Texte établi par Amand BineauGauthier-Villars (p. 316-349).

HUITIÈME LEÇON.

(4 juin 1836.)
Dimorphisme. — Isomérie.

Messieurs,

Examinez tous les gaz connus, soumettez-les à des épreuves multipliées, et toujours, pourvu que vous ne les détruisiez pas, vous y retrouverez les mêmes propriétés. Comprimez-les ou laissez-les se dilater ; échauffez-les ou refroidissez-les ; mettez-les ou non en contact avec divers corps, tant que leur identité subsistera, leurs propriétés aussi seront généralement conservées.

Deux exceptions toutefois ont été signalées : l’une est relative au gaz hydrogène, l’autre à l’hydrogène phosphoré. Tout le monde connaît l’action du platine sur le gaz hydrogène mêlé d’oxygène. On sait que sous l’influence du platine les deux gaz se combinent et se convertissent en eau. Cependant M. Faraday a observé que cette action, si facile avec l’hydrogène préparé par la décomposition de l’eau à froid par le zinc et un acide, l’était bien moins avec le gaz hydrogène obtenu en décomposant l’eau par le fer chauffé au rouge. Faut-il en conclure que l’hydrogène puisse présenter deux variétés ? Cette conséquence, qui serait bien digne d’attention, si elle était certaine, n’est pas du tout obligée ; car il y a tout lieu de croire que la différence signalée par M. Faraday provient d’une petite quantité d’oxyde de carbone existant dans le gaz préparé au moyen de fer à la chaleur rouge. À cette température, en effet, le carbone combiné avec le fer doit nécessairement agir lui-même sur l’eau, et donner, de son côté, un peu d’oxyde de carbone. Or l’expérience fait voir que ce gaz mêlé à l’hydrogène, même en très-faible proportion, suffit pour annuler ou diminuer l’action du platine.

M. Henry Rose a fait, d’une autre part, la remarque que l’hydrogène phosphoré, après avoir été uni à divers chlorures métalliques électro-négatifs, pouvait en être séparé, à volonté, avec ou sans la propriété de s’enflammer spontanément à l’air, suivant qu’on employait pour le mettre en liberté l’ammoniaque liquide ou l’eau pure. Ce second exemple ne semble pas non plus démonstratif, l’inflammabilité spontanée de l’hydrogène phosphoré dégagé par l’ammoniaque pouvant être attribuée à du phosphore rendu libre par quelque cause inaperçue.

On peut donc regarder comme démontré que dans les gaz les particules reprennent leur situation respective dès qu’elles ont été dérangées. En d’autres termes, la forme des molécules dans les gaz n’a aucune influence sur leur équilibre. En conséquence, le même gaz ne peut pas offrir des propriétés différentes et durables ; il ne peut se présenter sous deux états distincts en conservant son identité. Néanmoins ces observations pourraient n’être plus vraies, si l’on envisageait les gaz trop près du terme de leur liquéfaction ; car on remarque souvent que les effets produits alors sur eux par les forces physiques ne suivent plus les lois ordinaires ; en sorte que ce que je viens d’énoncer doit être restreint aux gaz permanents et à ceux qui sont soumis à des pressions et à des températures éloignées de celles qui déterminent leur liquéfaction.

Il n’en est plus des solides comme des gaz : chez eux la forme de la molécule exerce sur les propriétés du système une grande influence, dont la réalité se trouve déjà établie par le fait même de la solidification ; car il est extrêmement vraisemblable que c’est à l’intervention de la forme des molécules dans l’équilibre des solides qu’est dû le caractère de la solidité.

Tandis que la dilatation des gaz, tandis que leur compression se font également et uniformément dans toutes les directions, ces effets dans les solides sont variables et inégaux selon les divers sens. À l’égard des phénomènes optiques, vous remarquez les mêmes différences. Les modifications qu’éprouve la lumière dans son passage à travers un solide dépendent non-seulement de la nature de celui-ci et de l’angle d’incidence, comme dans les gaz, mais de plus, en un grand nombre de cas, de la face suivant laquelle se présente la lumière et de la position du plan d’incidence. Les vibrations sonores présentent aussi des variations dépendant des points qui les produisent. Ainsi donc, toutes sortes de phénomènes physiques nous démontrent qu’il y a dans les solides des arrangements moléculaires particuliers, en vertu desquels les particules se trouvent disposées dissemblablement dans des parties différentes de la masse ou dans des sens différents.

Dès qu’il est admis que le même corps, quand il est solide, peut offrir en divers points des dispositions moléculaires diverses, on comprend la possibilité d’obtenir un même corps sous deux formes distinctes. Il suffira de produire dans deux échantillons différents des dispositions moléculaires différentes. De plus, comme généralement les dilatations ne sont pas égales en tous sens, et qu’elles changent par conséquent la position relative des particules, on conçoit qu’on puisse former des variétés distinctes d’un même corps en le solidifiant à des températures éloignées les unes des autres. Je vous ferai voir que, dans un grand nombre de circonstances, l’expérience réalise cette prévision.

