Lamennais - Le prêtre et l’ami

Lamennais - Le prêtre et l’ami
Revue des Deux Mondes5e période, tome 51 (p. 559-600).
LAMENNAIS
D’APRÈS UNE CORRESPONDANCE INÉDITE

LE PRÊTRE ET L’AMI

Un des compatriotes de Lamennais, le bénédictin dom Lobineau, auteur d’une Vie des Saints de Bretagne, rapporte qu’un vénérable religieux avait coutume d’ajouter aux litanies des Saints, qu’il récitait chaque jour, cette invocation personnelle : A furore sanctorwn libera me, Domine. Cette fureur des saints, Lamennais en a souffert de son vivant et après sa mort. De son vivant, il fut maintes fois dénoncé et calomnié avec une âpreté où les rancunes personnelles se donnaient carrière, et après sa mort, il n’y eut, pendant un demi-siècle, écrivain pieux qui ne se crût obligé d’accoler à ce nom quelque qualification flétrissante. Puis, avec le temps et sous l’influence d’idées nouvelles dans le monde catholique, une réaction s’est opérée en faveur de Lamennais et meilleure justice lui a été rendue. On s’est rappelé que, durant toute la première moitié de sa vie, il avait été un grand serviteur de l’Eglise, et l’on a reconnu que, s’il l’a répudiée avec éclat durant la seconde, il a eu cependant cette singulière fortune que, depuis sa mort, quelques-unes de ses doctrines théologiques et sociales ont été consacrées par elle. En effet, lorsqu’il se posait en champion fougueux de l’infaillibilité pontificale, il ne faisait que devancer la décision doctrinale promulguée par le Concile du Vatican, et lorsque, avant de verser, comme il devait le faire plus tard, dans la démagogie, il se bornait à convier le peuple « au banquet d’espérance, » lorsqu’il adjurait les catholiques de ne point montrer à la démocratie un visage systématiquement hostile, il ne faisait également que devancer les instructions de Léon XIII. Aussi le ton des auteurs catholiques qui se sont occupés de lui le plus récemment s’est-il modifié de façon singulière. C’est ainsi que M. l’abbé Roussel, dans son Lamennais d’après des documens inédits, et M. l’abbé Boutard, dans son Lamennais, sa vie et ses doctrines, ouvrage tout à fait remarquable, récemment couronné par l’Académie française, ont tous deux parlé de l’auteur des Affaires de Rome non seulement avec égards, mais avec sympathie, et que, tout en portant sur lui le jugement qu’il est impossible à un prêtre de ne pas porter, ils ont plaidé en sa faveur les circonstances atténuantes. Dans un autre camp, M. Spuller lui a consacré une biographie qui est presque un dithyrambe, car il a découvert dans le prêtre Breton un ancêtre de la troisième République. A quelque point de vue qu’on se place, l’heure est donc favorable à Lamennais, et je la crois propice à la publication d’une correspondance, demeurée jusqu’ici inédite, qui m’a été confiée. Cette correspondance, très différente par le ton de celles qui ont été publiées jusqu’à présent, le fera voir sous un jour assez intéressant et nouveau ; mais il faut d’abord faire connaître les circonstances dans lesquelles cette correspondance s’ouvrit.


I

L’année 1818 fut, dans la vie orageuse de Lamennais, à la fois la plus brillante et la plus paisible. Le premier volume de l’Essai sur l’indifférence en matière de religion avait paru vers la fin de l’année précédente, et, d’inconnu la veille, l’avait, presque du jour au lendemain, rendu célèbre. « Ce livre-là réveillerait un mort, » disait Mgr Frayssinous pour qui Lamennais devait bientôt se montrer si sévère. Chateaubriand lui prédisait l’immortalité ; un écrivain religieux le comparait à Pascal, et Lacordaire pouvait, bien des années après, dire sans exagération « qu’il s’était trouvé en un seul jour investi de la puissance de Bossuet. »

Cet éclatant succès n’avait rien changé à la vie et aux habitudes très simples de Lamennais. Il demeurait alors dans cette impasse des Feuillantines, les « vertes Feuillantines » dont Victor Hugo a rendu célèbre le nom poétique et doux. Il y avait trouvé l’hospitalité dans un pensionnat ouvert, au retour de l’émigration, par trois vieilles demoiselles bretonnes, qui restèrent pour lui jusqu’à la fin des amies fidèles. Il y occupait un très modeste appartement où il passait presque toutes ses journées, sortant très peu et s’absorbant dans ses travaux. Très frileux, il se tenait presque toujours assis au coin du feu, revêtu d’une grande lévite qui lui tombait jusqu’aux pieds, un mouchoir sur les genoux. Quand on sonnait à sa porte, c’était presque toujours lui-même qui allait ouvrir, et, presque toujours aussi, le visiteur qui demandait : L’abbé de Lamennais, s’étonnait qu’un personnage de si chétive apparence répondît : C’est moi.

Ces fréquentes visites importunaient Lamennais, qui se plaignait que les curieux le vinssent voir « comme le singe de la foire. » Cependant, quand, par l’intermédiaire de l’abbé Carron, qui était l’aumônier du pensionnat et le directeur de Lamennais, une femme, de lui inconnue, lui fit demander de la recevoir, en vrai prêtre qui sait qu’il se doit à toutes les âmes, il ne se crut pas le droit de la repousser, et il répondit à cette démarche par la lettre suivante :


L’abbé de Lamennais, auteur de l’Essai sur l’Indifférence en matière de religion, se fera un plaisir et un devoir de conférer avec la personne qui a écrit à M. l’abbé Carron pour demander son adresse. Il sera chez lui demain mardi depuis dix heures du matin, jusqu’à une heure.


Par ce billet laconique, s’ouvrit une correspondance qui devait durer autant que la vie de Lamennais, car, si la première lettre est de 1818, la dernière est datée de janvier 1854, c’est-à-dire d’un mois avant sa mort. C’est cette correspondance, précieusement conservée, depuis la première lettre jusqu’à la dernière, que je voudrais faire connaître par de larges extraits, avant le jour où elle sera publiée intégralement.

La personne à qui ces lettres sont adressées s’appelait, de son nom de jeune fille, Marie-Madeleine-Olympe du Buc de Sainte-Olympe. Elle était née en 1790, à Saint-Domingue. Son père demeura longtemps aux Antilles, où il devint gouverneur de la Martinique. Sa mère, au contraire, revint en France et s’établit à Orléans. Elle se sépara de sa fille et la confia à Mme Campan, l’ancienne femme de chambre de Marie-Antoinette, qui avait ouvert à Ecouen un pensionnat célèbre, devenu le berceau des maisons de la Légion d’honneur. Olympe de Saint-Luc y reçut une éducation qui, au point de vue intellectuel, était assez forte pour le temps, mais qui, au point de vue moral et surtout religieux, était peut-être insuffisante. Bien des années après, dans une lettre à une amie, elle jugeait cette éducation et surtout elle-même avec une sévérité excessive :


Je me débats dans mon imperfection pour tirer de moi quelque chose d’utile à mes enfans, et ce quelque chose, je l’extrais à grand’peine d’une nature violente, passionnée, inégale, sur laquelle l’éducation n’a point passé lorsqu’elle était encore maniable, et qui depuis, raidie par l’âge et l’habitude, ne s’est ployée qu’avec effort et incomplètement devant de tardives convictions. Je me pleure de bien bonne foi en reconnaissant ce que je suis et en entrevoyant ce que j’aurais pu être si l’on m’avait élevée comme je tâche d’élever ceux dont la destinée m’est confiée. J’espère qu’il ne sera pas vrai pour eux que les fautes des pères soient perdues pour les enfans…


Les défauts dont elle s’accusait avec une humilité si touchante n’étaient que ceux d’une très noble et généreuse nature. Toute sa vie, elle demeura en effet ardente, impétueuse, sujette à des impulsions brusques où le cœur l’emportait parfois sur la raison. Elle ne pouvait se défendre d’apporter dans toutes les relations, dans toutes les affections, quelle qu’en fût la nature, des exigences excessives. Donnant beaucoup, elle croyait fréquemment ne pas recevoir autant qu’elle donnait. « Elle aurait voulu, m’a dit une personne de sa famille, être aimée, comme Dieu, d’un amour exclusif. » Elle-même n’était cependant pas exclusive et savait au contraire, dans les affections les plus diverses, faire à chacun une large part. A un ami d’enfance qui craignait précisément qu’une affection nouvelle ne portât quelque préjudice à celle qu’elle lui portait d’ancienne date, elle faisait cette jolie réponse : « Rassurez-vous ; votre amitié m’est plus que jamais nécessaire ; en ce genre, le cœur n’a pas trop de tout. »

A dix-sept ans, Olympe de Saint-Luc fut mariée à un petit gentilhomme, M. de Lacan, qui eut de graves torts envers elle, et dont elle ne tarda pas à se séparer. Libre de tous devoirs, elle mena, pendant une dizaine d’années, la vie du monde, fréquentant de préférence les salons qui, durant les dernières années de l’Empire ou les premières de la Restauration, avaient conservé les traditions du XVIIIe siècle, entre autres celui de la belle princesse de Chimay, autrefois Mme Tallien, et celui de Mme de Boufflers, autrefois Mme de Sabran. Elle était fort belle. Une miniature de cette époque de sa vie la montre en costume du temps, c’est-à-dire fort décolletée, avec des bras, des épaules et des yeux superbes. Jusqu’à la fin de sa vie, elle conserva cette dernière beauté de la femme. Je me souviens de l’avoir vue dans ma jeunesse et d’en avoir été frappé. Pour ne présenter rien en soi de répréhensible, l’existence qu’elle menait n’était donc pas sans danger pour une jeune femme sans protecteur et sans gardien. Comme il arrive souvent aux femmes qu’entraîne le tourbillon du monde, elle valait cependant mieux que sa vie, et elle en sentait tout le vide. Peu à peu, le dégoût de cette vie l’envahissait, et son âme se tournait vers les préoccupations religieuses. Elle avait, suivant une belle expression, « le tourment des choses divines, » et elle faisait la confidence de son tourment à cet ami d’enfance dont j’ai parlé tout à l’heure et qui devait un jour, sous le nom de Benoist d’Azy, se faire une situation considérable dans la politique et la grande industrie. Elle lui écrivait :


Chaque jour les idées religieuses m’occupent davantage ; mon esprit suit cette pente, et mon âme cherche cette lumière. Ce que j’éprouve est peut-être une trop faible lueur qui s’éteindra et me laissera de nouveau plongée dans les ténèbres. Je la soigne et l’échauffé avec un mélange de joie et de crainte. Quelquefois il me semble qu’elle devient plus vive et quelquefois je crois qu’elle va mourir.


Elle était dans cette disposition anxieuse quand le premier volume de l’Essai sur l’Indifférence en matière de religion, qui faisait alors grand bruit, lui tomba sous la main.

L’Essai sur l’Indifférence trouve aujourd’hui peu de lecteurs. Je n’oserais garantir contre une déception ceux qui entreprendraient cette lecture. C’est le propre des livres d’apologétique de vieillir vite. Je me suis laissé conter qu’un vieux professeur de théologie croyait un jour avoir fait une réponse victorieuse à certaine objection soulevée par un séminariste, son élève. Mais le séminariste lui ayant répondu à son tour : « Cela ne prouve rien, » le vieux professeur se contenta de dire en soupirant : « De mon temps, cela prouvait. » C’est que l’esprit humain est ainsi fait qu’il change d’objections, parce qu’il change de dispositions. Lamennais avait donné comme épigraphe à son ouvrage cette parole de l’Écriture : Impius, quum in profundum venerit, contemnit, et il n’avait pas tort. Si paradoxale en effet que l’opinion puisse paraître, on serait fondé à prétendre que la doctrine catholique était tenue en moins haute estime sous la Restauration que de nos jours. Sans doute, le décor, la façade, étaient catholiques. Pour les uns, la religion catholique était l’un des articles d’un programme politique ; pour les autres, elle demeurait une convenance sociale et une règle des usages, sinon des mœurs ; pour d’autres encore, elle servait de thème à des élucubrations littéraires ou poétiques ; mais Lamennais avait raison lorsque, sous cet aspect trompeur, son œil perçant découvrait un fond d’indifférence. Les esprits qui se considéraient comme supérieurs et qui n’étaient que superficiels croyaient que la doctrine catholique avait fait son temps et qu’elle serait prochainement remplacée par une vague philosophie spiritualiste, et quant aux autres, « aux âmes faibles, aux esprits légers, mais non pervertis entièrement, » Lamennais montrait un sens juste de leurs dispositions véritables lorsqu’il leur demandait « d’examiner sérieusement ce que jusque-là ils avaient méprisé sans le connaître. » « Puissent-ils, disaient les dernières lignes de l’Introduction, s’y déterminer pour la gloire de la vérité et pour leur propre bonheur. Quoi qu’on essaye de se persuader, ces deux choses sont inséparables. Il n’y a de bonheur qu’au sein de la vérité parce qu’il n’y a de repos que là. L’erreur enivre, l’indifférence assoupit, mais ni l’une ni l’autre ne comblent le vide du cœur. »

Le bonheur ! le repos ! Mme de Lacan n’avait trouvé ni l’un ni l’autre dans la vie qu’elle avait menée jusque-là. Rien n’avait comblé le vide de son cœur. Ce langage, nouveau pour elle, la remua profondément, car il répondait aux agitations de son âme. Tout l’été elle s’était absorbée dans la lecture de l’Essai sur l’Indifférence, sans pouvoir en détacher sa pensée. Elle écrivait à Benoist d’Azy :


Ce n’est point un genre de lecture auquel on puisse faire succéder une occupation vulgaire. Cet ouvrage occupe mes pensées ; il parle à mon cœur ; j’y pense mille fois le jour lorsque des sujets puérils bourdonnent autour de moi…. Ce qui me plaît dans l’auteur de ce livre c’est son austère énergie, cette puissance de conviction qu’il a et qu’il fait partager. Je trouve que la moindre hésitation et même le trop d’indulgence en pareille matière nuit au respect qu’elles inspirent et à la foi qu’elles cherchent à convaincre. J’ai souvent dit que la voix impérieuse de Bossuet eût été mille fois plus puissante sur moi que l’onctueuse éloquence de Fénelon…


Et dans une autre lettre :


Il me tarde de pouvoir vous envoyer l’Essai sur l’Indifférence et vous associer à l’impression profonde dont il me pénètre. On y trouve tout : cette voix impérative qui met la foi au-dessus de la raison et hors de sa faible portée, cette logique victorieuse qui convainc l’esprit après avoir semblé le dédaigner, et cette puissance de l’âme qui touche et transporte.


