Leçons élémentaires de chimie agricole/Chapitre II

CHAPITRE II.

NUTRITION CARBONÉE DES VÉGÉTAUX.


L’atmosphère étant connue, nous allons étudier quels rapports elle a avec les plantes, et principalement avec la partie aérienne des plantes, tiges et feuilles.

Respiration générale des êtres vivants. — Pour arriver à une notion exacte des phénomènes, partons d’un cas particulier. Considérons un champignon, végétal de nature spéciale qui se développe sur les matières organiques en décomposition : une portion est invisible et se cache dans la masse nourricière qu’elle pénètre profondément, c’est ce qu’on appelle le mycélium. La partie visible qui porte les organes de reproduction, est la seule que nous voyons apparaître, et jadis on ne s’occupait que d’elle seule : c’est ce qu’on appelle vulgairement le champignon. Cette portion se trouve dans l’air ; comment s’y comporte-t-elle ?

Exactement comme un animal, elle respire, en absorbant l’oxygène de l’air et éliminant de l’acide carbonique et de la vapeur d’eau ; la seule différence, c’est que la respiration est ici continue et lente, au lieu d’être rapide comme chez les animaux supérieurs.

Quand nous respirons, nous recevons dans les poumons de l’oxygène, et nous ne le restituons pas tout entier ; une partie disparaît, et il apparaît à sa place un volume à peu près égal d’acide carbonique, en même temps qu’un peu de vapeur d’eau. Si on insuffle dans l’eau de chaux l’air qui sort des poumons, on voit immédiatement le liquide incolore se troubler parce qu’il se forme beaucoup de carbonate de chaux : l’air expiré contient cent fois plus d’acide carbonique que l’air atmosphérique. Ce gaz carbonique ainsi renvoyé par les poumons, provient des combustions effectuées par l’oxygène à l’intérieur des tissus.

Notre champignon agit de même, mais moins vite ; la fixation d’oxygène, le départ d’acide carbonique n’ont lieu qu’avec une certaine lenteur. Si nous supprimons l’oxygène autour d’un animal, celui-ci mourra bientôt asphyxié ; si nous l’enlevons au champignon, il mourra aussi, mais l’asphyxie sera plus longue à se produire.

La respiration est une véritable combustion ; c’est donc une destruction de matière, et dans le champignon qui nous occupe, cette destruction porte principalement sur des hydrates de carbone que l’oxygène transforme en acide carbonique et eau.

L’être vivant qui respire, consume donc sa propre substance, exactement comme une lampe qui brûle, et il arriverait un moment où, par le fait de cette consommation, l’être mourrait, si une nourriture compensatrice ne venait lui restituer ce qui a été brûlé.

Cette réparation, l’animal la trouve dans les aliments, qui ne sont autre chose que des matières animales ou végétales. Le champignon la puise par son mycélium dans la masse organique qui le supporte.

Végétation dans l’obscurité. — En est-il de même pour les végétaux ordinaires ? respirent-ils, et s’ils respirent, d’où tirent-ils le carbone nécessaire pour remplacer celui que l’acide carbonique a emporté ?

Prenons des grains de maïs ou des tubercules de pommes de terre : plaçons-les dans une cave chaude et humide, où n’arrivent pas les rayons solaires. Au bout d’un certain temps, nous les voyons germer et se développer en tiges longues et minces, toutes uniformément blanches. Si nous observons avec soin, nous trouvons que ces jeunes plantes respirent comme les champignons, comme les animaux : elles absorbent de l’oxygène et dégagent de l’acide carbonique.

Mais comme rien ne leur restitue le carbone, elles doivent consumer leur substance, et celle-ci doit diminuer constamment. C’est, en effet, ce qui advient ; dans une expérience de Boussingault, des graines de maïs renfermant 9 grammes de matière sèche, furent mises à germer dans l’obscurité : après quelques jours, le poids total de matière sèche s’était, dans les plantes nouvelles, abaissé à la moitié, 4gr5 : la respiration avait brûlé la plus grande partie des hydrates de carbone. Il est clair que dans ces conditions la vie ne pourrait se poursuivre.

