Laodamie, reine d’Épire

ACTEURS.

LAODAMIE, Reine d’Épire.

NERÉE, ſa Sœur.

GELON, Prince de Sicile.

SOSTRATE, Prince d’Épire.

PHÉNIX, Miniſtre d’État.

MILON, Confident de Soſtrate :

ARGIRE, Confidente de la Reine.

PHÈDRE, Confidente de la Princeſſe.

La Scene eſt à Buthrote, Capitale d’Épire.

LAODAMIE,
REINE D’ÉPIRE.

TRAGÉDIE.

ACTE I.


Scène PREMIÈRE.

LA REINE, LA PRINCESSE, ARGIRE.
LA REINE.

Allez, ma Sœur, allez, laiſſez-moi ma triſteſſe,
En vain à l’adoucir votre amitié s’empreſſe.
À de ſi tendres ſoins je ſçais ce que je dois

Mais il n’eſt que des pleurs & des malheurs pour moi.

LA PRINCESSE.

Madame, vous voyez le bonheur de vos armes,
La victoire pour vous peut-elle être ſans charmes ?
Celle que maintenant on vient de remporter
Ne peut-elle du moins un moment vous flatter ?
Ces chants qui dans ce jour font retentir l’Épire,
Condamnent les chagrins dont votre ame ſoupire.
Qui pourroit plus que vous voir ſes vœux ſatiſfaits ?

LA REINE.

Il eſt vrai : mais le ſort par ſes triſtes bienfaits
Hâte l’inſtant fatal au reſte de ma vie,
Où ſous de dures loix je dois être aſſervie.
Attale qui revient en ſuperbe vainqueur,
Va preſſer un himen où s’oppoſe mon cœur ;
J’y ſouſcris cependant, & mon Sceptre demande
Que le bras d’un époux l’appuye & le deffende.
Les fiers Ætoliens à ma perte animés,
Tiennent depuis long-tems tous nos Peuples armés ;
Il faut leur oppoſer une puiſſance égale :

Mon Pere m’ordonna le triſte hymen d’Attale.
Prince de Péonie, allié des Romains,
Il crut qu’il maintiendroit le ſceptre dans mes mains :
Et ſi je n’obéïs, moi-même je m’attire
Des ennemis nouveaux qui menaſſent l’Épire.
Je m’immole, & mon cœur peut-il ne ſentir pas
Ses malheurs attachés au bien de mes États ?

LA PRINCESSE.

Si l’ordre ſouverain du feu Roi notre Pere,
Si des raiſons d’État, la contrainte ſévere,
Ne vous permettent pas de prendre un autre époux,
Madame, ce devoir va devenir plus doux.
Maintenant que ce Prince eſt couvert de la gloire
Que ſur l’Ætolien lui donne la victoire,
Daignez enviſager que de ſi grands exploits
Auroient pû mériter l’honneur de votre choix.

LA REINE.

Hé bien ! s’il a rendu ſon nom ſi redoutable,
Je le verrai plus fier, & non pas plus aimable,
Me demander ma main avec plus de hauteur,
Sans avoir mieux trouvé le chemin de mon cœur.
Cette férocité qui regne en ſon courage,
Son génie inquiet & toujours plein d’ombrage,

Révoltent contre lui ce cœur infortuné,
Qu’à vivre ſous ſes loix le Ciel a condamné.
Et n’avez-vous pas vû quel penchant le domine ?
Le Prince de Sicile à qui je vous deſtine,
Déja par mille exploits redoutable & fameux,
Prêtoit trop de ſecours à nos deſtins heureux.
Attale, que bleſſoit ſa haute renommée,
N’a pû voir plus longtems ce Rival dans l’armée ;
Et pour lui dérober des triomphes certains,
Il nous l’a renvoyé ſous des prétextes vains.
Quel indigne motif ! quelle extrême injuſtice !
Et qu’avec lui l’hymen doit m’être un dur ſupplice !

LA PRINCESSE.

Madame, que je ſens ce que vous endurez !
Que je plains vos malheurs !

LA REINE.

Que je plains vos malheurs !Ah ! vous les ignorez.
Votre cœur juſqu’ici n’a que l’expérience
D’un amour mutuel heureux dès ſa naiſſance,
Que rien n’a traverſé, qui ne peut à vos vœux
Offrir qu’un avenir encore plus heureux.
D’un bonheur ſi charmant remplie & poſſédée,
Comment de mes malheurs prendriez-vous l’idée ?

LA PRINCESSE.

Un des plus forts liens qui m’attachent à vous,

C’eſt ce même bonheur ſi tranquile & ſi doux.
Je tiens de vous, Madame, il m’en ſouvient ſans ceſſe,
Le Prince de Sicile & toute ſa tendreſſe.
Gelon encor guerrier & ſans attachement,
Eſt par votre heureux choix devenu mon Amant.
Vos ordres de ſon cœur m’envoyerent l’hommage ;
L’amour bientôt, l’amour acheva votre ouvrage.
Il ſerra ces doux nœuds commencés par vos ſoins.
Mais, Madame, mon cœur ne vous en doit pas moins ;
Et ma tendre amitié pour vous ſe fortifie,
Plus cet amour répand de charmes ſur ma vie.

LA REINE.

Goutez, ma Sœur, goutez ces charmes innocens,
Et n’éprouvez jamais les ennuis que je ſens ;
Un ſi triſte entretien vous contraint & vous gêne ;
Laiſſez-moi me livrer au chagrin qui m’entraîne :
Cette melancolie a trop peu de rapport
Aux charmantes douceurs qui comblent votre ſort.
Allez, delivrez-vous…

LA PRINCESSE.

Allez, delivrez-vous… Madame, quelle injure…

LA REINE.

Non, de votre amitié, ma Sœur, je ſuis trop ſure ;
Mais je ſens malgré moi redoubler mes ennuis,
Il faut de la retraite en l’état où je ſuis.


Scène II

LA REINE, ARGIRE.
ARGIRE.

Quoi ! d’une Sœur aimée avec tant de tendreſſe,
Madame, en ce moment la préſence vous bleſſe ?

LA REINE.

Te l’avoûrai-je, hélas ! mais que puis-je cacher,
Quand je vois mes malheurs de leur comble approcher ?
Apprens donc à quels maux je vais être livrée.
Tu ſçais quelle amitié m’unit avec Nerée ;
Mais, Dieux ! bientôt Gelon épouſe cette Sœur,
Et Gelon en ſecret eſt maître de mon cœur,

Par le dernier traité d’Alexandre mon Pere,
Le triſte hymen d’Attale eſt pour moi neceſſaire,
Il faut executer ſes ordres abſolus,
Mille raiſons d’État m’en preſſent encor plus.
Ma Couronne eſt tremblante, & mon Peuple eſt rebelle.
Déja trop fatigué d’une guerre cruelle,
Si j’attire ſur lui de nouveaux ennemis,
Des rebelles Sujets ſe croiront tout permis.
Par l’interêt d’un Trône où je ſuis enchaînée
Il faut que je ſubiſſe un cruel hymenée ;
Mais mon cœur ſe révolte, & ſans ceſſe combat,
Et les ordres d’un Pere, & la raiſon d’État.
Helas, Argire, helas, que nous ſerions heureuſes
S’il falloit que toujours ces flâmes dangereuſes,
Pour naître dans nos cœurs, attendiſſent du moins
D’un Amant empreſſé les ardeurs & les ſoins !
Mais ſouvent un penchant qui domine en notre ame,
Prévient ce qui devroit allumer notre flâme,
S’entretient de ſoi-même, & nous engage plus
Que les plus tendres ſoins qu’on nous auroit rendus.

Tel eſt l’amour forcé qui vers Gelon m’entraîne :
Rien ne flatta jamais cette ſecrette peine ;
Je le voyois pourtant n’engager point ſa foi,
Ses hommages encor pouvoient tourner vers moi.
Mon ame, malgré moi, d’une maniere avide
Saiſiſſoit un eſpoir ſi faux, ſi peu ſolide ;
Et d’une vaine erreur le charme ébloüiſſant
Formoit à mes devoirs un obſtacle puiſſant.
Pour m’ôter cette erreur trop chere à ma foibleſſe,
Je pris ſoin d’engager Gelon à la Princeſſe.
Combien m’en coûta-t’il ! à quels combats livré,
Combien mon triſte cœur ſe vit-il déchiré !
Quels efforts ! Je croyois à moi-même ſevere,
Que l’on guerit l’amour quand on le deſeſpere,
Mes ſoins pour l’engager eurent trop de ſuccès,
Ma rivale en joüit. Helas à quel excès
Eſt allé cet amour qui me doit ſa naiſſance !
Il n’en falloit pas tant pour m’ôter l’eſperance.
Inutile ſecours pour ma foible raiſon,
Je croyois de leurs feux tirer ma gueriſon,
Et de chagrins jaloux je me trouve ſaiſie !
Quel remede à l’amour ! Ciel ! que la jalouſie…

ARGIRE.

Peut-être viendra-t’il enfin à vous guerir ;

Quand l’amour de Gelon aura ſçu vous aigrir.
Mais, Madame, c’est lui que vous voyez paroître.


Scène III.

GELON, LA REINE, ARGIRE.
GELON.

Vous ſçavez quel amour vos ordres ont fait naître,
Madame ; & ces beaux feux par vous autoriſés,
Dans leur empreſſement pourront être excuſés.
Mes vœux à la Princeſſe ont ſçu ne pas déplaire,
Faut-il que ſans obſtacle un hymen ſe differe ?
Faut-il que mon bonheur ?…

LA REINE.

Faut-il que mon bonheur ?…Il n’eſt pas incertain,
Prince, Attale revient, & je lui dois ma main
J’ai deſſein qu’en ces lieux une même journée
Brille avec plus d’éclat par un double hymenée ;
Et pour le peu de tems qu’il faudra differer,
Sans doute votre amour n’en doit pas murmurer.

GELON.

Madame, ſouffrez donc qu’ici je vous expoſe
De mes empreſſemens une ſecrette cauſe.
S’il faut du Prince Attale attendre le retour,
Je crains de le trouver contraire à mon amour.
Il va s’aſſeoir au Trône où le Ciel vous fit naître ;
Et par les ſentimens qu’il m’a trop fait paroître,
Je ne me flatte pas que prêt à ſe voir Roi,
Sa plus tendre amitié doive tomber ſur moi,
Aux vœux que j’ai formés s’il entreprend de nuire,
Par combien de détours pourra-t’il ſe conduire !
Que de moyens ſecrets ſçaura-t’il pratiquer !
Ah, Ciel ! ſi mon bonheur venoit à me manquer,
Quel repentir ſuivroit la faute inexcuſable,
D’avoir ſi mal uſé d’un tems ſi favorable.

LA REINE.

Prince, vous comptez donc qu’Attale revenu,
Je ceſſe de joüir du rang que j’ai tenu,
Qu’il ne me reſte plus ni crédit ni puiſſance ?

GELON.

Madame, d’un Amant ſouffrez la défiance,
Il s’allarme ſans peine ; & plus un bien eſt doux,
Plus il nous ſemble prêt à s’échapper de nous.
Entrez dans ma foibleſſe, approuvez-la de grace ;
Mon amour croit toujours qu’Attale le menace ;

Mais n’euſſai-je pas lieu de craindre ſon retour,
Deux ou trois jours plutôt n’eſt-ce rien pour l’amour ?
Que n’en connoiſſez-vous la force ſouveraine,
Que n’avez-vous ſenti le charme qui m’entraîne.
Mais du moins un amour qui déja vous doit tant,
À quelque droit d’attendre…

LA REINE.

À quelqued roit d’attendreHé bien, ſoyez content.
Prince, à demain l’hymen ou votre cœur aſpire.

GELON.

Ah, quel remerciment pourroit jamais ſuffire !

LA REINE.

Il n’en eſt pas beſoin ; allez avec ma Sœur,
Prince, de vos deſtins partager la douceur.


Scène IV.

LA REINE, ARGIRE.
LA REINE.

Ah ! qu’il l’épouſe, Argire, & qu’un prompt hymenée
Éteigne pour jamais ma flâme infortunée :
Qu’il l’épouſe. Pourquoi voulois-je differer
Ce qu’avec tant de ſoin j’avois ſçu préparer,
Ce qui ſeul peut briſer des liens trop funeſtes ?

ARGIRE.

Oui, de l’Amour par là vous éteindrez les reſtes,
Madame, vous avez trop longtems combattu,
Pour ne pas faire enfin triompher la vertu.