Faites, par exemple, du biiodure de mercure à froid ; il sera d’une belle couleur rouge : c’est celle que vous admirez dans la substance que renferme ce flacon. Mais distillez-le : de rouge qu’il était, il devient d’un beau jaune citron ; il prend la couleur que vous voyez dans le produit sublimé à la voûte de cette cornue. Cette nouvelle couleur se conserve pendant quelque temps, pourvu qu’on évite de mettre en vibration les molécules. Mais que j’écrase cet iodure jaune en appuyant fortement sur lui avec une baguette de verre ; aussitôt dans les points touchés la couleur jaune fait place à la couleur primitive ; et vous voyez, partout où j’ai frotté avec la baguette, des lignes rouges qui marquent la trace de son passage. Le changement qu’opère ainsi tout à coup l’agitation se serait fait de lui-même au bout de quelque temps. D’ailleurs on s’est assuré que le changement de couleur est accompagné d’un changement dans la forme cristalline.

Ici le passage d’un état à l’autre est donc fort rapide. D’autres fois il est beaucoup plus lent : c’est ce qui arrive avec l’acide arsénieux. Prenez-le sublimé ou fondu, il a l’aspect vitreux et se trouve parfaitement transparent ; mais abandonnez-le à lui-même pendant longtemps, il perdra peu à peu sa transparence, deviendra opaque, laiteux et tel que celui que je vous présente. Le changement commence à la surface, et s’étend peu à peu vers le centre. Aussi, en cassant le morceau que j’ai entre les mains, vous voyez que les parties centrales sont encore vitreuses. Attendez plus longtemps, car il faut ici des années, et la masse entière sera opaque à son centre comme à sa surface. Au reste, l’acide arsénieux ne se modifie pas seulement dans son aspect : il acquiert encore d’autres propriétés nouvelles, et, par exemple, sa densité, sa solubilité dans l’eau ne sont plus les mêmes. La forme cristalline est également changée, et c’est de la désagrégation qu’éprouve la masse vitreuse, en se transformant en une multitude de petits cristaux, que résulte son opacité.

Le passage de l’acide vitreux à l’état d’acide opaque peut se faire assez rapidement pour donner naissance à des phénomènes bien dignes d’intérêt et qui ont été observés par M. Henry Rose, il y a peu de temps.

Réduisez en poudre l’acide vitreux, dissolvez-le dans l’acide chlorhydrique étendu et bouillant, et laissez refroidir lentement la dissolution. Bientôt la liqueur laissera déposer l’acide arsénieux sous forme de cristaux, mais ceux-ci seront formés d’acide opaque, et au même instant un phénomène remarquable vous annoncera le changement qui s’opère alors dans le groupement de ses molécules ; car, pourvu que l’opération s’exécute dans un endroit obscur, on voit se dégager une vive lumière qui se reproduit tant que dure la cristallisation, et que l’on essayerait vainement de faire apparaître en opérant sur de l’acide arsénieux déjà modifié, et substituant dans l’expérience l’acide opaque à l’acide vitreux.

Le phénomène présenté par l’acide arsénieux n’est point un fait isolé. À présent que l’on est prévenu, on le retrouvera dans un grand nombre d’occasions analogues à celle-là, et par des causes semblables. Telle est, sans aucun doute, l’apparition de lumière observée dans la cristallisation du sulfate acide de potasse sorti des fabriques d’acide nitrique ; elle doit provenir de ce que le sel dissous se trouve à l’état de sesquisulfate, et qu’en cristallisant il se sépare en sulfate neutre et en bisulfate.

L’un des deux états affectés par l’acide arsénieux et par l’iodure de mercure n’est donc pas permanent ; la matière repasse à l’autre spontanément, au bout d’un temps plus ou moins long. Mais les deux variétés physiques du même corps persistent quelquefois indéfiniment : tels sont, par exemple, les deux minéraux connus sous le nom d’arragonite et de chaux carbonatée rhomboédrigue ou spath d’Islande.

Par leurs propriétés chimiques et la proportion de leurs molécules élémentaires, le spath d’Islande et l’aragonite se ressemblent complètement. Tous les deux sont du carbonate neutre de chaux, et se représentent par la formule CaO et C2O2. Ils ont de plus l’un et l’autre la même chaleur spécifique et la capacité pour la chaleur de leur atome est exprimée par le nombre 130. Mais le spath a pour forme primitive le rhomboèdre ; l’aragonite, le prisme rhomboïdal. Le premier possède une double réfraction à deux axes. La densité de l’un est 2,723 ; celle de l’autre est 2,946. L’aragonite raye le spath, et le spath ne saurait rayer l’aragonite.

