VI

Le chien de chasse.


Quelques jours suffirent à Hector de Cransac et à sa rusée compagne pour s’insinuer dans l’intimité de la famille Fleuriot. Comme on l’a dit, le vicomte avait exprimé le désir d’acheter tous les lots de terre qui pouvaient être à vendre dans le voisinage, afin d’agrandir son domaine, et il était tout naturel qu’il s’adressât dans ce but à Raymond, la personne du pays la plus capable de le renseigner. De son côté, Fanny se posait en bienfaitrice pour les pauvres des environs, et elle avait engagé Lucile et sa mère à lui indiquer les misères les plus respectables, les plus dignes de pitié. La générosité, la bonne grâce parfaite, les manières obligeantes des nouveaux maîtres de Puy-Néré ne pouvaient manquer de toucher des gens simples et honnêtes, incapables de soupçonner des intentions cachées sous une attrayante apparence. Aussi Lucile et la mère Fleuriot, comme tous les habitants du village, ne tarissaient-elles pas sur les mérites de « M. le vicomte, » sur la charité sans bornes de la « jolie marquise. »

Raymond lui-même n’avait pu résister à l’entrainement commun. Quoique aigri par les événements de sa vie passée, il avait un sens juste qui le mettait en garde contre des préventions mişanthropiques et non suffisamment fondées. Il s’était dit à la réflexion qu’il ne pouvait repousser les avances d’un homme distingué, riche et noble, uniquement parce qu’il était riche et noble. La première impression passée, il avait ressenti quelque orgueil de se voir, lui dans une condition si obscure, l’objet des prévenances de l’opulent Parisien. D’autre part, il éprouvait auprès de la séduisante Fanny une émotion indéfinissable, et nous devons dire que la soi-disant marquise par l’estime, la confiance, la préférence marquée qu’elle lui témoignait, ne contribuait pas peu à entretenir ce sentiment. Aussi Fleuriot, tout en conservant une certaine réserve envers Hector de Cransac, se montrait-il plus ouvert, plus expansif que par le passé, et il s’abandonnait plus franchement à sa nature, qui était loyale, généreuse, pleine d’enthousiasme et d’énergie au besoin.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que, moins d’une semaine après l’arrivée des châtelains à Puy-Néré, Raymond se fût offert pour guide dans une chasse, d’espèce nouvelle et toute locale, que Cransac avait projetée. D’abord Morisset avait dû être de la partie, mais le jour convenu il s’était trouvé de service. Comme on attendait d’un moment à l’autre la visite de l’inspecteur de la ligne, on n’avait pas osé laisser le jeune surnuméraire seul au télégraphe, ainsi que cela était arrivé plus d’une fois, et Morisset, à son grand désespoir, avait dû demeurer à son poste au sommet de la tour Verte. Du reste, Fleuriot connaissait très-bien le canton où il s’agissait de chasser, et Hector n’était pas fâché d’une circonstance qui le mettait en rapport intime avec un homme dont il avait à capter la confiance.

Un matin donc, par un temps nuageux quoique chaud, le vicomte, équipé en chasseur et le fusil sur l’épaule, sortait de Puy-Néré en compagnie de Raymond Fleuriot. L’employé n’avait pas de fusil, car il devait être simple spectateur de l’action, et il s’appuyait sur une canne dont sa légère claudication lui rendait l’usage nécessaire. Il portait son costume habituel et avait pour coiffure sa casquette d’uniforme, dont le devant était orné d’un petit télégraphe en drap rouge. Il trainait par une laisse le chien de Morisset, qu’on appelait Grélu, et qui, malgré sa taille exiguë, semblait résumer en lui toutes les races connues de chiens de chasse. Grélu manifestait une certaine répugnance à le suivre, et retournait fréquemment la tête, comme s’il eût voulu rejoindre son maître. Parfois il mordait la corde qui l’entraînait ; mais, obligé de céder à une force supérieure, il se remettait en marche, d’un air morne et abattu qui contrastait avec sa gaieté et sa vivacité ordinaire en pareille circonstance.