LA REINE.

Elle triomphera, j’ai trop été bleſſée,
Quand il m’a laiſſé voir une ardeur inſenſée ;
Un fol empreſſement, un ſoupçon mal fondé.
Je l’abandonne aux feux dont il eſt poſſédé,
L’ingrat n’a point connu que ſon impatience
Paroiſſoit à mon cœur une mortelle offenſe ;
Il n’a pas ſeulement pris ſoins de demêler
Les ſecrets ſentimens qui me faiſoient parler.

ARGIRE.

Quoi ! le voudriez-vous ? votre ame trop épriſe
À la Princeſſe, à lui ſans ceſſe ſe déguiſe ?

LA REINE.

Il est vrai, ni mes yeux, ni ma bouche, jamais
De cet amour forcé ne découvrent les traits.
Je ſçai bien m’impoſer les plus dures contraintes ;
Je voudrois cependant qu’au travers de mes feintes,
Ce ſecret pénetré de qui ne peut m’aimer,
M’en fiſt plaindre tout bas & peut-être eſtimer.
Mais d’un pareil eſpoir l’erreur ſeroit extrême,
Il eſt trop occupé pour deviner qu’on l’aime ;
Subiſſons s’il ſe peut d’un cœur plus aſſuré
L’hymen, le triſte hymen qui nous eſt préparé,
Et ne prétendons point que l’on nous tienne compte
Du vertueux effort d’un feu qui ſe ſurmonte.
Ciel ! je fremis encor du deſtin qui m’attend,
Attale vient, Attale approche à chaque inſtant,
Mais que nous veut Soſtrate ? eſt-il tems qu’il m’accable
D’un inutile amour qui le rend haïſſable ?


Scène V.

LA REINE, SOSTRATE, ARGIRE, MILON.
SOSTRATE.

Une triſte nouvelle arrive dans ces lieux !
Madame, Attale eſt mort.

LA REINE.

Madame, Attale eſt mort.Attale eſt mort ! Ah Dieux !
Et ſur quel fondement la nouvelle ſemée… ?

SOSTRATE.

Un des ſiens maintenant arrive de l’armée,
Attale vous venoit apporter ſes lauriers,
Et preſſé de vous voir, devançoit ſes guerriers.
Près de la Péonie une troupe cruelle
A porté ſur ce Prince une main criminelle ;
Attale a ſuccombé, Madame, ſous leurs coups,
Le Ciel en le ſouffrant nous marque ſon courroux ;
Tout l’État aujourd’hui ſentira votre peine.

LA REINE.

Attale auroit péri ! ſa mort ſeroit certaine !

Quel changement ſoudain pour l’État & pour moi !
Allons éclaircir mieux l’avis que je reçoi.



Scène VI.

SOSTRATE, MILON.
SOSTRATE.

C’en eſt fait, cher Milon, je me ſuis fait juſtice,
J’ai ſçu mener ce coup avec tant d’artifice,
Qu’à jamais du ſoupçon je me mets à couvert,
Et du Trône à la fin le chemin m’eſt ouvert.
Tout ce qu’a pour objet le feu qui me dévore,
Le Trône où je prétends, la Reine que j’adore,
Attale trop heureux venoit me le ravir,
Et je n’aurois oſé moi-même me ſervir !
Non. Exempt du ſoupçon je joüirai d’un crime
Que la gloire & l’amour rendent trop légitime.
Profitons-en du moins, cher Milon, hatons-nous.

MILON.

N’en doutez point, Seigneur, la Couronne eſt à vous,

Le ſang qui de ſi près vous unit à la Reine,
Promet à vos déſirs la grandeur ſouveraine.

SOSTRATE.

La Reine m’a toujours marqué de la froideur,
Quoiqu’elle eût pour Attale une aſſez foible ardeur.

MILON.

Pouvoit-elle à vos vœux être plus favorable ?
Attale étoit pour elle un choix indiſpenſable.
Elle évitoit vos ſoins trop remplis de danger.
Pour un cœur aſſervi qui n’oſoit s’engager.

SOSTRATE.

De ma crainte ſecrette il faut que je t’inſtruiſe ;
Je crains qu’un autre amour dans ſon cœur ne me nuiſe.

MILON.

Un autre amour ! Seigneur, jamais de cette Cour
Les yeux les plus perçans ne virent cet amour.

SOSTRATE.

J’ai les yeux plus perçans que cette Cour entiere :
L’amour, l’ambition me prêtent leur lumiere,
Non que je ſois certain de ce que j’apperçois,
Je ne le ſçais pas tant, Milon, que je le crois :
Je le ſens, & toujours une ſecrete haine
Marque à mon cœur l’objet préféré par la Reine.

Il me ſemble en un mot que Gelon eſt aimé ?

MILON.

Hé de quoi votre eſprit peut-il être allarmé ?
Gelon à la Princeſſe offre tous ſes hommages,
La Reine le permet ; de ſi clairs temoignages…

SOSTRATE.

La Reine à cet amour n’a point dû s’oppoſer
Tant qu’Attale vivant fut prêt à l’épouſer ;
Elle a ſous une longue & dure retenuë
Renfermé dans ſon ame une ardeur inconnue.
Milon, que ſçavons-nous ſi cette même mort
Que j’apprends en ce jour avec tant de tranſport,
N’a point encor pour elle un plus ſenſible charme ?
A-t’elle répandu ſeulement une larme ?
Fait entendre un ſoupir ? Peut-être en ce moment
Ses yeux ont vû le Trône ouvert pour ſon Amant.
Ah ! d’un pareil eſpoir s’il faut qu’elle ſe flatte,
S’il faut qu’un autre amour me dérobe l’ingrate,
Mon bras à tous les deux ſera plutôt fatal ;
Je n’en ai pas tant fait pour ſervir un Rival.

Oui, plutôt immolés à ma juſte colere,
Ils verront ce que c’eſt qu’un cœur qu’on déſeſpere.
Je n’épargnerai rien : j’ai du cœur, des amis,
Des deſſeins de regner dès longtems affermis,
De vrais droits ſur l’Épire ; & ſi je n’en ſuis maître,
J’empêcherai qu’un autre au moins ne le puiſſe être.

MILON.

Ne craignez rien, Seigneur : fiez-vous à vos droits ;
Ce Prince comme vous deſcend-t’il de nos Rois ?
Tandis que ſon aîné regne dans la Sicile,
Banni de ſon Païs l’Épire eſt ſon azile,
Sans appui, ſans ſoutien, étranger dans ces lieux.

SOSTRATE.

Je ſçai que j’ai pour moi mon rang & mes Ayeux ;
On ne peut me ravir le Trône avec juſtice,
Mais je crains de Phenix l’audace & l’artifice.
Il me hait ; & craignant de ſe voir mon ſujet,
Il pourroit de Gelon appuyer le projet.
À ce Rival d’ailleur attaché ſans réſerve,
Pour ſon propre interêt il faudra qu’il le ſerve.

Il verroit ſous ce regne augmenter ſon pouvoir.
Prévenons ſes efforts puiſqu’on les peut prévoir.
Ce Miniſtre inſolent eſtimé de la Reine,
Va ſervir ſon amour & va braver ma haine.
Agiſſons, cher Milon, ne nous repoſons pas,
Et le Trône & la Reine ont pour nous trop d’appas.

Fin du premier Acte.

ACTE II.


Scène PREMIÈRE.

LA PRINCESSE, PHÈDRE
LA PRINCESSE.

La mort d’Attale enfin n’eſt que trop aſſurée,
D’un rigoureux hymen la Reine eſt délivrée,
Gelon unit demain ſon ſort avec le mien,
Mon bonheur eſt parfait, il n’y manque plus rien.
Les chagrins de ma Sœur y mettoient un obſtacle,
Mais pour l’en délivrer le Ciel fait un miracle ;
Quoiqu’au deſtin d’Attale on doive de pitié,
La mienne dans mon cœur cede à mon amitié.

Que la Reine a ſouffert ! qu’elle a verſé de larmes !
Ses pleurs de mon amour troubloient les plus doux charmes.
J’ai ſouhaité cent fois dans le fond de mon cœur
Souffrir plutôt ſes maux, & qu’elle eût mon bonheur.
Conçois-tu l’horreur d’être à l’objet de ſa haine,
Et peut-être elle aimoit pour comble de ſa peine.
Elle a trop murmuré contre un fâcheux lien,
Et l’on ne hait pas tant lorſque l’on n’aime rien.

PHÈDRE.

Qui pourroit-elle aimer ? Soſtrate qui l’adore
Nous fait voir tous les jours l’ennui qui le dévore.
Un Amant que l’on aime eſt-il ſi malheureux ?
Non, lorſqu’on le contraint de captiver ſes vœux,
Un autre caractere au moins eſt dans ſes plaintes.

LA PRINCESSE

L’honneur du Diadême a d’étranges contraintes.
La Reine a pû cacher le ſecret de ſon cœur
Sous les dehors cruels d’une fiere rigueur ;
Et l’on rend malheureux quelquefois ce qu’on aime,

Pour mieux diſſimuler ce qu’on ſouffre ſoi-même.
Mais Cineas, Iphis, à la ſuivre attachés,
De ſes appas encor nous paroiſſent touchés ;
Par toute leur conduite ils le font trop comprendre ;
Et quoique par leur rang ils doivent peu prétendre,
Leurs vertus peuvent plaire avec un grand amour.
Nous ſçaurons ce ſecret peut-être dans ce jour ;
La Reine en liberté de rompre le ſilence,
À ma tendre amitié doit cette confiance.
Peut-elle me cacher ?… Mais elle vient à nous.



Scène II.

LA REINE, LA PRINCESSE, PHÈDRE.
LA PRINCESSE.

Lorſque tout votre État tourne les yeux ſur vous,
Que ſçachant vos chagrins, curieux, il s’applique

À voir ſi c’eſt amour ou ſi c’eſt politique ;
Permettrez-vous ici, Madame, qu’une Sœur
Cherche vos ſentimens au fond de votre cœur.
Vous n’aimiez pas Attale, & ſa mort vous délivre
D’un devoir que vos vœux trouvoient cruel à ſuivre.
Vous vous en expliquiez quelquefois avec moi.

LA REINE.

Les chagrins qu’une mort toujours traîne après ſoi,
Le changement ſoudain que fait celle d’Attale,
Sa perte qui peut être à mes États fatale,
M’empêche de ſentir mon cœur en liberté ;
Ce cœur eſt moins eſclave, & non moins agité.

LA PRINCESSE.

Mais vous êtes du moins exempte de la crainte
De ſubir par l’hymen une dure contrainte.
Depuis qu’Attale eſt mort votre cœur eſt à vous ;
Et s’il pouvoit avoir des ſentimens trop doux,
Il doit enfin ceder au penchant qui l’entraine.
Qui vous arrêteroit ? Vous êtes libre & Reine.
Peut-être que vos vœux ſont tous pour la grandeur,
Mais ſi vous n’aimez pas, il vous manque un bonheur.

LA REINE.

Que n’eſt-il vrai, ma Sœur, que je ſois inſenſible.
Que le Trône à l’amour n’eſt-il inacceſſible,
Puiſque ſi rarement il y peut être heureux.

LA PRINCESSE.

Il n’eſt plus de devoir qui contraigne vos vœux.
Qu’il m’eſt doux de penſer que votre cœur ſoupire !
J’aime, & permettez-moi, Madame, de le dire,
Cette conformité d’ardeurs, de ſentimens
Fait une liaiſon entre tous les Amans.
Aimez : l’Amour vous doit tout ce qu’il a de charmes,
Pour vous récompenſer d’avoir verſé des larmes.
Couronnez aujourd’hui votre aimable Vainqueur ;
Quel plaisir de donner un Sceptre avec ſon cœur !

LA REINE.

Il n’eſt pas tems encor de me trouver heureuſe,
De ma félicité l’apparence eſt trompeuſe :
Ma gloire & mon amour ont peine à s’accorder.

LA PRINCESSE.

Votre gloire ! & comment ſe le perſuader ?

LA REINE.

Oui, ma gloire tremblante à ces combats me livre :
En la place où je ſuis ai-je un cœur pour le ſuivre ?

LA PRINCESSE.