Ainsi comparées dans leurs formes cristallines, leurs propriétés optiques, leur densité, leur dureté, ces deux substances sont tout à fait distinctes. Cependant, sous le rapport des réactions qu’elles éprouvent de la part des autres corps et des produits qu’elles donnent en se décomposant, elles sont complétement identiques. À l’époque où la forme cristalline servait de base à la classification des minéraux, l’observation de deux formes incompatibles dans la chaux carbonatée dut faire une vive sensation. La nature et les rapports des principes constituants de l’aragonite et du spath calcaire méritaient par conséquent d’être déterminés par des expériences de la plus grande précision ; aussi M. Thenard et M. Biot ont-ils examiné ces deux substances avec l’attention la plus scrupuleuse. Non-seulement ils se sont assurés qu’elles sont composées de chaux et d’acide carbonique unis dans les mêmes proportions, mais ils ont aussi constaté l’identité absolue de la chaux et du gaz carbonique, dans lesquels chacune d’elles se résout. Ils ont été même jusqu’à mesurer le pouvoir réfringent du gaz extrait des deux minéraux, et celui de la dissolution dans l’acide chlorhydrique de la chaux extraite de part et d’autre, après avoir amené les liqueurs au même degré de concentration. Tous leurs essais ont donné les mêmes résultats, soit qu’ils aient été faits avec l’aragonite, soit qu’ils l’aient été avec le spath calcaire.

À la température ordinaire, chacune de ces deux substances se conserve indéfiniment. Mais en est-il de même à un plus haut degré de chaleur ? À cette question voici ce que répond l’expérience. Si vous élevez graduellement la température du spath, il ne présentera d’autre phénomène que celui de sa décomposition, qui arrive lorsque la chaleur est suffisante ; de sorte que, tant qu’il conserve sa nature chimique, il n’éprouve aucune modification dans ses propriétés extérieures. Mais chauffez l’aragonite peu à peu, et vous la verrez, à un degré de chaleur inférieur à celui où elle se décompose, se désagréger et se déliter en émettant une lueur phosphorique. Ne peut-on pas supposer que la substance change alors de forme cristalline, et se transforme dans la variété rhomboédrique ? C’est ce qui me semble tout à fait admissible.

On pourrait croire que les corps composés sont seuls susceptibles d’éprouver de tels changements. Ce serait une erreur, que l’examen du soufre suffit pour faire reconnaître.

La nature nous offre du soufre cristallisé dans beaucoup de localités. Quelques-uns de ces cristaux sont très-nets et très-beaux : ce sont des octaèdres. On l’obtient artificiellement au même état avec la plus grande facilité ; car, en abandonnant à l’évaporation spontanée ses dissolutions et particulièrement sa dissolution dans le sulfure de carbone, il se dépose sous forme de cristaux semblables à ceux de la nature. Cependant, si on le fait fondre et si on le laisse cristalliser par refroidissement, il prend la forme d’aiguilles prismatiques, qui ne peuvent être rapportées au même type que les cristaux octaédriques. Le soufre est donc dans le même cas que les corps composés que j’ai cités précédemment. D’ailleurs, tout comme je vous l’ai fait remarquer pour l’acide arsénieux et le biiodure de mercure, la modification du soufre produite à une température élevée ne se conserve pas à la température ordinaire. Au bout de quelques jours, les aiguilles, qui d’abord étaient transparentes et un peu flexibles, deviennent opaques et extrêmement friables. Examinez-les alors au microscope, et vous verrez qu’elles sont composées d’une multitude de petits octaèdres enchâssés les uns à la suite des autres, comme les grains d’un chapelet.

Il n’en est plus ainsi du carbone, autre corps simple sujet à de semblables variations et qui nous présente au contraire, dans les divers états que nous lui connaissons, des variétés dont la nature est permanente, du moins aux températures qui ne sont pas trop élevées. On sait que le diamant, le graphite et le charbon ordinaire sont chimiquement le même corps. Cependant les différences énormes que l’on observe dans leurs propriétés physiques ne permettent pas de les confondre. Le graphite et le diamant n’ont pas la même forme cristalline, et diffèrent d’ailleurs sous beaucoup d’autres rapports, tels que la densité, la dureté, la transparence, etc. Le charbon ordinaire paraît être aussi une modification particulière du carbone, distincte des deux précédentes.

Bien que le diamant supporte des températures fort élevées sans éprouver d’altération dans ses caractères intérieurs, il serait possible qu’une chaleur excessivement intense lui en fit subir une. C’est ce qu’on serait tenté de penser, à la vue de ces diamants à moitié brûlés, qui servirent autrefois à vérifier l’identité de leur nature avec celle du charbon. En considérant, par exemple, ceux qui ont été conservés dans la collection de l’École Polytechnique, on est étonné de les voir recouverts d’une couche noire et opaque. Ne serait-ce pas là le résultat d’un ébranlement moléculaire, opéré lors de leur combustion partielle, par la chaleur énorme qui s’est alors produite ? N’y a-t-il pas un rapprochement curieux à faire entre cette couche noire artificielle et l’existence de cette variété remarquable de diamant qui constitue le diamant noir des minéralogistes ?

Les corps dans lesquels la nature chimique demeure la même, et qui, par suite de quelque variation dans la forme cristalline, montrent des variations essentielles dans leurs diverses propriétés physiques, sont en assez grand nombre maintenant pour qu’on soit conduit à y voir une loi de la nature ; aussi faut-il rapporter à la même cause des faits qui se présentent souvent, sans qu’on puisse reconnaître dans les corps qui les offrent une transmutation de forme. C’est ce qui arrive, par exemple, pour l’acide acrimonieux, le peroxyde de fer, l’oxyde de chrome et plusieurs autres. Lorsqu’on les chauffe à un certain degré, ils se contractent, prennent souvent une couleur plus foncée, et acquièrent la propriété d’être bien plus difficilement attaquables par les acides. En même temps leur température s’élève tout à coup, et ils deviennent incandescents. Ces mouvements moléculaires se produisent surtout dans les oxydes qui, comme l’acide arsénieux, renferment 3 atomes d’oxygène. L’acide tannique existe pareillement à deux états sous chacun desquels on peut l’obtenir à volonté, et il en est de même aussi de l’acide titanique qui est isomorphe avec lui.

