Perrin et Cie, Libraires-Éditeurs (p. 333-344).


CHAPITRE XVI

LA FÉERIE POÉTIQUE EN ANGLETERRE AU XIXe SIÈCLE. SHELLEY, KEATS, TENNYSON


I

SHELLEY


La sorcière d’Atlas et la reine Mab sont des fées créées de toutes pièces par l’imagination de Shelley.

La reine Mab de Shelley ne ressemble pas du tout à la fantaisiste et délicieuse petite héroïne de Shakespeare. Et lui-même, le pauvre poète, si la tradition des hommes-fées, des fati, s’était maintenue dans la légende, il aurait pu passer pour l’un d’eux, avec sa petite taille, sa démarche de sylphe, son étrange figure de jeune fille.

Les doctrines de la Révolution française l’avaient exalté ; il s’était enivré d’athéisme, il avait rejeté tous les dogmes et toutes les disciplines, et sa reine Mab, au lieu de prêcher l’obéissance aux lois de l’Église, comme Viviane, Mélusine et la plupart des grandes fées du moyen âge, parle et prêche en véritable fée de la libre pensée. Ce n’est point la piété, mais l’amour de l’art qui fit tant regretter à Shelley d’avoir composé ce désastreux poème, où du christianisme il fait la caricature la plus hideuse et la plus blasphématoire ! Les admirateurs enthousiastes de son génie pensent eux-mêmes que la Reine Mab devrait être soustraite à la collection de ses œuvres. Elle est d’une lecture insoutenable.

Frêle et lumineuse, la reine Mab apparaît sur son char et se penche sur le sommeil d’Ianthe. Elle évoque l’esprit de la belle dormeuse, et l’invite à s’asseoir à côté d’elle, dans le même char. Puis, on ne sait pourquoi, elle promène à travers les espaces cet esprit assis, lui montrant le Nil, les Pyramides, les emplacements d’Athènes, de Sparte, de Rome. La fée prétend révéler à l’esprit d’Ianthe la grandeur et la misère humaines. Peut-être ce thème immense dépasse-t-il la portée d’une reine Mab, même alors que l’on impose à ses ailes légères tout un fatras déclamatoire, et ceux dont l’âme sent vibrer encore dans ses profondeurs l’écho des accents de Pascal, auront peine à excuser Shelley d’avoir tenté d’exprimer à rebours la même idée que lui.

L’esprit inépuisable de la création est le seul dieu, déclare cette pédante et insupportable reine Mab, qui ferait pleurer d’ennui l’étincelante petite reine Mab chantée par Mercutio. Tout le lyrisme athée de Shelley va se tourner en une sorte de panthéisme. Il est devenu le poète de l’Ode au vent d’ouest, de l’Ode à l’alouette, de la Tristesse à Naples, du Nuage, du merveilleux Nuage, et son âme, dirait-on, s’est roulée dans l’azur, dans l’éther, parmi des jardins d’étoiles et de roses, en proclamant la joie éternelle que donne la beauté.

C’est un poète-fée que Shelley. Sa plus belle féerie est dans le Nuage et dans l’Alouette, et si l’une ou l’autre avait une voix et une âme, ce nuage et cette alouette ne feraient pas entendre d’autres accents. Les métamorphoses des vieilles féeries sembleraient enfantines et superficielles à côté de cette identification d’un être humain avec des formes ailées et impalpables. L’alouette et le nuage expriment toute la religion de Shelley : l’aspiration à la joie désincarnée, planante et chantante ; le désir d’une immortalité faite d’une renaissance perpétuelle dans ce que la matière à de plus léger, de plus subtil, de plus fluide, de plus lumineux, mais, cependant, pas au delà. Il voudrait, semble-t-il, aider à la dissolution de son être, à l’évanouissement de son âme. Ce que l’âme met dans les chants humains de douloureux et d’irréalisable ici-bas, le trouble et l’obsède, et il ne veut pas comprendre qu’il y a, dans cet écho de ses abîmes, la soif, le pressentiment et l’indice d’une beauté supérieure.