Soſtrate, je le vois, n’a pû ſe faire aimer ;
Peut-être un plus heureux aura ſçu vous charmer ;
Et dans un moindre rang des vertus plus ſublimes
Rendent pour cet Amant vos ſoupirs légitimes.
Madame, cependant vos vœux ſont combattus,
Vous craignez que ſon rang n’efface ſes vertus ;
Mais quel ſcrupule vain tient votre ame gênée ?
Pour vous tiranniſer êtes-vous couronnée ?
Votre Amant ſur le Trône y ſera reſpecté ;
Puiſqu’il a ſçu vous plaire, il l’a trop mérité.

LA REINE.

Je vous en ai trop dit, mon cœur n’a pû ſe taire,
Mais vous ne ſçaurez point l’objet qui m’a ſçu plaire.
Laiſſons, ma Sœur, laiſſons ce diſcours dangereux,
Dans l’etat où je ſuis ne flattez point mes vœux.

Mais j’apperçois Soſtrate ; il faut que je l’évite.


Scène III.

LA PRINCESSE, SOSTRATE.
SOSTRATE.

Je vois que pour me fuir, Madame, l’on vous quitte ;
Quand on eſt malheureux que l’on eſt importun !
Mais ne craignez-vous rien ?

LA PRINCESSE.

Mais ne craignez-vous rien ?Quel ſort nous eſt commun ?

SOSTRATE.

Je vous donne un avis fâcheux, mais néceſſaire ;
Madame, il n’eſt plus tems avec vous de ſe taire.
La Reine dès longtems m’inſpira de l’amour ;
Quoique mon déſeſpoir ait pû le mettre au jour,
Ma jalouſie encor vous étoit inconnuë ;
Il faut vous faire part du poiſon qui me tuë,
Peut-être ſerez-vous à plaindre autant que moi.

Le Prince Attale eſt mort, Madame, il faut un Roi.

LA PRINCESSE.

Seigneur, à ce diſcours je ne puis rien comprendre.

SOSTRATE.

La Reine obéiſſant aux ordres d’Alexandre,
Reçevoit un époux qui n’avoit pas ſon cœur.
Sa mort ne devroit point lui cauſer de douleur ;
Auſſi par moi d’abord la nouvelle portée,
Avec peu de chagrin parut être écoutée.
Mais depuis, ſon eſprit triſte, inquiet, confus,
Nous marque des deſſeins formés & combattus ;
Elle a droit à ſon gré de donner ſa Couronne,
Mais à ce qui paroît ſa liberté l’étonne,
Son cœur à s’en ſervir trouve quelqu’embarras.

LA PRINCESSE.

Hé bien, Seigneur ?

SOSTRATE.

Hé bien, SeigneurPeut-on ne le ſoupçonner pas,
Si Gelon en ſecret de ſon cœur étoit maître ?

LA PRINCESSE.

Elle aimeroit Gelon ! ah cela ne peut-être,
Je le tiens de ſa main, elle me l’a donné ;
C’eſt par ſon ordre exprès que notre amour eſt né.

Il n’en eſt pas moins ſûr, Madame, qu’elle l’aime,
Et vous cherchez en vain à vous tromper vous-même.

LA PRINCESSE.

Qui vous l’a donc appris ?

SOSTRATE.

Qui vous l’a donc apprisCroyez-en mes fureurs ;
Un amant malheureux connoît tous ſes malheurs.
J’ai ſurpris mille fois cette Amante attentive
Aux charmes du Vainqueur qui la tenoit captive ;
J’ai vu malgré ſes ſoins ſes yeux ſe déclarer,
Sa bouche l’applaudir, & ſon cœur ſoupirer.

LA PRINCESSE.

Hé d’où vient donc, Seigneur, que par vous découverte
Cette flâme à mes yeux ne s’eſt jamais offerte ?

SOSTRATE.

Ah, vous étiez aimée, & votre Amant & vous.
N’étiez jamais remplis que d’un bonheur ſi doux ;
Vous ne connoiſſiez point d’autres feux que les vôtres,

Votre amour mutuel vous cachoit tous les autres ;
Contente de ſon cœur, vous n’alliez point chercher
Si quelqu’un en ſecret vouloit vous l’arracher
Il faut des yeux jaloux pour voir une rivale.
Moi qui ſuis éclairé d’une flâme fatale,
Moi qui pourſuis un cœur & ne puis l’acquerir,
J’en ai cherché la cauſe & l’ai ſçu découvrir.

LA PRINCESSE.

Vous devez l’avouer, cette marque eſt douteuſe.

SOSTRATE.

Ah ! vous en croyez trop une amitié trompeuſe.
Vos interêts ici, Madame, ſont les miens ;
Arrêtez un captif qui rompra vos liens.
La Couronne eſt un bien qui fait un infidelle.
La Reine va l’offrir, courez au devant d’elle,
Je n’épargnerai rien pour ſervir votre amour ;
Mais prenez quelques ſoins, Madame, à votre tour.


Scène IV.

LA PRINCESSE, PHEDRE.
LA PRINCESSE.

Que croirai-je ? La Reine à mes yeux s’est émuë :
Je n’en ai point tremblé, j’étois trop prévenuë.
Helas ! il eſt aimé, Phedre, tout me le dit :
Le ſecret qu’elle cache, & ſon air interdit,
Les malheurs de Soſtrate, & ſa jalouſe rage,
Les charmes de Gelon, en faut-il davantage ?
Va, cours dis-lui qu’il vienne ; apprens lui mes douleurs.



Scène V.

LA PRINCESSE, ſeule.

Ciel ! m’as-tu reſervée à de ſi grands malheurs ?
Ma Sœur me trahit-elle ? Une Sœur tant aimée

Brûle-t’elle des feux dont je ſuis enflâmée ?
Après tout, ai-je lieu de craindre ce danger ?
Si la Reine l’aimoit, pourquoi me l’engager ?
Cette raiſon par moi fut toujours écoutée,
D’où vient que de mon cœur elle n’eſt plus goutée ?
La crainte, les ſoupçons qui m’étoient inconnus,
Dans mon tranquile cœur en foule ſont venus ;
Quels mouvemens cruels, quels tranſports m’ont ſaiſie !
Eſt-ce toi que je ſens, funeſte jalouſie ?
Vas-tu dans nos eſprits répandre tes fureurs ?
Vas-tu donc arracher l’amitié de nos cœurs ?
Mais pourquoi me livrer ſans réſerve à ma peine ?
Sur l’avis d’un jaloux n’accuſons point la Reine ;
Ces odieux ſoupçons ſont trop tôt écoutés,
Attendons pour le moins de nouvelles clartés.


Scène VI.

LA PRINCESSE, PHEDRE.
PHEDRE.

Je n’ai pû voir Gelon, il étoit chez la Reine ;
Votre hymen eſt remis, & c’eſt ce qui l’y mene,
Seule en ſon cabinet, la Reine l’a mandé.

LA PRINCESSE.

Il eſt avec ma Sœur ! l’hymen eſt retardé !
On ne m’en parle point ! Ah, diſgrace trop ſure !
Tout eſt perdu, j’en ſens le malheureux augure,
Je vois, Phedre, je vois que notre hymen remis,
Helas ! dans peu de jours ne ſera plus permis.

PHEDRE.

La Reine eſt généreuſe, & vous aime, Madame ;
Et quand elle verra le trouble de votre ame,
Eût-elle de l’amour, la gloire & la pitié
La forceront encore à ſuivre l’amitié.
Si Gelon eſt conſtant, que peut-elle entreprendre ?
Elle aura des égards pour un amour ſi tendre :

Eſperez de gouter bientôt un plein repos ;
La conſtance eſt toujours la vertu des Heros.

LA PRINCESSE.

Ah ! Phedre, les Heros n’écoutent que la gloire,
Et l’amour n’eſt pour eux qu’un ſujet de victoire.
Il me ſacrifira peut-être ſans ennui,
Helas ! & j’euſſe tout ſacrifié pour lui.
On lui va donc offrir un Trône & tous ſes charmes,
Quand je ne puis donner que mes vœux & mes larmes :
Quelle inégalité ! Ciel injuſte ! & pourquoi,
Puiſque j’aime un Heros, n’en puis-je faire un Roi ?

PHEDRE.

Mais…

LA PRINCESSE.

MaisNe t’oppoſe point à ma douleur mortelle ;
Hé pourrois-je penſer qu’il me ſeroit fidelle ?
Quand il ſeroit conſtant, il ſera malheureux,
La Reine vengera le mépris de ſes feux ;
Une amante outragée, une amante qui regne.
Voilà tous les malheurs qu’il faut donc que je craigne,
Chere Phedre ; & tu vois que le moindre eſt celui
De le trouver fidelle, & n’être point à lui.

Je ne puis ſans le voir demeurer davantage ;
Entendons-le du moins, & ſçachons s’il s’engage :
Allons, il faut fixer nos mortelles douleurs,
Apprenons pour quels maux doivent couler nos pleurs.


Scène VII.

LA PRINCESE, PHEDRE, PHENIX.
LA PRINCESSE.

Arrêtez-vous, Phenix : quel ſujet vous amene ?
Vous qui ſçutes toujours les deſſeins de la Reine,
Pourquoi de mon hymen a-t’on remis le jour ?

PHENIX.

La triſte mort d’Attale affligeant cette Cour,
Pour cauſer ce délai, Madame, a pû ſuffire ;
C’en eſt une raiſon que je venois vous dire.
Il en eſt une encor dont je n’oſe parler ;
Mais, Madame, après tout, pourquoi vous le céler ?

LA PRINCESSE.

Parlez, à tous les maux mon ame ſe prépare.

PHENIX.

Pour Gelon dès ce jour le Peuple ſe déclare ;
Peut-être de ſon ſort ce ſont là les apprêts ;
C’eſt ainſi que le Ciel prononce ſes Arrêts.

LA PRINCESSE.

Mais n’eſt-ce point plutôt qu’une brigue ſecrette
Produit en ſa faveur cette ardeur indiſcrette ?
Car on pourroit douter, quoiqu’il ait mérité,
Que ſans un Chef ce zele eût ſitôt éclaté.

PHENIX.

Jamais, vous le ſçavez, mon cœur ne ſe déguiſe ;
J’avoûrai cependant que ſans mon entremiſe,
Le Peuple pour Gelon a pris cette chaleur :
Tout reſſent en ces lieux les fruits de ſa valeur.
J’ai vû dans tous les cœurs le zele qui m’anime ;
Mais je l’ai fait parler, & je l’ai pu ſans crime.
S’il faut à ſes vertus encor quelque ſecours,
Qui de ſes grands deſtins favoriſe le cours,
J’y porterai l’ardeur que de ſoi-même inſpire
L’interêt d’un Heros ſi digne de l’Empire.
Imitez-moi, Madame, & faites-le regner ;
Mais ce n’eſt pas à moi d’oſer vous l’enſeigner ;

Vous-même…

LA PRINCESSE

Vous-mêmeVous a-t’il chargé de ce meſſage ?
Dieux ! Gelon veut regner, j’entends trop ce langage.

PHENIX.

Il aime la grandeur quoiqu’il ſoit amoureux,
Et le bien de l’État doit balancer ſes vœux.
À monter ſur le Trône un grand peuple l’invite.
Voyez l’effet ſoudain que produit ſon mérite,
Madame, & ce qu’encore aujourd’hui j’entrevoi ;
Et vous-même jugez s’il peut n’être pas Roi.

LA PRINCESSE.

Ah, Ciel !



Scène VIII.

PHENIX, ſeul.

Ah, Ciel !Ta fermeté, Phenix, t’eſt néceſſaire,
C’eſt ta haine aujourd’hui que tu dois ſatisfaire.
Soſtrate veut regner, il faut le prévenir ;
Si tu manques ce coup, il ſçaura t’en punir.

Je ſervirai la Reine ! Une allegreſſe extrême,
Quand j’ai nommé Gelon, m’a fait voir qu’elle l’aime.
Je la mets en état d’oſer ſuivre ſon cœur :
Malgré tous les égards qu’elle auroit pour ſa Sœur,
Agiſſons ; un moment eſt quelquefois utile.
Couronnons aujourd’hui le Prince de Sicile,
Il me devra le Trône, & j’en ſerai l’appui ;
Pour lui je vais tout faire, & j’attends tout de lui.

Fin du ſecond Acte.

ACTE III.



Scène PREMIÈRE.

LA REINE, ARGIRE.
LA REINE.