Mme de Lacan ne put se soustraire longtemps à l’attirance de cette austère énergie et de cette voix impérieuse par laquelle elle, se sentait dominée de loin, ainsi qu’elle l’eût été au XVIIe siècle par celle de Bossuet, et, comme nous l’avons vu, au courant du mois d’août 1818, elle demanda et obtint d’être reçue par Lamennais.


II

Le témoignage de tous ceux qui ont été en relation personnelle avec Lamennais est unanime sur l’influence qu’il exerçait directement sur ceux qui l’écoutaient. Il ne se sentait pas orateur et il n’essaya jamais de parler en public, mais il était éloquent dans la conversation. Il le demeura toujours et quand, dans la première moitié de sa vie, à cette éloquence s’ajoutait l’onction du prêtre, il devait être irrésistible. Maurice de Guérin, Lacordaire, Montalembert, Lamartine, Victor Hugo, Sainte-Beuve lui-même ont tour à tour subi son ascendant. Une femme comme Mme de Lacan n’était parfaite pour y résister. Cette première entrevue avec Lamennais fut décisive dans sa vie. Nous n’en avons point Je récit de sa main, mais on en trouve du moins l’écho dans une lettre que Lamennais lui-même lui adressait quelques jours après et qui ouvre cette longue correspondance. Elle mérite d’être citée presque tout entière :


J’achève, madame, de relire votre lettre ; elle me touche extrêmement ; j’y vois les angoisses et les combats d’un cœur que Dieu rappelle à lui, car c’est la grâce qui agit en vous, et je m’abuserais étrangement si je croyais avoir contribué au changement survenu dans vos pensées. L’homme ne peut rien pour l’homme ; mais Dieu, qui se sert de tout pour accomplir ses desseins, et qui se plaît à employer de préférence les plus faibles instrumens, a mis dans ma bouche je ne sais moi-même quelles paroles qu’il voulait vous faire entendre, et dans votre âme des sentimens que je considère, avec une grande joie, comme les prémices de sa miséricorde à votre égard. Je désire que vous vous arrêtiez sur cette pensée ; elle doit exciter en vous une vive reconnaissance pour celui que vous avez oublié si longtemps, et qui vous prévient aujourd’hui avec une bonté si ravissante. Quand vous songerez que c’est Dieu lui-même qui sollicite votre amour, sans doute vous ne le lui refuserez pas ; et si une fois vous commencez à l’aimer comme il veut l’être, si vous voyez en lui votre lumière, votre bien, votre tout, il n’en faut pas davantage, et votre salut, madame, est assuré.

Mais, pour entrer dans quelques détails qu’autorise la confiance dont vous m’honorez, souffrez que je vous représente la nécessité de correspondre aux grâces qui vous sont offertes ; il y aurait aussi trop d’ingratitude à les laisser s’éteindre sans fruit au fond de votre cœur. Votre sort est entre vos mains ; il dépendra vraisemblablement du parti que vous allez prendre et de votre constance à marcher dans la route que Dieu vous ouvre. Vous avez à combattre deux ennemis terribles ; employez à les vaincre cette force de caractère qui ne vous a été donnée que pour cela ; et cependant souvenez-vous que toute notre force consiste à nous sentir faibles, et toute notre grandeur à nous humilier profondément. Ce langage vous paraît dur peut-être. Dieu sait néanmoins qu’il m’est inspiré par 1er plus tendre intérêt pour votre âme, et qu’à l’exemple de Jésus-Christ, je donnerais ma vie, et mille vies si je les avais, pour assurer votre bonheur.


Il lui donne ensuite quelques instructions pour ses prières, qui ne doivent pas être longues, mais ferventes, et pour ses lectures, lui recommandant d’apprendre par cœur le catéchisme afin de connaître sa religion. Puis il continue :


Il y a tel sacrifice que vous n’obtiendrez jamais de vous ! Madame, vous ne savez pas encore ce que c’est que la religion ; vous ne connaissez pas su puissance. Sans doute que, de vous-même, vous ne vous résoudriez jamais, je ne dis pas à tel sacrifice, mais à aucun sacrifice, même le plus léger ; ils sont tous au-dessus de vos seules forces. Mais quand Dieu vous les demandera, de cette voix à qui rien ne résiste, il se fera en vous un tel changement, que vous ne comprendrez même plus ce qui pouvait vous arrêter. Je dis ceci sans rien préjuger sur l’obstacle que vous semblez craindre. Quel qu’il soit, ne laissez pas votre esprit s’en trop préoccuper. Cette pensée maintenant vous serait dangereuse. Allez droit à Dieu, sans vous inquiéter des difficultés qui peuvent se rencontrer sur la route ; il n’y en a point d’invincibles, je vous le promets en son nom.

Je vous ai obéi, madame, en vous parlant avec toute la liberté de mon ministère. Mon seul regret est de sentir que tout autre eût été plus digue de la confiance que vous me témoignez. Je tremble, je vous l’avoue, de compromettre par mon inexpérience et mon peu de lumières les intérêts d’une âme que la Providence me confie et dont le salut m’est si cher ! Comptez du moins sur un dévouement sincère et sans réserve. Je crois voir clairement que Dieu a sur vous des vues de miséricorde ; livrez-vous donc à lui avec un plein abandon. Vous ne serez heureuse qu’en l’aimant, en vous consacrant à son service. Tout le reste n’est qu’illusion ; qui doit le savoir mieux que vous ? Vous avez connu les joies de la terre, et elles n’ont pas rassasié votre cœur : maintenant venez et goûtez combien le Seigneur est doux : c’est le vœu que forme la personne du monde qui vous est dévouée avec le plus de respect.

On trouverait difficilement, à ce qu’il me semble, dans toute la correspondance de Lamennais, une lettre d’un aussi beau ton. A travers l’ardent effort de l’apôtre pour confirmer dans son retour à Dieu celle qui la choisi pour guide, on découvre déjà l’attrait que cette âme lui inspire et qui devait durer autant que leur vie à tous deux. C’est bien une lettre de prêtre, austère, sévère même si l’on veut, mais c’est déjà une lettre d’ami, charitable, compatissante, intelligente de la nature et des besoins de la femme qui s’adresse à lui. Cette lettre est intéressante en outre par l’expression d’un sentiment rare chez Lamennais : la méfiance de lui-même, la crainte que son inexpérience en matière de direction ne compromette le salut de cette âme. Il craint surtout qu’elle ne conçoive sur l’homme des illusions qui, le jour où elle les aurait perdues, feraient tort à l’autorité du prêtre, et ce sentiment d’humilité se traduit encore dans la lettre suivante :


J’aurais, madame, bien des choses à vous dire sur votre lettre ; mais je veux seulement vous engager à considérer devant Dieu combien peu de chose vous trouble, et à en tirer cette conséquence, qu’il faut donc chercher à cette pauvre âme un appui inébranlable, qui n’est autre qu’un parfait abandon entre les mains de la Providence. Vous comptez trop sur l’homme, et sur tel homme en particulier, que votre imagination vous représente avec des perfections qu’il n’eut jamais ; quand vous le connaîtrez, vous ne verrez en lui qu’un composé de bien des misères. Oui, madame, nous avons besoin de nous mieux connaître l’un et l’autre. Procurez-moi donc l’honneur de vous voir aujourd’hui ou demain. Il me tarde que vous soyez désabusée de l’idée que vous vous faites d’un pauvre prêtre, très médiocre d’esprit, quoi que vous pensiez, et d’une santé fort infirme. Il y a un seul point sur lequel vous ne vous êtes pas d’abord trompée, c’est le véritable désir que j’aurais de vous être utile. Il est toujours le même, et je ne sais pas ce qui peut vous faire craindre que j’aie changé. Il est possible que ma dernière lettre se ressentît de l’état où j’étais en l’écrivant. Mon meilleur ami, le guide qui m’était le plus nécessaire, venait d’expirer pour ainsi dire entre mes bras[1]. Mon cœur était bien serré, il l’est encore ; cependant, après les premiers momens d’une douleur que le temps n’affaiblira jamais, mais que Dieu console, mes premières pensées et mes premiers soins ont été pour vous. Je n’entends pas m’en faire un mérite, mais vous prouver seulement que vous vous êtes méprise sur mes sentimens. Soyez en paix, madame ; quand les hommes vous manqueraient, Dieu ne vous manquerait pas. Je puis vous être enlevé demain ; que feriez-vous alors ? Il faut être préparé à tout par une parfaite résignation à la volonté divine. Adieu, madame, je suis tout à vous.

Lamennais se trompait lorsqu’il craignait que son empire sur cette âme ne fût que passager. Mme de Lacan s’abandonna au contraire docilement à lui et trouva, sous cette direction, un repos que, depuis bien des années, elle avait cessé de connaître.


… Mon âme est bien changée aujourd’hui, écrivait-elle à Benoist d’Azy, ou plutôt elle est fixée, car, hors de ce qu’elle éprouve maintenant, tout est changement… Je me sens comme renouvelée ; une lumière vive et consolante me frappe ; les agitations, qui quelquefois me dévoraient, se calment, s’apaisent ; il y a dans mes pensées une tranquillité recueillie qui est pour moi une émotion tout inconnue. Je me suis adressée à M. de Lamennais dans toute la simplicité de mon cœur ; je lui ai dit ce qu’il m’y faisait découvrir, et je l’ai prié de me guider dans la route qu’il venait d’ouvrir devant moi. Je le verrai sûrement encore, la semaine prochaine, je le désire et le redoute, tout à la fois, car il m’inspire une confiance mêlée d’un peu de crainte…


A la crainte que lui inspirait encore Lamennais succéda chez Mme de Lacan un attachement qui devait survivre à tous les dissentimens. De son côté, Lamennais s’abandonna sans scrupule à cette affection qui s’offrait généreusement à lui et qui répondait aux besoins de sa nature. Cet âpre polémiste avait en effet un côté tendre qui n’apparaît guère dans ses œuvres proprement dites, mais que sa correspondance a révélé. Il avait perdu sa mère étant encore enfant ; sa jeunesse avait été sevrée d’affection ; on sait peu de chose de la vie menée par lui avant qu’à trente-quatre ans il entrât dans les ordres, et si certains aveux donnent lieu de croire que cette vie ne fut pas exempte de désordres, il n’apparaît pas cependant qu’aucun sentiment véritable et profond l’ait jamais troublée. Lorsqu’il fut en quelque sorte précipité dans le sacerdoce par l’ascendant de volontés imprudentes, mais plus fortes que la sienne, on peut dire que son cœur était vierge. Il le demeura toujours en ce sens que jamais l’amour humain, l’amour vulgaire ne le fit battre. Mais les trésors de tendresse et d’amour, au sens le plus élevé et le plus noble du mot, qui s’étaient accumulés en lui ne demandaient qu’à se répandre. Durant un court séjour en Angleterre, il s’était pris de tendresse pour un jeune Anglais qu’il avait converti, auquel il s’était attaché avec passion, et qui, déjà gravement malade au moment où Lamennais entra en relations avec Mme de Lacan, devait mourir peu de temps après. Il perdit également à ce moment un de ses amis les plus chers, l’abbé Teyssère. Son cœur avait besoin de consolations. Il les trouva dans cette affection nouvelle où il entrevoyait « une vue de la Providence, » et il se laissait aller à en goûter la douceur : « Je sens bien vivement vos bontés, écrivait-il à Mme de Lacan ; elles font le bien-être de mon cœur. »

Une intimité croissante lui permit bientôt d’apprécier la haute valeur intellectuelle de la femme qui se confiait à lui. Aussi, quand elle venait le voir, lui lisait-il certains passages du second volume de l’Essai sur l’Indifférence dont il préparait en ce moment la publication, et il acceptait certaines corrections de style qu’elle lui suggérait. Dans ses lettres à Benoist d’Azy, Mme de Lacan s’enorgueillit de cette confiance. Elle raconte même joliment qu’un jour elle trouva Lamennais fort troublé. Il avait reçu une invitation à dîner d’une femme qui l’ennuyait et il ne savait comment s’y prendre pour refuser. Elle lui proposa de rédiger pour lui la lettre de refus. Ce fut, pour la femme du monde qu’elle était, l’affaire d’un instant, mais Lamennais lui en témoigna une reconnaissance infinie. Ce brouillon lui épargnait, disait-il, trois heures de temps qu’il aurait employées à très mal tourner trois lignes d’excuses, et il demandait la permission de le garder pour qu’il pût lui servir dans des occasions semblables.

Cette amitié, qui s’annonçait si douce, connut cependant l’année suivante quelques troubles. Mme de Lacan possédait à Cernay, aux environs de Paris, une petite habitation où elle demeurait avec sa mère et un vieil ami. Au printemps de l’année 1819, Lamennais crut pouvoir sans inconvéniens y faire un séjour de quelque durée. Mais l’abbé Carron, en sa qualité de directeur, en jugea autrement et l’engagea à n’y point retourner, « ayant été averti, écrivait Lamennais à Mme de Lacan, que plusieurs personnes s’étonnaient dans le monde que je demeurasse à la campagne avec une jeune femme et que cela faisait mauvais effet. » Il lui annonçait donc qu’il ne retournerait point à Cernay. Le coup fut rude pour Mme de Lacan, d’autant plus qu’elle s’exagéra la portée de cette interdiction. Elle crut que toute relation avec Lamennais lui serait désormais interdite, et que l’appui dont son âme chancelante sentait encore le besoin allait lui être retiré. Dans un premier mouvement de douleur elle adressa à Lamennais une lettre désespérée que peut-être elle n’envoya pas, car l’original en a été retrouvé dans ses papiers. « Vous m’avez dit : Heureux ceux qui pleurent, lui écrivait-elle ; cette parole est trop sublime pour que mon cœur, faible, déchiré, puisse y atteindre, mais il en comprend une plus terrestre, bien qu’elle lui semble difficile encore : Heureux ceux qui s’immolent à ce qu’ils aiment. » Et dans la crainte que cette relation, dont elle était si heureuse, ne fît quelque tort à Lamennais ou ne devînt tout au moins un embarras dans sa vie, elle en acceptait le complet sacrifice. Il fallut que Lamennais lui expliquât que l’abbé Carron n’en demandait pas tant. En effet, si Lamennais ne retourna pas à Cernay, ils continuèrent de se voir, comme auparavant, à Paris, soit aux Feuillantines, soit rue Saint-Lazare où demeurait Mme de Lacan, et dans l’intervalle de ces visites, d’assez fréquentes lettres s’échangeaient entre eux.