Je crois qu’il faut classer encore dans la même série les changements momentanés de coloration que la chaleur détermine dans les corps. Ils montrent combien sont variés les phénomènes de ce genre ; car, presque toujours, par l’élévation de température, les corps blancs jaunissent plus ou moins ; les rouges prennent du bleu et passent soit au violet, soit au bleu même ; les jaunes prennent du rouge et deviennent orangés ; les bleus et les gris acquièrent une couleur plus foncée et tournent au noir.

Ainsi l’oxyde de zinc, qui ressemble à la neige quand il est pur et froid, jaunit tellement lorsqu’on le chauffe, qu’on dirait qu’il renferme beaucoup de peroxyde de fer. Mais le laisse-t-on refroidir, il recouvre aussitôt sa blancheur primitive. L’acide titanique éprouve par la chaleur un changement semblable et non moins marqué. Le bioxyde de mercure passe du rouge au violet.

L’arragonite comparée au spath d’Islande, et quelques corps analogues, ont conduit à créer le mot de dimorphisme, pour exprimer l’existence d’une même substance cristallisée sous deux formes distinctes et incompatibles. Mais, pour embrasser tous les phénomènes du même genre, il faut dire polymorphisme, sans restreindre à deux le nombre des modifications qu’un corps peut présenter, et comprendre dans la même catégorie toutes les sortes de changements qui peuvent affecter les propriétés physiques :

Les caractères qui doivent nous frapper dans les faits qui se rattachent au polymorphisme sont donc d’une part la permanence de la nature chimique, et d’autre part les modifications qu’éprouvent la forme ou les propriétés physiques ; celles-ci varient, du reste, tantôt d’une manière instantanée, comme dans le cas des changements de couleur, tantôt d’une manière plus ou moins lente, comme dans les mutations de forme que le soufre et l’acide arsénieux présentent ; tantôt enfin ces modifications physiques se conservent d’une manière permanente, comme dans l’arragonite, l’alumine, etc.

Le polymorphisme des corps solides est évidemment déterminé par les conditions physiques variées sous l’influence desquelles la solidification peut avoir lieu.

Ainsi le soufre cristallisé par fusion et refroidissement se solidifie à 108 degrés et celui qu’en obtient par dissolution et évaporation spontanée cristallise à la température ordinaire. Or il est évident qu’en pareil cas la température est tout, car le soufre obtenu à 108 degrés change peu à peu de forme quand on l’abandonne à la température ordinaire, et le soufre cristallisé à la température ordinaire change peu à peu de forme quand on le chauffe vers 108 degrés.

Tout porte à croire qu’il en est de même de l’arragonite et du spath d’Islande ; que l’arragonite résulterait toujours d’une formation à basse température, tandis que le calcaire rhomboédrique se serait souvent produit dans des circonstances où la température se trouvait élevée.

Dans le cas du carbone ordinaire et du diamant, nous savons déjà que le graphite est le produit constant d’une température d’environ 1700 à 1800 degrés, comme celle qui se développe à la tuyère des hauts-fourneaux roulants pour fonte grise. Nous pouvons présumer que le charbon noir mat est le produit d’une température plus basse, et que le diamant résulte de l’action d’une température plus haute.

Mais ce ne sont là que de simples présomptions, que quelques faits même semblent combattre. Que l’on parvienne, sans faire intervenir aucune action chimique, à changer à volonté le diamant en charbon noir et l’on aura fait faire un grand pas à la question qui aurait pour objet de changer le charbon noir en diamant.

Les liquides vont-ils ressembler aux gaz, c’est-à-dire se montrer toujours constants dans leurs propriétés, ou vont-ils affecter des états variables ? C’est à l’expérience à répondre. Or nous voyons l’acide hypoazotique, incolore à 20 degrés au-dessous de zéro, se colorer à mesure que sa température s’élève et prendre une couleur jaune orangé à la température actuelle. Ce liquide est donc susceptible de variations tout à fait semblables à celles que nous avons signalées dans un grand nombre de corps solides, comme l’oxyde de zinc, l’acide titanique et tant d’autres. La dissolution de l’iodure d’amidon présente un phénomène inverse : fortement colorée en bleu, à froid, elle devient tout à fait incolore vers 50 degrés, et reprend sa couleur primitive aussitôt qu’elle se refroidit.

Ainsi le même liquide peut offrir divers arrangements moléculaires qui supposent que la forme des molécules entre pour quelque chose dans leur équilibre. Nous en trouvons encore un nouvel exemple dans le soufre fondu. Non-seulement la chaleur produit sur lui un changement de teinte en le faisant passer du jaune au rouge brun, mais il acquiert une consistance visqueuse, et de fluide qu’il est à 110 degrés, il devient pâteux vers 250 degrés, autre preuve d’un groupement particulier et nouveau qui s’est opéré entre ses molécules.