Je ſuis en liberté, je puis t’ouvrir mon ame,
Argire, tout concourt au ſuccès de ma flâme :
Je vois en ſa faveur mille vœux ſe former,
On me marque l’objet que mon cœur doit aimer ;
Mais quoiqu’à mon bonheur tout mon Peuple conſpire,
Il ne peut me donner le cœur que je déſire :
J’ai vû tantôt Gelon, & l’ai fait appeller,
Mais, Argire, jamais je n’ai pû lui parler ;

De ſon hymen remis la ſubite nouvelle
Lui mettoit dans les yeux une douleur mortelle ;
Il ignoroit encor qu’on le vouloit pour Roi :
J’ai voulu le lui dire, & l’ai tû malgré moi.
Trop timide j’ai craint en le faiſant entendre,
De marquer l’interêt que l’amour m’y fait prendre.

ARGIRE.

Parlez, Madame ; un Trône a des charmes trop doux,
Et vous verrez bientôt Gelon à vos genoux.
Sacrifiroit-il tout pour un amour frivole :
Du Trône ou de l’amour, c’eſt l’amour qu’on immole ;
Il vaut mieux être Roi qu’être parfait Amant.

LA REINE.

Quoi donc ! il m’aimeroit pour regner ſeulement ?
Ah ! ſi ſa paſſion pour moi n’eſt pas ſincere,
Je ſçaurai démêler un ſi faux caractere ;
Non, ſi le Trône ſeul eſt l’objet de ſes vœux,
Qu’il ne s’attende point d’être jamais heureux.
Que dis-je ? en ſuis-je donc à ces délicateſſes ?
Ce cœur qui de l’amour ſent toutes les foibleſſes,
Pourroit de cet Amant refuſer les ſoupirs,
Parce qu’une Couronne aideroit ſes déſirs ?

Et ne ſerois-je pas encore trop heureuſe
De ſouffrir de ſes vœux l’apparence trompeuſe ?
Je crains qu’à quelque prix que l’ingrat pût m’aimer,
Mon amour de ſes ſoins ne ſe laiſſât charmer.

ARGIRE.

Pourra-t’il réſiſter à tant d’amour, Madame ?

LA REINE.

Helas, que ne laiſſois-je au moins agir ſon ame !
Si je n’euſſe formé moi-même ſon lien,
Peut-être il m’eût aimée, ou n’auroit aimé rien.
Pour m’obéir peut-être il aima la Princeſſe.
Qu’il me rende ce cœur dont je fus trop maîtreſſe.
Mais quoi ! veux-je en effet l’arracher à ma Sœur,
Une Sœur qui ſur moi fonde tout ſon bonheur ?
D’enlever ſon Amant j’aurois la barbarie ?
Je ſçai ce qu’il inſpire, elle en perdra la vie ;
Elle m’aime, & mon cœur ſoupirant en ſecret
De ſa tendre amitié cent fois a vû l’effet :
Mes douleurs mille fois ont pénetré ſon ame,
Pour l’en récompenſer je vais trahir ſa flâme.
Helas ! je me reproche en vain ma trahiſon,
J’ai gouté de l’eſpoir le dangereux poiſon.
Quand je vois pour mes feux que tout le rend facile,
Je ſens que je me fais un reproche inutile,

Que je vais étouffer l’honneur & la pitié ;
Que l’amour dans mon cœur ſurmonte l’amitié
Mais non, Argire, non, faiſons-lui réſiſtance,
Ramene ma raiſon en m’ôtant l’eſperance.

ARGIRE.

Ne vous devez-vous rien à vous-même, à l’État ?
Vous feriez contre lui, Madame, un attentat,
Si pouvant lui donner un Heros pour ſon Maître,
Et le ſeul qu’en ces lieux on puiſſe reconnoître,
Vous laiſſiez ſa conduite à de moins dignes mains,
Pour vous trop attacher à des ſcrupules vains.
La raiſon eſt pour vous, Madame, & la juſtice.
La Princeſſe à l’État doit faire un ſacrifice :
Qu’elle faſſe aujourd’hui l’eſſai de ſa vertu ;
Vous avez plus encor ſouffert & combattu.

LA REINE.

Je tremble, Gelon vient, quel parti dois-je prendre ?


Scène II.

LA REINE, GELON, ARGIRE.
GELON.

Madame, les diſcours qu’ici l’on fait entendre,
Pourroient auprès de vous m’avoir rendu ſuſpect ;
Mais je viens vous jurer que mon profond reſpect,
Et que ma foi pour vous inviolable & pure,
Deſavoüe & déteſte un inſolent murmure.

LA REINE.

Prince, il n’eſt pas beſoin de vous juſtifier.
Quand ſur la vertu ſeule on peut ſe confier,
On dédaigne d’entrer dans de ſourdes pratiques,
On laiſſe ce ſecours aux cœurs moins heroïques.
Ce ſentiment au Peuple eſt même pardonné ;
Pour un autre que vous, je l’aurois condamné.

GELON.

Comment ſur vos bontés faut-il que je m’exprime ?

Que ne peut les payer tout le ſang qui m’anime ?
Je n’en ai point encore aſſez verſé pour vous.

LA REINE.

On ſçait, Prince, combien vous avez fait pour nous ;
Vous voyez que l’Epire auſſi vous fait connoître
Que ſur votre valeur on vous voudroit pour Maître.

GELON.

D’autres Guerriers, Madame, ont merité ſon choix,
Et Soſtrate a ſur-tout de légitimes droits ;
D’être de votre Sang le ſuprême avantage,
Lui doit de tout l’Etat attirer le ſuffrage.

LA REINE.

On ne le nomme point.

GELON.

On ne le nomme point.Eſt-ce au Peuple à nommer
Celui que votre cœur, Madame, doit aimer ?

LA REINE.

Quand on a pour objet le bien de ſon Empire,
Aux ſuffrages du Peuple on doit ſouvent ſouſcrire ;
Par ſes vrais interêts le Peuple eſt éclairé,
Il faut être Heros pour en être adoré.

Sur les biens qu’il reçoit ſon choix ſe détermine,
Et le cœur d’une Reine où la gloire domine,
Un cœur qui ne fuit point d’aveugles mouvemens,
Peut ſur un choix ſi ſûr regler ſes ſentimens.

GELON.

Ah, Madame, quel choix quand la foule décide !
Le Peuple que ſouvent ſon ſeul caprice guide,
Pour de foibles vertus peut prendre un fol amour.

LA REINE.

Je le crois, & peut-être il le marque en ce jour.
Je n’ai point encor vû qu’une ame noble & grande
D’une Couronne offerte avec ſoin ſe défende ;
Que qui peut commander, aime à vivre Sujet.

GELON.

La gloire qu’un grand cœur a toujours pour objet,
Du bonheur de regner n’eſt point inſéparable,
On l’en peut détacher ſans être mépriſable.
Quelquefois il eſt beau…

LA REINE.

Quelquefois il eſt beauJe vois votre dédain,
Vous êtes au-deſſus du pouvoir ſouverain ;
Mais quand vous mépriſez l’offre d’une Couronne,

Ce mépris peut tomber ſur la main qui la donne.

GELON…

Madame, de ce crime on ne peut m’accuſer,
Vos ſublimes vertus s’y doivent oppoſer.
J’aurois pû m’engager dans un crime contraire,
Mais vous m’avez vous-même empêché de le faire ;
Dans de puiſſans liens vous avez mis mon cœur,
Vous m’avez fait aimer votre ſang, votre Sœur ;
Et j’avois en effet beſoin contre vos charmes,
De charmes auſſi forts & d’auſſi fortes armes :
Témoin de vos vertus, je pouvois chaque jour
Par l’admiration aller juſqu’à l’amour.

LA REINE.

Ce n’eſt point de l’amour qu’on veut vous faire prendre,
Gelon, il ne faut point ici vous en défendre.
Je ſuis Reine, & je veux aujourd’hui faire un Roi ;
Mais la raiſon d’Etat eſt mon unique loi.
Puiſqu’à d’autres deſtins votre amour vous engage,
C’eſt aſſez, je n’ai rien à dire davantage.


Scène III.

LA REINE, ARGIRE.
LA REINE.

Argire, quelle honte ! où vais-je me cacher !
Que je le punirai de m’avoir ſçû toucher,
Et d’avoir par ma faute apperçu ma foibleſſe.
Quels diſcours j’ai tenus ! Ciel ! avec quelle adreſſe
L’ingrat me les a fait mille fois répeter !
Helas ! cherchoit-il donc à n’en pouvoir douter ?
Non, il ne s’appliquoit qu’au ſoin de s’en defendre,
Et me faiſoit parler pour ne me point entendre.
Avec quel artifice, & par quels vains détours
Repouſſoit-il un ſens que j’appuyois toujours !
Ah ! je ſens qu’au dépit l’amour cede la place.

ARGIRE.

Madame, s’il revient & vous demande grace ?

LA REINE.

Il y viendroit en vain, Argire, je le hais ;

Mais, helas ! je ſçai trop qu’il n’y viendra jamais.
Donnons du moins, donnons à nos Etats un Maître,
Qui par mille chagrins lui faſſe reconnoître
Ce que c’est que l’orgueil du pouvoir ſouverain
Qu’il traite maintenant avec tant de dédain.
Penſe-t’on qu’il ſoit ſeul digne du Diâdeme ?
L’Etat ſeroit tombé dans un malheur extrême.



Scène IV.

LA REINE, SOSTRATE, ARGIRE.
SOSTRATE.

Ne fuyez plus un Prince à vous ſuivre attaché,
Madame, vous ſçavez quel amour j’ai caché ;
C’eſt le plus grand effort qu’un Amant puiſſe faire,
Je l’ai fait cependant ſans eſpoir de vous plaire ;
Et lorſqu’Attale heureux devenoit votre époux,
Je mourois ſans marquer que je mourois pour vous.

Enfin, ſi quelquefois au travers de mes feintes
Vous avez vû mes maux ſans entendre mes plaintes,
Souffrez qu’avec reſpect je vous parle en ce jour.
Attale eſt mort, Madame, & je brûle d’amour.

LA REINE.

Oui, j’ai ſçû remarquer, Prince, votre conduite,
Et de vos ſentimens je ſuis aſſez inſtruite.

SOSTRATE.

Si vous voïez mon cœur, que je ſerois heureux,
Par la ſincerité, par l’ardeur de mes vœux.
Les autres aimeront en vous votre Couronne ;
Défiez-vous de tout ce qui vous environne.
Pour moi, je vous aimai ſans eſpoir, ſans deſſein,
Lorſqu’un autre étoit prêt à vous donner la main,
Quand l’amour ne pouvoit que me coûter de larmes ;
Voilà quel fut en moi le pouvoir de vos charmes.

LA REINE.

Maintenant je ſuis libre, & je veux faire un Roi
Qui ſoit digne du Trône, & digne auſſi de moi.

SOSTRATE.

Si l’excès de l’amour mérite récompenſe,
Et ſi l’on peut compter ſur ſa perſeverence,
Un cœur qui n’a jamais reſſenti que vos coups
N’oſera-t’il penſer qu’il eſt digne de vous ?

LA REINE.

J’eſtime votre amour, & vous rendrai juſtice.

SOSTRATE.

Puis-je eſperer qu’un jour à cet amour propice…

LA REINE.

Croyez que vous n’avez peut-être aucun Rival
Prince, à qui votre amour ne doive être fatal.

SOSTRATE.

Madame, à quels tranſports…

LA REINE.

Madame, à quels tranſportsPrince, il vous doit ſuffire ;
Allez,


Scène V.

LA REINE, ARGIRE.
LA REINE.

Argire, helas ! que viens-je de lui dire ?

ARGIRE.

Vous m’en voyez ſurpriſe, & juſques à ce jour.

LA REINE.

Voilà juſqu’où m’emporte un malheureux amour.
Ah, je ne reſpirois qu’une prompte vengeance
Je voulois abaiſſer un ingrat qui m’offenſe :
Et ſongeois-je à Soſtrate en ce fatal moment ?
Voulois-je couronner cet odieux Amant ?
Argire, je le trouve encor plus haïſſable,
Depuis qu’il a ſurpris un moment favorable,
Depuis qu’à ma colere il m’a fait ſuccomber.
Toute ma haine enfin ſur lui va retomber ;
Quoi ! je l’épouſerois pour perdre ce que j’aime ?
Ah ! ne nous vengeons point s’il ſe peut ſur nous-même.
Mais pourquoi me venger ? en ai-je donc ſujet ?

Quel crime ai-je à punir, & quel eſt mon projet ?
Gelon aime ma Sœur, il eſt amant fidelle :
Il mépriſe, il eſt vrai, la Couronne pour elle,
Il ne veut point regner aux dépens de ſa foi ;
Que j’aimerois qu’il fiſt un tel crime pour moi !