Végétation à la lumière. — Ces jeunes plants incolores et maladifs ainsi abandonnés, ne tarderaient pas à périr ; mais portons-les dans un endroit humide, éclairé par les rayons du soleil, par exemple sous un châssis vitré bien exposé. Bientôt les tiges deviennent vertes, et si dès lors, à l’aide d’appareils spéciaux, nous étudions leur respiration, nous la trouvons complètement changée : cette fois l’acide carbonique est absorbé, et à sa place nous voyons apparaître le même volume d’oxygène. Le carbone n’est pas brûlé ; au contraire, une certaine dose se fixe sur la plante.

Le facteur nouveau, qui a subitement renversé le phénomène, est la lumière solaire ; grâce à elle, le végétal a produit tout d’abord une matière verte, et quand cette matière verte a été produite, l’insolation a déterminé la réduction de l’acide carbonique de l’air avec mise en liberté de l’oxygène.

Le phénomène dure autant que la lumière qui le cause ; il cesse avec elle. La nuit, la respiration normale qui absorbe de l’oxygène et dégage de l’acide carbonique, réapparaît et fonctionne régulièrement comme dans les animaux, comme dans les champignons : c’est là visiblement une fonction nécessaire, inhérente à tout être vivant, propriété commune à toutes les cellules vivantes.

La respiration normale est permanente dans la plante verte, mais le jour elle est dissimulée par la réaction particulière de la lumière solaire, qui réduit beaucoup plus d’acide carbonique que la plante n’en éliminerait seule, qui fixe beaucoup plus de carbone que la vie des cellules n’en consomme, et ainsi par l’intervention active des rayons diurnes, l’acide carbonique de l’air sera le principal élément de la nutrition végétale. Il convient de préciser un peu les conditions du phénomène.

La lumière verdit d’abord les plantes. — Toutes les plantes qui se développent dans l’obscurité sont incolores ou jaunâtres ; mais elles ne sont jamais vertes. Si on les éclaire par les rayons solaires, ou même par une lumière artificielle suffisamment intense, on s’aperçoit que la plupart verdissent et sont désormais capables d’absorber au soleil l’acide carbonique de l’air, dont elles fixent le carbone et éliminent l’oxygène.

Au contraire, les champignons et aussi les néottias, les orobanches, la cuscute ne verdissent pas ; aussi ils ne prennent jamais de carbone à l’air, et leur alimentation carbonée ne peut avoir lieu qu’à l’aide de matière organique déjà faite, végétaux en décomposition, pour les néottias et les champignons, végétaux vivants, pour les plantes parasites, telles que la cuscute, qui vit aux dépens de la luzerne, du trèfle, du chanvre.

L’apparition de la couleur verte est progressive : sans doute elle commence aussitôt que la lumière intervient ; pourtant elle est d’abord trop faible pour que l’œil puisse l’apercevoir. M. Van Tiegem a pu réaliser le verdissement par la seule clarté d’un bec de gaz ; mais il est alors beaucoup plus lent qu’à la lumière du jour, surtout qu’à la lumière directe des rayons solaires.

Les diverses radiations colorées dont la réunion constituent la lumière blanche, ne sont pas également actives pour déterminer le phénomène. Les rayons rouges et jaunes sont les plus efficaces ; les bleus ne conviennent pas du tout. Il faut donc éviter l’emploi des verres bleus dans la construction des serres.

Bien plus, les rayons bleus et violets, et encore davantage les rayons invisibles plus réfringents que le violet, les rayons ultraviolets, dont les propriétés photographiques sont si puissantes, sont non seulement inhabiles à former la matière verte, mais ils la détruisent, quand elle est déjà faite ; les feuilles vertes noircissent bientôt, quand elles subissent leur action.

L’arc électrique, qui est très riche en rayons violets et rayons obscurs photographiques, détermine le verdissement par ses rayons jaunes et rouges ; mais par ses rayons ultraviolets, il détruit la substance verte qu’il a produite. Pendant l’exposition d’électricité qui eut lieu à Paris, au palais de l’Industrie, en 1881, on fit des essais importants de culture à la lumière électrique ; les plantes qui pendant six jours consécutifs subirent les rayons directs d’un arc puissant, devinrent tout à fait noires sur tous les points qu’avaient atteints les rayons.