C’est sans doute aussi aux mêmes influences qu’il faut rapporter la propriété que l’eau possède d’avoir un maximum de densité à 4 degrés, au lieu de continuer à se contracter, à mesure qu’elle se refroidit.

Il serait d’un haut intérêt de déterminer le maximum de densité et le maximum de viscosité d’un grand nombre de liquides, et d’étudier soigneusement les variations qu’ils éprouvent dans toutes leurs propriétés physiques appréciables. C’est par des observations attentives de ce genre que quelque jour on parviendra peut-être à expliquer pourquoi le sel marin liquide passe subitement à l’état solide ; pourquoi le verre et l’acide borique prennent, avant de se solidifier, tous les degrés de viscosité ; et pourquoi, tout au contraire, le soufre, qui se solidifie subitement, devient visqueux par la chaleur. On ne saurait douter que tous ces faits ne soient des cas particuliers d’une loi plus générale.

En rassemblant tous les faits que je vous ai cités, vous voyez qu’on arrive à conclure que dans les gaz l’influence de la forme des molécules paraît nulle ou presque nulle, qu’elle semble au contraire très-considérable dans les solides, et qu’elle se fait également sentir dans les liquides, ce qui surprendra peu, si l’on admet que la distance des molécules y est pour quelque chose : car on sait bien que dans les gaz les molécules sont très-écartées ; que dans les solides elles sont très-rapprochées, et qu’elles le sont à peu près autant dans les liquides, puisqu’il y a presque autant de liquides qui se dilatent en se solidifiant qu’il y en a qui se contractent.

Cependant, il faut que je vous en fasse l’aveu, malgré l’espèce de consensus omnium qui fait considérer les gaz comme étant formés de particules entre lesquelles toute influence due à la forme serait inappréciable, je ne puis partager cette opinion.

Les expériences sur lesquelles on s’appuie pour montrer que les lois de Mariotte et de Gay-Lussac sont vraies pour tous les gaz n’ont été suivies qu’en de si étroites limites de température ou de pression, qu’il me reste des doutes et que j’ai un regret tous les jours plus vif, en pensant qu’à une époque déjà loin de nous l’administration a détruit d’un mot les dispositions savantes et coûteuses au moyen desquelles MM. Arago et Dulong s’étaient mis en mesure de résoudre cet important problème de Physique générale.

Maintenant il s’agit de savoir de quel ordre sont les molécules dont l’arrangement détermine ces changements, et qui doivent être modifiées dans leur position quand on voit ceux-ci apparaître. Avant d’attaquer cette question, demandons-nous sur quelles molécules porte la modification qui fait que l’eau est tantôt liquide, tantôt solide et tantôt gazeuse. Ira-t-on dire que ce sont les molécules d’oxygène et d’hydrogène, et qu’elles se combinent de trois manières diverses pour produire l’eau sous ces trois formes ? Non, sans doute. On répondra certainement que c’est entre les molécules de l’eau elle-même, et non entre les molécules élémentaires, que s’opère l’arrangement qui occasionne la solidité, la liquidité ou l’état réniforme.

Eh bien, pour des changements moins graves, tels que ceux dont nous venons de nous occuper, ne doit-on pas admettre à plus forte raison que les molécules composées sont les seules qui varient dans leur groupement, et que les molécules composantes n’en sont nullement affectées ? Il faut donc dire que ce qui crée le polymorphisme, ce sont des variations dans l’arrangement des molécules intégrantes d’un corps, variations qui affectent ses qualités physiques d’une manière passagère ou, durable, et qui produisent ainsi des modifications capables, tantôt de passer spontanément de l’une à l’autre, et tantôt de se conserver indéfiniment.

Mais, si les variations, au lieu de se passer entre les molécules composées, se produisaient entre les molécules constituantes elles-mêmes, n’en résulterait-il pas des corps qui différeraient non-seulement par les caractères physiques, mais encore par les caractères chimiques ? C’est encore ce que l’observation démontre, et nous en trouverons des exemples très-variés et plus remarquables encore que les faits que nous venons de signaler.

Ainsi nous connaissons maintenant trois gaz, trois ou quatre liquides et autant de solides qui renferment exactement le carbone et l’hydrogène dans le rapport de 1 atome à 1 atome, c’est-à-dire, en poids, de 86 parties de carbone à 14 d’hydrogène à peu près. Entre eux l’analyse ne montre aucune différence. Cependant, à tout autre égard, ils diffèrent complètement. La Chimie va mettre le doigt sur la cause ; car, pour me borner à quelques exemples, je vais comparer avec vous le méthylène, le gaz oléfiant, le gaz de l’huile, qu’on a appelé à tort hydrogène quadricarboné, et le cétène : ce sont les mieux caractérisés, et vous allez saisir tout de suite la raison de leurs différences :

C4H4 représente 4 vol. ou 1 équivalent de méthylène.
C8H8 » 4 1 » de gaz oléfiant,
C16H16 » 4 1 » d’hydrog. quadricarboné.
C64H64 » 4 1 » de cétène.