Au cours de cette même année 1819, leur relation fut encore traversée par un autre orage dont Mme de Lacan fut un peu responsable. Habituée de longue date à mettre en commun avec Benoist d’Azy ses préoccupations religieuses, nous avons vu qu’elle lui avait fait part de l’impression produite sur elle par la lecture de l’Essai sur l’Indifférence et de son entrée en relations avec Lamennais. Dans les lettres qu’elle lui écrivait à cette époque, elle transcrivait même de longs passages des lettres de Lamennais[2]. Souvent aussi elle montrait à Lamennais les lettres de Benoist d’Azy. Elle voulut aller plus loin et les mettre en relation directe, tenant à ce que son ancien et son nouvel ami se connussent et s’aimassent. Elle n’y réussit que trop à son gré. Leur rencontre eut lieu dans son salon, et, dès le premier abord, Lamennais se prit pour Benoist d’Azy d’une affection, qui alla bientôt jusqu’à l’engouement. Il n’y a pas trois semaines qu’ils se sont rencontrés pour la première fois et déjà Lamennais se plaint de ne pas le voir tous les jours. Quand il ne peut pas le voir, il lui écrit des lettres où se trahit tout ce qu’il y avait, dans cette nature violente, à la fois de fougue et de tendresse[3]. On comprend que Mme de Lacan ait souffert de cet engouement. Elle paraît avoir été jalouse à la fois de la place prise par Benoist d’Azy dans le cœur de Lamennais, et de la place prise par Lamennais dans le cœur de Benoist d’Azy. Avec sa nature exigeante et ardente, elle se crut sacrifiée et se répandit en plaintes dont on trouve l’écho dans les lettres de Lamennais à Benoist d’Azy, et même dans une de ses lettres à Mme de Lacan.


Je n’éprouve pas, je ne comprends pas, lui écrit-il, les sentimens exclusifs. Si mon Henry[4] vivait encore (quels souvenirs vous me rappelez ! ) je mettrais mon bonheur à faire passer jusqu’à lui toute affection dont je serais l’objet. Si j’avais connu M. Benoist avant vous, j’aurais voulu qu’il vous aimât. Si vous ne le connaissiez pas encore, je voudrais que vous l’aimassiez. Je ne sens qu’un désir, c’est d’augmenter le bonheur de ceux que j’aime, en ne trouvant en moi-même qu’impuissance à cet égard, j’appelle à mon aide d’autres affections et plus vives et plus douces. Ma grande misère ne me laisse que cette voie de répondre aux sentimens qu’on daigne m’accorder.


L’orage ne tarda pas à s’apaiser, et cette amitié à trois, où Lamennais s’attribuait un rôle plus modeste, que celui qu’il tenait en réalité, dura encore de longues années, jusqu’au jour où, moins fidèle que Mme de Lacan, Benoist d’Azy, fit défection. Dans la vie intime de Mme de Lacan, un événement devait bientôt survenir qui apaisa son cœur, en donnant une satisfaction légitime aux besoins de sa nature passionnée. Mais cet événement devait encore être précédé pour elle d’un temps d’épreuves auxquelles Lamennais fut étroitement mêlé. Il eut à lui demander un grand sacrifice, et ses exigences mêmes établirent plus solidement encore son influence sur elle, car il y a certaines natures, principalement certaines natures de femmes, dont on obtient d’autant plus que plus on leur demande.


III

Mme de Lacan était, je l’ai dit, depuis longtemps séparée de son mari. Quelques mois après qu’elle fut entrée en relations avec Lamennais, M. de Lacan tomba malade. Mme de Lacan se conduisit avec beaucoup de noblesse. Elle offrit de venir s’installer, pour le soigner, au chevet de celui dont elle n’avait eu qu’à se plaindre. Mal entouré, M. de Lacan refusa, et il mourut sans secours d’aucune sorte. Le lendemain de cette mort, Lamennais vint voir Mme de Lacan. La trouvant attristée et troublée de ce qu’elle appelait la fin aride de son mari, il lui dit ces paroles miséricordieuses dont, bien des années après, le souvenir devait lui revenir : « Un seul mouvement vers Dieu, le dernier soupir exhalé vers lui suffit à sa miséricorde ; ce qui est imperceptible aux hommes, il le voit et s’en contente. »

A vingt-neuf ans, Mme de Lacan se trouvait donc veuve et libre. Son passage dans le monde avait été trop brillant pour qu’elle demeurât longtemps isolée. Elle fut recherchée en mariage par un fort galant homme, le baron Cottu, conseiller à la Cour royale de Paris, qui sut toucher son cœur. Elle agréa cette recherche et leur union allait être conclue, lorsque la famille du baron Cottu y fit opposition, obéissant, à ce qu’il semble, à des motifs assez mesquins. Le baron Cottu était riche. Mme de Lacan n’avait que peu de fortune. La famille du baron Cottu l’accusa d’avoir, en agréant cette recherche, poursuivi des vues intéressées. Indignée de cette calomnie, Mme de Lacan rompit son engagement et, se laissant aller à un de ces mouvemens impétueux auxquels elle était sujette, elle forma le projet de rompre avec le monde et de se réfugier dans une maison religieuse où elle mènerait désormais une vie de retraite et de bonnes œuvres.

L’appui moral de Lamennais ne lui fit pas défaut dans cette épreuve. Il était à ce moment à la Chênaie. Aussi lui écrit-il de fréquentes lettres qui méritent d’être citées, car il s’y montre à la fois ami compatissant et prêtre austère, ne transigeant pas avec le devoir. La première lettre qu’il lui adresse est toute de compassion. Cependant déjà il s’efforce de tourner au profit de l’amour divin les déceptions qu’a causées à cette âme passionnée l’amour humain :


Que je voudrais être près de vous pour vous consoler ! N’en doutez pas, jamais je n’eus pour vous plus d’attachement et une estime plus profonde. Je souffre de vos souffrances au-delà de toute expression. Le monde, en vérité, est bien abominable, et ce n’est pas sans desseins que Dieu vous le montre tel qu’il est ; il veut sécher jusqu’aux dernières racines du goût que peut être vous auriez pu conserver pour lui. Votre conduite a été belle et noble ; elle a été tout ce qu’elle devait être ; ne regrettez rien, le jour de la justice viendra, et aussi celui du bonheur. Les hommes n’ont pouvoir sur nous que jusqu’à un certain degré ; au-delà ils ne peuvent rien. Qu’avez-vous à craindre d’eux désormais ?…

On vous a calomniée indignement ; vous n’en recouvrerez que plus tôt et plus pleinement l’estime qui vous est due. Tous vos vrais amis vous restent, plus dévoués, plus attachés que jamais. Ayez confiance, Dieu vous protège, il veille sur vous ; quand toutes les créatures vous abandonneraient, il ne vous abandonnera pas. Mais, de grâce, cessez de l’offenser par une défiance injurieuse à son amour. Domptez cette tristesse qui vous tue, ce profond découragement voisin du désespoir, et que la religion vous ordonne de vaincre. Voilà ce que Dieu demande de vous en ce moment ; j’ignore ce qu’il demandera plus tard. En attendant, vivez de résignation et d’amour.


Mme de Lacan ne tarda pas à regretter le parti un peu excessif qu’elle avait adopté. Elle voulait reprendre son existence et ses relations d’autrefois. Elle voulait surtout conserver comme ami dans sa vie l’homme qu’elle ne pouvait prendre pour mari. Lamennais s’élève contre ce dessein avec une sévérité que Bourdaloue, auteur d’un morceau fameux sur les Amitiés prétendues innocentes, n’aurait pas désavoué. C’est ici le prêtre qui parle :


Je vais vous parler avec la franchise du meilleur ami que vous ayez ; mon attachement pour vous, mon caractère, ma conscience, me font un devoir de ne vous déguiser aucune vérité. Soyez persuadée d’abord, ou, si vous ne le pouvez pas, croyez qu’en ce moment, personne au monde n’est moins en état que vous de juger de votre position, même sous le rapport du bonheur. Vous êtes sous l’empire d’une violente passion. Vous ne voyez rien qu’a travers les nuages qu’elle accumule autour de vous.

J’ignore quels destins vous sont réservés ; mais que vous épousiez ou non M. C., ce que M. D.[5] exige de vous est également sage, et son devoir est de l’exiger. Je vous le demande, pouvez-vous sans cela répondre de vous-même, je dis de votre cœur ? Pouvez-vous espérer que son exaltation se calme, lorsque chaque jour vous verrez, vous écouterez celui qui l’excite, lorsque vous vous occuperez de lui, et qu’il vous en occupera lui-même sans cesse ? Que les obstacles à votre union subsistent, ou, chose possible, qu’il en naisse de nouveaux, vous nourririez donc volontairement en vous une passion que la religion, que l’honneur même réprouve ? Vous ne le pouvez pas, vous ne le voulez pas, mais vos sentimens vous aveuglent ; ils vous empêchent d’apercevoir combien cette faiblesse vous exposerait, combien elle serait incompatible avec tout ce que vous devez à Dieu et à vous-même…

Restez donc où vous êtes, jusqu’à ce que votre sort soit mieux éclairci. Ne sortez qu’à des jours fixes, pour aller aux Missions et chez vos parens et encore si vous êtes certaine de ne pas rencontrer chez ceux-ci l’homme que vous ne devez pas revoir, tant que votre position sera douteuse, par la volonté des autres ou par la sienne. Et moi aussi, je vous parais dur, je le sens, et cependant, jamais je ne vous donnai de plus sûre marque d’affection qu’en ce moment même. Il faut que vous vous vainquiez, il le faut absolument, Dieu le veut. Je vous le demande en son nom ; je vous en conjure à genoux. Soyez vous, c’est-à-dire résolue à tout ce qu’il y a de bon, de noble, d’honorable et de saint, quoi qu’il vous en doive coûter. Je vous reverrai bientôt : qu’est-ce que cinq ou six semaines ! N’altérez pas votre image au fond de mon cœur.


Mme de Lacan cède à cette objurgation. Elle consent au sacrifice qui lui est demandé ; elle accepte de demeurer dans cette maison de retraite où elle avait cherché un refuge provisoire, de ne plus voir l’homme qu’elle aime ; mais la vie, ainsi dépouillée de tout intérêt de cœur, lui paraît désormais vide et décolorée. Elle tombe dans le désespoir, et, sincère autant qu’elle était passionnée, elle fait à Lamennais l’aveu de ce désespoir. Aussi s’attire-t-elle une nouvelle lettre, plus sévère encore que la précédente, bien que la sévérité en soit tempérée par l’affection.


… Ne croyez pas que je vous oublie un seul moment. Vous m’êtes sans cesse présente ; je vois vos souffrances, j’y compatis et voudrais les soulager. Mais ne les aigrissez-vous point par vos réflexions, vos craintes, par une sorte d’obstination triste à vous nourrir de votre douleur ?…

Je vous dirai avec franchise que votre dernière lettre m’afflige singulièrement. J’attendais de vous plus de force, plus de constance, plus de ce calme que donne un abandon parfait à Dieu. La passion vous maîtrise encore ; vous vous cramponnez à la terre, à mesure que la Providence s’efforce de vous en détacher. Les choses de l’autre vie vous touchent peu ; vous n’êtes sensible qu’aux espérances dont vous auriez dû depuis longtemps reconnaître la vanité. A quoi sert de chercher le bonheur où il n’est pas ? Vous vous raidissez contre l’ordre éternel. De là ces angoisses qui vous tuent et brisent votre âme en pure perte. Oh ! si vous connaissiez la religion ! elle guérirait bien vite toutes vos plaies ; mais c’est cette guérison même que vous craignez. Quelle mort, dites-vous, après tant de vie ! Est-ce que ce mot ne vous effraie pas ? Appelez-vous donc vie un amour qui passe, et le sacrifice de vous-même à la créature ? Revenez, revenez, la vie n’est pas là. Ouvrez les yeux sur le néant de ce qui vous séduit. Ainsi donc, à vous entendre, l’obéissance au devoir, l’exercice de la vertu, les consolations de la foi, l’amour infini de Dieu, l’éternité et ses espérances, ses joies, sa félicité, tout cela, c’est la mort ! Non, vous ne l’avez jamais pensé ; c’est votre bouche seule qui a prononcé ces paroles que votre cœur désavoue. Je n’en doute pas, j’en suis certain, mais voyez de grâce si le sentiment qui vous aveugle à ce point peut être toléré, s’il peut être nourri volontairement. Je m’en rapporte à vous-même. La conduite de Dieu sur vous est admirable. Il vous a sauvée du plus grand danger où peut-être vous fussiez-vous trouvée encore, il vous en a sauvée malgré vous. Vous le reconnaîtrez plus tard. En attendant, croyez, ayez confiance, aimez le Dieu qui vous donne de si touchantes preuves d’amour. Rien ne vous paraîtra pénible quand vous aurez pour lui ce même amour qu’il a pour vous. Ne voulez-vous pas vous remettre tout entière en de si douces et si puissantes mains ?


Les choses finirent cependant par s’arranger mieux que ne l’espérait Mme de Lacan. M. Cottu persista dans sa recherche ; sa famille ne persista pas dans l’opposition quelle faisait à son mariage et, l’année suivante, Mme de Lacan contractait avec lui une union où elle trouva pendant vingt-neuf ans le plus parfait bonheur conjugal. C’est sous le nom de la baronne Cottu qu’il est souvent question d’elle dans les diverses publications qui concernent Lamennais ; et c’est ainsi que nous l’appellerons désormais.


