Le Banquet (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Le BanquetHachetteTome 1 (p. 298-299).


CHAPITRE IX.


Représentation du mariage d’Ariadne et de Bacchus[1].


La conversation finit là. Autolycus, comme c’était l’heure, sortit pour faire sa promenade. Lycon, son père, sortit avec lui, et se retournant : « Par Junon ! Socrate, dit-il, tu m’as l’air d’un homme beau et bon ! »

Sur ce point, on place une sorte de trône au milieu de la salle ; vient ensuite le Syracusain : « Citoyens, dit-il, voici Ariadne qui entre dans la chambre nuptiale destinée à elle et à Bacchus. Bientôt va paraître Bacchus, qui a un peu bu chez les dieux ; il va s’approcher d’elle, et tous les deux se mettront à folâtrer. » Après ce prologue, Ariadne entre parée comme une jeune épouse et s’assied sur le trône ; ensuite, à l’entrée de Bacchus, la flûte se met à jouer un air bachique. Ce fut alors qu’on admira le maître de danse. À peine Ariadne a-t-elle entendu cet air qu’elle fait des gestes qui font comprendre à tous la joie qu’elle en éprouve, et, quoiqu’elle n’aille point à sa rencontre, quoiqu’elle ne se lève point, on voit qu’elle a peine à se contenir. Aussitôt que Bacchus l’aperçoit, il se met à danser de l’air le plus passionné, s’assied sur ses genoux, l’embrasse et lui donne des baisers. Ariadne prend un air pudique, et cependant elle le serre aussi dans ses bras avec tendresse. À cette vue, les convives d’applaudir, de se récrier à plusieurs reprises. Mais quand Bacchus se lève et avec lui Ariadne, c’est alors qu’il faut contempler leurs poses amoureuses et passionnées. En voyant Bacchus si beau, Ariadne si jolie, ne plus s’en tenir au badinage, mais unir réellement leurs lèvres, tous les spectateurs sont transportés. Ils entendent Bacchus demander à Ariadne si elle l’aime, ils entendent Ariadne jurer qu’elle n’aime que lui, de sorte qu’ils sont prêts à jurer comme elle que ce jeune garçon et cette jeune fille sont de vrais amants. Ils ne ressemblaient plus, en effet, à des acteurs dressés à une pantomime, mais à des amoureux impatients de satisfaire un désir qui les pressait depuis longtemps. Lorsqu’enfin les convives les virent se tenir enlacés et marcher vers la couche nuptiale, ceux qui n’étaient point mariés firent le serment de se marier, et ceux qui l’étaient montèrent à cheval et volèrent vers leurs épouses, afin d’être heureux à leur tour. Socrate et quelques autres qui étaient restés avec lui s’en allèrent à la promenade rejoindre Lycon, son fils et Callias. Ainsi se termina le banquet.






  1. Cf. Lucien, De la danse. 43, et voy. l'Excursus de Bœttiger sur cette danse mimique, dans l’édition du Banquet de Xénophon d’Aug. Bornemann, p. 223 et suivantes.