Vous voyez donc que la molécule de chacun de ces corps renferme des quantités de matière différentes. Ni les volumes gazeux ni les équivalents ne sont les mêmes. Pouvez-vous être surpris que le méthylène présente des propriétés distinctes de celles du gaz oléfiant, sachant que dans la molécule chimique du premier, ainsi que dans son volume, il y a moitié moins de carbone et d’hydrogène que dans la molécule chimique et dans le volume du second ?

Comment voudriez-vous que l’hydrogène quadricarboné, où se trouve quatre fois autant de matière que dans le méthylène, et deux fois autant de matière que dans le gaz oléfiant, sous des volumes égaux et sous des masses équivalentes, ne vous offrit pas des propriétés tout autres que les leurs ! Comment n’en serait-il pas de même du cétène où la condensation est quadruple de celle de l’hydrogène bicarboné ? Pourrait-il ne pas être également un corps à part ?

Entre le citrène et le térébène existent très-probablement des différences semblables. On a en effet, d’après la composition des camphres artificiels de térébenthine et de citron,

C20H16 = 1 équivalent de citrène ;
C40H32 = 1 équivalent de térébène.

D’ailleurs la formule de l’équivalent du térébène représente 4 volumes de sa vapeur, et il en est vraisemblablement de même aussi de la formule de l’équivalent du citrène.

D’après cela, quoique ces deux huiles aient la même composition en centièmes, quoiqu’elles résultent l’une et l’autre de la combinaison du carbone et de l’hydrogène unis dans le rapport de 5 atomes à 4 atomes, on comprend très-bien la nécessité qui fait que chacune d’elles constitue un corps tout à fait distinct.

La naphtaline et la paranaphtaline sont encore deux carbures d’hydrogène bien différents, dans lesquels le rapport des éléments combinés est exactement le même : il est ici de 5 atomes de carbone à 2 atomes d’hydrogène. Mais ni leurs vapeurs à volumes égaux, ni leurs équivalents ne comprennent des quantités égales de matière ; car

C40H16 = 4 volumes ou 1 équivalent de naphtaline,
C60H21 = 4 » 1 » de paranaphtaline.

de sorte que la condensation dans la paranaphtaline est égale aux trois demies de ce qu’elle est dans la naphtaline.

Il pourra du reste arriver que, les équivalents se trouvant différents, les condensations restent les mêmes. Bien que, dans tous les exemples que je vous ai cités, la formule d’un équivalent soit aussi celle de 4 volumes de vapeur, il ne faudrait pas en conclure que cette relation soit générale et ne souffre pas d’exceptions. Si, dans l’acide chlorhydrique et dans l’ammoniaque, H2Cl1 ou Az2H6 représentent bien encore 4 volumes et 1 équivalent, il n’en est plus de même, par exemple, dans l’acide sulfhydrique, ni dans l’acide sulfurique, ni dans l’acide arsénieux. En effet, H2S et SO3 représentent 2 volumes seulement et correspondent pourtant à 1 équivalent ; de même As2O3 ne représente qu’un volume et produit pourtant 1 équivalent d’acide arsénieux.

Nous trouvons dans l’alcool et l’hydrate gazeux de méthylène un cas fort remarquable où l’identité décomposition et l’identité de condensation se présentent avec des équivalents différents. Ils ont en effet à l’état gazeux la même densité, et C4H6O représente également bien 2 volumes de l’un ou de l’autre. Mais, en approfondissant leur nature, on reconnaît que leur équivalent n’est plus le même, et la cause de leur dissemblance, sur laquelle leur analyse élémentaire ne jette aucune lumière, puisqu’au contraire elle tendrait à les faire confondre, se trouve complètement mise au jour. En effet, lorsque, en s’aidant des réactions qui ont servi à produire ces deux corps ou bien des réactions auxquelles ils donnent naissance, on parvient à définir les deux binaires qui constituent chacun d’eux, rien n’est plus simple à concevoir que les différences qu’ils présentent ; on peut même quelquefois les prévoir. On voit en effet que l’alcool doit être formé de 1 équivalent de gaz oléfiant et de 2 équivalents d’eau ; que l’hydrate de méthylène, au contraire, doit l’être de 1 équivalent de méthylène et de 1 équivalent d’eau, et que, par conséquent,

C8H8 + H2O2 = C8H12O2 = 1 équivalent d’alcool,
C4H4 + H2O = C4H6O = 1 équivalent d’hydrate de méthylène.

Dès lors toute obscurité disparaît, et l’on reconnaît dans ces deux corps une composition essentiellement différente, malgré l’identité des proportions des corps simples que l’on y trouve, et quoiqu’ils contiennent, sous des volumes égaux, des quantités égales de carbone, d’hydrogène et d’oxygène.

Mais allons plus loin : ne pourra-t-il pas se faire que dans deux corps différents la composition élémentaire, la condensation et l’équivalent soient simultanément les mêmes ? Prenez l’éther formique et l’acétate de méthylène ; leur examen résoudra la question, et vous offrira d’ailleurs l’occasion d’observer jusqu’où peuvent aller les ressemblances que l’on peut rencontrer dans les caractères extérieurs de deux corps de natures tout à fait différentes. Envisagez leur composition, leur équivalent, leur densité en vapeur, leur densité en liquide, leur point d’ébullition : tout parait identique.

