Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 93-96).

XVII

Choucroûte et champagne.

Marie se mit immédiatement en campagne.

Pour comble de chance, plusieurs artistes renommés devaient traverser Berlin ; traiter avec eux pour monter un concert, fut l’affaire d’une dizaine de télégrammes.

Le programme fut arrêté par dépêche et publié aussitôt dans les journaux.

Ce concert aurait lieu dans une salle ad hoc et qui, par un heureux hasard, était mitoyenne avec la maison qu’habitait la Pigeonnier.

Des tapissiers monteraient une allée de verdure couverte et permettant de passer de la salle du concert aux appartements de Marie, absolument comme d’un salon à une salle à manger.

Quoi de plus charmant.

On se retrouverait au bal en sortant du concert.

On le voit, tout arrivait et s’arrangeait à souhait.

Cette fois Marie Pigeonnier n’aurait pas travaillé pour… le roi de Prusse.

Elle jouerait une grande scène d’un chef-d’œuvre classique, et dirait deux pièces de vers.

Les Allemands éprouvaient une sorte de jouissance tudesque à entendre des artîstes français, ils y voyaient une soumission, presque une humiliation du vaincu ; c’était comme la sanction de leurs conquêtes.

La fête de Marie Pigeonnier aurait donc un fructueux succès, et la présence de Gustave serait pour elle le commencement d’une fortune.

Faire dans Paris une rentrée triomphale sur un char d’or massif, sous les roues duquel grouilleraient celles et ceux qui jadis ne voyaient en elle qu’une balayeuse de praticables, quel rêve !

Voir crever de dépit les bonnes camarades, quel régal !

Marie Pigeonnier, comme la Perrette du Pot au lait, a toujours aimé à jouir d’avance, ce qui lui a valu bon nombre de déchirantes déceptions.

Adieu vaches, dindons, hôtels et rivières de diamants !

Elle mangeait son bien en herbe.

La voilà donc supputant les résultats de sa fête.

Tout fut mis en œuvre pour une réussite complète.

La partie qu’elle jouait était grosse.

Elle pouvait, il est vrai, la risquer, car si elle perdait, ce serait avec beau jeu.

Ses cartes étaient choisies.

Ses salons, resplendissants de lumière et de verdure, avaient un aspect féerique.

On pouvait s’attendre à un effet prodigieux.

Le souper préparé à la française, avec quelques sacrifices au goût allemand, était admirablement conçu.

Le champagne invitait la choucroûte à la danse ; cette attention ne pouvait manquer de flatter les casques pointus.