Mais, pour faire cesser cette influence désastreuse, il a suffi d’entourer l’arc d’un verre transparent : c’est que le verre, qui laisse passer tous les rayons utiles, arrête presque entièrement les rayons nuisibles photographiques.

La lumière solaire contient peu de ces rayons malfaisants, grâce surtout à l’atmosphère, qui joue vis-à-vis d’elle le même rôle que le verre transparent pour l’arc électrique.

Nature de la substance verte. — On a donné le nom de chlorophylle à la matière verte des végétaux. Elle se dissout dans l’alcool ou dans la benzine : la dissolution est verte par transparence, rougeâtre par diffusion. Les recherches récentes de M. A. Gautier ont établi la composition chimique de la chlorophylle : elle contient du carbone, de l’hydrogène, de l’oxygène et de l’azote, comme les matières albuminoïdes fondamentales de la cellule vivante.

Aussi la formation de la chlorophylle, et par suite le verdissement des plantes, n’est aisée, même en présence d’une vive lumière, que si ces plantes reçoivent du sol une alimentation azotée suffisante. Les engrais azotés poussent au verdissement ; c’est un fait connu depuis assez longtemps, et on peut de loin distinguer par la teinte les parties de culture verte ayant reçu des engrais azotés de celles qui en ont été privées : celles-ci sont toujours d’une nuance beaucoup plus jaunâtre.

Fixation du carbone par les plantes vertes. — Quand la plante a verdi, elle devient capable d’une fonction nouvelle. À la lumière, la plante verte, placée dans un milieu qui contient de l’acide carbonique, absorbe ce gaz et dégage un volume sensiblement égal d’oxygène.

Le milieu est habituellement l’air, qui contient invariablement une certaine dose d’acide carbonique. Mais il peut être aussi l’eau naturelle de rivière, d’étang, ou de mer, toujours plus ou moins riche en gaz carbonique dissous ; les plantes aquatiques, sous l’influence des rayons lumineux, absorbent ce gaz dissous, et, par un mécanisme analogue à celui des végétaux aériens, éliminent de même une quantité corrélative d’oxygène.

Les facteurs nécessaires du phénomène sont donc : la chlorophylle, l’acide carbonique, la lumière.

Action comparée des divers rayons. — Quand un rayon solaire tombe sur une feuille verte, il agit de diverses manières : une portion de la lumière est diffusée extérieurement sous forme de lumière verte, grâce à laquelle la feuille est visible ; une partie se transforme en chaleur obscure, qui élève la température des cellules ; le reste est absorbé par la chlorophylle et sert à accomplir le travail chimique, réduction de l’acide carbonique avec élimination d’oxygène.

Parmi les diverses radiations qui constituent la lumière blanche, quelles sont utiles, quelles sont inutiles ou même nuisibles ? Les rayons utiles sont visiblement ceux qui sont absorbés par la chlorophylle, et il est facile de savoir quels ils sont.

Sur le trajet d’un rayon de soleil, interposons un prisme de verre ; les rayons de couleurs différentes qui y étaient mélangés subissent, en traversant le prisme, des déviations inégales. Nous formons ainsi un faisceau étalé dont la teinte varie graduellement du rouge au violet, et qui, arrêté par un écran blanc, y fournit ce que nous appelons le spectre solaire : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet. En avant du prisme, sur le passage du rayon solaire, interposons une petite cuve à faces parallèles remplie d’une dissolution alcoolique de chlorophylle : nous allons voir que la chlorophylle arrête certains rayons, et, en effet, le spectre se trouve sillonné par plusieurs bandes obscures qui indiquent quelles couleurs ont été absorbées par la substance verte. Avec une épaisseur suffisante du liquide, nous trouvons une bande noire qui enlève l’orangé, puis, à partir du bleu, tout disparait ; il ne passe donc que des rayons rouges et des rayons jaunes et verts, surtout des rayons verts, ce qui est en effet la couleur dominante de la lumière transmise.

Le rouge et le vert traversent la chlorophylle sans s’y arrêter : ils sont inutiles pour l’action qui nous occupe. Les seuls rayons qui agissent sont précisément ceux qui sont absorbés, c’est-à-dire les rayons orangés et les rayons bleus.