La formule C12H10O4 représente la composition de chacun d’eux et même leur équivalent. La densité de la vapeur de l’éther formique a été trouvée égale à 2,574 ; celle de la vapeur de l’acétate de méthylène a été trouvée de 2,564, et, pour quiconque s’est occupé de ces sortes d’expériences et sait combien il est difficile de répondre de plus de du résultat obtenu, ces deux nombres reviennent exactement au même. À l’état liquide, la densité de l’éther formique est 0,916, et celle de l’acétate de méthylène 0,919. L’un entre en ébullition à 56 degrés ; le point d’ébullition de l’autre est vers 58 degrés.

Cependant faites agir sur eux les alcalis : les produits seront tout différents. Vous obtiendrez avec l’un de l’acide formique et de l’alcool ; avec l’autre, de l’acide acétique et de l’esprit-de-bois. C’est qu’effectivement, si l’on veut représenter par des formules rationnelles ces deux composés, il faut écrire :

Pour l’éther formique C8H8, C4H2O3, H2O
Pour l’acétate de méthylène C4H4, C8H6O3, H2O

ce qui donne la clef des différences que l’on y remarque.

Nous arrivons enfin ainsi à une dernière classe qui renferme des corps dans lesquels la composition, les équivalents, les condensations ne nous offrent aucune dissemblance, et dont on ne peut expliquer l’arrangement moléculaire : tels sont l’acide tartrique et l’acide paratartrique, l’acide malique et l’acide citrique, l’acide cyanique et l’acide fulminique.

Que ces corps se ressemblent ou s’éloignent par leurs propriétés physiques, peu importe ; en effet, ils diffèrent par leurs propriétés chimiques : ils forment des combinaisons dissemblables en s’unissant aux mêmes corps ; ils donnent des produits différents, quand on les détruit avec ménagement. Il faut donc admettre que l’état des molécules élémentaires qu’ils renferment n’est pas le même, puisqu’elles se dissocient d’une manière différente dans les mêmes circonstances, ou qu’elles donnent naissance à des composés différents en s’engageant dans des combinaisons semblables. Mais vient-on à demander en quoi consistent les différences que nous sommes forcés d’admettre dans le groupement des atomes des corps simples qui les constituent, force est de répondre que nous ne sommes pas assez avancés sur la nature de ces corps pour nous en rendre compte. Si l’on veut arriver à préciser les différences de leur constitution moléculaire, il faut les étudier soigneusement, et vraisemblablement on finira quelque jour par y reconnaître des dissemblances analogues à celles que nous pouvons, dès à présent, signaler dans la manière d’être de l’alcool ordinaire et du monohydrate de méthylène, ou bien dans celles de l’éther formique et de l’acétate de méthylène. Déjà, par exemple, la cause de la diversité des propriétés de l’acide cyanique et de l’acide fulminique semble pouvoir être soupçonnée. Le premier doit être composé d’oxygène et de cyanogène, tandis que le second au contraire, ne paraît pas renfermer à l’état de cyanogène le carbone et l’azote qui entrent dans sa composition.

Ainsi, dans tous les cas que nous avons passés en revue, dans les carbures d’hydrogène que je vous ai cités, dans l’alcool et l’hydrate de méthylène, dans l’éther formique et l’acétate de méthylène, dans les divers acides dont je viens de vous parler, la différence concerne les molécules élémentaires ; car il y a :

Ou des condensations diverses,

Ou des équivalents divers,

Ou des réactions chimiques diverses,

Ou des combinaisons diverses, ou bien des destructions diverses.

En un mot, la différence se maintient dans des combinaisons ou dans des produits de décompositions, ou bien même se trouve établie par la densité sous forme gazeuse, alors que le groupement des molécules composées n’a plus d’influence sur les propriétés du corps.

Dans tous ces cas, il faut se représenter les molécules élémentaires, comme existant toujours dans le même rapport, mais groupées dans un autre ordre et quelquefois en nombres différents. Ces molécules, pour nous servir de la comparaison faite par Leucippe il y a si longtemps, sont comme des lettres transposées, qui forment ainsi des mots tout différents. Il en est des arrangements nouveaux que prennent ces molécules comme de la transposition des lettres.

On connaît sous le nom d’isomérie cette modification de groupement entre les molécules élémentaires, d’où résultent des corps doués de propriétés chimiques tout à fait différentes avec une même composition fondamentale.

Dans les premiers temps où l’on a établi d’une manière certaine l’existence des corps isomères, on a prétendu limiter à deux le nombre des modifications isomériques. Mais vous voyez que c’était à tort, que rien en effet ne s’oppose à ce que les mêmes molécules se prêtent à des arrangements très-variés, et que nous en avons une preuve expérimentale bien irrécusable dans les bicarbures d’hydrogène, dont le nombre s’accroît pour ainsi dire tous les jours. Il faut donc aujourd’hui rejeter également les principes primitivement admis sur la nécessité de restreindre à deux, soit le nombre des variétés polymorphiques, soit celui des composés isomériques.