Plus encore que dans sa Sorcière d’Atlas qui, fille d’une Atlantide, est assise sur un trône d’émeraude, ou montée sur un char, et représente la fée des rêves humains, des rêves heureux, Shelley, le poète-fée, dans la Sensitive ou dans l’Hymne au vent d’ouest, donne aux réalités les plus humbles ou les plus solennelles les apparences de la féerie.

Shelley vécut en poète-fée qui s’affranchit des lois morales ; il vécut en être de caprice et de fantaisie. Son dogme était toujours un fanatique anticléricalisme, mais ce dogme n’avait rien à voir avec sa poésie, sinon pour y imprimer, çà et là, de lourdes meurtrissures. Comme la fée Morgane du moyen âge, il aimait à se transformer en justicier des causes lointaines ; c’est ainsi qu’il fit évader du couvent, où sa famille l’avait enfermée, une jeune Italienne, Emilia Viviani, pour laquelle il s’enthousiasma d’abord, et dont il se plaignit ensuite. Mais il ne songeait plus sans doute à cette Harriett Westbrook, qu’il avait épousée et rendue mère, puis abandonnée pour Mary Godwin, de sorte que la malheureuse s’engagea dans d’autres liens, et finit par mourir désespérée.

Nietzsche a tort quand il s’imagine proposer aux hommes un devoir difficile en leur parlant d’aimer « le plus lointain » ; il est souvent plus malaisé d’aimer le « prochain », dont on n’ignore aucune misère, aucune défaillance, aucune petitesse. Il était plus ardu de ne pas briser le cœur d’Harriett Westbrook, qu’il ne le fut de vouer beaucoup de peines et d’efforts à l’évasion d’Emilia Viviani, d’autant plus qu’Emilia Viviani, inspirant à Shelley son Epipsychidion, fit refleurir dans un cerveau de poète le vieux rêve des îles heureuses, qui parfume nos romans féeriques du moyen âge.

C’est une de ces îles élyséennes de la mer Égée ; elle flotte dans la double lumière bleue du ciel et de la mer ; à travers l’azur, un chemin s’offre à ceux qui veulent y atteindre. Comme tout se dessine en féerie dans l’imagination de Shelley ! Il propose à Emilia de prendre pour barque un albatros, dont le nid est un « éden lointain de l’Orient empourpré ». C’est toujours, dans la transposition éclatante du dix-neuvième siècle, l’île ensoleillée et fleurie du Dialogue de Merlin et de Talgesin ; c’est aussi le jardin d’Armide. Mais le poète le célèbre sur son clavier à lui, son merveilleux clavier de couleurs, de sons, de parfums, et l’on dirait que l’âme aspire à se dissoudre dans ces innombrables et fluides délices. Il n’y veut, certes, d’autre fée qu’Emilia, mais la présence d’un cœur humain suffit parfois à apporter le drame dans la féerie, à donner la note de la désillusion dans la fanfare de l’enthousiasme.

Et la mort devait venir, elle aussi, à travers les ondes d’une mer bleue, momentanément assombrie et convulsée. On sait la fin tragique de Shelley dans une promenade en mer. Il n’avait pas été ici-bas une âme ; il n’avait été qu’une voix où passa la beauté des choses, étranger, comme ses sœurs féeriques, aux luttes, aux souffrances, aux beautés supérieures du monde moral.

Et, quand il fut mort, avant de savoir la funeste nouvelle, une de ses amies le vit en rêve, pâle, défait, l’air misérable : « Le pire, dit-il, le pire, c’est que je n’ai rien pour payer ma dette. »

Faut-il, pour payer à la vie sa dette, autre chose que des œuvres géniales, autre chose que des vers enivrants, autre chose que des poèmes dont la beauté paraît auguste aux yeux humains ? Que pouvait désirer l’ombre inquiète de Shelley ? Les amis du poète lui donnèrent abondamment leurs éloges — éloges vains et charmants comme ces fleurs et ces boucles de cheveux coupées, que l’on déposait au seuil des tombeaux antiques. Un humble croyant se fût demandé s’il ne sollicitait pas une prière…

