Lays (Christine de Pisan)/II
LAY[1]
Se je ne finoye de dire
Et d’escripre,[2]
Je ne pourroie souffire,
Amis, pour louer assez,
En cent ans voire passez,[3]
Vostre bonté, n’a descripre
Vo beaulté ou l’en se mire,
N’a redire
N’y a, si sont amassez
En vous tous biens entassez
Ou grâce et honneur se tire.
N’il n’est royaume n’empire
Ou eslire
On peüst tel, n’oÿ lire
N’ay des vaillans trespassez[4]
Tant de bien, vous effassez[5]
Leur grant vaillance, beau sire ;[6]
Car le monde se remire
Et désire
Vous qui tous vices cassez
Ne du bien n’estes lassez
Nul temps, n’on n’en puet mesdire.
Et quant vous estes si parfait
Que chascun loe vostre fait
Et dit que vous n’avez pareil
Ne qu’oncques nul n’y vid meffait,[7]
Mais cil qui les despris reffait,
Plein de sens et de bon conseil
Enluminant com le soleil
Qui toutes ténèbres deffait,
Et ou prouece a son recueil,
La porte de joye et le sucil
Et cil qui les nobles reffait.[8]
Ne vous doy je de cuer parfait
Amer et m’esjoïr de fait
D’avoir ami si a mon vueil,
Bon, noble et preux, qui het tort fait,[9]
Ne qui n’a riens de contrefait,
Bel, jeune et doulz, plaisant a l’ueil,[10]
Franc, courtois et de doulz accueil,
Si bon que ou monde n’a si fait
Humain, très humble, sanz orgueil ;[11]
Si puis dire, nul n’en ait dueil.
Cil qui tout bien met a effait.
Et se m’amour vous doy nommer
N’ami clamer
Et reclamer,
Sachiez que j’en fais mon devoir
Si bien qu’on ne m’en doit blasmer ;
Car affermer
Et confermer
Amours a fait par estouvoir
Mon cuer en vous, si que mouvoir
Pour nul avoir
Cellui vouloir[12]
Je ne pourroie. Ains a la mer[13]
Osteroie trestout l’amer ;
Doulçour avoir,[14]
Et remouvoir
Li feroie et s’iaue toloir[15]
Entièrement, et reprimer
Son flo que l’en voit escumer,[16]
Toute semer[17]
Et enflammer
S’arene, et que fable fust voir,
Le monde de nouvel former,
Fondre, entamer[18]
Et refformer
Pierres dures, et feu plouvoir,
Les estoilles toutes ardoir,[19]
Que main fust soir,[20]
Sans desmouvoir
Tout l’umain siècle consommer,
Paistre le monde, et affermer
Et apparoir
Que blanc fust noir
Feroie, ainçois que desmouvoir
Me peiisse de vous amer.
Car vous estes la joye[21]
Qui me resjoye[22]
Et avoye
A tout bien,
Ne sanz vous ne pourroie[23]
Et ne vouldroie[24]
Ne saroie
Valoir rien,
Et pour ce a vous emploie[25]
Toute et ottroye
L’amour moye ;
Car sçay bien
Que vous estes la voie[26]
Qui me ravoie,[27]
Ne m’esjoye
Aultre rien,
Et c’est ce qui m’apoye
Ou que je soye.
Mais que voie
Vo maintien.
Si n’en cuide estre deceüe[28]
Car je me suis apperceüe
Que vous m’amez de cuer entier ;
Car par long temps m’avez sceüe
Et quant j’ay bien l’amour sceüe,
Qui n’est pas depuis avantier
Encommenciée, et que mestier
Vous estoit que fust receüe
Vostre amour ou pou exploitier
Postés long temps par nul sentier,
Lors fu vostre amour conceüe
En moy qui si bien m’a sceüe
Que mon cuer de joye est rentier.
Car par seulement la veüe
Avoir de vous je suis peüe
De quanque on pourroit souhaidier
D’autre bien, car j’ay esleüe
Ma joye en vous, chose est deüe[29]
De vous amer, c’est doulz mestier
Ou l’on apprent a accointier
Tout honneur ; si suis pourveüe
D’ami loial, au mien cuidier.
Qui de moy fait tout mal vuidier.
S’en lo Amour par qui eüe
Ay vostre amour et qui meüe
M’a a l’amer encommencier.
Et puis qu’Amours nous a joins
Ensemble et conjoins,[30]
Soient noz soins,
Et près et loings,
Amis, de loiaument
Nous entr’amer et tous besoins
Et tous amers poins,
Se sommes poins
De durs poins,[31]
Nous porterons doulcement[32]
Et vivrons joyeusement[33]
Et très liement
Gaiement
Car nous serons enoins
De doulz espoir qui fermement[34]
Et très purement[35]
Finement
Nous soustendra a ses poins.
Et d’ainsi nos jours user
Sanz mal user
Nulz ne pourra accuser[36]
De nul meffait nostre vie,
Ne sur nous nul mal causer
Ne gloser,
Car sur nul n’arons envie
Ne vouloir d’autre encuser[37]
Pour nous excuser.
Car de tous poins assouvie
Leesce en nostre penser
Sera, par quoy ert ravie,
Sanz nul offenser,
Tristece qui gent dévie.
De nous, qui fausser
Ne voulons, ainçois plevie,
Sanz nul jour cesser,
Avons foy vraye assouvie.[38]
Et pour tant se mesdisans
Pour nous grever
Vont disant leurs moz cuisans
Par controuver
Ne devons pas estre aver
Des trésors doulz, advisans,[39]
Qu’Amours aux amans trouver.
