La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe/28

La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe (Life and sport on the north shore of the lower St. Lawrence and gulf, 1909)
Traduction par Nazaire LeVasseur (1848-1927).
Garneau (p. 248-249).

Lecture de l’Omoplate



PARMI les nombreuses croyances et pratiques superstitieuses des Montagnais, il en est une, que l’on connaît sous le nom de « Lecture de l’omoplate, » mais c’est l’une, je crois des moins connues et des plus curieuses. Ils la pratiquent bien rarement en la présence d’un blanc, « notre frère, » à moins que celui-ci soit tenu en haute estime ou ait vécu parmi eux. Je suppose que c’est dû à ce que le secret en pourrait être dévoilé à leur préjudice. Dans le dialecte Montagnais cette coutume s’appelle outlickan meskina dont la traduction littérale serait « Pistes de l’os de l’épaule. »

Les os de divers animaux servent à cette fin, mais l’os favori, le plus fiable, le mieux pronostiquant dans leur croyance est celui du caribou. Aussitôt que l’animal est dépecé, on enlève l’os de l’épaule en le coupant à la première articulation. Avec un couteau bien aiguisé, on le dépouille à nu de toute sa chair et on le met bouillir pendant quelques minutes, juste assez pour en faire se détacher tout lambeau de chair. Alors on l’accroche dans le wigwam pour le faire sécher, et, dans la soirée, lorsque les enfants sont endormis, on déchiffre comme suit les marques de l’os :

On fend à moitié un petit morceau de bois pour y introduire la partie de la jointure de l’omoplate, et servir de manche. On expose l’os l’espace de quelques secondes à des charbons ardents. La chaleur intense fait craquer l’os de tous côtés, suivant, naturellement, le degré de chaleur auquel ou en expose les différentes surfaces. Comme cette opération ne peut se faire d’une façon uniforme, il s’ensuit que la lecture des irrégularités varie. Une longue fêlure en ligne droite d’une extrémité à l’autre signifie mort ou famine. Une courte en zigzag sans ramifications veut dire beaucoup de trouble et de misère. Les fêlures en forme de rameaux avec de petites taches rondelettes de brûlé sur les bords indiquent abondance. Quand ces taches de brûlé se trouvent groupées près du pied de l’os, c’est signe que le gibier que l’on cherche est tout près. Si elles se trouvent au bout des branches de la fêlure, le gibier est proportionnellement éloigné. Il est étonnant de voir le nombres d’interprétations que certains experts peuvent donner à ces quelques fêlures et taches.

La plus grande tache de brûlé indique toujours le camp. Si l’os en brûlant prend une couleur très-foncée avant de se fêler, c’est signe d’un mauvais temps de longue durée ; ainsi de suite. Ce grillage d’un os est surtout pratiqué pour obtenir la connaissance de choses qui touchent à la chasse ; cependant, à l’occasion les « sages » de la tribu prétendent y trouver d’autres présages.

C’était avec beaucoup d’intérêt que j’examinais toutes ces figures graves pendant que se faisait la lecture de l’os, et certainement il n’est pas de texte d’évangile dans lequel les sauvages ont plus de confiance que dans ce rite ou cette coutume.