Quand on passa devant la maison habitée par la famille Fleuriot, Lucile, qui était dans une salle du rez-de-chaussée, entourée d’une vingtaine de petits enfants, s’approcha de la fenêtre pour adresser un mot amical à son frère et saluer Cransac.

— Bonne chasse, messieurs ! s’écria-t-elle. Ah ! mon sieur le vicomte, ne verrai-je pas madame la marquise au jourd’hui ?

— Hum ! je ne devrais pas le dire, répliqua Cransac avec gaieté et en prenant un air mystérieux ; mais ma sœur, qui de son autorité privée s’est établie inspectrice générale de votre école, a conçu le projet de tomber ici à l’improviste pendant la journée ; elle aura ses poches pleines de bonbons et d’images dorées, afin de récompenser ceux qui seront sages… Qu’on me garde le secret, ou je serai battu ; mais qu’on fasse son profit de l’avertissement… Adieu, mademoiselle Lucile !

Et il partit en riant, sans s’inquiéter de l’agitation extraordinaire produite dans l’école par cette nouvelle. Hélas ! les pauvres enfants qui étaient réunis là avaient rarement l’occasion de recevoir des bonbons et des images dorées en récompense de leur sagesse !

Bientôt Cransac et Fleuriot se trouvèrent au milieu des landes qui avoisinaient Puy-Néré. Le gibier qu’il s’agissait de chasser était une espèce de canards, assez rare en France, qu’on appelle tadornes ou canards-lapins, parce qu’en effet ils font leur nid dans des terriers de lapins, après en avoir chassé les propriétaires. Plusieurs nichées de ces singuliers oiseaux avaient été vues sur les bords d’un étang solitaire, situé à une lieue du village ; et, en apprenant cette circonstance, Cransac, sportsman enthousiaste, avait éprouvé un ardent désir de tuer quelques tadornes. Aussi, quoique dans le trajet l’occasion se présentât plusieurs fois de tirer sur d’autres animaux, réservait-il ses coups, de peur que le bruit de l’explosion n’effrayât le précieux gibier.

L’attitude de Grélu, ce jour-là, était de nature à causer de l’étonnement. Le petit chien, dont l’ardeur pour la chasse était célèbre dans tout le pays, ne paraissait pas s’apercevoir que lièvres et perdreaux partaient presque sous son nez. Il continuait de trottiner, la tête basse, la queue et les oreilles pendantes, les yeux fixes, et fréquemment il mordait sa laisse. Mais on attribuait sa mauvaise humeur au chagrin qu’il ressentait de l’absence de son maître, et on ne s’en inquiétait pas.

Le vicomte et Fleuriot, ayant quitté le chemin frayé, s’avançaient en droite ligne vers l’étang où devait avoir lieu la chasse. Il n’y avait ni hạies ni fossés pour arrêter leur marche dans ce pays inculte et tout ouvert ; parfois seulement il leur fallait éviter une flaque d’eau croupissante, habitée par des salamandres et des tétards. La bruyère faisait entendre un crépitement sec sous leurs pieds, tandis que de grandes sauterelles grises sautillaient en tous sens autour d’eux.

Ce silence et cette monotonie auraient dû inviter les promeneurs à la conversation ; mais, en dépit des efforts de Cransac, on n’avait encore échangé que d’insignifiantes paroles quand, arrivé à mi-chemin de l’étang, Fleuriot s’arrêta et regarda en arrière. De cet endroit on apercevait distinctement la tour Verte et le télégraphe qui la surmontait.

— Allons ! dit-il, voilà la machine au repos, et Morisset en profite pour nous suivre des yeux à travers la lande. Le voyez-vous là-haut appuyé sur le parapet ? Pauvre diable ! Il envie notre sort… J’aurais dû peut-être prendre le service et le laisser vous accompagner, car aussi bien il eût été meilleur guide que moi dans cette promenade.

