Michel Lévy frères, libraires éditeurs (p. 229-230).
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LIX


Juliette, il va partir… Lucie m’apprend le retour de M. Billing. Il arrive de Londres, et apporte à James une lettre de milord Drymer. Cette lettre lui promet le pardon de son père, s’il consent à accepter la main de la fille du duc de Wereford… Il cède aux instances de sa famille ! à l’ambition peut-être… et sûrement il ne presse son départ que pour jouir plutôt du bonheur qui l’attend !… Vois, à quel point se sont ranimées les forces de mon âme ! j’ai appris cette nouvelle avec calme. Son absence, me suis-je dit, m’aidera à le chasser plutôt de ma pensée… Ma fille ne recevant plus ses caresses, cessera de m’en parler… et si sa sœur va bientôt le rejoindre, rien ne me le rappellera… Je vais donc retrouver le repos… mes jours ne seront plus troublés par la crainte, ni par la douleur de voir s’évanouir de vaines espérances… mon cœur n’éprouvera plus ces tumultueux battements qu’il ressentait à son approche, et mes larmes vont s’arrêter… Mais, d’où vient qu’en ce moment un froid mortel me glace ?… ma main tremble… je respire à peine… la fièvre me saisit… elle est une suite naturelle des fatigues qui m’ont accablée depuis quelques jours… je vais me reposer… dans peu je serai en état de continuer cette lettre, et de répondre à la tienne… j’ai besoin de la relire… je ne me souviens pas de ce qu’elle contient… je n’ai plus une idée…


À 6 heures…

M. Billing sort de chez moi… il accompagne James à Londres… et leur départ est fixé à demain matin… Demain nous serons séparés pour jamais… il me semble que ce malheur doit être le dernier pour moi. Crois-tu, Juliette, que je puisse exister sans lui ?… Oh ! mon Emma, pardonne-moi cette affreuse pensée !… quel est donc l’ascendant de ce fatal amour, s’il peut inspirer un instant à l’âme d’une mère le barbare projet d’abandonner son enfant !… mais tout sentiment de vertu n’est pas éteint dans mon cœur… le souvenir de Henri y règne encore… je vivrai pour sa fille ; je vivrai pour me punir de lui avoir préféré un ingrat !… et si mes forces n’égalent pas mon courage, c’est toi qui me remplaceras près d’elle, c’est toi qui lui diras : « Ta mère avait juré de te consacrer sa vie, le ciel n’a pas voulu la prolonger ; mais si son âme lui survit, la mort n’aura rien changé à sa tendresse pour toi !… »

Adieu, je ne puis achever…