Par esprouver,
Fait sur tous biens reluisans,
Et qui sauver
Pevent de tous maulz nuisans
Sanz emblasver.
Si n’en soions pas exans ;
Pour quoy laver
ous en devons, quant lever
En joye plus de dix ans
Nous puet li moins souffisans
Des biens, prouver
Le puis par tous poursuivans,
Sanz controuver.
Et s’en contrée longtaine
Vostre noblece vous meine
Et la prouece haultaine,
Qui vo noble cuer demeine,
Ce me sera moult grant peine ;
Mais je prendrai reconfort
En ce que je suis certaine
Que de vraie amour certaine,
Plus qu’aultre chose mondaine,
Ne que Paris belle Heleine,
Comme dame souveraine,
M’amez de tout vostre effort.
Et combien que de dueil pleine
Seray nuit, jour et sepmaine,[40]
Et tout le temps triste et vaine,
Sanz estre lie ne saine,
En pire point qu’en quartaine,
Ce me soustendra au fort
Que, se Dieux tost vous rameine,
Oncques si joyeuse estraine
N’ot dame, noble ou villaine,
Com j’aray, ne chastellaine,
Quant tendray en mon demaine
Vous que j’aim sur tous très fort.
Si vous pri, ma vraye amour,
Ma doulçour,
Mon bien, ma paix, ma vigour,[41]
Mon retour,
La riens que j’aime le mieulx,
Qu’en tous lieux
Gay, jolis, joieux tousjour,
Sanz mal tour,[42]
Soyez et plein de baudour,
Pour m’amour ; car se m’aist Dieux,
Pour vous sera mon atour
Par honnour
Gay, jolis, gent et joyeux.
Si me tendray sanz tristour
Ne doulour ;
Car voz amoureux bcaulz yeulz
Tous mes dieux
Gariront par leur vigour.
De vous venrti la savour
Par quoy mes jours seront tieulx.
Amis, de mes maulx le mire,[43]
Qui sanz yre
Me tenez et sanz deffrire,
De qui les grans biens tauxes
Ne pourroient ne pensez
Estre, car tout lire a tire
Vostre bon cuer les atire,
- Ou remire
Ont tous ceulx qui oppressez Sont et de dueil empressez
- Cui martire ;
Et le mal qui les empire[44]
- Et fait frire[45]
Confortez par vo doulz rire[46] Qui le mien cuer enlascez.[47] Je vous pri ja ne cessez D’estre en l’amoureux navire Qui vers toute joye tire[48]
- Et n’empire,
Ne ja ne vous en lascez,[49] Et vous serez surhaulcez Sur tous bons sanz contredire.
- ↑ Lay. — Titre B1 Autre lay
- ↑ — 2 B Ne
- ↑ — 5 omis dans A1
- ↑ — 15 A N’ay de v.
- ↑ 16 A T. de b. certes beau sire
- ↑ — 17 A1 vers rayé
- ↑ — 26 qu’ manque dans A2 — B Et qu’o. n. ne v.
- ↑ — 33 B Et des nobles le plus parfait
- ↑ — 37 B omet et
- ↑ — 39 B omet et
- ↑ — 42 B h. et s. o.
- ↑ 55 omis dans B
- ↑ — 56 B Ne l’en p. A. de la m.
- ↑ — 58 à 60 B:
Et doulçour luy feroye avoir
Et remouvoir
Son cours et son eaue toloir - ↑ — 60 et 61 A2 Sa nature par droit devoir — S’on veult bien chanter et rimer. — 61 omis dans B
- ↑ — 62 B Et s. f. qu’on v.
- ↑ — 63 à 66 B :
Retondroye et poissons armer
Et enflammer
Toute et semer
L’arène et que fable fust voir - ↑ 67 A1 Souldre e. — 67 à 73 B ;
Tout le monde en un gant fermer,
Fondre, entamer
Et refformer
Pierres dures, et feu plouvoir,
Les estoilles faire former,
Toutes sciences concevoir.
Les mors ravoir - ↑ — 70 A2 t. frimer
- ↑ — 71 à 76 A2 ;
Et extimer
Sans reprimer,
Toutes sciences concevoir
Et tout humain siècle affamer,
Le ciel fermer
Sans deffermer - ↑ — 79 B C. v. e. la voye
- ↑ — 80 B Q. me ravoye
- ↑ — 83 A2 Et s.
- ↑ — 84 B Ne ne v.
- ↑ 87 B en b. e.
- ↑ — 91 B Q. v. e. la joye
- ↑ — 92 B Q. me resjoye
- ↑ — 99 B Si ne c.
- ↑ 116 B Ma gloire
- ↑ — 126 A E. et joins
- ↑ — 133 omis dans A2
- ↑ — 134 A1 N. p. très d.
- ↑ — 135 omis dans A
- ↑ — 139 A De d. penser q. finement
- ↑ — 141 omis dans A
- ↑ 145 B1 accoisier
- ↑ — 150 A accuser
- ↑ — 160 B ajoute Senz jamais fausser
- ↑ — 166 A d. et a.
- ↑ 194 B n. et j. et s.
- ↑ 207 A1 viguour
- ↑ — 212 omis dans B
- ↑ — 225 A1 de m. yeulz le m.
- ↑ 236 A q. l. fait firre
- ↑ — 237 omis dans A
- ↑ — 238 B p. voz d. r.
- ↑ — 239 A2 Et le
- ↑ — 242 B v. t. j. vire
- ↑ — 244 Ne jamais jour ne faussez