Et, devant les poèmes merveilleux qui sembleraient presque sacrés à force de génie et de beauté, le paganisme lui-même poserait la question d’Antigone : « Qui sait si les mêmes choses sont sacrées chez les morts ? »


II

LA BELLE DAME SANS MERCI


Keats est mort tout jeune, et, plus que la féerie, il a aimé le paganisme. Il a aimé les vases antiques, les amphores harmonieuses ; il est le chantre d’Endymion. Il a le sentiment grec de la beauté. Par des vers intraduisibles, il nous a dit, en mots anglais, la joie éternelle qu’inspire tout objet de beauté.

Un jour, Keats a brisé le radieux sanctuaire de son paganisme, il l’a brisé pour l’élargir, et pour y faire entrer quelque chose de l’héritage dont les siècles ont enrichi le sentiment humain. Ce jour-là, Keats écrivit son ode à la Mélancolie. Mais il effleura le monde féerique dans la Ballade de la Belle Dame sans merci, l’une des plus musicales de la langue anglaise.

La Belle Dame sans merci est musicale de forme et de fond. De forme par la suavité du rythme et des vers. De fond, parce qu’elle nous laisse la même impression qu’une délicieuse mélodie sans paroles. Nous savons que nous avons été enveloppés d’une influence exquise, tel un souffle, tel un parfum, mais les mots se sont comme fondus et noyés pour échapper aux moules précis de notre mémoire.

Keats a volé ce titre : la Belle Dame sans merci, à notre vieux poète Alain Chartier. Il est vrai qu’une Merciless Beauty fut attribuée à Chaucer. La Belle Dame sans merci, de Keats, est une fée. Elle a la beauté d’une fée, et, par une chanson féerique, elle conquiert le cœur du poète. Elle l’emmène dans sa grotte fleurie et moussue qui est une grotte féerique. Le poète y rêve une apparition de chevaliers et de guerriers pâles comme la mort, — puis il s’éveille seul sur les bords d’un lac glacé, où nul oiseau ne chante, et toujours il attend le retour du soleil, des fleurs, et de la Belle Dame sans merci.

Rien ne ressemble moins au poème d’Alain Chartier que la ballade de Keats.

Le dialogue de la Belle Dame sans merci et de son soupirant n’est, chez le poète du moyen âge, qu’un débat où chacun argumente pour une cause. Mais, dans la ballade du siècle passé, nous respirons la même atmosphère de féerie que dans Merlin et Viviane, de Tennyson.

Le lac de la Dame sans merci ne serait-il pas encore le lac de Viviane, à moins qu’il appartienne au Val Sans-Retour fondé par Morgane ?

L’Alcine de l’Arioste, la Dragontine ou la Falérine de Bojardo reconnaîtraient une jeune sœur en cette héroïne plus mystérieuse qu’elles toutes, et qui séduit le cœur des poètes, en murmurant, avec un sourire, une chanson de fée.

Ainsi le poète du dix-neuvième siècle, effleurant à peine quelques notes, éveille les échos des concerts de jadis, et l’on croirait entendre « le chant du cygne » de la féerie mourante ; selon le beau vers de Mary Robinson, nous ne savons si c’est un air réel ou seulement un rêve égaré.


III

LES FÉES DE TENNYSON


Les Idylles du Roi, de Tennyson, transportent dans la Grande-Bretagne de Burne-Jones et de la reine Victoria la quintessence des longs romans de chevalerie. Elles raniment les anciens héros : Arthur, Lancelot, Merlin, Genièvre. Mais la forêt antique où ils se meuvent a pris un air de parc anglais.

Il est de frais décors et des scènes charmantes à travers ces Idylles du Roi.

Avec les compagnons de la Table-Ronde et l’enchanteur Merlin, voici reparaître Viviane, la grande fée de Brocéliande, mais, comme tous les autres personnages des vieux poèmes, elle s’est modernisée : de plus en plus subtile, de plus en plus gracieuse, de plus en plus perfide, elle met un art exquis à faire de Merlin sa dupe, et sa psychologie affinée et inquiétante donnerait à qui la développerait la matière de bien des pages de roman.

