LE PREMIER COUP DE FOUDRE.

Mort de Thomas d’Arcy McGee.


L’un d’eux vient de tomber, seul, au coin d’une borne ;
Sa cervelle a jailli de son crâne sanglant ;
Ses complices émus, œil trouble et face morne,
Se sont regardés en tremblant.

Son front gardait toujours un lambeau d’auréole ;
Il fut longtemps chéri, car il éblouissait ;
Même en sa trahison, son ardente parole
Désarmait ceux qu’il trahissait.

Cet homme était choisi pour planer sur la foule ;
Son torse était sculpté pour les grands piédestaux…
Que n’a-t-il oublié que le Pactole coule
Sur le seuil des palais royaux !

De son peuple il n’eût pas vendu la cause sainte ;
Il fût resté fidèle à ceux qu’il a trahis ;
Et vieillard respecté, sans reproche et sans crainte,
Il eût vécu pour son pays !

Patriote, on le vit combattre sa patrie !
Démocrate, il en vint à courtiser les grands !
Irlandais, il fut traître à l’Irlande meurtrie !
Canadien, il rompit nos rangs !

Pourtant oublions tout quand le coupable tombe…
Que dis-je ? couvrons-nous le front d’un double deuil :
Après avoir pleuré sa vertu dans la tombe,
Pleurons sur son propre cercueil !


Tu viens donc de frapper ta première victime,
Ô peuple ! et qui peut dire où tu t’arrêteras ?
Le crime fait glisser sur la pente du crime
Et le gouffre est béant au bas !

Arrête, peuple !… Et vous, vous tissez vos suaires,
Aveugles oppresseurs, que l’on paie à prix d’or !
Quand donc cesserez-vous, imprudents belluaires,
De larder le lion qui dort ?

Hâtez-vous ! conjurez l’orage populaire !…
Un sort terrible attend les courtisans des rois,
Quand le peuple n’a plus, dans sa juste colère,
Qu’un poignard pour venger ses droits.


8 avril 1868.