IV

Le baron Cottu était un magistrat de vieille roche, un parlementaire d’autrefois, passionnément royaliste, mais non moins passionnément hostile aux jésuites et à ce qu’on appelait sous la Restauration le parti prêtre. Personnellement, il était sceptique et même quelque peu voltairien. Il n’apporta cependant aucun obstacle à l’influence exercée par Lamennais sur Mme Cottu et entretint même avec lui de cordiales relations. Quelques lettres à lui adressées par Lamennais ont été publiées récemment. Ces lettres sont exclusivement politiques, car M. Cottu, tout magistrat qu’il fût, faisait paraître de temps à autre des brochures où il ne se faisait pas faute de critiquer sévèrement la politique du gouvernement qu’il servait. D’accord avec lui sur les critiques, Lamennais ne l’est pas sur les conclusions. M. Cottu ne voit de salut que dans l’autorité et Lamennais que dans la religion. Ces lettres sont curieuses, car Lamennais y fait preuve de ce sens prophétique qui, chez lui, se mêlait à beaucoup d’illusions et de divagations. C’est ainsi que, trois ans avant la Révolution de 1830, il prévoit le triomphe du principe démocratique en Europe comme en France et il prédit non seulement la « République conventionnelle, » mais le « despotisme impérial. »

Pendant ce temps, la correspondance continuait entre Lamennais et la baronne Cottu, plus ou moins active suivant que Lamennais est ou non à la Chênaie. Ces lettres seront prochainement publiées. On les lira, je crois, avec intérêt, car dans la volumineuse correspondance de Lamennais, elles présentent un caractère presque unique. Ce ne sont pas précisément des lettres de direction, car Lamennais n’a jamais été, au sens catholique du mot, le directeur de la baronne Cottu. C’est au confesseur qu’il lui avait probablement donné, l’abbé Desjardins, qu’il la renvoie souvent pour tel ou tel détail de conduite. Mais elles sont d’une belle et haute spiritualité. On sent qu’il est uniquement préoccupé de porter aussi haut que possible cette âme de femme qui s’est confiée à lui. Il la conduit toujours directement à Dieu, au Christ, sans l’astreindre à de petites pratiques de dévotion. Il voudrait la détacher de la terre et tourner ses espérances vers la vie future. Il la nourrit des plus nobles alimens : l’Evangile, l’Imitation, saint Augustin, saint François de Sales, Fénelon ; jamais Bossuet, auquel il ne pouvait pardonner son gallicanisme. Ce sont aussi des lettres d’ami, d’un ami attentif et dévoué, mais elles sont d’une sobriété de ton parfaite. Jamais on n’y relève une de ces expressions empruntées à la langue mystique que la malignité publique est si prompte à mal interpréter lorsqu’elle les découvre sous la plume d’un prêtre. La mesure et la dignité y sont toujours, en même temps que la sollicitude et la tendresse. Il entre avec intelligence et compassion dans les peines de celle à qui il écrit. Soit qu’avec sa nature ardente et exigeante, elle se forge des chagrins un peu imaginaires, soit au contraire qu’elle se trouve en butte aux véritables épreuves de la vie, il s’efforce de la réconcilier avec la souffrance et de lui en faire apprécier le mérite :


Si j’étais près de vous, je vous parlerais d’une grande loi à laquelle on fait en général bien peu d’attention et que j’admire d’autant plus que j’y réfléchis davantage ; c’est la loi de souffrance sans laquelle il n’y a rien de beau, de grand, ni même de véritablement doux. Le bonheur n’attache point les hommes les uns aux autres. Il faut qu’ils aient souffert ensemble pour s’aimer autant qu’ils sont capables d’aimer. Dans les arts, dans les lettres, dans le monde, toujours et partout la joie est stérile ; c’est la douleur qui enfante presque tout ce que les hommes admirent, et la vertu, qui est la beauté par excellence, se perfectionne par la souffrance, dit saint Paul. Heureux ceux qui pleurent ! Il y a plus de vérité dans cette parole et plus de consolation réelle que dans les innombrables traités des philosophes sur le souverain bien. »


Lamennais ne pousse pas cependant le mysticisme au point de ne pas compatir aux vraies douleurs. En 1829, Mme Cottu fut atteinte d’une des plus cruelles épreuves que puisse connaître une mère, la perte d’une petite fille de six ans. Cette épreuve fut pour elle d’autant plus cruelle qu’elle traversait à ce moment une période de tiédeur et de trouble religieux. Elle se plaignait du coup qui l’avait frappée ; elle voulait transpercer du regard le voile qui sépare ce monde de l’autre, et elle s’irritait de le trouver si épais. Pendant ces jours douloureux, Lamennais lui adresse plusieurs lettres compatissantes, mais fermes, parfois presque sévères. L’ami n’oublie pas qu’il est prêtre :


Votre douleur est naturelle, elle est juste, mais son exagération ne l’est pas ; elle renferme une sorte d’aigreur et de révolte contre la Providence, que vous devez combattre de toutes vos forces, moins par le raisonnement que par la soumission du cœur. Les doutes qui tourmentent votre esprit ne sont autre chose que la grande question de l’origine du mal, que l’athéisme a remuée dans tous les sens, où l’on peut découvrir quelques lueurs, mais qui, pour nous, renfermera toujours un mystère profond, parce qu’il faudrait, pour le résoudre complètement, connaître toute l’étendue du plan de la Providence, toutes les lois de la création et la nature intime des êtres…

Il faudrait pour cela une science infinie, la science de Dieu même, et un esprit qui pût l’embrasser, c’est-à-dire un esprit infini aussi. La foi est le supplément à ce qui nous manque pour comprendre. Elle fait à la fois notre mérite et notre grandeur ; notre mérite, parce qu’elle dépend en partie de notre volonté ; notre grandeur, parce que par elle nous atteignons à ce qui échappe à notre raison étroite et débile. Celle-ci saisit les deux termes extrêmes de l’immense chaîne des choses, un Dieu juste et bon, et les faits de notre propre nature, la vie, la mort, les maladies, les soucis, les peines, les douleurs. Mais la liaison de ces deux termes, le comment de ce qui est, elle l’ignore. Il y a six mille ans que les hommes croient sans concevoir : pourquoi lutter contre cette foi consolante et pure ? Pourquoi amasser des ténèbres devant la seule lumière qui éclaire le chemin de la vie ? Pourquoi dire : Je ne croirai pas, si je ne comprends pas ce que le genre humain déclare être incompréhensible ? Je n’espérerai pas si je ne vois clairement comment ce que j’espère est et peut être ? Prenez garde de nourrir en vous de pareils sentimens ; ils n’ont rien de chrétien, rien de raisonnable. Je ne doute pas plus que votre enfant ne soit heureuse, et qu’un jour vous la reverrez, vous la reconnaîtrez, si votre vie s’achève selon Dieu, que je ne doute de ma propre existence. Cherchez dans les secours que la religion vous offre, dans la pratique des devoirs qu’elle prescrit, un repos, une consolation qui n’est que là. Mon cœur est malade des souffrances du vôtre, mais ce qui m’afflige plus que tout le reste, c’est la direction que prennent vos idées. Vous vous êtes trop reprise à la terre ; il faut vous élever plus haut. Ici-bas, tout est illusion, illusions de plaisir, illusions de douleurs. Les réalités sont d’un autre ordre, et vous n’aurez de paix qu’en y entrant. Adieu, vous savez si je suis à vous.


La pauvre femme continue cependant de lutter contre une espérance qu’elle trouve trop incertaine. Elle ne veut pas seulement croire ; elle voudrait comprendre. Aussi Lamennais lui écrit-il de nouveau :


Ne confondez pas la foi avec la conviction. La conviction est l’acte de l’esprit qui adhère à ce qu’il voit ou croit voir. La foi est l’acte de la volonté qui se soumet, souvent sans conviction, quelquefois contre la conviction même, à ce qu’une raison extérieure et plus élevée déclare vrai. Voilà pourquoi la foi est toujours possible, moyennant une grâce qui n’est jamais refusée, et voilà aussi pourquoi elle est méritoire. Quiconque veut croire, croit ; car cette volonté est la foi même. Le motif qui vous tient éloignée des sacremens n’est donc pas fondé, et vous vous privez par-là de la seule force qui peut vous soutenir, de la seule consolation qui peut adoucir l’amertume de vos regrets. Je vous dirais volontiers comme Hamlet : « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre qu’on n’en rêve dans votre philosophie ; » et dans toute philosophie. Que vous importe de comprendre ? Et comment voulez-vous avoir l’idée, le sentiment d’un état qui n’a rien de commun avec votre état actuel ? Ce que vous demandez est contradictoire ; vous demandez à voir sans yeux, à entendre sans l’organe de l’ouïe. Vous n’avez point, vous ne pouvez avoir le sens de la vie future. Il y a six mille ans que le genre humain y croit inébranlablement, sans la connaître plus que vous, sans la sentir plus que vous. Croyez-y comme lui, avec lui, et ne cherchez pas dans les ténèbres un asile contre l’espérance.


Ces lettres de Lamennais sont encore intéressantes par les jours qu’elles ouvrent sur sa nature intime. Ce lutteur infatigable, cet âpre polémiste était, nous l’avons vu, un tendre. Il était aussi un triste : « Mon âme, disait-il, est douloureuse de tous les côtés. » « Je ne me suis jamais senti bien dans ce monde, a-t-il écrit plus tard ; j’en ai toujours désiré un autre et quand je détournais mes regards du seul où nous devions espérer la paix, mon imagination, jeune encore, en créait de fantastique, et ce m’était un grand charme dans ma solitude. Sur le bord de la mer, au fond des forêts, je me nourrissais de ces vaines pensées, et ignorant l’usage de la vie, je l’endormais en berçant dans le vague mon âme fatiguée d’elle-même. » La mélancolie dont il ressentait les atteintes n’était pas cependant ce qu’on a appelé, d’un mot pompeux, le mal du siècle, le mal des Werther, des René, des Oberman, dans lequel il entrait pas mal d’ambition déçue, de vanité et d’égoïsme. Elle était d’une nature plus noble. Elle tenait de cet autre mal qui, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, faisait tant de ravages dans les cloîtres et les déserts, que les Pères de l’Eglise le désignaient d’un nom spécial. En grec ils l’appelaient athumia et en latin : acedia. Dégoût de la terre, nostalgie du ciel, cette mélancolie inspirait à un auteur inconnu certaine strophe d’un vieil hymne qu’on chante encore aux Complies, à certaines époques de l’année :


O quando lucescet tuus
Qui nescit occasum dies,
O quando sancta se dabit
Quæ nescit hostem patria.


Quelques-unes des lettres de Lamennais semblent un écho de cet hymne. C’est ainsi qu’un soir, après avoir relu les lettres d’Henry Morman et beaucoup pleuré, il écrivait à Mme Cottu :


Ces souvenirs trop vifs me sont mauvais ; ils affaiblissent l’âme, qui n’a pas trop de toutes ses forces pour remplir les devoirs que Dieu lui impose. Il est quelquefois dangereux de trop arrêter ses regards sur l’autre vie, à cause du dégoût que celle-ci inspire. Quand le cœur se sent attiré avec une certaine force au-delà du tombeau, tout l’homme défaillit (sic), et il devient inutile sur la terre. Après tout, ce ne sera pas long, et nous pouvons bien attendre le moment marqué par la Providence. L’essentiel est qu’il nous trouve préparés.


Et dans une autre lettre :


Pendant que nous sommes sur cette pauvre terre, nous ne saurions en détacher tout à fait nos pensées et nos affections, et même nous ne le devons pas, car il y a des affections qui sont des devoirs. Mais notre cœur doit lier les deux mondes, le monde passager de l’exil et celui qui nous est promis pour l’éternité. Toutes les créatures nous échappent ; elles nous quittent, ou nous les quittons. Dieu seul est là toujours, toujours, pour remplir ce vide immense que chacun de nous sent en lui-même. C’est en lui qu’il faut se chercher, car ce n’est qu’en lui qu’on se trouve pour jamais. Ne nous laissons point aller aux illusions du temps ; ce rêve finira. Qui que nous soyons, jeunes ou vieux, nous touchons au réveil ; et puis, si nous le voulons, la lumière qui ne s’affaiblit point, la paix que rien n’altère, le repos que rien ne trouble, la joie qui ne tarit jamais…


Ce mélange de sensibilité et de violence, de mysticisme et d’âpreté, c’est tout. Lamennais. Qui ne l’a pas étudié sous ce double aspect ne le connaît pas. Ces premières lettres de 1818 à 1830 le montrent surtout sous le côté sensible et mystique. Nous allons le voir apparaître sous son côté âpre et violent.


V

La Révolution de 1830 devait séparer Lamennais et Mme Cottu matériellement d’abord, et, au bout de quelques années, bien davantage encore moralement. Le baron Cottu était un ardent légitimiste. Blessé au plus profond de ses convictions par l’avènement d’un souverain qu’il ne considérait pas comme légitime, il ne se contenta pas de donner sa démission de conseiller à la Cour royale : il émigra avec femme et enfans, et s’établit à Lausanne, d’où il s’obstina à ne point revenir pendant six ans. Lamennais, au contraire, qui était à la Chênaie, accourait à Paris et se jetait à corps perdu dans le mouvement. Il appelait à lui Lacordaire et Montalembert. Au mois d’octobre suivant, tous trois ensemble fondaient l’Avenir.

L’Avenir : quels souvenirs ce mot seul réveille ! A quelles polémiques la campagne de l’Avenir n’a-t-elle pas donné lieu dans l’histoire du mouvement catholique français au siècle dernier ! Ce n’est pas ici le lieu de renouveler ces polémiques, ni de faire le départ entre celles des doctrines de l’Avenir qui ont été définitivement condamnées par l’Eglise et celles qui ont été simplement blâmées comme téméraires et inopportunes. Il est cependant une réflexion à laquelle il est impossible de se dérober : c’est que telle attitude, telle tactique, telle ligne de conduite qui, à une certaine époque, ont été considérées comme téméraires, peuvent, avec les années, être à ce point imposées par les circonstances qu’on ne puisse point en concevoir d’autres. Lorsque, au lendemain de la Révolution de Juillet, les rédacteurs de l’Avenir conseillaient aux catholiques de ne plus compter désormais sur l’appui du gouvernement, de se placer sur le terrain du droit commun et d’employer pour la défense des intérêts catholiques les armes que tout pays libre met ou devrait mettre à la disposition des citoyens, la presse, la parole, la liberté d’association et d’enseignement, ils ne faisaient pas autre chose que jeter sur l’avenir (on peut le dire sans jeu de mots) un coup d’œil prophétique, car c’est à l’emploi de ces armes que les catholiques ont dû autrefois leurs succès et qu’ils confient aujourd’hui leur défense. Lacordaire et Montalembert ont donné l’exemple de se servir de ces armes, avec quel éclat, chacun le sait. Il ne serait pas équitable d’exclure Lamennais de la reconnaissance qui leur est due.