Scène VI.

LA REINE, ARGIRE, PHENIX.
PHENIX.

Madame, pardonnez ſi mon impatience
Trouble de vos ſecrets l’auguſte confidence ;
Mais le Ciel nous accable aujourd’hui de ſes coups ;
La Péonie encor prête à tomber ſur nous,
Traitant d’aſſaſſinat la prompte mort d’Attale,
Marque pour la venger une ardeur ſans égale ;
Un Heros annonçant la guerre dans ces lieux,
En appelle à témoin les hommes & les Dieux.
De ce crime commis près de la Péonie,
Ils veulent que l’Epire aujourd’hui ſoit punie.
Ses Alliés ſans doute, & ſur-tout les Romains,
Voudront favoriſer ſes injuſtes deſſeins.
Le Peuple eſt effrayé : dans cette conjoncture

Il ſeroit dangereux d’exciter ſon murmure,
Et par mille raiſons vous lui devez donner
Un Roi, dont la vertu ſoit propre à le gagner,
Gelon ſi glorieux, ſi grand, ſi redoutable,
À vos Peuples guerriers ſçauroit ſe rendre aimable ;
Et portant la terreur au cœur des ennemis,
Il rendroit vos Sujets & vainqueurs & ſoumis,
Mais pardonnez, Madame, à l’ardeur qui m’anime,
Si j’oſe…

LA REINE.

Si j’oſeVotre zele eſt digne qu’on l’eſtime,
Vos raiſons ont du poids, les obſtacles ſont grands,
Laiſſez-moi regarder tant d’objets differens.



Scène VII.

LA REINE, ARGIRE.
LA REINE.

Allons, je vois ma Sœur ; pour paroître à ſa vûë,
De trop de mouvemens je me ſens l’ame émuë.


Scène VIII.

LA REINE, LA PRINCESSE, ARGIRE.
LA PRINCESSE.

Quoi ! la Reine me fuit, tout m’abandonne, hélas !
Arrêtez-vous, Madame, & ne me fuyez pas.
Ecoutez les ſoupirs d’une Sœur miſerable,
Qui vient ſe plaindre à vous du tourment qui l’accable :
Regardez mes malheurs avec quelque pitié.
Je crains d’avoir perdu déja votre amitié,
Et je viens cependant la demander encore,
Je viens vous faire voir l’ennui qui me dévore.
Encor que vous cauſiez ma mortelle douleur,
Je ſuis accoutumée à vous ouvrir mon cœur,
Il veut vous faire part de ſes peines ſecretes ;
Je me plains même à vous des maux que vous me faites.
On dit, (& ce diſcours remplit mon cœur d’effroi,)
On dit que dans ces lieux Gelon doit être Roi ;
Qu’à des pleurs éternels je ſerai condamnée,
Madame, & c’eſt par vous que j’y ſuis deſtinée.

LA REINE.

Qui vous donne déja de ſi vives frayeurs ?

LA PRINCESSE.

L’amour, un tendre cœur qui ſent tous ſes malheurs ;
Soſtrate, qui nourrit mes chagrins par ſes craintes,
Nous avons mêmes maux, nous faiſons mêmes plaintes :
Mais vous, Madame, enfin par votre air interdit,
Ne m’en dites-vous point plus qu’il ne m’en a dit ?
Je vous parle peut-être avec peu de prudence,
Mais en votre amitié je mets ma confiance ;
L’artifice eſt peu propre à vous marquer ma foi,
C’eſt ma ſincerité qui doit parler pour moi.

LA REINE.

Ces ſentimens, ma Sœur, ont de quoi me confondre,
Ce n’eſt que par mes pleurs que je puis vous répondre ;
Ne pénétrez pas trop mon funeſte ſecret.

LA PRINCESSE.

Ah ! mon timide cœur le découvre à regret.
Madame, il eſt donc vrai, je n’en ſuis plus en doute,

Ce n’eſt plus l’amitié que votre cœur écoute,
Une autre paſſion la détruit aujourd’hui ;
Et mon fidele amour dont vous êtes l’appui,
Ne ſera plus pour vous qu’un ſujet de colere :
L’excès de ma douleur peut même vous déplaire.
Ces pleurs qu’à vos regards je ne ſçaurois cacher,
Vous vont peut-être aigrir au lieu de vous toucher.
Hélas ! quels ſentimens aurons-nous l’une & l’autre ?
Vous troublez mon bonheur, je dois craindre le vôtre.

LA REINE.

Je n’en eſpere point, ma Sœur, ſéchez vos pleurs.

LA PRINCESSE.

Vous aimez, vous regnez, je prévois mes malheurs ;
De grace tirez-moi de cette peine extrême,
Dites ſi vous l’aimez, Madame, & s’il vous aime ;
Vous voyez votre Sœur tombante à vos genoux.

LA REINE.

Que faites-vous hélas ! Princeſſe, levez-vous.
Je ſuis une perfide, une injuſte, une ingrate ;
Donnez-moi tous ces noms, ſi leur horreur vous flate ;

Oui, j’aime votre Amant, j’ai pû les mériter ;
Mais cet amour encor ne m’a rien fait tenter.
Gelon ſçut m’inſpirer la plus fatale flâme
Qui peut-être jamais s’alluma dans une ame.
Malgré tout cet amour vous alliez l’épouſer,
Mais le ſort autrement paroît en diſpoſer.
Attale eſt mort, le Peuple a déja fait connoître
Le beſoin qu’il reſſent de l’avoir pour ſon Maitre,
Et je dois oppoſer à nos fiers ennemis
Un Roi de qui le bras ait les deſtins amis.
Bien plus par ces raiſons que par ma propre eſtime,
J’ai voulu l’engager, & voilà tout mon crime.
Mais il faut l’avoüer, rien n’ébranle ſa foi,
Il mépriſe pour vous la gloire d’être Roi.
Sur ſa foi cependant vous êtes alarmée ;
Raſſurez-vous, ma Sœur, vous êtes trop aimée.

LA PRINCESSE.

Un tel excès d’amour a de quoi me charmer,
Je ne m’aſſurois pas qu’il pût ſi bien aimer ;
Mais hélas ! vous l’aimez, que me ſert ſa tendreſſe ?
Madame, de mon ſort vous êtes la maîtreſſe.

LA REINE.

Je vous l’ai déja dit, ce n’eſt point mon amour,

Ma Sœur, qui reglera nos deſtins en ce jour.
L’Etat eſt menacé, déja la Péonie
Aux fiers Ætoliens contre nous s’eſt unie.
À cette guerre encor Rome va prendre part.
Pour mon Peuple effrayé ſerai-je ſans égard ?
Il demande pour Roi le Prince qui vous aime,
Dites, que puis-je faire en cette peine extrême ?
Je vous aurois peut-être épargné de l’ennui,
En vous deſavoüant ce que je ſens pour lui.
Mon amitié n’a pû ſe reſoudre à ſe taire,
Et vous avez voulu que je fuſſe ſincere.
C’eſt aſſez, je vous laiſſe.

LA PRINCESSE.

C’eſt aſſez, je vous laiſſe.Ah ! Ciel, ſi ta rigueur
Me deſtine à ſouffrir, choiſis-moi mon malheur.

Fin du troiſiéme Acte.

ACTE IV.


Scène PREMIÈRE.

LA PRINCESSE, ſeule.

Malheureuse Princeſſe, es-tu bien reſoluë ?
De ton Amant en pleurs ſoutiendras-tu la vûë ?
As-tu bien conſulté tes forces, ta raiſon ?
Ne crains-tu de ton cœur aucune trahiſon ?
Seras-tu, s’il le faut, inhumaine & cruelle,
Pour mettre au deſeſpoir l’Amant le plus fidelle ?
J’ai ſes feux & les miens enſemble à ſurmonter.
Quels troubles ! Ah ! je ſens mon cœur ſe révolter.
Gloire, raiſon, vertu, venez à ma défenſe,

J’implore contre moi toute votre aſſiſtance ;
Rendez un triſte calme à mes ſens alarmés,
Venez rompre des nœuds que vous avez formés.



Scène II.

LA PRINCESSE, PHÈDRE.
PHÈDRE.

Vous me voyez, Madame, inquiéte & tremblante ;
Du ſort qui vous attend, mon zele s’épouvante.
Tout le Peuple s’émeut en demandant pour Roi
Le glorieux Heros qui vous garde ſa foi.
Sa tendreſſe pour vous & l’aigrit & l’outrage :
Je vois de toutes parts un ſiniſtre preſage :
J’en tremble, j’en frémis.

LA PRINCESSE.

J’en tremble, j’en frémis.Phèdre, raſſure-toi.

PHÈDRE.

Madame, ſeriez-vous plus tranquille que moi ?
Qui pourroit vous donner une telle aſſurance ?
Tout va périr pour vous.

LA PRINCESSE.

Tout va périr pour vousN’en croi pas l’apparence ;
Tu vas voir tout calmé, Phedre, dans un moment.

PHEDRE.

Qui pourroit donc cauſer un ſi grand changement ?
Hé, de grace daignez, Madame, me le dire.
Quoi cet heureux hymen où votre cœur aſpire ?…

LA PRINCESSE.

Phedre, il n’eſt plus d’hymen ; mais tout va ſe calmer.

PHÈDRE.

Ah Ciel ! que ce diſcours commence à m’alarmer !
Dans vos ſombres regards une triſteſſe eſt peinte,
Qui porte dans mon cœur la douleur & la crainte ;
Madame, tirez-moi du plus cruel ſouci.

LA PRINCESSE.

Ton eſprit ne ſera que trop tôt éclairci.


Scène III.

LA PRINCESSE, GELON, PHEDRE.
GELON.

Quoi ! verrai-je vos yeux toujours baignés de larmes ?
Mon amour & ma ſoi ſont-ils pour vous ſans charmes ?
Ne peuvent-ils calmer un moment vos douleurs ?
Quoi ! ma Princeſſe encor vous redoublez vos pleurs ?

LA PRINCESSE.

Ce n’eſt que par mes pleurs & ma douleur extrême,
Que je puis maintenant marquer que je vous aime.
Je voudrois vous donner, Seigneur, avec ma foi,
Ces honneurs qu’aujourd’hui vous refuſez pour moi,
Sûre qu’avec ma main ils toucheroient votre ame.

GELON.

Hé, je compte pour rien tous ces honneurs, Madame.
Le don de votre main, votre amour ſeul m’eſt doux.

LA PRINCESSE.

Hélas ! Prince, ma main ne ſera plus à vous.

GELON.

Que dites-vous, Madame ? Ah Ciel ! quel coup de foudre ?
De grace expliquez-vous.

LA PRINCESSE.

De grace expliquez-vous.Prince, il faut s’y reſoudre :
Pour la derniere fois je vous parle en ce lieu ;
Recevez d’une Amante un éternel adieu.

GELON.

De quelle prompte horreur ai-je l’ame ſaiſie ?
Un éternel adieu ! Vous m’arrachez la vie.
Où ſuis-je, juſte Ciel ! ai-je bien entendu ?
Un éternel adieu, Madame, m’eſt-il dû ?

LA PRINCESSE.

Il le faut, je le dois ; la Reine eſt ma rivale.
On vous appelle au Trône, & ma flâme fatale
S’oppoſeroit aux vœux que font tous nos États,
Pourroit vous dérober le fruit de vos combats,
Démentiroit le Ciel qui pour vous ſe déclare ?
Hé ! que ſeroit de plus une haine barbare ?
Non, non, connoiſſez mieux l’amour qu’on a pour vous :

Si je vous aimois moins, vous ſeriez mon époux.

GELON.

Ainſi donc votre amour prend ſoin de ma fortune ?
Ayez, ayez, Madame, une ame plus commune ;
Dans ces grands ſentimens l’amour a peu de part.
Ceſſez d’avoir pour moi cet outrageant égard.
Montrez-moi ces tranſports, & ces jalouſes larmes,
Ces chagrins que tantôt j’ai trouvé pleins de charmes,
Vous ne m’oppoſiez pas le Trône & la grandeur
Où vous me renvoyez avec tant de froideur.
Vous craigniez de me voir en épouſer une autre ;
Vous ſouhaitiez d’unir mon ſort avec le vôtre.
Voilà comme l’on aime, & j’en étois charmé.

LA PRINCESSE.

Prince, mon cœur jamais ne vous a tant aimé.
J’ai maintenant, Seigneur, un amour véritable :
Juſqu’ici ma tendreſſe étoit peu raiſonnable ;
J’ai craint d’être trahie, & ma fatale erreur
À garder ma conquête appliquoit tout mon cœur.
Helas ! la jalouſie eſt bien peu délicate ;
J’étois, en vous aimant, injuſte autant qu’ingratę.