Des expériences directes, effectuées avec des rayons colorés, ont montré que ces prévisions se vérifient rigoureusement. La fonction chlorophyllienne a lieu activement dans une lumière orangée ; dans une lumière verte, on n’obtient que des effets négligeables. Il faudrait donc se garder de couvrir une serre de verres verts, tandis qu’il n’y aurait pas grand inconvénient à la construire avec des vitres de couleur orangée.

La lumière solaire convient très bien pour déterminer l’action chlorophyllienne. Les lumières artificielles sont beaucoup moins favorables, parce qu’elles sont incomparablement moins intenses. Néanmoins, dans la vive clarté produite par des arcs électriques puissants, entourés par un verre transparent (qui arrête les rayons ultraviolets nuisibles à la chlorophylle), on a obtenu des fixations de carbone assez importantes. Dans des serres ainsi éclairées la nuit, la végétation se trouve notablement accélérée, et la culture florale pourra, sans doute avec quelques avantages, se servir de cet artifice pour activer la production.

Dans la lumière du gaz, le phénomène n’a pour ainsi dire pas lieu, ou plutôt ne peut être manifesté que par des méthodes d’observation fort délicates, parce que le dégagement d’oxygène est presque dissimulé par l’action inverse de la respiration générale.

Dose nécessaire d’acide carbonique. — Pour que la fonction chlorophyllienne s’exerce, il faut évidemment qu’il y ait dans l’air de l’acide carbonique, mais il ne faudrait pas qu’il y en eût trop. Ainsi, dans l’acide carbonique pur, le phénomène n’a plus lieu, même au soleil ; mais si on ajoute à ce gaz un autre gaz quelconque, azote, hydrogène, air, on voit aussitôt la réaction se produire.

Ces circonstances sont semblables à celles qui accompagnent l’oxydation spontanée du phosphore dans l’oxygène pur à la température ordinaire. Dans l’oxygène pur à la pression habituelle, le phosphore ne s’oxyde pas si la température est inférieure à 20°. Il ne s’entoure d’aucune fumée et ne dégage pas de lueur. Mais si on mélange à l’oxygène un gaz inerte quelconque, par exemple de l’acide carbonique, l’oxydation se manifeste aussitôt par les fumées et la lueur. Au contraire, un excès d’oxygène empêche le phénomène.

De même aux plantes vertes insolées il faut de l’acide carbonique, mais à une dose qui ne doit pas être trop grande.

Du reste, nous ne pouvons avoir de ce côté aucune inquiétude pratique. La quantité d’acide carbonique qui se trouve dans l’atmosphère est très faible ; nous savons qu’elle ne s’élève pas, et nous n’avons pas à craindre qu’elle arrive à un taux gênant pour la nutrition végétale. Nous concevrions plutôt la crainte inverse, qu’il n’y en ait pas assez.

Le phénomène est très rapide. — On ne voit pas très bien, a priori, comment les poids minimes de gaz carbonique qui se trouvent dans l’air, suffisent à introduire ce gaz dans la plante pour servir à sa nourriture. 100 mètres cubes d’air ne contiennent que 30 litres d’acide carbonique, soit seulement . Ces traces de matière pourront-elles, comme nous le disons, être saisies et utilisées par les végétaux ?

L’expérience répond ici de la façon la plus positive. Disposons au soleil deux longs tubes de verre identiques : l’un est rempli de feuilles vertes, l’autre ne contient que de l’air. À travers ces deux tubes, à l’aide d’aspirateurs marchant avec la même vitesse, faisons passer de l’air, de telle sorte qu’au sortir de chaque tube, l’air qui l’a parcouru, barbote dans de l’eau de chaux bien claire.

On voit très promptement l’eau de chaux se troubler du côté du tube vide, ce qui indique la présence d’acide carbonique dans l’air atmosphérique qui l’a traversé. Mais du côté du tube garni de feuilles, l’eau de chaux a conservé toute sa limpidité : ceci prouve que tout l’acide carbonique qui se trouvait dans l’air a été retenu par les feuilles, qui l’ont remplacé par un volume équivalent d’oxygène. Ce gaz était pourtant dilué dans une masse considérable ; néanmoins l’absorption a été complète.

