Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 25-29).

V

Cruelles conséquences de la dèche.

Un de ses clients venait de mourir subitement, sans avoir eu le temps de lui faire parvenir une somme de 3,000 fr. sur laquelle elle comptait pour régler un tapissier impitoyable.

Elle avait beau se retourner, aucun de ses amis n’était en mesure de lui venir en aide.

Le jour de la saisie approchait.

Il fallait succomber.

Un comte, inconnu à cette époque, mais qui depuis s’est acquis une de ces lamentables renommées dans des circonstances que la pudeur ne permet pas de rapporter ici, eut connaissance de la détresse de Marie Pigeonnier.

Il nourrissait pour elle secrètement une étrange passion, mais il n’avait jamais osé lui en faire l’aveu.

C’était d’ailleurs très délicat, l’embarras du comte se concevait facilement.

Le moment lui sembla propice.

Une femme qui a besoin absolument de trois mille francs est vaincue d’avance.

Cependant elle opposa aux propositions du comte une résistance, indignée d’abord, plus calme ensuite et enfin assez timide.

Un soir, à l’heure du dîner, la concierge monta à Marie un papier timbré et une petite affiche ; la vente devait être opérée dès le lendemain matin.

Que vouliez-vous qu’elle fît ?

Qu’elle mourût.

Mais j’ai dit qu’elle tenait à la vie.

C’est égal, il s’agissait d’un sacrifice pénible.

Et cela d’autant plus qu’elle souffrait alors d’une affection, rarement dangereuse, mais très douloureuse, que la médecine ne guérit pas, et que l’on calme un peu avec du beurre de cacao.

Et puis, c’était un outrage sanglant ; il est vrai qu’elle le recevrait à huis-clos et que le comte avait juré d’être discret.

Comme cet homme la mépriserait après ; et puis, s’il lui prenait un jour la fantaisie de publier sa honte ; un personnage capable d’une aussi basse action était aussi capable de s’en vanter.

Enfin, c’était à prendre ou à laisser.

Il valait mieux prendre ; au surplus ces trois mille francs qui la sauvaient seraient vite gagnés.

Elle se résigna donc à introduire le comte dans sa chambre à coucher ; et soulevant, d’une main tremblante, le rideau, elle lui dit :

— Donnez-vous donc la peine d’entrer, mon cher comte.

— Dites le plaisir, car c’est le paradis que vous m’ouvrez ; ô suprême volupté.

Le comte déposa les trois mille francs sur la table de nuit, prêt à les reprendre au cas où Marie Pigeonnier ne s’exécuterait pas.

Celle-ci, glacée d’effroi, enfonça sa tête dans l’oreiller comme pour se cacher à elle-même l’horreur qui allait se peindre sur son visage.

Elle ne voulait pas se voir rougir.

L’assaut fut terrible.

Le comte était une brute, au fond ; propriétaire de bestiaux, il traitait les femmes avec la même dureté que ses produits.

Marie Pigeonnier, dans l’attitude d’une victime qui met sa tête sur le billot, attendait dans des transes épouvantables la hache du bourreau.

La minute fatale arriva.

Marie était haletante ; elle suffoquait.

Ce fut un atroce déchirement.

Elle poussa un cri de douleur, le comte un soupir de bonheur. Il avait fouetté une femme, il se pâmait.

Enfin l’outrage était consommé ; il fut sanglant, c’est vrai, mais l’argent était gagné.

Il arriva qu’on parla au comte de son aventure, ça le flattait, mais il répétait toujours avec une grimace :

— « Cette relation m’a procuré un agrément peu ordinaire ; mais j’y ai mis le prix. Je regrette de n’avoir pas marchandé. »

Je ne m’étendrai pas davantage sur cette triste phase d’une existence toute semée de roses, avec quelques épines par ci par là.