Vous paroiſſiez perfide à mon eſprit jaloux ;
Doutant de votre foi je voulois être à vous,
Mon amour inquiet vous ôtoit la Couronne ;
Cet amour raſſuré, Prince, vous la redonne,
Helas ! pardonnez-moi ces vœux interreſſés,
Ces alarmes, ces ſoins à vous nuire empreſſés,
Ces ſoupçons, ces chagrins, enfin ce plaiſir même
Que m’ont fait vos refus de la grandeur ſuprême.

GELON.

Non, ma Princeſſe, non, n’éteignons point nos feux ;
Rendez-moi votre amour, c’eſt tout ce que je veux.

LA PRINCESSE.

Puiſque je ſuis aimée, & l’ai ſçû reconnoître,
Il eſt tems que je ſonge à mériter de l’être.
Pour moi vous renoncez aux honneurs les plus doux,
Mais je fais plus encore en renonçant à vous.
Regnez ; aux autres Rois vous devez un exemple :
Songez que l’Univers aujourd’hui vous contemple.
Vous rougirez un jour…

GELON.

Vous rougirez un jour…Vos vertus, l’équité,

Votre foi, tout m’engage à la fidélité :
S’il faut pour vous aimer porter une Couronne,
J’attends que mon épée à vos ſouhaits la donne.
Mais ce n’eſt point aux lieux où regne votre Sœur,
Que la gloire m’attend.

LA PRINCESSE.

Que la gloire m’attend.Puis-je être à vous, Seigneur ?
Verrois-je contre moi tout un Peuple en furie,
Me reprocher les maux de ma triſte Patrie ?
Les victoires, les biens que l’on perdroit par moi,
Et ce qu’on ſouffriroit de ſuivre une autre loi ?
Source de tant de maux, & ſous de tels auſpices,
Notre hymen pourroit-il avoir les Dieux propices ?

GELON.

Et moi, n’aurai-je donc rien à vous reprocher ?
Ingrate, mes maux ſeuls ne peuvent vous toucher.
Hé ! que m’importe à moi de la paix, de la guerre,
De ce Peuple indocile, & de toute la terre ?
Je ne voulois que vous. Votre cœur fut à moi.
Où porterez-vous donc ce cœur & votre foi ?

LA PRINCESSE.

C’eſt auprès des Autels où Diane eſt ſervie,
Que je prétends paſſer le reſte de ma vie.

Vous oublirez mon nom trop fatal & trop doux ;
Et ſi malgré mes ſoins je ſonge encore à vous,
Si ma tranquilité ne peut être parfaite,
Votre repos du moins eſt ſûr par ma retraite.

GELON.

Votre retraite, ah Dieux ! je ſçaurai l’empêcher :
Il n’eſt rien à mes yeux qui vous puiſſe cacher.
J’irai, n’en doutez point, dans tous les lieux du monde
Troubler de votre cœur la paix la plus profonde.
Fondé ſur vos ſermens que je veux maintenir,
Le Ciel même, le Ciel ne me peut retenir.
Un juſte déſeſpoir permet la violence ;
Et ſi vous mépriſez mes feux & ma conſtance,
Cruelle, vous verrez votre Amant furieux
Tout perdre, ſe venger, & mourir à vos yeux.

LA PRINCESSE.

Je ſens trop mes malheurs, cher Prince, à votre vûë.
Plus je differe & plus ma force diminuë.
Adieu, goûtez en paix le ſort qui vous attend.
Puiſſiez-vous être heureux, puiſqu’il m’en coûte tant !

GELON.

Je vois qu’il n’eſt plus tems d’employer la menace,

Madame, c’eſt à moi de vous demander grace.
Quoi ! malgré mes ſoupirs, mes pleurs, mon déſeſpoir,
Pourrez-vous vous reſoudre à ne me jamais voir ?

LA PRINCESSE.

Ah, Prince ! cachez-moi vos ſoupirs & vos larmes.
Lorſque vous m’attaquez avec de telles armes,
Vous me déſeſperez ; mon funeſte deſſein
Devient plus difficile, & non plus incertain.
J’en mourrai ; mais il faut que le tems vous conſole.

GELON.

Vous pourrez donc parrir ?

LA PRINCESSE.

Vous pourrez donc parrir ?Il faut que je m’immole.
Pour l’État, pour nos Dieux ſerez-vous ſans égard ?
Conſentez, s’il ſe peut…

GELON.

Conſentez, s’il ſe peutJe verrois ce départ !
Ah ! ſuſpendez du moins un deſſein ſi funeſte.
C’eſt dans ce mal preſſant le ſeul bien qui me reſte.
Madame, ſongez-y, vous me déſeſperez,
Mon trépas eſt certain lorſque vous partirez.

LA PRINCESSE.

Que dites-vous ? ah Ciel ! quelle eſt ma deſtinée ?
Hé bien, je vous accorde encor cette journée ;
Peut-être mes raiſons ſe feront mieux goûter.
Mais de ma force enfin vous me faites douter.
Tantôt à vous quitter je m’étois reſoluë,
Je ne m’en flatte plus, votre douleur me tuë.
Mais, Dieux ! quel mouvement mon cœur s’eſt’il permis ?
Je vous accorde un jour, puiſque je l’ai promis :
Mais ce jour expiré, quelqu’ennui qui me preſſe,
Je ferai voir ma force égale à ma foibleſſe.
Ne ſoyez pas plus foible, & ſouffrez mon malheur.
Soſtrate vient ; je ſors.


Scène IV.

GELON, SOSTRATE.
SOSTRATE.

Soſtrate vient ; je ſors.Vous triomphez, Seigneur ;
De vous parler ici, puis-je avoir l’avantage ?

Seigneur, quand faudra-t’il que je vous rende hommage ?
Daignerez-vous bientôt recevoir mes reſpects ?

GELON.

Vos hommages, Seigneur, me ſeroient trop ſuſpects,
Je ne me mettrai point en état d’y prétendre.

SOSTRATE.

Juſqu’à l’entier ſuccès il faut vous en défendre
On riſque ſes deſſeins à les faire éclater.

GELON.

Si j’avois ces deſſeins, je crois ſans me flater
Qu’à vos prétentions, Seigneur, je pourrois nuire.

SOSTRATE.

Qui l’ignore ? il ne tient qu’à vous de me détruire.
Comment vous réſiſter, quand je n’ai pour tous droits
Que d’être reſté ſeul du ſang de tous nos Rois ?
Je l’avoûrai, ce droit eſt foible auprès des vôtres.

GELON.

Vous devriez regner, mais on en nomme d’autres.
L’Epire de vos droits ſçait aſſez mal juger ;
Vous ſortez de ſes Rois, je ſuis un étranger.
Cependant vous voyez en cette conjoncture,

Que ſa voix en effet ne vous ſeroit pas ſûre.

SOSTRATE.

Sa faveur eſt pour vous, & la raiſon pour moi.
Mais ce n’eſt qu’à la Reine enfin à faire un Roi.
Vous comptez peu ſa voix, à ce que je puis croire.
À plaire au Peuple ſeul, vous mettez votre gloire.
Vos deſſeins cependant courroient quelque hazard,
Seigneur, ſi pour ſon ſang la Reine avoit égard.

GELON.

Ah, Seigneur, ſur ce point je n’ai rien à vous dire.
Je vous laiſſe le Trône où votre cœur aſpire ;
Mais encore une fois, ſi j’y voulois monter,
Vous ne me pourriez pas aiſément réſiſter.
Cependant pour jamais mon amour m’en ſépare :
Je ne veux point regner & je vous le déclare.
Ce que je fais peut-être eſt d’un aſſez grand poids.
Pour être bon à joindre à tous vos autres droits.

SOSTRATE.

Ce ſuperbe diſcours…


Scène V.

SOSTRATE, MILON.
MILON.

Ce ſuperbe diſcoursLa Reine va paroître,
Elle veut vous parler, Seigneur.

SOSTRATE.

Elle veut vous parler, SeigneurIl fait connoître
Par ſon air orgueilleux qu’il eſt ſûr de ſon cœur.
L’inſolence eſt toujours la marque du bonheur.
La Reine cependant m’a donné l’eſperance
D’avoir ſur mes Rivaux l’entiere préference.
Sçachons encore un coup ce que j’ai pû gagner.
Parlons, preſſons, il faut ou tout perdre, ou regner.

MILON.

Oui, fixez aujourd’hui votre attente incertaine ;
Le Peuple eſt aſſemblé dans la place prochaine,
Son amour pour Gelon a fait des mécontens.
Suivez votre projet, Seigneur, il en eſt tems ;
Vous voyez vos amis prêts à tout entreprendre,
Et leur nombre eſt plus grand qu’on ne pouvoit attendre.

Dès le moindre ſignal ils s’aſſembleront tous.
Sçachez ce que la Reine a reſolu de vous.

SOSTRATE.

Leur ſecours ſera bon ſi tout nous abandonne,
Mais je cede à l’eſpoir que la Reine me donne ;
Sans doute elle balance en dépit de l’amour,
Elle n’oſe paroître aux yeux de cette Cour.
Sans égard pour ſon ſang, ſans foi pour la Princeſſe,
Elle eſt Reine, & doit vaincre ou cacher ſa foibleſſe.
Qu’elle tremble, s’il faut qu’elle écoute ſes vœux ;
Je ne ſouffrirai point qu’un rival ſoit heureux.
Mon cœur jaloux médite une affreuſe vengeance.
De quoi n’eſt point capable un amour qu’on offenſe ?


Scène VI.

LA REINE, SOSTRATE.
SOSTRATE.

Vous voyez que le Peuple attente ſur vos droits,
Madame, & qu’il eſt prêt à vous preſcrire un choix :
Hâtez-vous d’arrêter le cours de cette audace,
Nommez, montrez un Maître à cette populace,
Madame, & les mutins ſaiſis d’un juſte effroi
Reconnoîtront ſoudain & leur Reine & leur Roi.

LA REINE.

Ce n’eſt point la hauteur, Prince, mais la prudence,
Qui peut d’un Peuple fier arrêter l’inſolence.

SOSTRATE.

Il ſeroit dangereux ici de ſe tromper ;
L’orage eſt foible encore, il peut ſe diſſiper.
Mais ſi par une foible & molle patience
Vous laiſſez juſqu’au bout croître ſa violence,
Votre pouvoir, Madame, une fois affoibli,
Jamais dans ſon état ne ſera rétabli.

Faites, faites un Roi dont le ſeul nom imprime
À des Sujets trop fiers un reſpect légitime,
Et qui ſorte d’un ſang qui ſoit accoutumé
À ſe voir dans ces lieux craint auſſi-bien qu’aimé.
J’oſerai rappeller ici votre promeſſe,
Tout vous parle pour moi, mes reſpects, ma tendreſſe,
Votre ſang, l’interêt de votre autorité ;
Je ſerois trop haï, ſi j’étois rejetté.

LA REINE.

Oui, je vous ai donné tantôt quelque eſperance,
Mais de la confirmer le Peuple me diſpenſe.
Je venois vous le dire, il eſt trop dangereux
D’irriter contre moi des eſprits orgueilleux.
Pour ſouhaiter mon cœur peut-être & ma Couronne,
Vous avez vos raiſons, & je vous le pardonne ;
Mais quand vous y penſez, je dois ſonger à moi.

SOSTRATE.

Vous avez vos raiſons, Madame, je le voi ;
Le fond de votre cœur par ce diſcours s’explique ;
Vous ne conſultez pas toujours la politique.

LA REINE.

Avez-vous oubliez, Prince, à qui vous parlez ?

SOSTRATE.

Souffrez mon déſeſpoir lorſque vous m’accablez.
J’excite le courroux, ſûr de l’indifference
Que peut craindre un Amant quand il perd l’eſperance.
Pourquoi m’empoiſonner tantôt d’un faux eſpoir ?
Ces divers mouvemens, Ciel ! que me font-ils voir ?
Un dépit, un retour.

LA REINE.

Un dépit, un retour.Qu’oſez-vous donc me dire ?

SOSTRATE.

Gelon eſt trop heureux, il ſçait ce qu’il inſpire.
Madame, cependant ſi j’en croi ſes fiertés,
Il n’eſt pas ſûr qu’il daigne agréer vos bontés.
Je vois que ce diſcours commence à vous déplaire ;
Je ſors, j’attirerois ſur moi votre colere.
Malheureux, mépriſé, votre haine aujourd’hui
Me puniroit encor pour le crime d’autrui.