Si l’on veut jusqu’au bout être équitable vis-à-vis de Lamennais, il faut encore tenir compte des procédés dont il a été fait usage vis-à-vis de lui. Léon XII, qui l’avait accueilli à Rome avec beaucoup de bienveillance et qui se proposait, a-t-on cru, de le faire cardinal, disait de lui : « C’est un homme qu’il faut conduire avec la main dans son cœur. » Le cœur a fait incontestablement défaut dans la façon dont a été traité Lamennais. L’acharnement avec lequel après sa soumission, plus apparente si l’on veut que réelle, on a continué de le dénoncer à Rome, les suspicions dont il n’a cessé d’être l’objet, malgré le silence gardé d’abord par lui, les humiliations successives qu’on s’est plu à lui imposer, n’ont pas été inspirées uniquement par le zèle de la maison du Seigneur, et les rancunes gallicanes ont pris contre lui leur revanche. Peut-être est-il permis d’ajouter que, si le siège de Saint-Pierre avait été dès lors occupé par un pontife animé de l’esprit de celui qui devait plus tard reprendre le nom de Léon XII, Lamennais aurait été mieux compris, et les choses, vis-à-vis de lui, n’eussent pas été poussées aussi loin.

Ces circonstances atténuantes ne sauraient cependant servir d’excuse suffisante pour un aussi éclatant reniement. On est catholique, ou on ne l’est pas. On peut ne pas l’être. Quand on s’est déclaré tel, il faut l’être avec logique et docilité, et pour le demeurer, il ne suffit pas de se soumettre, en ce qui concerne la foi et les mœurs, comme dit la langue théologique ; il faut encore, dans les questions qui ne sont pas de pure politique intérieure, car, dans celles-là le citoyen conserve son indépendance, mais qui concernent, au contraire, la direction et le gouvernement de l’Eglise, savoir reconnaître que le chef de l’Église, voyant de plus haut, doit probablement voir plus loin, et qu’en tout cas, quand il a parlé, il n’y a plus qu’à se taire et à obéir, surtout quand on est prêtre. Lamennais n’eut ni cette logique, ni cette docilité. Il crut qu’il pouvait tout à la fois s’incliner et protester, faire parvenir à Rome une soumission explicite et publier en même temps les Paroles d’un Croyant. Cette erreur d’esprit, qu’il ne voulut jamais reconnaître, conduisit jusqu’aux dernières conséquences sa nature intraitable. Ses derniers biographes se sont efforcés de l’absoudre du péché d’orgueil. Ils n’y ont pas, à mon sens, tout à fait réussi.

Pour en revenir à la correspondance qui nous occupe, à partir de cette date, elle change de caractère. Les lettres de Lamennais, au moins celles des premières années qui suivirent la révolution de 1830, ne sont plus des lettres de prêtre. Ce sont des lettres de polémiste et l’on pourrait presque dire de pamphlétaire. Elles sont courtes, haletantes. On sent que la pensée de celui qui les écrit est ailleurs, et qu’il dérobe, pour les consacrer à la correspondance, quelques instans à une existence fiévreuse. Ce qui en rend la lecture assez déplaisante, c’est qu’elles sont d’une violence politique incroyable. A dire vrai, quelques-unes de celles qu’il adressait à Mme Cottu, durant les dernières années de la Restauration, avaient déjà ce caractère. En présence de la contradiction, le ton devenait rapidement chez lui blessant et insulteur. Il avait pris ces habitudes de polémique depuis sa collaboration fréquente aux journaux les plus violens de l’extrême droite, le Conservateur et le Drapeau blanc. C’est ainsi qu’après avoir qualifié « de la plus dégoûtante farce qui ait jamais été donnée au monde » la politique suivie par le ministère Villèle, il s’exprime ainsi sur le compte de M. de Villèle lui-même : « Cette espèce d’obstination aveugle et violente, cette rage de désir avec laquelle il se cramponne au pouvoir qui lui échappe, ne m’est pas seulement incompréhensible, mais elle m’effraye comme une vision de l’enfer… Oh ! quel affreux supplice que celui qui sort de l’orgueil ! On se rit de la religion quand elle parle des damnés ; on dit : Où sont-ils et qui les a vus ? Eh bien ! en voilà un, regardez. »

Si, en 1827, Villèle est, aux yeux de Lamennais, le type du damné, on peut penser comme il parle de Louis-Philippe et de ses ministres. « La conduite du gouvernement, écrit-il, est un miracle permanent de bêtise, mais dans cette bêtise, il y a aussi du crime. » Tantôt il parle « de la fourberie du gouvernement, » tantôt « du plat despotisme qui règne sur la France et la couvre de sa bave dégoûtante. » Sa colère s’étend plus loin, et dépasse les limites de la France. « En voyant, écrit-il, toutes les calamités que quelques hommes font peser sur le monde pour leur seul intérêt, je prends en horreur tout ce qui s’appelle roi. » Et dans une autre lettre : « Les vieilles monarchies sont condamnées, et nous assistons à leur supplice. » Aussi n’y a-t-il pas de calamités qu’il ne prévoie : guerre européenne, guerre civile, invasion, misère, choléra. Peu s’en faut qu’il ne souhaite ces extrémités, car elles tireraient la France de la fange où elle croupit. Et cependant, cette France qu’il met si bas, il ne peut s’empêcher d’avoir confiance en son avenir. Il croit à ses destinées. « La France est dégradée par son infâme et lâche gouvernement ; elle se relèvera plus brillante, plus grande et plus forte, dès que l’heure qui l’attend aura sonné, parce qu’elle porte en son sein les destinées du monde. » Au travers de toutes ces violences, on trouve sous sa plume l’expression d’un sentiment assez nouveau chez lui : l’amour de la patrie. Il ne comprend pas l’obstination de M. Cottu à vivre hors de France et à se priver ainsi de la douceur de respirer l’air natal. Il voudrait que Mme Cottu employât son influence à déterminer son mari à mettre fin à cet exil volontaire, et il trouve, pour traduire l’attrait du sol natal, des accens qui ne sont pas sans émotion et sans charme :


Rien ne saurait jamais remplacer la patrie. Notre berceau nous attire toujours, et près de lui, les douleurs sont plus douces que les joies ailleurs. Combien de fois, loin de ma terre natale, n’ai-je pas aspiré, avec une sorte d’émotion inexprimable, le souffle de l’Ouest qui, en passant, avait caressé nos bruyères et qui m’arrivait tout chargé de souvenirs ! Le plus beau ciel ne vaut point le ciel qui a souri à notre enfance, ni les plus délicieuses contrées, les âpres campagnes où errèrent nos premières rêveries.


Et dans une autre lettre :


J’ai bien de la peine à comprendre qu’on se prive, sans y être forcé, de ce qui existe de plus doux au monde, la patrie. On a beau dire qu’elle est partout quand on sait l’y trouver, qu’on la porte en soi-même ; il n’en est rien. L’Italie est plus belle que la Bretagne, mais jamais l’Italie ne sera la Bretagne pour moi. J’aime mieux nos bruyères que ses orangers, notre ciel gris et terne que son ciel brillant, notre Océan verdâtre que ses mers azurées. Et puis, qui me rendrait mes souvenirs ? En quel sol étranger mes racines puiseraient-elles leur sève accoutumée ? On ne meurt doucement que là où l’on a vécu et, près de se fermer, nos yeux cherchent ce qu’ils virent en s’ouvrant. C’est leur dernière joie.


De même que la pensée de Lamennais se tourne avec tendresse vers cette Bretagne où s’écoulèrent ses plus douces années, elle revient aussi vers les temps déjà lointains de ses premières relations avec Mme Cottu. On sent qu’au milieu de sa vie militante, il regrette parfois ces jours paisibles, et ces retours vers le passé attendrissent un peu cette correspondance violente et rude :


Je pense à vous bien souvent, et cela me console. L’affection si douce, si vraie, si profonde que vous avez toujours conservée pour moi a jeté sur ma triste vie un charme que je n’aurais point connu sans elle. Oui, vous êtes moi aussi, et ce qui a été séparé sur la terre sera un jour, j’en ai la confiance, réuni dans un meilleur lieu.


Et dans une autre lettre :


Croyez-vous donc que des souvenirs tels que ceux qui nous unissent depuis tant d’années puissent jamais s’affaiblir ? Que jamais votre affection puisse cesser de m’être, au milieu des douleurs de la vie, l’une des plus douces consolations que m’ait ménagées la Providence ? Non certes, et vous le savez bien. Il y a des choses intimes sur lesquelles le cœur ne saurait se tromper. Vous me parlez des Feuillantines. Cernay est du même temps. Tout cela m’apparaît aujourd’hui comme une sorte de rêve. Les réalités du présent sont si différentes ! Dans notre triste existence, il n’y a de bon que des souvenirs sur la terre et des espérances dans le ciel.


Par momens même, bien que de plus en plus rarement, le prêtre reprend la parole, et glisse dans ses lettres des exhortations pieuses qu’inspire encore l’esprit chrétien. Au commencement de l’année 1834, Mme Cottu fut frappée par un nouveau malheur, la perte d’un petit garçon de neuf ans. Elle en conçut un profond désespoir. « Ma vie partout sera douloureuse, écrivait-elle à Benoist d’Azy, et ne vaut pas la peine d’être comptée pour quelque chose. Mon retour dans mon pays, ma réunion avec mes amis ne seront que des palliatifs à un mal incurable. » Lamennais voulut venir en aide à ce mal, et il écrivit à Mme Cottu une lettre qui rappelle encore, bien qu’avec un peu moins de profondeur et d’onction, celles qu’il lui écrivait cinq années auparavant, dans des circonstances non moins douloureuses.


Au nom de Dieu, amassez tout ce que vous avez de foi et de courage pour soutenir votre ûme si cruellement atteinte. Il n’est rien que vous ne puissiez, aidée de celui qui peut tout. Vous trouverez des forces dans votre faiblesse même si vous les y cherchez avec la confiance naïve d’un enfant qui voit en toutes choses la volonté pleine d’amour et de miséricorde du Père céleste, quoique ses voies soient cachées. Il veut que nous ayons pour lui cet abandon qui acquiesce sans réfléchir et sans interroger. Qui sommes-nous, pour lui demander compte de ses desseins, pour sonder ses voies mystérieuses ? Oui, mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. Voilà la parole qu’il désire entendre sortir de votre cœur et la seule aussi qui vous consolera. Il y a bien de la paix dans le sacrifice, pourvu qu’il soit pur et entier. Ç’a été sur la terre toute la joie du Dieu-homme… Représentez-vous telle qu’elle est cette vie triste et rapide, et ses événemens les plus douloureux se présenteront à vous sous un tout autre aspect. Où allons-nous ? Vers votre mère patrie. Comment plaindre ceux qui sont délivrés et des fatigues et des périls de la route ? Mais c’est nous-mêmes que nous plaignons, et Dieu permet cette plainte et il y compatit, lorsque, renfermée en de chrétiennes bornes, elle n’exclut point la résignation.


Cette lettre où Lamennais parle du Dieu-homme est du 2 mai 1834. Dans les derniers jours d’avril avaient paru les Paroles d’un Croyant. À la lecture de cet écrit célèbre dont la lecture nous laisse assez froids aujourd’hui, mais qui transportait alors jusqu’aux ouvriers chargés de l’impression, Grégoire XVI fut « saisi d’horreur. » On sait qu’il y répondit par une condamnation formelle et explicite. Mais les termes mêmes de la lettre que je viens de citer montreraient une fois de plus, s’il en était besoin, qu’au moment où il s’engageait dans cette voie funeste, Lamennais ne prévoyait pas les négations successives auxquelles rapidement elle le conduirait, et qu’il était sincère lorsqu’il donnait ses paroles comme celles d’un Croyant.


VI

Ce qu’on chercherait vainement dans la correspondance de ces années, ce serait un écho des démêlés de Lamennais avec le Saint-Siège et de la crise intérieure qu’il traverse. Il se borne à informer Mme Cottu par un court billet de la suspension de l’Avenir et de son départ pour Rome. De ses sentimens personnels, des condamnations successives dont ses doctrines, puis sa personne sont l’objet, pas un mot. On sent qu’il a le parti pris de tenir Mme Cottu en dehors du drame qui se passe alors dans sa conscience et qu’il veut lui laisser tout ignorer. Mais Mme Cottu n’était pas dupe de ce silence. Elle le connaissait trop bien pour ne pas deviner la tempête à laquelle il devait être en proie. Dans les lettres que de Lausanne elle écrit à Benoist d’Azy, on peut suivre les progrès de son inquiétude. Ce n’est pas sans crainte qu’elle apprend le départ pour Rome des trois fondateurs de l’Avenir. « Le motif de ce voyage, écrit-elle, me donne une vraie douleur. Hélas ! pourquoi cet homme, si élevé au-dessus des autres hommes, s’est-il mêlé parmi eux ! Pourquoi n’a-t-il pas suivi le conseil que vous lui donniez ! Méconnu, calomnié comme son divin maître, puisse-t-il avoir comme lui une inépuisable résignation à opposer aux épreuves qui lui sont envoyées ! »

Cette inquiétude redouble au commencement de l’année 1834. Elle trouve « dans l’amertume de son cœur » qu’il n’y avait « ni dignité, ni conséquence dans la route où M. de Lamennais était près de s’engager. » Aussi s’est-elle réjouie d’une soumission « qui seule pouvait s’accorder avec les principes qu’il avait si hautement professés. « Mais cette soumissionne suffit pas à la rassurer. Elle redoute les inconséquences de cet esprit mobile et les brusques impulsions de ce caractère à la fois faible et emporté. La lettre suivante, qui précède de très peu de semaines la publication des Paroles d’un Croyant, montre que, chez Mme Cottu, l’attachement inébranlable n’enlevait rien à la clairvoyance, ni à l’indépendance du jugement.