Dans l’obscurité, l’eau de chaux se troublerait de part et d’autre et accuserait même une dose plus grande d’acide carbonique du côté des feuilles, parce que le gaz dégagé par la respiration normale viendrait s’ajouter à celui de l’air. Il en serait de même au soleil si nous supprimions la fonction chlorophyllienne par un procédé convenable, par exemple en mélangeant à l’air des vapeurs de chloroforme qui paralysent l’action spéciale de la substance verte.

Cette fixation rapide de l’acide carbonique, malgré sa rareté dans l’air, ne peut guère s’expliquer que par une propriété particulière des surfaces absorbantes des feuilles ; il est probable qu’elles se laissent traverser beaucoup plus aisément par l’acide carbonique que par les gaz dominants de l’air, oxygène, azote, et sans doute cette facilité de passage compense sa faible quantité.

À travers de petites ouvertures, un gaz pénètre plus vite s’il est plus léger. Si l’introduction d’acide carbonique dans les tissus verts avait lieu par de petits trous, elle serait donc assez lente, puisque ce gaz est notablement plus lourd que l’air.

Mais, en réalité, le passage a lieu au travers de membranes qui ont quelque analogie avec le caoutchouc. Or, le caoutchouc se laisse traverser par les gaz avec des vitesses tout à fait spéciales ; l’acide carbonique est celui qui passe le plus vite. À pression égale, il passe quatorze fois plus rapidement que l’azote ; on conçoit donc que, si les surfaces végétales se comportent comme le caoutchouc, l’acide carbonique, malgré la très faible pression propre qu’il possède dans l’air, les franchira assez promptement. Cette analogie entre le caoutchouc et les membranes des feuilles vertes pour les échanges gazeux a été l’objet de recherches directes de notre regretté collègue Barthélémy, et l’expérience a paru la confirmer assez exactement.

Atmosphère riche en acide carbonique. — La fixation de carbone serait-elle plus rapide si la proportion de l’acide carbonique dans l’air était un peu moins faible ? La végétation serait-elle plus prospère dans une atmosphère enrichie de gaz carbonique ? Gagnerait-on dans la pratique à réaliser cet enrichissement ?

Il est assez difficile de répondre avec certitude. La chose, toutefois, paraît probable, et il y a lieu de penser que la végétation de la période houillère, qui a immobilisé dans la terre de si grandes quantités de carbone, s’est développée dans une atmosphère plus riche en gaz carbonique, et par conséquent plus favorable à l’activité végétale.

Cependant, certains essais de culture institués dans des serres où l’air était enrichi d’acide carbonique n’ont donné que des résultats négatifs ; les plantes, loin de s’accroître plus vite, ont souffert, et MM. Déhérain et Maquenne ont conclu que l’accroissement de gaz carbonique était plutôt défavorable. Toutefois, les conditions de ces expériences ont été trop spéciales pour qu’il soit permis d’en tirer une conclusion générale[1].

Mode de fixation du carbone. — L’acide carbonique qui a pénétré dans les organes verts de la plante se fixe sans doute sur la chlorophylle ; par l’intervention de la lumière, sa réduction a lieu ; de l’oxygène est mis en liberté, remplacé par une nouvelle quantité d’acide carbonique, et ainsi de suite, tant que l’illumination solaire continue.

Sous quelle forme reste le carbone ? Ce n’est pas certainement sous forme de charbon ; jamais il ne se montre à l’état libre ; mais, au fur et à mesure, il se combine avec l’eau pour produire des hydrates de carbone, amidon, glucose, dextrine, cellulose, si abondants dans la constitution des plantes. L’insolation fait apparaître l’amidon dans les cellules à chlorophylle, et le microscope permet en quelque sorte d’assister à la formation des grains solides de cette substance au sein du milieu liquide de la cellule.

La sève brute, très riche en eau, qui monte du sol vers les feuilles, contient avec l’eau une certaine quantité de composés minéraux, et spécialement des nitrates ou des sels ammoniacaux qui, au contact des hydrates de carbone, forment des substances nouvelles, et, en particulier, ces matières complexes dites albuminoïdes nécessaires à la vie de tous les êtres.

