Michel Lévy frères, libraires éditeurs (p. 196-197).


XLVIII

l’abbé de Cérignan à Caroline.


Tu te plains, Caroline, tu veux mourir, et le bonheur de ton amant ne suffit plus au tien ? Ne l’as-tu enivré du charme de te posséder que pour mieux l’accabler du chagrin de te perdre ? Mais, non, je lis mieux que toi dans ton cœur ; je rends justice à ton amour. Tu ne choisiras pas le moment où la nature vient ajouter un nouveau lien à ceux qui nous unissent, pour me livrer à d’éternels regrets. Si tu pouvais en concevoir l’idée, c’est alors que les remords assiégeraient ton âme, et qu’il ne te resterait plus rien pour braver le mépris. Je prévois, ainsi que toi, le danger qui nous menace. Il est cruel, inévitable : Mais devons-nous l’aggraver par un sacrifice plus douloureux encore, et nous abandonner au désespoir avant d’oser tenter un moyen de nous y soustraire ! Écoute, ô ma divine amie ! j’en sais un infaillible ; si tu mets à l’exécuter autant de courage qu’il m’en faut pour te le proposer, nous sommes sauvés tous deux. — Sir James est malheureux… Il t’inspira quelque temps une douce pitié… dis un mot et il revient près de toi… tu devines le reste ;… enfin choisis entre le déshonneur et la contrainte, et préfère les intérêts de notre amour à ceux d’une vaine considération. Ta réponse fixera notre sort… Je l’attends en tremblant. Caroline, ne prolonge pas plus longtemps mon inquiétude. Apprends-moi bientôt qu’il m’est encore permis de te serrer contre mon cœur, et de te consacrer ma vie.


La première de ces lettres m’était adressée, et l’autre a été trouvée par Lise dans la chambre de Caroline le jour de son départ. Je les ai copiées cette nuit, et les ai envoyées sur-le-champ à Frédéric. Juge, d’après l’impression qu’elles le feront, de celle qu’en recevra ce malheureux frère.