Les nouvelles que vous me donnez de M. de Lamennais n’ont précédé que de deux jours celles qu’il s’est enfin déterminé à me donner lui-même. Il me confirme son prochain départ pour la Bretagne. J’ai hâte, comme vous, de le savoir à l’abri des agitations de tous genres qui, à Paris, torturent son esprit et usent son corps déjà si débile. Quelque désir que j’aie de le voir tenir au projet qu’il a formé de passer deux ou trois ans d’arrache-pied à la Chênaie, je suis persuadée qu’avant six mois la ville infernale l’attirera dans son gouffre. Puisse-t-elle ne l’y point engloutir. Puissent le calme et la raison affranchir un génie si sublime, une âme si élevée du joug des passions mauvaises qui cherchent à en faire leur proie ! Hélas ! depuis quinze ans, combien de fois ne l’ai-je pas vu tour à tour subjugué et désabusé, portant et dans ses illusions et dans la perte de ces illusions une ardeur de foi et une amertume de ressentimens l’une et l’autre extrêmes ! Aussitôt qu’il ploie ses ailes et qu’il marche sur la terre, cet homme si supérieur n’est plus qu’un faible enfant, plein de candeur et de gaucherie, qui ne sait comment se tirer de la vie commune à laquelle il paie un continuel et déplorable tribut d’inexpérience…


« La route dans laquelle il s’est engagé m’épouvante, écrit-elle l’année suivante. Il la parcourt et s’y enfonce avec une rapidité et une assurance dont je frémis. » Il était impossible qu’une affection aussi dévouée et aussi clairvoyante à la fois n’essayât pas de l’arrêter sur cette route. Il ressort des lettres mêmes de Lamennais que Mme Cottu fit plusieurs tentatives. Toujours elle fut repoussée par des phrases évasives. Rentrée en France au commencement de l’année 1837, elle eut avec Lamennais une conversation qui ne dut guère lui laisser d’espérance. Aussi n’ajouta-t-elle que peu de foi au bruit qui se répandit inopinément, quelques mois après la publication des Affaires de Rome, que Lamennais s’était rétracté et avait, pour la troisième fois, fait acte de soumission au Saint-Siège. L’émotion que lui causa cette nouvelle, si peu vraisemblable qu’elle lui parût, fut cependant si vive qu’elle écrivait à Benoist d’Azy :


Troublée comme vous et presque éperdue de joie dans le premier moment par cette nouvelle, que la réflexion n’a pas tardé à me faire juger bien improbable, je suis, comme vous aussi, réduite aux conjectures sur un sujet qui me touche si profondément. Depuis le premier départ de M. de Lamennais, qui a eu lieu vers le 16 ou 18 juin, j’ignore tout de lui… Une semaine avant cette époque, il vint passer une journée avec moi, et le douloureux souvenir de ce qu’il me dit alors me laisse bien peu d’espoir qu’il ait pu revenir d’une manière soudaine à des sentimens dont il se montrait, hélas ! bien éloigné. Jamais on ne vit démence si ferme et si joyeuse, lime perça le cœur, et quand je songe au déplorable contentement où je le vis, à l’oubli prodigieux qui a effacé de son esprit jusqu’à la mémoire de ce qu’il fut, jusqu’au moindre reflet de son noble passé, il me faut espérer un miracle pour admettre comme possible le bruit qui a circulé. Ce miracle, je l’implore chaque jour du ciel avec la double ferveur de la foi et d’une affection assez pure, assez haute pour se placer à côté de cette foi qu’elle a fait naître. Jamais je ne sentis mieux à quel point m’est cher ce malheureux ami que dans l’instant trop rapide où je le crus sorti de l’abîme et rendu à Dieu et à nous.


Et après avoir demandé à Benoist d’Azy de joindre une dernière fois ses efforts à ceux qu’elle tentait, elle ajoutait :


Jamais mendiant, qui tend la main pour la première fois, n’a eu le cœur plus gonflé que moi en quêtant çà et là le bienfait d’une parole de lumière sur une destinée dont, pendant un si grand nombre d’années, rien ne m’a été étranger.


Elle dut cependant faire une nouvelle tentative, car elle finit par s’attirer de la part de Lamennais cette lettre assez sèche, dont le ton contraste avec le reste de la correspondance :


Je ne crois pas qu’il y ait eu de la sécheresse dans mes paroles, car il n’y en avait pas dans mon cœur ; mais il a pu y percer de la fatigue de vous voir toujours revenir sur un sujet que vous savez bien ne pouvoir m’être agréable, car il ne l’est pas du tout de s’entendre plaindre sans cesse, comme on plaindrait un homme tombé dans les plus déplorables égaremens, lorsque ma conscience me rend le témoignage de n’avoir fait que mon devoir. J’ai mes convictions, vous avez les vôtres ; pourquoi ne serions-nous pas également de bonne foi ? Il y a une pitié qui insulte, et je ne veux pas de celle-là. Je sais que rien au monde n’est plus éloigné de votre intention que de me blesser en quoi que ce soit. Pourquoi donc cette insistance de regrets qui ressemblent si fort à des reproches, et d’exhortations au moins inutiles ? Car vous ne pouvez douter que je n’aie réfléchi trop longtemps et trop sérieusement à tout ce qui vous préoccupe, pour revenir jamais de ce qui vous paraît des erreurs, tant qu’elles seront à mes yeux d’incontestables vérités. Mais en voilà assez là-dessus.


Le sujet défendu devait cependant revenir entre eux une dernière fois, mais trois ans plus tard. A son retour en France, Mme Cottu s’était établie à Versailles avec son mari et ses enfans. Lamennais continua de l’aller voir, mais de plus en plus rarement, car M. Cottu ne dissimulait pas le peu de plaisir qu’il avait à le recevoir. Ces visites donnaient quelquefois lieu à des incidens pénibles. C’est ainsi que Lamennais se rencontra un jour avec l’évêque de Versailles. Fort troublé de cette rencontre, il demanda que son nom ne fût pas prononcé à l’évêque, et, durant tout le temps que dura la visite de celui-ci, il demeura dans un coin, la tête enfoncée dans le collet de sa redingote, sans ouvrir la bouche. Plus souvent, Mme Cottu l’allait voir à Paris. Avec tristesse elle remarquait que tous les signes extérieurs qui auraient pu rappeler l’ancienne vocation de Lamennais avaient disparu. Plus de crucifix, plus de prie-Dieu. Sur la cheminée, une statue de la Vierge avait été remplacée par une statuette en bronze de la Liberté, avec cette inscription sur le socle :


Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs.


« Quelle madone ! » disait en revenant Mme Cottu à son mari. Elle se désolait aussi en constatant que Lamennais avait renoncé non seulement à la soutane, mais aux vêtemens de couleurs sombres, et qu’il portait un pantalon de nanking avec des bas blancs. Un jour enfin eut lieu entre eux une conversation suprême, dont Mme Cottu, en rentrant chez elle, écrivit le récit, toute vibrante encore de l’émotion que cette conversation lui avait causée. Plutôt que de résumer ce récit, je crois devoir le reproduire en entier, car il est à la fois curieux et pathétique.


J’ai passé plus de deux heures avec M. de Lamennais. Il a abordé franchement avec moi les questions qui jusqu’ici avaient été entre nous un sujet de gêne. Je ne sais quels flots de conversation nous ont jeté sur cet écueil ; mais enfin nous nous y sommes trouvés conduits, sans que j’eusse formé aucun dessein de l’y amener. En m’ouvrant son cœur, il m’a montré un abîme profond, une cavité aussi vaste qu’avait été vaste dans cette grande intelligence la pensée de Dieu qui l’avait remplie.

Il m’a exprimé une sorte d’horreur pour l’état ecclésiastique. « Je n’ai jamais été si heureux, m’a-t-il dit, que depuis que je suis sorti de tout cela. » J’ai pris le courage de lui répliquer : « C’est pourtant dans la plénitude de votre raison et de votre volonté que vous êtes entré dans tout cela. » — Il m’a fait répéter deux fois cette objection si simple, comme s’il ne la saisissait pas bien, et, évidemment, parce qu’elle le laissait à court de réponse ; puisqu’il m’a répondu avec embarras et en balbutiant : « J’avais eu de grands chagrins, auxquels je cherchais une consolation. » Hélas ! la douleur n’est-elle pas en ce monde l’état normal de notre cœur ? Et n’est-ce pas quand il souffre, qu’il a le mieux l’instinct des vérités du salut, et qu’une secourable révélation l’éclairé ? — Je n’ai pas su lui dire cela, trop émue, trop honteuse même que j’étais d’avoir osé l’embarrasser. Je suis si façonnée à une attitude de respect devant lui, que je me sentais confuse de me tenir debout en sa présence, bien plus encore de le forcer à baisser la tête. Nous ne connaissons pas bien par nous-mêmes ce que c’est que la confusion ; il faut avoir rougi pour ce qui nous est profondément cher, pour apprécier toute la portée de ce malaise.

J’ai rompu le ton trop direct qu’avait pris notre entretien, et je l’ai ramené à des questions plus générales. Alors sa voix s’est affermie ; il est redevenu éloquent, mais à la manière du génie tombé en démence ; il y avait des instans où il s’enfonçait dans une métaphysique si obscure, si embrouillée qu’il ne s’entendait sûrement pas lui-même ; par-ci, par-là, quelques, rayons de soleil ; puis revenaient les nuages, les aberrations d’un cerveau malade. Je l’écoutais, le cœur palpitant, comme on suit, au chevet d’un ami, les incohérentes pensées qu’il exprime dans le délire. Enfin, épouvantée de ce qu’il m’étalait d’incrédulité au christianisme, je me suis écriée : « Vous n’êtes donc plus que déiste ! Vous offrez donc vous-même un déplorable exemple de ce que vous avez si victorieusement prouvé autrefois, que la négation d’une seule vérité du catholicisme conduit invinciblement à ce terme ! » Il s’est troublé de nouveau, et moi, de nouveau, j’ai brisé le glaive de cette parole et je lui ai demandé si, n’admettant plus comme devoir un culte positif, accompagné de pratiques extérieures, il ne l’admettait pas du moins comme besoin, comme impérieuse nécessité sociale ? S’il ne convenait pas qu’il fallait à nos misères, si nombreuses et si incessantes, des consolations régulières, et incessantes aussi, appliquées par une classe d’hommes voués à panser toutes les plaies morales de leurs semblables ? — « Ne convenez-vous pas, ai-je ajouté, que la voix du prêtre est la seule qui puisse adoucir toutes nos souffrances et calmer toutes nos tempêtes ? » — De cela il est tombé d’accord avec moi ; et là-dessus il m’a déroulé un système de sacerdoce tout à fait identique à une organisation de garde urbaine. — Le prêtre se prendrait indifféremment et momentanément dans toutes les classes de la société : sans passé et sans avenir, sans mission divine et sans caractère sacré, ce prêtre improvisé quitterait son établi, son comptoir, même son échoppe, pour faire sa faction à côté de notre âme, et serait relevé par le camarade à la garde descendante… Voilà les absurdités que ce malheureux déchu accueille aujourd’hui, en haine de certaines vérités contre lesquelles il ne saurait trouver des armes dans la partie rationnelle de son esprit. « Quelle nécessité, me disait-il, avec un accent d’une inexprimable amertume, quelle nécessité à ce qu’il y ait une classe d’hommes attachés sur l’homme comme le ver sur le cadavre ? » — À cette image abjecte et révoltante, je me suis sentie indignée. Je lui ai rappelé cette sublime et si juste peinture qu’il avait faite du prêtre catholique, de cet ange, placé entre le ciel et la terre, et métamorphosé maintenant à ses yeux en importun reptile ! Inspirée alors moi-même par le souvenir du vivant modèle de ce prêtre catholique, renonçant à toutes les jouissances de la jeunesse, à tous les biens de la nature, dévouant sa vie dépouillée à revêtir ses frères d’espérance et de foi, les relevant d’une main, et, de l’autre, leur montrant l’immortel séjour de la paix. « Non, lui ai-je dit dans toute l’émotion de mon cœur, non, il n’y aura rien dans votre vie nouvelle qui vaille, même pour le temps, cette vie admirable qui était la vôtre. » Je ne sais si je l’ai attendri, mais du moins ne l’ai-je pas blessé, ni même alors embarrassé. Il y a eu quelque chose de constamment doux et triste dans son regard, pendant cette période de notre conversation. — Il m’a beaucoup parlé de la conduite de la cour de Rome à son égard. « En taxant d’hérésie ma doctrine de l’autorité, elle m’a forcé à l’examen. Je voulais fermer les yeux : ce n’est pas ma faute si, m’obligeant à les ouvrir, j’y ai vu clair… » Certes, ce n’était pas là la conséquence des objections qui lui furent alors opposées ; mais certes aussi, il y a eu grande maladresse et peut-être un coupable mouvement des passions envieuses dans la conduite de quelques membres du haut clergé envers cet illustre accusé.