Scène VII.

LA REINE, PHENIX.
LA REINE.

En faveur de Gelon quand vous m’avez preſſée,
Tantôt de votre ardeur je n’étois point bleſſée :
Mais j’ai d’autres deſſeins comme d’autres ſouhaits,
Phenix, & je deffens qu’on m’en parle jamais.

PHENIX.

Puis-je parler encore, & ne vous point déplaire ?
J’ai vû ſortir Soſtrate enflâmé de colere ;
Et ſi j’oſe le dire, on previent votre eſprit.
Par un diſcours trompeur Soſtrate vous aigrit.
Remplit d’un noir courroux, il excite le vôtre
Il craint de voir le Sceptre entre les mains d’un autre.
Il redoute ſur tout un Prince glorieux,
Seul digne de regner & de plaire à vos yeux.
Vous n’étiez pas tantôt contre lui prévenuë,
Votre eſprit a changé ; Soſtrate vous a vûë.
Ah, Madame, aujourd’hui que vos heureux Sujets,

De votre amour pour eux puiſſent voir les effets.
Que la raiſon d’État ſur vous ſoit ſouveraine.
Dans un jour ſi marqué ne vous montrez que Reine.
Procurez-nous la paix, la gloire & le repos,
En nous donnant pour Roi le plus grand des Heros.
Mais je laiſſe un diſcours dont l’ardeur vous offenſe ;
La ſujet qui m’amene eſt d’aſſez d’importance,
De l’Armée en ces lieux il vient des Députés,
Madame, ils ont deſſein d’implorer vos bontés.
On ne ſçait pas encor la grace qu’ils demandent.

LA REINE.

Hé bien, allons, Phenix, ſçavoir ce qu’ils attendent.

Fin du quatriéme Acte.

ACTE V.


Scène PREMIÈRE.

GELON, PHENIX.
PHENIX.

La nouvelle, Seigneur, n’en eſt que trop certaine,
Soſtrate eſt irrité des refus de la Reine.
Son trouble, ſes amis qu’il aſſemble en ſecret,
Font trop voir qu’il médite un funeſte projet.
L’on a même un ſoupçon qui paroit vraiſemblable,
Que de la mort d’Attale il ſe trouve coupable,
Les amis que l’on voit qu’il avoit ſçu gagner,
Marquent que dès longtems il ſongeoit à regner.

La Reine épouvantée ordonne qu’on l’arrête,
Et le Sceptre eſt à vous ſi votre main eſt prête.
Puiſque le Ciel vous l’offre, il faut le recevoir.

GELON.

Le Ciel ne m’offre point le ſouverain pouvoir,
Puiſqu’il me l’offre au prix de faire une injuſtice.

PHENIX.

Ainſi l’amour vous mene au gré de ſon caprice.
Pourquoi vous ſignaler par d’illuſtres exploits,
Si la gloire eſt chez vous ſoumiſe à d’autres loix ?…
Choiſiſſez du Heros ou de l’Amant fidelle.
Le Trône eſt des Heros la place naturelle :
Leur grand cœur par l’amour n’eſt jamais abattu ;
L’amour eſt leur foibleſſe, & non pas leur vertu.

GELON.

Phenix, l’amour en moi n’eſt point une foibleſſe.
Mais j’allois, comme on ſçait, épouſer la Princeſſe.
Il ne peut arriver d’aſſez grands changemens
Pour me faire oublier ma foi ni mes ſermens.
Je ferois ſans amour tout ce qu’on me voit faire.
La Princeſſe a pour moi l’ardeur la plus ſincere
Qui jamais d’un Amant ait engagé la foi ;
Pour me placer au Trône elle renonce à moi,

Elle eſt prête à choiſir une triſte retraite :
Et loin, de reconnoître une ardeur ſi parfaite,
Pourrois-je, profitant d’un ſi funeſte effort,
Regner par ſes malheurs, peut-être par ſa mort ?
Entre les bras de Phedre elle eſt preſque mourante.
Du deſſein qu’elle a fait tout ſon cœur s’épouvante.
Je vois couler ſes pleurs, ils demandent ma foi,
Et malgré ſes diſcours ce ſont eux que j’en croi.
Si je l’abandonnois au tourment qui l’accable,
Phenix, je me croirois un monſtre abominable.

PHENIX.

Quoi donc ! l’Epire en vain vous marque ſon amour ?
Tout le Peuple à grands cris vous demande en ce jour :
Et ſçavez-vous encor, Seigneur, que notre Armée,
De vos fameux exploits autrefois ſi charmée,
Fait par des Députés arrivés au Palais,
Au moment que je parle expliquer ſes ſouhaits ?
Pour l’interêt commun ils conjurent la Reine
De fixer de l’Etat la fortune incertaine ;
De nous donner un Roi qui puiſſe tout calmer :
Et pour tout dire enfin, Seigneur, de vous nommer.
Le Peuple qui déja vous a marqué ſon zele ;
Suit encor ſon exemple & députe comme elle.

Après un tel éclat pouvez-vous balancer ?
Tout l’Etat ſur le Trône a voulu vous placer.
Les Peuples ont oſé vous demander pour Maître ;
Il ſeroit dangereux pour vous de ne pas l’être ;
Sans ceſſe un autre Roi juſtement alarmé,
Vous tiendroit criminel d’avoir été nommé.

GELON.

La crainte ſur mon cœur n’a pas beaucoup d’empire.
Vous pouviez m’épargner l’embarras de le dire.
Ces périls, s’il eſt vrai que j’en ſois menacé,
Me feront achever ce que j’ai commencé.

PHENIX.

Ah, Seigneur ſe peut-il… Mais la Reine s’avance.



Scène II.

LA REINE, GELON.
LA REINE.

Du reſpect qui m’eſt dû pour vous on ſe diſpenſe.
Vous ſçavez que l’Armée a député vers moi,
Et m’oſe demander de vous nommer pour Roi

Ce ſoin dans des Sujets renferme trop d’audace.
Qui vient prier ainſi ſecretement menace.
Un pas auſſi hardi bleſſe l’autorité.

GELON.

Madame, vous ſçavez ſi j’ai rien attenté.
Dans le crime du Peuple on ne peut me confondre.

LA REINE

Il n’eſt pas tems encor, Prince, de me répondre.
À leur zele preſſant je n’ai rien refuſé ;
Dans l’état où je ſuis je ne l’ai pas oſé.
À votre choix encor j’ai remis ma réponſe ;
Mais après écoutez ce que je vous annonce.
L’on a beſoin d’un Roi, vous le voyez aſſez.
La guerre dont encor nous ſommes menacez,
Par un Roi ſeulement peut être ſoutenuë ;
Un Roi ſeul peut calmer la populace émuë.
Si vous ne l’êtes pas, il faut quitter ces lieux :
Prince, votre perſonne attire trop les yeux.
Après ce que pour vous mes Peuples oſent faire,
Après qu’ils ont marqué cette ardeur téméraire,
Sans doute un autre Roi ne vous laiſſera pas
Avec tranquilité vivre dans ſes Etats.
Cette même valeur qui nous ſeroit utile.

Si vous ne regnez pas, fait que je vous exile.
Mes Sujets à l’aimer ſeroient toujours portez.
Les détours ſeroient vains : ou regnez, ou partez.

GELON.

Oui, votre autorité, Madame, eſt trop bleſſée
Par le choix que propoſe une foule inſenſée :
Et vous devez payer par un juſte refus
Un inſolent orgueil qui ne vous connoît plus.
Les égards ſont honteux dans une Souveraine,
Refuſez vos Sujets, puiſque vous êtes Reine.

LA REINE.

De mon autorité vous prenez l’interêt ;
Vous le devez ſans doute, & votre ſoin me plaît.
Je l’avois négligée en ce qui vous regarde,
Et peut-être ma gloire en ce point ſe hazarder
Mais peut-être qu’auſſi dans de pareils projets
Elle n’eſt qu’à chercher le bien de mes Sujets.
Un Sceptre eſt floriſſant dans des mains qu’on adore ;
Je n’ai donc point rougi de vous l’offrir encore.

GELON.

Hé, Madame ! ſongez ſi j’ai pû l’accepter ?

LA REINE.

Un inutile amour vous fait donc réſiſter
À votre propre gloire, aux ſouhaits de l’Epire ?
Il falloit m’imiter, l’exemple a dû ſuffire.

L’amour ſur nos pareils doit être ſans pouvoir.
J’aimai, je vous le dis, & vous l’avez ſçu voir ;
Mais je hais encor plus, & je veux vous l’apprendre,
Car enfin de mon cœur je ne ſçai point dépendre.
Je vous aimois, je pus vous donner à ma Sœur,
Ma main s’offroit ailleurs quand vous aviez mon cœur.
Et victime en effet pour en être plus Reine,
J’immolois à l’Etat mon amour & ma haine.
Depuis Attale mort, l’État a demandé
Qu’on vous offrît le Trône, il vous eſt accordé,
Par le même interêt que j’épouſois Attale,
Je vous ai fait une offre à vos déſirs fatale.
Votre amour en murmure, & n’a pu ſe trahir :
Vous m’avez refuſée, & je dois vous haïr.
Je vous hais donc autant que le veut la juſtice ;
Mais de ma haine encor je fais le ſacrifice.
L’État eſt le plus fort, je veux vous faire Roi
Malgré des ſentimens qui ne ſont que pour moi.

GELON.

Madame, il faut partir ; l’exil eſt légitime.
Haïſſez-moi pourtant ſans m’ôter votre eſtime.
Par la foi, par l’honneur mon cœur eſt arrêté ;
Je ne puis être à vous ſans bleſſer l’équité.

C’eſt à d’autres deſtins que la gloire m’appelle
Et je refuſe un Trône en courant après elle.



Scène III.

LA REINE, ſeule.

Interdite, confuſe, & déteſtant mon ſort,
Eſt-il d’autres remedes à mes maux que la mort !
Mon cœur déſeſperé ſent tous les maux enſemble.
Je me plains d’un ingrat, je l’exile, & j’en tremble !
Je ſens tous ſes mépris qui me viennent aigrir !
Je ne puis pardonner, mais je ne puis haïr !



Scène IV.

LA REINE, PHEDRE.
PHEDRE.

Du ſort de la Princeſſe êtes-vous informée ?
Auſſitôt qu’elle a ſçu les ſouhaits de l’Armée,

Du Temple de Diane elle a pris le chemin.

LA REINE.

Juſte Ciel !

PHEDRE.

Juſte Ciel !Elle veut y fixer ſon deſtin.
Le Prince de Sicile en apprend la nouvelle.
Il ſortoit d’avec vous, il part, vole après elle ;
Mais vainement, Madame, il court pour l’arrêter.
Si vous ne l’aidez pas, que pourra-t’il tenter ?
Vous perdez une Sœur, une aimable Princeſſe.
Daignez la rappeller, Madame, le tems preſſe.
Le Temple de Diane eſt proche de ces lieux.

LA REINE.

Allez, qu’elle revienne, & ſe montre à mes yeux.
Que ma Garde l’amene.



Scène V.

LA REINE, ſeule.

Que ma Garde l’amene.Ô Gloire trop fatale !
Rappeller près de moi mon heureuſe Rivale !
C’eſt l’effort douloureux qui ſignale l’amour

Qu’en ce moment cruel je viens de mettre au jour.
Que ne me donniez-vous, Ciel, une ame commune.
N’ai-je de la vertu que pour mon infortune.
Hélas ! faut-il prêter moi-même du ſecours
Aux deſirs d’un Ingrat qui m’offenſe toujours ?
Quoi ! même dans l’inſtant qu’il apprend que je l’aime,
Il vôle après ma Sœur plein d’une ardeur extrême.
Cependant loin de ſuivre un trop juſte courroux,
Je reconnois ma Sœur dans mes tranſports jaloux.
Il l’aimoit, il la trouve Amante généreuſe :
Mais qu’on l’eſt aiſément lorſque l’on eſt heureuſe !
Que je ſens de chagrins ! Ô jour plein de douleur !
La mort d’Attale, hélas, me devient un malheur.
Eſt-ce aſſez, Dieux cruels, quel ſouci me dévore ?
Si j’en crois mes frayeurs, que dois-je attendre encore ?



Scène VI.

LA REINE, ARGIRE.
ARGIRE.

