant elle le serre aussi dans ses bras avec tendresse. À cette vue, les convives d’applaudir, de se récrier à plusieurs reprises. Mais quand Bacchus se lève et avec lui Ariadne, c’est alors qu’il faut contempler leurs poses amoureuses et passionnées. En voyant Bacchus si beau, Ariadne si jolie, ne plus s’en tenir au badinage, mais unir réellement leurs lèvres, tous les spectateurs sont transportés. Ils entendent Bacchus demander à Ariadne si elle l’aime, ils entendent Ariadne jurer qu’elle n’aime que lui, de sorte qu’ils sont prêts à jurer comme elle que ce jeune garçon et cette jeune fille sont de vrais amants. Ils ne ressemblaient plus, en effet, à des acteurs dressés à une pantomime, mais à des amoureux impatients de satisfaire un désir qui les pressait depuis longtemps. Lorsqu’enfin les convives les virent se tenir enlacés et marcher vers la couche nuptiale, ceux qui n’étaient point mariés firent le serment de se marier, et ceux qui l’étaient montèrent à cheval et volèrent vers leurs épouses, afin d’être heureux à leur tour. Socrate et quelques autres qui étaient restés avec lui s’en allèrent à la promenade rejoindre Lycon, son fils et Callias. Ainsi se termina le banquet.






  1. Platon a écrit aussi un Banquet, qui est demeuré justement célèbre. Il n’est pas de lecteur de Xénophon qui ne doive se donner la peine de comparer sur ce point les deux auteurs, peut-être même les deux rivaux. Voy., à cet égard, les prolégomènes de Weiske sur ce dialogue, et la dissertation de Vieland, insérée dans l'Attisch museum, IV, p. 2 ; Herft., p. 99, sqq. Elle a été reproduite dans l’édition du Banquet de Xénophon, d’Auguste Bornemann, Leipsig, 1823.
  2. Fêtes de Minerve, qui revenaient tous les cinq ans.
  3. Un des plus riches citoyens d’Athènes.
  4. Nous avons vu figurer tous ces personnages dans les Mémoires.
  5. Lycon, qui prend quelquefois la parole dans le Banquet.
  6. Protagoras et Gorgias, deux sophistes de renom, que Platon a immortalisés par le titre de deux de ses dialogues.
  7. Vers 35.
  8. Ce passage laisse à désirer pour la netteté : j’ai suivi les textes de Zeune et de Bornemann.
  9. Plusieurs auteurs, et entre autres Aristophane, Athénée et Élien, se moquent de la pusillanimité et de la voracité de ce Pisandre.
  10. Cf. Lucien, De la danse, 25, t. I, p. 486 de notre traduction ; Maxime de Tyr, Dissert., VII et XXXIX.
  11. Les agoranomes étaient des espèces d’édiles, chargés de la police des marchés.
  12. J’ai adopté la leçon de Weiske qui lit σώματα, au lieu de celle de Dindorf qui porte συμποσία, banquet, ce dernier mot ne me paraissant pas correspondre aussi justement à l’autre membre de la comparaison.
  13. Pour cette locution grecque voyez Éd. Foss, De Gorgia Leontino commentatio, p. 53, — Cf. Lucien, Sur ceux qui sont aux gages des grands, 27
  14. Il y a dans tout ce passage quelque obscurité, probablement une lacune dans le texte.
  15. Cf. Mém., IV, ii, et l'Ion de Platon.
  16. Tout porte à croire qu’il s’agit ici de Stésimbrote de Thrase, dont il est question dans Plutarque, Vies de Thémistocle, de Cimon et de Périclès, et sur lequel on peut consulter les Historiens grecs de Vossius, p. 43, édit. Westermann. — Cf. l'Ion, Platon, chap. ii, p. 296 de l’édition spéciale de Stalbaum.
  17. Sur Anaximandre, voyez également Vossius, Hist.gr., p. 54 de la même édition.
  18. Par exemple Métrodore de Lampsaque, Glaucon on Glaucus de Rhegium. Voy. les notes de Stalbaum sur le chapitre ii de l'Ion de Platon.
  19. Voy. Lucien, Anacharsis, particulièrement, 2, 8, t. II, p. 195 de notre traduction.
  20. Le mot grec μαστροπεία, employé par Socrate, a une signification dont le français n’ose pas rendre toute l’énergie.
  21. Tout ce passage, suivant la remarque de Weiske, a été mal traduit par les interprètes de Xénophon. Afin d’éviter le même reproche, nous avons suivi avec attention les indications du savant éditeur.