La sève, débarrassée de son excès d’eau par la transpiration des feuilles, redescend dans les parties inférieures de la plante et leur apporte la nourriture élaborée par l’action chlorophyllienne.

Nutrition carbonée issue du sol. — L’acide carbonique aérien réduit par les plantes vertes est-il la seule source où ces plantes puisent leur carbone ?

Ne peuvent-elles pas en emprunter au sol, soit directement sous forme de matière organique carbonée ou même azotocarbonée, immédiatement absorbée par les racines, soit indirectement sous forme d’acide carbonique qui, dissous par la sève ascendante, arrive avec elle dans les feuilles et y subit l’action chlorophyllienne ?

C’est là une question dont l’importance est visible, non seulement du côté théorique, mais encore au point de vue de la pratique agricole. Les engrais carbonés apportent-ils aux récoltes une source abondante d’alimentation carbonée ?

Les avis sont assez partagés sur ce sujet. Quelques-uns croient que la matière carbonée du sol ne sert jamais à fournir du carbone à la plante verte : l’acide carbonique de l’air y suffit seul.

D’autres, au contraire, avec Boussingault, estiment que la matière organique de la terre fournit par sa combustion lente, du gaz carbonique qui, charrié jusqu’aux feuilles par les sucs végétaux, y est réduit par la chlorophylle sous l’influence de la lumière.

Certains savants pensent que la substance organique du sol arable peut directement être absorbée par les racines et concourir tout de suite à la nutrition des végétaux. C’est ce qui a lieu visiblement pour les plantes sans chlorophylle non parasites. Le sol sur lequel vivent les champignons est toujours pourvu de débris végétaux en décomposition ; c’est dans leur substance qu’ils puisent leur nourriture. La néottia, plante sans chlorophylle de la famille des orchidées, vit de la même façon. Il semblerait assez difficile d’admettre que ce genre de nutrition n’existe jamais dans les plantes vertes[2].

Quoi qu’il en soit, et c’est là un point bien établi qui diminue beaucoup l’importance pratique de ces désaccords scientifiques, la nutrition carbonée des plantes vertes, à partir de la matière organique du sol, est, si elle existe, peu importante ; c’est presque exclusivement par la réduction de l’acide carbonique atmosphérique que ces plantes se nourrissent de carbone.

Ce qui le prouve bien, c’est qu’il est impossible pour un végétal vert de vivre et de se développer dans une atmosphère privée d’acide carbonique, alors même que le sol contiendrait beaucoup de matières organiques. Une plante verte placée sous une cloche, à côté de chaux éteinte qui absorbe tout l’acide carbonique, jaunit, perd ses feuilles et ne tarde pas à périr.

Travail de l’énergie solaire. — Nous venons de voir que le carbone des végétaux leur vient à peu près tout entier de l’acide carbonique contenu dans l’atmosphère. Cet acide carbonique, composé chimique très stable, que peuvent à peine ébranler les plus puissants moyens de destruction que possèdent nos laboratoires, les végétaux le réduisent facilement sous l’action de la lumière. La radiation solaire accomplit là un gigantesque travail chimique, l’énergie s’emmagasinant ainsi dans les végétaux en quantités énormes. C’est cette énergie, dissimulée provisoirement dans la matière des plantes, que nous faisons reparaître en l’utilisant sous forme calorifique, quand dans nos foyers ou dans ceux de nos machines nous brûlons les végétaux ou les charbons fossiles qu’ils ont formés jadis. C’est elle aussi qui reparaît, lorsque l’animal, qui avant tout est un organisme d’oxydation, se nourrit du végétal et consume sa matière, engendrant par elle de la chaleur et du mouvement. Les combustions, la respiration régénèrent l’acide carbonique, et de nouveau l’énergie solaire le reprendra pour se fixer sur la plante avec le carbone qu’il renferme.

Le règne végétal nous apparaît donc comme un accumulateur immense, où l’énergie solaire s’enferme peu à peu et demeure dans la suite à la disposition de l’homme et des animaux.

  1. Voir la note de la page 25.
  2. Certaines expériences sur la culture des betteraves, récemment publiées par M. Débérain, sont favorables à cette utilisation directe de la matière carbonée de la terre.