Lassitude (Maurice Maeterlinck)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 218).


Lassitude


Ces baisers épuisés sont calmes et moroses ;
Ils ont perdu leurs lys, leurs torches et leurs roses.
Ces baisers ne sont plus des lions ou des loups,
Mais des troupeaux très lents, indolents et très doux,
Qui se traînent à peine et mornes dans les plaines
Lointaines de leur rêve, et dont les brebis, pleines
De lassitude blanche, entre-closent les yeux
Et voudraient bien mourir en voyant que les cieux
Et les flammes des cieux ne sont plus à leur place
Et que la lune luit sous elles dans l’eau lasse.

Ils ne savent plus où se poser, ces baisers,
Ces lèvres sur des yeux aveugles et glacés ;
Désormais endormis dans leur songe superbe,
Ils regardent rêveurs, comme des chiens dans l’herbe,
La foule des brebis grises, à l’horizon,
Brouter le clair de lune épars sur le gazon,
Aux caresses du ciel, vague comme leur vie,
Indifférents et sans une flamme d’envie
Pour ces roses de joie écloses sous leurs pas
Et ce long calme vert qu’ils ne comprennent pas