Jules Laisné (p. 325-326).


CHAPITRE XLIII.

Le dernier jour d’un condamné.


Le 8 janvier, à neuf heures du soir, il s’endormit d’un profond sommeil, comme à son ordinaire.

À dix heures, le directeur de la Conciergerie entra dans son cachot en lui disant :

— Eh bien ! Lacenaire, je ne croyais pas que nous nous quitterions si tôt ; il faut vous habiller ; on va vous transférer à Bicêtre.

— Allons, monsieur Lebel, allons ! tant mieux, lui répondit Lacenaire ; que cela finisse ; je ne demande qu’une chose, c’est que ce soit pour demain… Voulez-vous me permettre d’écrire trois lignes avant que de sortir d’ici ?

Il s’approcha de la table et traça d’une main assurée les lignes qui suivent, les dernières qu’il ait écrites :

8 janvier 1836, à la Conciergerie, dix heures du soir.

« On vient me chercher pour Bicêtre. Demain sans doute ma tête tombera. Je suis forcé, malgré moi, d’interrompre ces Mémoires, que je confie aux soins de mon éditeur. Le procès complète les révélations. — Adieu à tous les êtres qui m’ont aimé et même à ceux qui me maudissent : ils en ont le droit. Et vous qui lirez ces Mémoires, où le sang suinte à chaque page, vous qui ne les lirez que quand le bourreau aura essuyé son triangle de fer que j’aurai rougi, oh ! gardez-moi quelque place dans votre souvenir……, adieu ! »

Il déclara ensuite être prêt à partir, et, donnant carrière jusqu’au bout à ses pensées littéraires :

— M. Victor Hugo, dit-il à un greffier présent, a fait un beau livre sur le dernier jour d’un condamné. Eh bien ! je suis sûr que si on m’en laissait le temps, je l’enfoncerais… Et cependant, quoiqu’on en dise, M. Hugo a bien du talent !

Lacenaire, à qui l’on venait de passer la camisole de force pour cette suprême circonstance, s’excusa de ne pouvoir reconduire cérémonieusement les visiteurs, selon son habitude, jusqu’à la porte de sa cellule.