Voulez-vous produire des corps polymorphes, prenez des équivalents, c’est-à-dire des molécules composées complètes, et, sans altérer chacune d’elles en particulier, modifiez de diverses manières leur arrangement : il en résultera différentes masses, qui constitueront autant d’états différents de polymorphisme.

Voulez-vous, au contraire, avoir des corps isomères, agissez sur les atomes élémentaires eux-mêmes, et groupez-les diversement, de manière à former des corps dans chacun desquels les molécules composées soient le résultat d’un arrangement différent de ces atomes élémentaires.

Ainsi, en nous exprimant dans un langage qui sera peut-être mieux compris, modifiez dans un corps les effets de la cohésion, les variations appartiendront au polymorphisme. Modifiez les effets de l’affinité, vous donnerez naissance à un cas d’isomérie. En un mot, les différences par polymorphisme résident dans le groupement des molécules composées, qui d’ailleurs restent intactes, et les différences qui constituent l’isomérie atteignent le groupement des atomes élémentaires eux-mêmes.

Maintenant, si vous voulez admettre avec moi que les phénomènes chimiques sont satisfaits dès qu’on suppose que les masses qui représentent les équivalents aient des dimensions insensibles, et de plus que les masses équivalentes peuvent néanmoins renfermer encore des myriades d’atomes, vous concevrez que l’arrangement extérieur qui fait le polymorphisme, et l’arrangement intérieur qui fait l’isomérie, pourraient tout aussi bien se trouver dans les corps simples que dans les corps composés.

Nous avons déjà remarqué que le carbone et le soufre sont polymorphes. Il paraît en être de même du phosphore. Serait-il permis d’admettre des corps simples isomères ? Cette question, vous le voyez, touche de près à la transmutation des métaux. Résolue affirmativement, elle donnerait des chances de succès à la recherche de la pierre philosophale.

D’abord il est clair qu’on ne saurait faire une réponse positive. Pour prouver l’isomérie de deux composés, on les analyse et l’on constate l’identité des résultats. Or, quand il s’agit de corps simples, il n’y a plus d’analyse possible. Le seul moyen dont on puisse disposer serait donc de les transformer l’un dans l’autre, en changeant le mode d’agrégation de leurs plus petites particules, et l’on n’y est jamais parvenu.

Cependant on peut faire le raisonnement suivant. Dans tous les corps isomères on trouve des équivalents ou égaux, ou multiples, ou sous-multiples. En conséquence, si les corps simples ne présentent pas ce caractère, il n’y a pas d’isomérie parmi eux ; mais, si ce caractère existe pour quelques-uns d’entre eux, il sera possible qu’ils soient isomères. Il faut donc consulter l’expérience, et l’expérience, il faut le dire, n’est point en opposition jusqu’ici avec la possibilité de la transmutation des corps simples, ou du moins de certains corps simples. C’est ce dont vous pouvez juger par le tableau que je vous présente ici :

Bismuth 1330,4
2 at. Palladium 1331,7
Osmium 1244,2
Or 1245,0
Platine 1233,2
Iridium 1233,2
Molybdène 598,5
½ at. Tungstène 596,5
Cérium 574,7
½ at. Tantale 576,8
Zinc 403,2
Yttrium 401,8
½ at. Antimoine 403,2
Tellure 400,0
2 at. Soufre 402,3
Cobalt 368,9
Nickel 369,6
½ at. Étain 367,6

Vous y voyez, en effet, que le poids de l’atome du bismuth a été trouvé égal à 1330, et que le double du poids atomique assigné au palladium fait 1331,7 ; différence bien faible, puisqu’elle n’est que d’environ un sur mille, et rien n’est plus plausible que d’admettre qu’elle puisse prendre sa source dans quelque légère erreur d’observation, ou dans quelque impureté à peine sensible des produits employés à la détermination de ces poids atomiques.

Entre l’or et l’osmium vous remarquerez une différence du même ordre, et qui s’expliquerait facilement de la même manière.

Le platine et l’iridium offrent une ressemblance complète dans leur poids atomique. On trouve, suivant M. Berzelius, exactement le même poids de l’un ou de l’autre de ces deux métaux, dans leurs composés correspondants pris à poids égaux.

Comparez le poids atomique du molybdène avec la moitié de celui du tungstène, celui du cérium avec la moitié de celui du tantale, vous ne trouverez encore que des différences dont il serait fort peu surprenant que la cause résidât dans quelque erreur d’expérience.

Le groupe suivant vous offre jusqu’à cinq corps simples dont les poids atomiques entiers, ou doublés, ou dédoublés, ne diffèrent entre eux que de quantités fort petites. Vous voyez même que, parmi eux, on a trouvé pour le zinc exactement moitié autant que pour l’antimoine.

Enfin les différences que l’on remarque entre le poids d’atome du cobalt et celui du nickel, ou la moitié de celui de l’étain, sont encore d’un ordre de petitesse tel, qu’il est fort difficile d’en répondre.

Ces rapprochements me semblent fort piquants, et s’il n’en sort aucune preuve de la possibilité d’opérer des transmutations dans les corps simples, du moins s’opposent-ils à ce qu’on repousse cette idée comme une absurdité qui serait démontrée par l’état actuel de nos connaissances.