Mme Cottu quitta Lamennais plus découragée que jamais. Rencontrant une église sur sa route, elle y entra et répandit son âme dans une ardente, prière :


A genoux devant Dieu, toute pleine du spectacle de l’insuffisance des dons les plus élevés quand la foi se retire d’eux, je ne pouvais que répéter : O mon Dieu ! laissez-moi la foi ! la foi toute nue, sans une pensée au bout de ce mot je crois ! Que je croie toujours, et de plus en plus fermement : tout le reste n’est que vanité et péril. — Puis, me repliant sur le passé ; c’est du flambeau de son génie, me disais-je, qu’est tombée dans mon âme la première étincelle de foi. C’est sous les ailes de ce génie que j’ai vécu d’une vie nouvelle, tout animée par lui, et régularisée par les mouvemens de la sienne, dans une union si intime qu’elle en semblait inséparable. Par quelle merveille de votre grâce, mon Dieu, n’ai-je pas trouvé la mort sur son cadavre ? Ensuite, ma pensée s’est transportée au redoutable moment où cette grande âme comparaîtrait devant le divin juge, et aurait à lui rendre compte de l’usage qu’elle avait fait de sa haute intelligence, de ses facultés si ardentes, du don d’entraîner et d’émotionner, de convaincre par toutes les forces de l’esprit, de persuader par tous les attraits de la plus suave action. Et je tremblais que la sentence portée contre le mauvais riche ne lui fût trop applicable. Alors, je me suis figuré un groupe d’âmes, parmi lesquelles je voyais la mienne, déposant comme témoins à décharge, en faveur de ce grand accusé, et demandant grâce pour celui qui avait été le premier instrument de leur salut. Se pourrait-il, mon Dieu, que leurs supplications ne touchassent pas votre miséricorde ; et s’il en doit, être ainsi, donnerez-vous à ces âmes, jadis éclairées par lui, une triste puissance d’ingratitude, et d’oubli, qui les rende indifférentes à son supplice ? Hélas ! je reculerais, ce me semble, devant ce douloureux bienfait, de cesser d’aimer, de cesser de plaindre celui que j’ai tant aimé, celui que je plains d’une pitié si tendre ! Ah ! du moins, tant qu’il m’est permis, tant qu’il m’est commandé même de lui conserver cet attachement et cette reconnaissance, je m’efforcerai de les lui rendre et doux et profitables, n’imitant point ces froids amis qui n’ont pas su veiller et prier une heure, près de leur ancien maître.

Cette conversation date du mois d’août 1840. A la fin de décembre de cette même année, Lamennais, était condamné, par le jury de la Seine, à un an de prison, pour avoir dans un écrit d’une extrême violence, intitulé : Le Pays et le Gouvernement, insulté le Roi et les Chambres. Il passa toute l’année suivante à Sainte-Pélagie. Au cours de cette détention, Mme Cottu alla le voir plusieurs fois. Exaspéré par le traitement rigoureux qu’il subissait, Lamennais se laissait aller à des violences croissantes. « Jusqu’à présent, disait-il, j’avais été d’avis que la révolution qui se prépare devait être renfermée dans de certaines limites de modération, surtout relativement aux personnes ; mais j’ai tout à fait changé d’avis, et je pense au contraire qu’on doit sévir avec vigueur contre les oppresseurs du peuple. » Aussi voulait-il que M. Guizot et M. Molé fussent condamnés aux galères. Il voulait également qu’on empruntât à la religion l’idée de l’excommunication qui lui paraissait sublime et qu’on l’appliquât à la politique. « Les noms des traîtres et des ennemis du peuple, disait-il, devraient être inscrits en encre rouge sur de grands tableaux dans toutes les écoles et voués à l’exécration des enfans. » « Je ne sais, disait-il encore, si on sera assez sot pour pardonner, mais moi, je n’oublierai jamais rien. » Chateaubriand, qui assistait à la conversation, paraissait un peu embarrassé de cette explosion de fureur ; cependant, tandis que Mme Cottu s’efforçait de ramener Lamennais à des sentimens plus humains, Chateaubriand se bornait à lui dire que la révolution n’était pas si proche et que la dynastie nouvelle, s’appuyant sur des intérêts puissans, était en état de faire une longue résistance.

La conversation de Lamennais ne s’élevait pas toujours à ce diapason de violence. Parfois, au contraire, il se laissait aller à causer avec abandon et bonhomie, comme on cause avec une très ancienne amie. Il ne dissimulait pas à Mme Cottu les embarras de sa situation matérielle. Ses livres ne se vendaient plus. Il ne vivait guère que du produit de ses Réflexions sur l’Imitation ; s’il tombait malade, il se verrait dans la nécessité de s’abandonner à la charité de ses amis ou de se faire porter à l’hôpital. Parfois aussi, il lui confessait les mécomptes et les désagrémens qu’il essuyait dans la société nouvelle au milieu de laquelle il avait vécu depuis quelques années. Comme il était naturel, Lamennais avait totalement changé de milieu. Sauf Mme Cottu elle-même, et le baron de Vitrolles, presque tous ses anciens amis l’avaient abandonné. Il avait dû s’en faire de nouveaux dans le monde républicain : Béranger, Arago, Garnier-Pagès. Comme femmes il fréquentait George Sand, alors dans tout l’éclat de sa renommée quelque peu scandaleuse et la comtesse d’Agoult, que sa liaison notoire avec Liszt avait séparée du monde auquel elle appartenait naturellement. C’étaient là, pour un ancien prêtre, des intimités quelque peu singulières, et Lamennais en avait le sentiment. Aussi s’en expliquait-il avec Mme Cottu. Il se défendait en particulier contre les calomnies auxquelles sa relation avec George Sand avait donné naissance. Il se plaignait qu’une certaine dame affirmât avoir vu plus de soixante lettres de lui à George Sand. Or il assurait ne lui en avoir jamais écrit que quatre, deux insignifiantes et deux détaillées en réponse à des confidences très intimes qu’elle lui avait faites sur ses chagrins domestiques et sur la situation de son âme. Il se plaignait également du peu de tact et de mesure qu’elle avait montré dans ses relations avec lui. « Croiriez-vous, disait-il, qu’elle m’a menacé de venir prendre une chambre dans le village le plus voisin de la Chênaie pour être plus à portée de mes conseils et de mes instructions. Jugez le beau texte que l’exécution d’un pareil projet aurait fourni à la calomnie. Il ne m’aurait plus manqué que ce dernier coup. » Mme Cottu lui ayant demandé s’il lui trouvait quelque charme dans l’esprit et dans la conversation, il lui répondit qu’elle était « essentiellement dépourvue de toute physionomie et que son entretien était de la plus grande sécheresse. »

Il se plaignait également d’une certaine Mme de Marliani, une Espagnole chez qui il s’était mis sur un tel pied de familiarité qu’il y allait souvent dîner sans être invité. Mal lui en prit une fois, et il racontait en ces termes à Mme Cottu la fâcheuse aventure qui lui arriva certain soir :


Un jour, j’arrive à six heures, au moment du dîner et je vois Mme de Marliani un peu troublée de ma visite. Elle s’avance vers moi d’un air inquiet et me dit qu’elle attendait à dîner une certaine personne dont elle craignait que la présence ne me fût pas agréable, qu’en un mot, elle attendait Mme Dorval. Je me sentis un peu déconcerté de cette nouvelle, mais ne voulant pas faire un esclandre je pris le parti de rester. Effectivement Mme Dorval arriva presque sur mes talons avec un M. Merle, son amant, directeur de je ne sais quel théâtre. On les plaça aux deux bouts de la salle, en face l’un de l’autre, et pendant tout le dîner, voilà Mme Dorval criant continuellement à ce monsieur tout ce qu’elle entendait dire autour d’elle, et l’appelant de toutes ses forces : « Merle ! Merle ! » à travers le bruit des plats, des verres et de la conversation. Quel ton et quel langage !


« Mais, lui dit Mme Cottu, comment est-il possible que vous vous soyez oublié à ce point ? — Hélas ! répondit Lamennais, c’est faiblesse et entraînement. »

Lamennais profita de sa prison pour rompre avec ces deux dames. Il fut blessé en particulier de ce que George Sand, au lieu de s’adresser au préfet de police pour demander la permission de venir le voir, se fût adressée avec fracas au ministre et eût voulu se faire ouvrir d’autorité la porte de la cellule de Lamennais. Mme Cottu fut la seule femme qu’il consentit à recevoir durant son séjour à Sainte-Pélagie[6]. Elle fut également la première à l’aller voir lorsqu’il sortit de prison, le 3 janvier 1842, dans le nouvel appartement qu’il avait loué rue Tronchet. Rien ne pouvait lasser sa fidélité, pas même, de la part de Lamennais, un peu de négligence et de froideur dont elle paraît s’être plainte, car il lui répondait :


Accusez les choses, les événemens, la vie, mais ne m’accusez pas. Je n’ai jamais cessé un moment d’être le même pour vous. Il est vrai que le devoir, ou ce qui me paraissait tel m’a poussé en des voies qui, à quelques égards, semblaient nous séparer. N’en a-t-il pas été ainsi de vous ? D’autres n’ont-ils pas eu des droits, des droits sacrés à vos premières, à vos plus intimes affections ? C’était conforme à l’ordre de Dieu, et je vous loue d’avoir marché dans la voie que lui-même vous traçait. Il m’en montrait une autre. J’y ai marché aussi, entouré de gens qu’aucun lien ne retenait près de moi, et sur le soir, je suis resté seul. Croyez-vous donc qu’il ne faille pas quelque effort de courage pour porter le poids de cette solitude, pour se dire, sans être troublé, qu’on n’a plus sur la terre que trois demeures, une mansarde déserte, un cabanon[7] et une fosse dans le cimetière commun ? Qu’est-ce que la vie du dehors, quand au dedans on n’a que cela ? Je ne me plains pas pourtant. Je sens que je suis ce que je devais être, et j’attends en paix l’heure de Dieu.


A trois ans de là survint cependant un incident qui allait, pendant un temps assez long, interrompre leurs relations. En 1843, Lamennais paraît avoir conçu la pensée de rédiger, sous une forme ou sous une autre, les souvenirs de sa vie. Il s’adressa à ses nombreux correspondans, et entre autres à Mme Cottu, pour leur demander de lui rendre ses lettres dont il croyait avec besoin. Mme Cottu, qui tenait à conserver les originaux, avait commencé pour lui un travail de copie ; mais M. Cottu intervint. Il se figura, à tort, que Lamennais se proposait de publier ces lettres et il interdit à Mme Cottu de continuer son travail, en l’autorisant à dire à Lamennais que le refus de communication venait de lui. Lamennais fut blessé et de l’intervention et du refus.


Je ne sais pas, écrivait-il à Mme Cottu, comment vous avez pu imaginer qu’il me fût entré dans l’esprit de mettre le public en tiers dans des entretiens d’une confidence si intime ni ce que M. Cottu pouvait avoir à peser et à décider au sujet de la communication que je vous demandais en vue d’un travail qui me préoccupe, quoique incertain. Du reste, ces lettres, je n’en veux plus. Vous me les confieriez maintenant, que je vous les renverrais sans les ouvrir.


Cependant, comme s’il craignait d’en rester sur cette phrase un peu dure, il ajoute :


Le temps me presse de son poids ; les ans m’emportent, mais quoi que vous en puissiez penser, rien n’emportera jamais les sentimens que vous m’avez connus pour vous et qui sont devenus mon âme même.


A partir de cette lettre, qui est du 3 novembre 1844, toute relation, au moins par correspondance, fut suspendue entre eux. Continuèrent-ils à se voir, je l’ignore, mais cela semble peu probable. Cependant cet attachement, qui avait tenu une si grande place dans sa vie, sommeillait dans le cœur de Mme Cottu plutôt qu’il n’était mort. Il se réveilla quand elle apprit à la fin de l’année 1853, sans doute par la rumeur publique, que la santé de Lamennais déclinait, M. Cottu était mort depuis quatre ans. Elle se trouvait donc libre de suivre les impulsions de son cœur. Elle prit les de vans et écrivit à Lamennais. A l’instant même où il reçut cette lettre dont on regrette de ne pas avoir le texte, Lamennais lui répondit :


Le silence n’est pas l’oubli ; mais, je vous l’avoue, je craignais le vôtre. Vous retrouver, retrouver votre cœur m’a fait plus de bien que je ne saurais vous l’exprimer… Oui, rapprochons-nous pour ne plus nous séparer qu’à l’heure où l’on ne se dit pas adieu, mais au revoir, et grâce à Dieu, c’est toujours bientôt. A vous, comme il y a trente-cinq ans.


Mme Cottu alla aussitôt voir Lamennais et la correspondance reprit alors entre eux. Mais Lammennais ne lui écrit que de courtes lettres. On sent qu’il est à bout de forces. Il règne dans ces lettres un ton de lassitude et de découragement. Elles sont tristes et désabusées. Pas une pensée pieuse chez ce vieillard, chez cet ancien prêtre qui s’en va. Rien que des récriminations ou des prédictions sombres. « Jamais, écrit-il, l’horizon ne me parut si noir. Messieurs du passé doivent être contens de leurs œuvres et nous ne sommes pas au bout. Tous leurs œufs ne sont pas éclos. » Et dans une autre lettre :


Le peu que j’apprends de l’état des choses, chez nous et ailleurs, ne me remplit pas l’esprit d’idées plus gaies. Heureusement j’ai des livres avec lesquels je me réfugie dans d’autres temps. Valaient-ils mieux que le nôtre ? Non, mais en traversant ces marais, la pensée découvre ça et là quelques fleurs qu’elle cueille en passant. Dans ce qui fut, on choisit ce qui plaît ; dans le présent on ne peut choisir ; il faut l’avaler tout entier tel qu’il est, et bien peu de gens, ce me semble, s’y décident sans faire la grimace.

Panurge, dans je ne sais quelle île, en trouva tous les habitans occupés, qui à ceci, qui à cela. « Aultres, dit-il, faisaient de nécessité vertu et ne semblait l’ouvrage bien beau et bien à propos. » Je suis de l’avis de Panurge.


Dans ses premières lettres, il parlait du Christ et citait l’Evangile. Il finit en parlant de Panurge et en citant Rabelais.


VII

Au commencement de janvier 1854, Lamennais s’alita pour ne plus se relever.

On sait le conflit qui s’éleva autour de son lit de malade, puis de mourant, entre les amis de ses dernières années et ceux des premières : les uns désirant le voir mourir dans les sentimens qu’il professait depuis qu’il était sorti de l’Église, les autres souhaitant et espérant, au contraire, de sa part quelques signes de retour en arrière et de repentir. Ce furent les premiers qui l’emportèrent. Je ne crois pas cependant qu’il soit juste de les accuser, comme on l’a fait, de l’avoir séquestré, et il faut reconnaître qu’en défendant le repos de ses derniers jours contre des sollicitations touchantes, mais indiscrètes, ils étaient les fidèles exécuteurs de sa volonté formellement exprimée. En tout cas, ils n’empêchèrent ni sa nièce, Mme de Kertanguy, qui était une ardente chrétienne, ni Mme Cottu elle-même de parvenir jusqu’à lui. On m’a même communiqué un récit de cette entrevue suprême avec Mme Cottu. « C’est vous, lui aurait-elle dit, qui m’avez faite chrétienne et je vous verrais mourir sans les secours de la religion ! » Lamennais aurait beaucoup pleuré, et il fut convenu que Mme Cottu reviendrait avec un prêtre. Mais quand elle se présenta le lendemain, les amis de Lamennais, qui avaient tout entendu de la chambre voisine, ne l’auraient pas laissé pénétrer.