  22. Iliade, III, 179.
  23. Iliade, XXII, 335. Cf. Horace, Od., i, liv. I, v. 4 et 5.
  24. Iliade, XI, 630.
  25. Vieillards qui portaient un rameau d’olivier dans les fêtes de Minerve.
  26. « Alcibiades, on dialoge de Platon, intitulé le Bancquet, louant son précepteur Socrates, sans controuerse prince des philosophes, entre aultres pareilles, le dict estre semblable es Silenes. Silenes estoyent iadiz petites boytes, telles que voyons de presentes bouticques des apothecaires ; painctes au dessus de figures ioyeuses et friuoles, comme de harpyes, satyres, oysons bridez, Heures coniuz, canes batees, boucqz vollans, cerfs lymonniers, et aultres telles painctures contrefaictes a plaisir, pour exciter le monde a rire : quel feut Silene, maistre du bon Bacchus ; mais, on dedans, Ion reseruoyt les fines drogues, comme banlme, ambre griz, amomon, muscq, ziuette, pierreries, et aultres choses pretieuses. Tel disoyt estre Socrates : par ce que, le voyans au dehors, et lestimant par lexteriore apparence, nen eussiez donné un coupeau doignon, tant taid il estoyt de cors, et ridicule en son maintien ; le nez poinctu, le reguard dung taureau, le visaige dung fol, simple en meurs, rusticq en vestimens, paoure de fortune, infortuné en femmes, inepte a tous offices de la république ; tousiours riant, tousiours beuuant dautant a ung chascun, tousiours se guabelant, tousiours dissimulant son diuin scauoir. Mais ouurans ceste boyte, eussiez, en dedans, trouué une céleste et impreciable drogue ; entendement plus que humain, vertu merueilleuse, couraige inuincible, sobresse non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, desprisement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant veiglent, courent, trauaillent, nauiguent, et battaillent. » RABELAIS, prologue de Gargantua.
  27. Autrement dit Paris, juge des trois déesses. Voy. Lucien, Dialog, des dieux, xxe dialogue, t.1, p. 87 de notre traduction.
  28. Voy. Lucien, Philopatris, 8 et 9.
  29. Phrase difficile et controversée. J’ai suivi le sens indiqué par Bach et adopté par Weiske.
  30. C’est-à-dire qui détournent le mal : surnom que les Grecs donnaient aux dieux auxquels ils attribuaient cette vertu. Voy. les mots Averruncus et Robigus dans le Dict. mytholog. de Jacobi.
  31. Cf. Lucien, les Amours, 27. Thase était une île située près de la côte de Thrace dans la mer Égée.
  32. Voy. Iliade, IX, 122 ; cf. Iliade, VIII, 290, et XIII, 13.
  33. Cf. Lucien, t. II, p. 447, pour l’intelligence complète du mot grec.
  34. L’expression grecque a une énergie toute spéciale.
  35. Le peintre Zeuxippe, et, selon d’autres, le fameux Zeuxis.
  36. Il ne faut pas le confondre avec le célèbre tragique ; d’ailleurs il n’est guère connu que par ce passage.
  37. C’est ainsi que je crois devoir traduire κακῶς ἀκούσας, d’après l’autorité de Zeune et malgré Weiske : les autres traducteurs et réviseurs de traductions m’ont paru n’avoir rien entendue ce passage.
  38. J’ai pris à dessein ce terme d’une familiarité presque triviale.
  39. Passage controversé : nous avons suivi la donnée la plus naturelle.
  40. Cf. Mém., III, viii. Voici du reste un passage qui éclaire parfaitement cette théorie : « Les saints Pères eux-mêmes, lorsqu’ils parlent de la beauté humaine, nous la représentent avec les mêmes caractères que Socrate et Aristote : Rien n’est beau que ce qui est bon. Ce principe fondamental se retrouve à chaque instant dans leurs ouvrages. Lactance, à l’exemple d’Hippocrate et de Galien, a composé un de ses écrits les plus éloquents, pour en faire la démonstration sur chacune des parties du corps de l’homme : saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse, Théodoret, et les autres Pères, dès qu’ils parlent du corps humain, ne négligent pas de le rappeler. La plupart d’entre eux nous reproduisent ces pensées riantes ou profondes des anciens philosophes : « Aucun corps n’est beau, s’il n’est conformé de la manière la plus convenable à sa destination. Qu’est-ce que le beau ? Ce qui est en tout point désirable. Un des caractères de la beauté du corps est d’offrir des signes de la beauté de l’âme. Tu es belle, mon amie, tu es belle comme la vertu. » La beauté ne saurait exister sans la symétrie et l’ordre ; et le est plus admirable dans un tout que dans ses parties. Le beau accompli consiste dans l’unité homme ; qui es-tu pour te flatter de te connaître ? Dieu seul voit l’unité absolue ; seul il est l’unité : faible créature, qu’il te suffise d’apprécier le convenable. Là est le beau pour toi, le seul beau dont puisse jouir ta nature mortelle. » Émeric David, Hist. de la peinture au moyen âge, édit. Charpentier, p. 15 et 16.