Vous dormiez, Viviane, dans la forêt magique, et voilà qu’un son de harpe légère vous a réveillée. C’est un poète du Nord, descendant des bardes bretons que vous connûtes, et, sur une musique nouvelle, il a chanté votre nom. Alors le bois de Brocéliande a délicieusement refleuri. Ce poète vous a vue, Viviane, aux pieds de l’enchanteur Merlin. L’air était lourd d’orage. Vous étiez vêtue comme une fée de Burne-Jones, d’une robe vert tendre, avec un cercle d’or dans vos beaux cheveux. Il y avait une souffrance d’ambition au fond de votre âme. Ah ! comme il vous a devinée, dangereuse petite fée, qui avez eu des sœurs dans la légende et dans la mythologie ! Aux pieds de l’enchanteur Merlin, Viviane, dans sa robe vert tendre, suppliait, prosternée. Elle avait soif de savoir et de pouvoir. Merlin frémissait devant sa jeune beauté. Elle était douce, tendre, amère, passionnée, plaintive. Elle séduisait Merlin, et elle l’irritait ; elle l’apitoyait et elle l’indignait ; toute la science du barde ne pouvait rien contre le charme d’amour quand elle parlait selon la haine et l’envie qui dévoraient son âme, Viviane se plaisait à diffamer les grands chevaliers de la Table-Ronde. Elle détestait cette cour d’Arthur où régnait une autre femme. Les sentiments de Viviane pour la reine Genièvre étaient ceux que pouvait nourrir, à Versailles, Marie-Jeanne Phlipon, future Mme Roland, lorsque, reçue par un ami de sa famille, qui habitait un coin perdu dans les combles du palais, elle songeait à l’éblouissante Marie-Antoinette. Mais la fraîche Marie-Jeanne se drapait dans je ne sais quel lambeau de vertu romaine, tandis que Viviane, pâle, subtile, délicate, ne cherchait qu’à atteindre son but. Et Merlin savait qu’elle l’atteindrait son but, et, lucide, il ne croyait pas en elle. Tennyson, dans ce joli poème de Merlin et Viviane, nous donne, comme une rumeur provoquée par la jalousie, le bruit qui faisait de l’enchanteur Merlin, un fils du diable.

Et Merlin regardait Viviane, souple et féline comme une vague de cette mer où naquit Vénus. Une grande mélancolie envahissait son vieux cœur de poète et de savant. Sous le poids de cette mélancolie, il sentait défaillir son courage. Et Viviane souriait ; elle souriait douloureusement. Elle suppliait Merlin de lui confier son secret, le secret de sa science, le secret qui devait donner à Viviane un pouvoir redoutable sur le destin de l’enchanteur. Elle chantait : « Si l’amour est l’amour et si l’amour est nôtre, la foi et la défiance ne peuvent s’y combiner… Ne me confiez rien, ou confiez-moi tout. Ô Maître, aimez-vous mes tendres rimes ? » Merlin hésitait, à demi vaincu : si câline était la voix, si beau le jeune visage, et les larmes ajoutaient au prestige de ces doux yeux. Alors, il s’indigna, voulant se ressaisir, se rappelant les scènes et les strophes héroïques : « C’était une noble chanson, mais, Viviane, quand vous m’avez chanté vos douces rimes, il m’a semblé que vous connaissiez la chanson maudite, et que vous l’essayiez sur moi. » Viviane souriait encore douloureusement : « J’ai compromis les miens pour toujours, en vous suivant à travers ce bois sauvage, parce que vous étiez triste, et pour vous consoler. » Alors elle reprit le refrain perfide que le poète se plaît à lui mettre sur les lèvres : « Ne me confiez rien, ou confiez-moi tout… »

