Le Bal (Anaïs Ségalas)

Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 127-130).



LE BAL.


 
Que le bal est joyeux ! Vois ces nombreux quadrilles !
Le plaisir fait briller ces yeux de jeunes filles,
Anime tous les pas, rit dans toutes les fleurs ;
Partout, frais papillon il vole et se repose,
Et pare la danseuse, à la peau blanche et rose,
De ses plus riantes couleurs.

Vois ces jeunes beautés, aux tailles élancées,
Confondant au hazard leurs parures froissées,
Dès que l’archet frémit prendre un folâtre élan !
Leur bonheur enfantin, frêle et léger comme elles,
Est dans les airs d’un bal, dans leurs gazes nouvelles,
Dans les nuances d’un ruban.

Les vois-tu, le front ceint d’un millier d’étincelles,
Sourire à ces miroirs qui les montrent si belles,

Puis, dans un cercle étroit où la foule survient,
Former les pas divers de leur danse rapide,
Pesant sur le parquet comme un oiseau timide
Sur la branche qui le soutient ?

Mais l’orchestre se tait, ses cordes sont muettes ;
Chacune accourt alors vers les riches banquettes,
Fait un léger salut et quitte son danseur,
Puis implore un peu d’air de l’éventail docile,
Qui s’agite semblable à la feuille mobile
Qu’on voit frémir près d’une fleur.

Le salon resplendit de leurs pierres brillantes,
Qui pendent en colliers, en croix étincelantes,
Ou tremblent à l’oreille en mobiles faisceaux.
Sur leurs fronts délicats l’œil satisfait admire
Ces bouquets toujours frais, qui jamais n’ont vu luire
D’autres soleils que des flambeaux.

Ce bal, ces ornements dans leurs cheveux d’ébène,
Ces bijoux, les ont fait rêver une semaine :
Pour elles tout est joie, espoir ou souvenir ;
Leur vie est un riant parterre, où chaque aurore
Qui brille à l’horizon sous leurs mains fait éclore
Une fleur nouvelle à cueillir.


Mais l’orchestre résonne, et leur troupe s’envole.
Entends-tu l’air bruyant de cette danse folle,
Qui bondit si joyeuse, et dans ses tours adroits
Traverse les salons au gré de son caprice,
S’élance, fuit, revient, et court, et vole, et glisse,
Et tourne sans ordre et sans lois ?

Oh, ces danses, ces jeux, ces fêtes ont des charmes !
Malgré ses longs ennuis, ses chagrins et ses larmes,
La vie a des instants qui sont bien doux encor.
Le temps, pour consoler l’homme qui souffre et pleure,
Au sable qui s’écoule et nous mesure l’heure
Mêle parfois quelques grains d’or.

Épuisons les plaisirs de cette nuit folâtre !
Mais un rayon furtif, à la lueur blanchâtre,
Effleure le parquet et les rideaux soyeux ;
Tout effrayés du jour, les quadrilles finissent,
Des flambeaux éclatans les lumières pâlissent,
Comme les étoiles aux cieux.

Il faut partir ! Déjà nos jeunes élégantes
Fixent sur leurs cols blancs les écharpes flottantes ;

Puis, jetant tristement un coup d’œil aux miroirs,
Posent les schalls épais sur les fraîches parures,
Et les amples manteaux tout couverts de rayures,
Avec les boas longs et noirs.

Nous allons le quitter ce bal, mais son image
Va nous suivre du moins. Comme dans un nuage,
Ces rapides beautés, ces danseurs passagers,
Pendant notre sommeil fécond en doux mensonges,
Priant et voltigeant, vont passer dans nos songes
Comme des fantômes légers.