Pour dire mon sentiment, et sans mettre en doute la bonne foi de personne, je ne crois pas à l’exactitude de ce récit. Il a passé de bouche en bouche, ayant été fait, plusieurs années après, par Mme Cottu à un prêtre qui l’aurait transmis, plusieurs années après également, à un autre prêtre. Or il suffit d’être tant soit peu historien pour savoir combien la vérité souffre parfois de ces voyages, et avec quelle facilité les légendes se créent. Je crois plutôt à une autre version d’après laquelle Mme Cottu, introduite auprès de lui, se serait bornée à lui demander s’il voulait bien qu’on priât pour lui, et comme il aurait répondu : oui, elle serait demeurée deux heures en prière auprès de son lit.

J’ai tenu également entre mes mains un récit des funérailles de Lamennais rédigé par un de ses exécuteurs testamentaires. Bien que ce récit, sauf un lugubre détail, ne contienne rien qui soit précisément nouveau, je crois cependant devoir le reproduire, car il a toute la triste réalité d’une chose vue :


M. Blaise, l’un des exécuteurs testamentaires de M. de Lamennais et moi[8], nous marchions les premiers. Au départ, un très petit nombre de personnes suivaient le char funèbre ; outre que l’heure du convoi avait été brusquement avancée, on n’avait envoyé qu’un nombre très limité de billets de faire part pour se conformer aux instructions précises de M. Lamennais… Mais la foule augmentait à mesure que le convoi s’avançait. Nous v traversions, pour atteindre le cimetière du Père-Lachaise, des quartiers populeux et spécialement habités par la classe ouvrière ; les ouvriers quittaient leurs chantiers et se plaçaient silencieusement devant la porte des maisons. Quelques-uns se joignaient à nous et grossissaient le cortège. Il n’y eut un peu de désordre qu’à notre arrivée au cimetière. Le préfet de police, qui était venu en personne, ordonna de ne laisser pénétrer que vingt de ceux qui suivaient le corbillard. Ceux qui furent exclus firent d’énergiques réclamations, et une certaine émotion se produisit dans la foule, mais elle fut promptement calmée.

Conformément à sa volonté, M. de Lamennais fut enterré dans la fosse commune et sans qu’aucun signe extérieur, tombeau, pierre ou croix, pût faire distinguer sa place de celles des pauvres. On ne prononça pas de discours. Le silence lugubre qui régnait parmi les assistans ne fut interrompu qu’une seule fois par le préposé du cimetière, qui dit avec un accent de mauvaise humeur aux manœuvres : « Ménagez donc le terrain et gardez une petite place pour un enfant, s’il nous en vient un. » Quelques minutes après, le terrain étant nivelé, la même personne éleva de nouveau la voix et nous dit : « Messieurs, vous pouvez vous retirer, tout est fini. »


Bien des années auparavant, Lamennais avait fait choix pour lui-même d’une autre sépulture que, dans une lettre à Montalembert, datée de la Chênaie, il décrivait ainsi :


Hier, en me promenant sur les bords de notre étang, je remarquai, sur un rocher qui forme une espèce de voûte et d’où sort un chêne isolé, une place que je destinai en moi-même pour mon tombeau. Les frais n’en seront pas considérables : une croix, gravée en creux dans le roc et quelques mottes de gazon sur le pauvre mort, voilà tout. Cette sépulture champêtre, dans un coin, à l’écart, plaît à mon imagination. Je n’aime de ce monde que la nature et c’est en son sein que je veux me reposer. Tout ce qui me rappelle les hommes me fait mal.


Au contraire, il n’avait jamais aimé le cimetière du Père-Lachaise. En 1818, il l’avait visité avec Mme Cottu, et le lendemain de cette visite, il lui écrivait cette belle lettre :


On ne sort pas sans un peu de tristesse des lieux que nous avons visités. J’admire comment les hommes savent se faire des spectacles de tout, et un luxe de la mort même. Il y a quelque chose d’étrange dans ce contraste de l’orgueil et d’une grande misère. Qu’apportent-ils avec tant de pompe ? Des ossemens ; ils y mêlent quelques fleurs, souvent plus durables que leurs souvenirs, et en voilà pour jamais ; la philosophie ne connaît d’autre consolation que l’oubli ; en rendant à la terre les restes de ceux qu’il a chéris, le chrétien regarde le ciel, et dit : Ils se réveilleront.


Mme Cottu, dans une lettre à Benoist d’Azy, complétait en ces termes le récit de cette promenade :


Il a été frappé de la beauté du lieu, mais son aspect presque riant lui a déplu. Après avoir parcouru dans un silence désapprobateur toute la partie ornée de tombes magnifiques, il s’est arrêté avec recueillement dans l’espace consacré à l’indigence, et où chaque place est marquée par une petite croix de bois, et se retournant du côté que nous venions de visiter : « Ils ont beau planter des arbres, graver des inscriptions, multiplier l’illusion de la vie autour des tombeaux, la croix seule est vivante ! » s’est-il écrié d’un accent énergique.


Aucune croix ne s’élève sur la tombe de Lamennais dont on ignore la place aujourd’hui.

Mme Cottu demeura fidèle au souvenir du prêtre qui l’avait convertie et de l’ami qu’elle n’avait jamais voulu abandonner. Elle avait obtenu de ses exécuteurs testamentaires une photographie qui le représentait sur son lit de mort. Au bas de cette photographie, elle avait écrit de sa propre main : « La miséricorde de Dieu est infinie. Nul ne peut en sonder les mystères. » En écrivant ces mots, elle se souvenait sans doute de ce que Lamennais lui avait dit au moment de la mort de M. de Lacan, sur ces mouvemens imperceptibles aux hommes dont Dieu se contente. Et s’il est vrai qu’une larme ait été essuyée sur la joue glacée de Lamennais, si elle la su, elle a pu espérer que cette larme aura suffi à contenter Dieu.

Mme Cottu survécut quinze ans à Lamennais. Elle mourut au commencement de l’année 1869. Le 2 février de cette année (février était le mois de la mort de Lamennais), en pleine possession de ses facultés et de sa rare intelligence, elle prit la plume et résuma en ces termes son jugement sur lui :


Il y a tout à l’heure quinze années (27 février 1854), une puissante intelligence s’est éteinte. Engloutie, selon les uns, dans l’abîme creusé par l’orgueil, destinée, selon les autres, à renaître glorieusement prophétique, elle est encore livrée aux appréciations les plus extrêmes.

Nul ne conteste la supériorité du génie de M. de Lamennais, mais presque personne ne lui rend une impartiale justice, parmi ses détracteurs surtout, faute d’admettre comme possibles les disparates d’une nature pleine d’étranges contrastes. On y cherche une logique qui manque à de certaines organisations pour lesquelles le principe des analogies régulières est tout à fait erroné.

Si tous s’accordent à reconnaître chez M. de Lamennais l’immense talent de l’écrivain, combien son caractère a-t-il été méconnu, calomnié ! On a fait de l’homme le plus simple, le plus sincère, un ambitieux, un agitateur à froid, feignant tour à tour au profit de sa renommée des convictions contraires, et les soutenant avec une égale et impétueuse ardeur.

Hélas ! il est vrai, M. de Lamennais se donna à lui-même de prodigieux, de déplorables démentis ! Né devant l’imposant spectacle, et pour ainsi dire au contact de l’Océan, il en avait la fougue et les flots changeans ; il en avait les vastes horizons, la profonde mélancolie, les soudains et terribles caprices ! La contemplation de cet infini dont toute sa jeunesse fut imprégnée eut une grande influence sur la pente de son esprit, sur la véhémence de ses sentimens. Il lui dut une vague tristesse qui s’étendait comme un voile sur toutes ses pensées ; un dédain, une répugnance de tout ce qui passe, y compris la vie, qui lui fut toujours pesante ; un besoin de s’élancer au-delà des bornes du temps, et d’arriver où il cesse d’être.

À ces dispositions, que l’on pourrait supposer farouches, se mêlaient une vive expansion de cœur, un suave amour de l’enfance, et si naïf qu’il n’avait point de condescendance en partageant ses jeux : il s’amusait réellement et sans effort avec elle. Les plus enfantins passe-temps excitaient sa gaieté et lui arrachaient de petits éclats de rire aigus qui n’appartiennent guère qu’à l’âge le plus tendre.

Les mêmes contrastes s’associaient dans l’organisation physique de M. de Lamennais. Bien qu’il fût de toute petite taille, maigre, pâle, de la plus frêle apparence, fatigué habituellement par une toux sèche et convulsive, sujet à des spasmes nerveux qui allaient jusqu’à la défaillance au choc d’émotions pénibles, sa débile enveloppe offrait aussi des indices de résistance. Une ardeur infatigable à la marche, un appétit robuste, exempt de toute recherche ; un organe mâle, bien que peu sonore ; une énergie dans l’expression de son regard ombragé, adouci par de longs cils, qu’eussent envié les plus jeunes, accusaient la vitalité latente qui a soutenu jusqu’à une vieillesse avancée une existence dont la durée paraissait si précaire.

M. de Lamennais a été personnellement peu connu des hommes et les a peu connus. Par choix, par délicatesse de santé, il aimait la solitude. Enfoui dans une vieille robe de chambre bien chaude, rapiécée, voire même trouée (vraie Basse-Bretonne ! ), plongé dans son grand fauteuil, dans ses livres, dans ses papiers, au coin d’un feu qu’il tisonnait, c’est ainsi qu’il passait ses meilleures journées. Quelquefois, assis, courbé devant son bureau, il laissait sa plume immobile entre ses doigts. Il avait le travail difficile parce qu’il était difficile sur le travail. Sa vigoureuse pensée s’agitait longtemps en lui, avant qu’il réussît, selon son gré, à l’enfanter telle qu’il l’avait conçue.

La vie du monde lui a toujours été antipathique et étrangère. Il se dérobait aux empressemens dont sa célébrité le rendait l’objet. Ses amitiés furent trop intimes pour être nombreuses. Ses relations se bornèrent à des rapports littéraires et politiques et à ceux qui naissent inévitablement des choses accidentelles.

Confiant, comme le sont d’ordinaire les natures franches et droites, M. de Lamennais fut bien souvent trompé et détrompé ; mais l’expérience ne l’éclairait qu’un à un. Il continuait de promener çà et là sa bonne foi, et d’éprouver, à chaque mécompte, toute l’indignation d’une première surprise.

Cet homme, dont la pensée creusait à une si grande profondeur et s’élevait à de si hautes sommités, marchait sur la terre avec la plus candide ignorance pratique de ses pièges et s’y laissait prendre sans cesse. De tous les mauvais penchans qu’il fallait bien rencontrer en chemin, l’avarice et la duplicité lui étaient à particulier dégoût. Il aurait peut-être été moins éloigné de pardonner un crime qu’un vice.

Oui, sans doute, ce grand et noble esprit a erré ! Oui, ses convictions ont été changeantes et extrêmes ; mais toujours passionnées, toujours sincères ! Il a appliqué à la recherche des vérités éternelles l’ardeur curieuse qui, dans la science, porte souvent à rejeter ce que l’on avait d’abord admis. Il n’a pas su fermer les yeux devant l’impénétrable, respecter le voile qui le couvre. Mais l’orgueil n’était pour rien dans sa funeste témérité ; et, dût-on crier anathème sur ceci : nul n’a aimé, n’a senti Dieu plus que lui ! Son âme s’unifiait à lui par tous les points. Et quand il trouvait à une autre âme les mêmes aspirations, quelle sympathie fidèle triomphait du temps, des divergences d’opinion, du franc parler intrépide, de tout ce qui brise le commun des liens !

Sur son lit de mort, il a eu encore non pas seulement des paroles, mais des tressaillemens d’ineffable tendresse pour les larmes qu’il faisait couler.

Puisse la lumière jetée ici sur ce qu’il fut, confondre de haineuses imputations, dissiper de cruelles erreurs ! Et puisse l’hommage dirigé au hasard vers la place lamentablement incertaine où reposent ses restes, les consoler des attaques mensongères qui poursuivent sa mémoire !


Le lendemain du jour où elle écrivait ces fortes pages, Mme Cottu était terrassée par la mort. Ainsi, par un de ces vagues pressentimens qui éclairent parfois d’un rayon douteux la nuit obscure où nous vivons, à la veille du jour où ses yeux allaient se fermer pour jamais, sa pensée reconnaissante se tournait encore vers celui qui les avait ouverts à la lumière de la foi, et elle exprimait le vœu que ce témoignage de sa reconnaissance servît à défendre contre les attaques et les calomnies la mémoire de celui qui lui avait été si cher. La publication des lettres à elle adressées par Lamennais donnera satisfaction à ce vœu et servira en même temps la mémoire de la noble femme qui sut concilier jusqu’au bout une double fidélité : celle de l’amitié et celle de la foi.


HAUSSONVILLE.

  1. Lamennais parle ici de l’abbé Teyssère qui demeurait avec lui aux Feuillantines.
  2. Quelques-unes des lettres de Mme de Lacan à Benoist d’Azy ont été publiées par M. l’abbé La veille dans la Revue du clergé français du 15 mai 1896.
  3. Ces lettres ont été également publiés en 1898, par M. l’abbé Laveille.
  4. Henry Morman, le jeune Anglais, mort quelques mois auparavant, dont il a été parlé plus haut.
  5. Cette initiale désigne l’abbé Desjardins qui était le confesseur de Mme de Lacan.
  6. Au retour de ses visites à Sainte-Pélagie, Mme Cottu racontait à son mari les conversations qu’elle avait eues avec Lamennais, et celui-ci les couchait fidèlement par écrit dans un Journal qu’il tenait jour par jour. Ce journal m’a été obligeamment communiqué.
  7. La lettre est datée de Sainte-Pélagie.
  8. Ce récit est de M. Benoit Champy, qui depuis fut président du tribunal de la Seine.