« Ce poème, reprend-elle, est comme le beau collier de perles de la reine, qui se brisa dans une danse, et les perles furent répandues. Les unes se perdirent ; d’autres furent volées, d’autres gardées comme des reliques, mais jamais plus les deux mêmes perles sœurs ne se rencontrèrent, le long du fil de soie, pour se baiser l’une l’autre. Il en est ainsi de ce poème, le sort l’a dispersé entre beaucoup, et chaque ménestrel le chante différemment. Cependant, un de ses vers demeure la perle des perles : « L’homme rêve de la gloire, quand la femme s’éveille à l’amour. »

« La gloire ! Que nous importe la gloire après la mort ? Et qu’est-elle pendant que nous vivons : moitié gloire, moitié mépris ? Vous savez bien que l’envie vous appelle fils du diable, et depuis que vous apparaissez comme le maître de tous les arts, ils voudraient faire de vous le maître de tous les vices. » Souple et féline comme une vague, perfide comme l’onde, toutes ces comparaisons s’adaptent à cette Viviane en robe légère et brillante, aux beaux cheveux encerclés d’or. Tennyson se rappelle que les poètes de la Table-Ronde ont fait d’elle la Dame du Lac. Merlin veut lui persuader qu’il ne doute pas de son amour, mais qu’il craint de se trouver à la merci d’une heure de jalousie, et Viviane implore la révélation du charme, la suprême révélation de la science fatidique ; elle se suspend au cou de Merlin ; et son charme de fée opère déjà, ce charme irrésistible et redoutable. Il est dans les yeux de Viviane, il est dans sa voix, dans son attitude, dans ses caresses. L’eau, sa sœur, n’a besoin que de trouver une fissure pour inonder le navire, et le submerger ; il en est ainsi de Viviane et de l’âme de Merlin. Viviane en a découvert la secrète fissure ; elle sait tout envahir, submerger, dissoudre ; elle nie le courage, elle nie la noblesse, elle nie la vertu, elle nie la gloire ; et toute la déception de la science conspire avec Viviane, avec Merlin, contre Merlin lui-même. Les forces du néant sont à l’œuvre comme Viviane. Défaire ! Détruire ! Voilà la devise au nom de laquelle celle-ci agit.

Et l’âme de Merlin, troublée par la vanité des choses, ne résistera point à cette prière ; l’enchanteur dira son secret à la triomphante Viviane… Imprudent Merlin ! À quoi vous a servi de tant savoir, à quoi vous sont utiles tous vos prodiges ? Viviane impitoyable et triomphante se redresse et se vengera sur vous de ses humiliations précédentes. Votre science et votre pouvoir ne sont plus que les trophées qui consacrent la profondeur de votre défaite. À peine avez-vous parlé que Viviane se sert du charme pour vous emprisonner au cœur d’un chêne foudroyé, et vous tenir à tout jamais sous sa domination… Merlin n’est plus que l’esclave de Viviane. Elle eut raison de choisir comme emblème le beau collier de perles qui se brise et se disperse… Défaire ! Détruire ! C’est encore la devise d’Hedda Gabier, autre servante du néant, qui brûle le manuscrit d’une œuvre de génie pour mourir en beauté. Défaire ! Détruire ! Toutes les doctrines, toutes les philosophies qui tendent à ce but sont condamnées à montrer un jour leur laideur. Hedda Gabier a volé le mot d’Antigone : mourir en beauté. Mais elle n’a pu voler que le mot : et nous aurons à démasquer les vilaines choses que recouvrent parfois des mots magnifiques.

La vraie beauté n’est pas à Viviane : elle demeure avec Béatrice. Celui qui ne créerait qu’un grain de sable serait infiniment supérieur à celui qui détruirait le monde. Mais Viviane qui ne sera point heureuse, et qui triomphe pourtant d’avoir emprisonné Merlin au cœur du chêne, Viviane joignant l’insulte à la cruauté, Viviane, exultant de mépriser Merlin et de se mépriser elle-même, s’écriera, dans un éclat de rire : « J’ai fait de sa gloire ma gloire !… »

Et le rire de Viviane, sans aucune note de joie, se répercutera parmi les échos de la grande forêt, au crépuscule de la féerie.