Ah, Madame, quels maux ai-je à vous annoncer !
L’ordre, vos droits ſacrés, tout va ſe renverſer.
Du Temple de Diane approchoit la Princeſſe,
Lorſque Gelon l’arrête ; atteſte la Déeſſe ;
Invoque tous les Dieux de la foi protecteurs ;
Il ſe jette à ſes pieds qu’il mouille de ſes pleurs :
Menace, prie, & marque une douleur mortelle.
Elle employe à le vaincre une adreſſe cruelle ;
Leur douleur, leur vertu ſe montrent tour à tour ;
Tout le Peuple eſt touché d’un ſi parfait amour.
Lors votre ordre eſt reçû, votre Garde eſt venuë.
Elle emmene à nos yeux la Princeſſe éperduë.
Gelon l’eſprit calmé veut partir dans l’inſtant,
Mais de ſon juſte exil le Peuple eſt mécontent.
On entoure ce Prince au milieu de la Place ;
De le proclamer Roi quelques uns ont l’audace.

On nomme la Princeſſe en ce même moment.
Arrêtez ce déſordre en ſon commencement.
Quoique Gelon encor veuille bien ſe deffendre
D’un honneur que ſans vous il ne doit point attendre,
Qui ſçait… ?



Scène VII.

LA REINE, LA PRINCESSE ARGIRE.
LA PRINCESSE.

Qui ſçaitÀ Mes deſſeins pourquoi vous oppoſer ?
Madame, ma retraite alloit tout appaiſer.
Et j’apprens ce qu’on oſe en mon nom ſe permettre,
Ma vie et en vos mains, & je viens m’y remettre.

LA REINE.

Allons, & nous montrons à des Sujets ingrats.
Princeſſe, demeurez. Vous, ne me ſuivez pas.



Scène VIII.

LA PRINCESSE, ARGIRE.


LA PRINCESSE.

Grands Dieux, qui me comblez aujourd’hui de diſgraces,
Vos mains de me frapper ne ſont-elles point laſſes ?
N’ai-je point épuiſé vos coups les plus affreux ?
Et quel crime ai-je enfin qu’un amour malheureux ?
Mais pourquoi me cacher à ce Peuple infidele ?
Allons aux yeux de tous déteſter ſon faux zele.
S’il le faut, pour borner le cours de ſa fureur,
Ceſſons, ceſſons de vivre, & vengeons une Sœur.

ARGIRE.

La Reine ne veut point ce cruel témoignage,
Madame, & l’on vous ferme en ces lieux le paſſage.
Mais elle remettra les cours dans leur devoir,
Et dans peu de momens vous allez le ſçavoir.

LA PRINCESSE.

Je le ſouhaite, Dieux ! mais ma frayeur redouble.
Un noir preſſentiment m’inquiéte & me trouble.
Eſt-ce la vérité qui parle dans mon cœur,
Ou ſi c’eſt ſeulement la crainte & la douleur ?



Scène IX.

LA PRINCESSE, PHÈDRE, ARGIRE.
LA PRINCESSE.

Phèdre, ſi tu le ſçais, dis-nous ce qui ſe paſſe ?

PHEDRE.

Auſſitôt que la Reine a paru dans la Place,
Le reſpect naturel que lui doivent les cœurs
A diſſipé l’orage & calmé les rumeurs.
Cette crainte qu’en nous le juſte Ciel imprime,
Pour ceux qu’il fait regner par un droit légitime,
Impoſe le ſilence aux plus ſéditieux.
Gelon a, de la voir, rendu graces aux Dieux.

Juſqu’alors arrêté par une injuſte foule,
À l’aſpect de la Reine il voit qu’elle s’écoule ;
Il s’approche, il lui parle, il ſe jette à genoux,
Lui marque ſon reſpect, nous le fait voir à tous ;
Lui jure qu’à ſes droits plutôt qu’on faſſe atteinte,
Son épée à nos yeux de ſon ſang ſera teinte.
La Reine parle au Peuple, & ſe fait écouter,
Quelques uns à ſes pieds vont enfin ſe jetter.
Et quand ce calme heureux ſans doute alloit renaître,
Nous avons vû Soſtrate & ſes amis paroître ;
D’une foule execrable on le voit eſcorté.

LA PRINCESSE.

Quoi, Soſtrate ! Le traître, il n’eſt point arrêté ?

PHEDRE.

Les Gardes envoyés pour ſaiſir le perfide
L’ont trouvé ſoutenu d’une troupe intrépide.
Ils ont été défaits, Madame, & contre nous
Les traîtres maintenant oſent tourner leurs coups.
Mille traits ſont partis dans ce déſordre extrême ;
On n’a point de reſpect pour la Reine elle-même.

LA PRINCESSE.

Dieux ! la Reine & Gelon, à leurs traits expoſez,
Trouveroient-ils la mort que vous me refuſez ?


Scène X.

LA PRINCESSE, PHENIX, ARGIRE.
PHENIX.

Madame, pardonnez ma triſteſſe & ma peine,
Quand je vous viens ici reconnoître pour Reine.
La Reine eſt morte.

LA PRINCESSE.

La Reine eſt morte.Ah, Ciel ! Argire, ſoutiens-moi.

PHENIX.

Soſtrate a pû penſer que Gelon étoit Roi.
L’ordre d’être arrêté qui menaçoit ſa tête ;
La Reine qui tout haut crie encor qu’on l’arrête,
Tout excite ſa rage & trouble ſon eſprit ;
De ſon cruel abord rien ne nous garentit.

Mille traits ſur le Peuple ont marqué ſa furie.
Les plus audacieux tremblent lors pour leur vie.
La Reine à ſon péril dédaigne de ſonger ;
Ce n’eſt que pour Gelon qu’elle craint le danger.
Loin d’éviter la mort à lui ſeul préparée,
Elle eſt près de ce Prince à ſon péril livrée.
Elle croit détourner les coups par ſon aſpect,
Et que pour ſa préſence on aura du reſpect.
Rien n’arrête Soſtrate, il ſe fait un paſſage :
Tu vas regner, Gelon, reçois donc mon hommage,
Lui dit-il ; mais lui-même il ſe livre à la mort.
Gelon vers lui s’avance, & par un prompt effort
Dans le ſang du perfide il lave ſon offenſe.
Soſtrate meurt. Milon en veut tirer vengeance :
Il lance un trait fatal, quel demon le conduit !
La Reine en eſt frappée, & dans l’inſtant il fuit.
Elle fait quelques pas pour aller juſqu’au Temple,
Nous laiſſant de ſon zele un glorieux exemple ;
On veut la ſecourir, mais le coup eſt mortel.
Elle invoque Diane, & meurt ſur ſon Autel.
Nous pourſuivons Milon, notre fureur l’accable.

Nous avons déchiré ce monſtre abominable.
On voit moins un combat qu’un carnage odieux.
Gelon aux ennemis paroît un de nos Dieux,
Mais un Dieu courroucé, juſte vengeur du crime.
Chaque coup de ſa main immole une victime.
La ſuite eſt le ſeul bien qui les puiſſe tirer
Des maux, où par eux même ils ont ſçu ſe livrer.

LA PRINCESSE.

Je demeure immobile, & dans mon mal extrême
À peine je me ſens & me connois moi-même.
Allons, allons encore embraſſer une Sœur.
Puiſſions-nous l’embraſſant expirer de douleur.



Scène DERNIÈRE.

LA PRINCESSE, GELON,

PHENIX, ARGIRE,

PHEDRE.


GELON.

Madame, je ne viens avec vous que me plaindre.
Vos malheurs ſont plus grands que vous ne pouviez craindre.

Je vous connois. Je ſçai qu’un Trône, & ſes appas
De la mort d’une Sœur ne vous conſole pas.
Du moins ſi la vengeance adoucit une perte,
Cette triſte douceur à vos vœux eſt offerte.
Les criminels ſont morts, & le parti qui fuit
Par le Peuple irrité dans peu ſera détruit.

LA PRINCESSE.

Vous devez être ſûr de ma reconnoiſſance,
Mais de vous la marquer la douleur me diſpenſe.
Cependant, ſi je vis, je vous garde ma foi ;
Vous aurez tous les vœux & du Peuple & de moi.

FIN


APPROBATION.

J’ai lû par ordre de Monſeigneur le Garde des Scéaux les Tomes, IV. V. VI. VII. VIII. IX. & X. du Théatre François. À Paris le 3 Août 1734. Signé, GALLYOT.

PRIVILÈGE DU ROI.

Louis, par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre, à nos amez & feaux Conſeillers, les Gens tenans nos Cours de Parlemens, Maîtres des Requeſtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conſeil, Prevôt de Paris, Baillifs, Senechaux, leurs Lieutenans Civils & autres nos Juſticiers qu’il appartiendra, Salut. Notre bien amé P. J. Ribou, Libraire à Paris, Nous ayant fait remomter qu’il ſouhaiteroit continuer à faire réimprimer & donner au public le Théatre François ou Recueil des meilleures Pieces, Œuvres de Théatre de Campiſtron, s’il Nous plaiſoit lui accorder nos Lettres de Privilege à ce néceſſaires ; s’offrant pour cet effet de le faire réimprimer en bon papier & beaux caracteres, ſuivant la feuille imprimée & attachée pour modele ſous le contre-ſcel des Préſentes : À ces causes voulant traiter favorablement ledit Expoſant, nous lui avons permis & permettons par ces Preſentes de faire réimprimer leſd. Livres ci-deſſus ſpeciſiés, en un ou pluſieurs volumes, conjointement ou ſeparément & autant de fois que bon lui ſemblera, ſur papier & caracteres conformes à lad. feuille imprimée & attachée ſous notred. contre-ſcel, & de les vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le tems de 6 années conſécutives, à compter du jour de l’expiration du précedent Privilege. Faiſons défenſes à toutes ſortes de perſonnes, de quelque qualité & condition qu’elles ſoient, d’en introduire d’impreſſion étrangere dans aucun lieu de notre obéïſſance ; Comme auſſi à tous Libraires, Imprimeurs & autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contrefaire aucuns deſd. Livres ci-deſſus expoſés, en tout ni en partie, ni d’en faire aucuns extraits ſous quelque prétexte que ce ſoit, d’augmentation, correction, changement de titre, même en feuilles ſéparées ou autrement, ſans la permiſſion expreſſe & par écrit dud. Expoſant ou de ceux qui auroient droit de lui, à peine de confiſcation des exemplaires contrefaits, de ſix mille liv. d’amende contre chacun des contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, l’autre tiers aud. Expoſant, & de tous depens, dommages & interêts. À la charge que ces Preſentes ſeront enregiſtrées tout au long ſur le Regiſtre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris dans trois mois de la datte d’icelles ; que l’impreſſion de ces Livres ſera faite dans notre Royaume & non ailleurs, & que l’Impetrant ſe conformera en tout aux Réglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10. Avril 1725. & qu’avant que de les expoſer en vente, les manuſcrits ou imprimés qui auront ſervi de copie à l’impreſſion deſd. Livres ſeront remis dans le même état où les Approbations y auront été données ès mains de notre très-cher & feal Chevalier Garde des Sceaux de France, le ſieur Chauvelin, & qu’il en ſera enſuite remis deux exemplaires de chacun dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le ſieur Chauvelin ; le tout à peine de nullité des Preſentes ; du contenu deſq. vous mandons & enjoignons de faire joüir l’Expoſant ou ſes ayans cauſe, pleinement, & paiſiblement ſans ſouffrir qu’il leur ſoit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie deſd. Preſentes, qui ſera imprimée tout au long au commencement ou à la fin deſd. Livres, ſoit tenuë pour dûëment ſignifiée, & qu’aux copies collationnées par l’un de nos amez & ſeaux Conſeillers Secretaires, foi ſoit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier notre Huiſſier ou Sergent, de faire pour l’execution d’icelles tous Actes requis & néceſſaires ſans demander autre permiſſion, & nonobſtant Clameur de Haro, Chartre Normande, & Lettre à ce contraires. Car tel eſt notre plaiſir. Donné à Verſailles le 19 Août l’an de grace 1734, & de notre Regne le 19. De par le Roi en ſon Conſeil, SAINSON.

Regiſtré ſur le Registre VIII. de la Chambre Royale des Libraires & Imprimeurs de Paris N. 778, folio 762 conformement aux anciens Reglemens confirmés par celui du 28 Fevrier 1723. À Paris le 2 Octobre 1734.

Signé, G. MARTIN, Syndic.

De l’Imprimerie de G. Valleyre, Fils.