Les Chauves-souris
Georges Richard (p. 63-64).

XXII

LAUS NOCTIS

La nuit, pour rafraîchir la nature embrasée,
De ses cheveux d’ébène exprimant la rosée,
Pose au sommet des monts ses pieds silencieux.

L.

 
Le mystère des nuits exalte les cœurs chastes ;
Ils y sentent s’ouvrir comme un embrassement
Qui, dans l’éternité de ses caresses vastes,
Comble tous les désirs, dompte chaque tourment.

Le parfum de la nuit enivre le cœur tendre ;
La fleur qu’on ne voit pas a des baumes plus forts ;
Tout sens est confondu : l’odorat croit entendre ;
Aux inutiles yeux, tous les contours sont morts.

L’opacité des nuits attire le cœur morne ;
Il y sent l’appeler l’affinité du deuil ;
Et le regard se roule aux épaisseurs sans borne
Des ombres, mieux qu’aux cieux où toujours veille un œil !

Le silence des nuits panse l’âme blessée ;
Des philtres sont penchés des calices émus
Et, vers les abandons de l’amour délaissée,
D’invisibles baisers lentement se sont mus.

Le calme de la nuit rassure le cœur triste ;
Il y sent déferler comme une charité
Pour tout ce grand orgueil qui, tout le jour, persiste ;
Mais qui n’ose fléchir que dans l’obscurité.

Le charme de la nuit éclaire l’âme sombre ;
Elle y voit mieux en elle au déclin des clartés ;
Elle y sent mieux en soi s’éveiller la pénombre
Où sommeillaient encor les saintes vérités,

La bonté de la nuit caresse l’âme veuve ;
L’isolement de tout la reconnaît pour sœur
Et, comme un hyménée, à la tendresse neuve,
Des ténèbres émane et sort de la noirceur.

Pleurez dans ce repli de la nuit qui soupire,
Vous que la pudeur fière a voués à l’œil sec,
Vous que nul bras ami ne soutient ou n’attire,
Pour l’aveu des secrets… pleurez ! pleurez avec

Avec l’étoile d’or que sa douceur argente,
Mais qui veut bien, là-bas, laisser ce coin obscur,
Afin que l’œil tari, d’y sangloter s’enchante
Dans un pan du manteau qui le cache à l’azur !