  41. C’était avec des cailloux qu’on allait aux voix. Cf. Lucien : la Double accusation, passim.
  42. Ivresse, excès de vin, insulte faite dans le vin.
  43. J’ai tâché de donner une idée de l’antithèse railleuse que présentent en grec φροντιστής et ἀφρόντιστος.
  44. Cf. les Nuées d’Aristophane, v. 94, 118 et passim.
  45. Il y a là un jeu de mots intraduisible : ἀνωφελεστάτων peut signifier tout à la fois choses très-utiles, inutiles et utiles en haut.
  46. Allusion au vers 146 des Nuées d’Aristophane.
  47. Quelques interprètes croient qu’il y a ici des allusions à Aristophane.
  48. Weiske croit qu’il s’agit là de quelque miroir d’airain ou de cuivre placé dans la salle du banquet.
  49. Zeune engage à comparer ce passage avec Horace, ode iv du livre I, et Hésiode, Théog., 909.
  50. Il faut comparer ce chapitre avec le Banquet de Platon, chap. viii, et le dialogue de Lucien intitulé les Amours, t. I, p. 536 de notre traduction.
  51. Il y a là quelque difficulté de texte. J’ai suivi Weiske et Dindorf.
  52. Platon établit la même distinction dans son Banquet, VIII. Cf. Lucien, Amours, 42 ; Déesse syrienne, 32 ; Pseudolog., 11 ; Maître de rhétorique, 25 ; Dialog. des courtisanes, XVII, 1.
  53. Sorte de serment familier à Socrate, ainsi que nous l’avons déjà remarqué.
  54. Cf. Lucien, Amours, 25, 26 et 27.
  55. Allusion au v. 443 du chant IX de l’Iliade.
  56. Voy. Lucien, Dialog. des dieux, IV, t.1, p. 66 de notre traduction.
  57. Iliade, XX, 405.
  58. Iliade, XVIII, 325.
  59. Γανύς et en composition γανύ, ravi, joyeux, et μῆδος, soin, application, résolution, dessein. Peut-être y a-t-il de plus un sens obscène sous ce dernier mot.
  60. Voy. sur l’amitié, outre les passages connus des auteurs classiques tels que Cicéron, Lucien dans son Toxaris, etc., un beau chapitre de Valère Maxime, liv. IV, chap. vii.
  61. Poëte comique et tragique, contemporain de Sophocle et d’Euripide. Il avait composé, entre autres, une pièce toute d’invention appelée la Fleur, dont Aristote fait l’éloge dans sa Poétique, IX.
  62. Cf. Plutarque, Pélopidas, 48.
  63. Voy. Élien, Hist. diverses, XIII, 5.
  64. Voy. Id. Ibid., III, 4 2, et cf. Xénophon, Gouvern. des Lacédém., II.
  65. Il y avait réellement en Laconie et en Attique une statue de la Pudeur. Voy. Pausanias, Lacon., XX, § 40. — Cf. le même auteur, Attic., XVII, 4. Mais il paraît qu’il y avait également dans cette contrée une statue de l’Impudeur, élevée d’après les conseils du crétois Épiménide. L’allusion de Socrate est alors très-nette. — Cf. Cicéron, De legibus, II, xi.
  66. Voy. Helléniq., VI, iii. Cette fonction était celle de δαδοῦχος, porte-flambeau.
  67. Cérès et Proserpine dont le culte fut institué à Éleusis par Érechthée.
  68. C’était une tradition grecque que, quand Thémistocle alla livrer contre le roi de Perse Xerxès le combat naval de Salamine, les dieux conduits par Iacchus, nom mystique de Bacchus, étaient venus au secours des Grecs. Voy. le Dict. mytholog. de Jacobi aux mots Iacchus et Éleusinies.
  69. Cf. Lucien, De la danse. 43, et voy. l'Excursus de Bœttiger sur cette danse mimique, dans l’édition du Banquet de Xénophon d’Aug. Bornemann, p. 223 et suivantes.