Et il se remit en marche.

— Eh bien ! moi, mon cher Fleuriot, je n’eusse pas accepté volontiers l’échange… Ce Morisset sans doute est un fort brave homme ; mais il ne saurait être pour moi un compagnon convenable. Vous, au contraire, j’ai pu vous estimer à votre valeur réelle, et je me plais beaucoup en votre compagnie.

Raymond, cette fois encore, ne fut pas insensible à la bonne opinion qu’on avait de sa personne.

— Merci, monsieur le vicomte, répliqua-t-il ; mais que suis-je pour mériter l’attention plus que les autres ?

— Vous êtes un homme de ceur et de sens, Fleuriot ; nous vous avons distingué de tous les gens du pays, comme on distingue le diamant des cailloux ; et si malheureusement vous n’étiez en proie à une tristesse inexplicable…

— Moi triste ? répéta Raymond avec une sorte d’étonnement ; on me l’a dit en effet, mais je ne m’en doutais guère… Ensuite, monsieur le vicomte, ajouta-t-il avec un léger soupir, comment ne serais-je pas triste quand je compare ce que je suis à ce que j’aurais pu être ? Sans le coup de yatagan de cet Arabe, une brillante carrière militaire m’était ouverte… Au lieu qu’aujourd’hui voyez ce qu’on a fait de moi !… un humble employé, vivant misérablement du produit d’un travail ingrat ; un pauvre impotent, objet de pitié pour les autres et pour lui-même.

Et il jetait un regard sombre sur sa jambe boiteuse.

Hector était secrètement ravi du tour confidentiel que prenait la conversation. Il répliqua avec une sorte de rondeur amicale :

— Allons ! allons ! mon cher Fleuriot, il ne faut rien exagérer, et vous auriez dû depuis longtemps prendre votre parti de cette malencontreuse blessure. En définitive, vous êtes robuste, bien portant ; vous êtes resté fort beau garçon, et on prétend que les jeunes filles du pays s’en sont aperçues. Qui sait même si votre légère infirmité n’est pas à leurs yeux un attrait de plus ? les femmes aiment le courage. Pour ce qui est de votre position inférieure, que ne cherchez-vous à l’améliorer ? Ne pourriez-vous, par exemple, en rendant des services à votre administration, obtenir de l’avancement ?

— Je l’ai essayé, monsieur, répliqua Raymond d’un air d’accablement, et je n’ai pas réussi.

— Ah ! ah ! contez-moi cela, dit Cransac avec une vivacité qu’il ne sut pas contenir.

— À quoi bon parler d’une tentative avortée et dont les conséquences ont été désastreuses pour moi ? J’avais tort sans doute, et j’avais trop présumé de moi-même… Laissons le passé ; si je m’en souviens parfois c’est que je n’ose regarder dans l’avenir… Mais excusez-moi, monsieur le vicomte ; des intérêts si bas sont indignes d’occuper votre attention.

Cransac éprouva encore un profond désappointement ; il avait espéré que cet homme, si peu communicatif, allait enfin laisser échapper d’importants aveux, et son espoir se trouvait déçu. Cependant la glace était rompue entre eux ; Cransac venait de recueillir un renseignement qui ne manquait pas de portée, et peut-être, en s’armant de patience, trouverait-il plus tard une occasion d’en venir à ses fins. Il répondit donc avec toutes les apparences de la cordialité :

— Yos intérêts me touchent beaucoup, au contraire, mon brave Fleuriot ; mais soit, je ne veux pas violenter votre confiance… Sachez bien pourtant que ce n’est pas une curiosité stérile qui, comme on vous l’a dit déjà, me fait désirer de connaître vos affaires ; je ne cherche qu’un moyen de vous être utile, s’il est possible… J’ai rempli moi-même autrefois des fonctions publiques, j’ai de nombreux et puissants amis dans diverses branches de l’administration, et il me sera facile, quand je retournerai à Paris…

— Quoi ! monsieur le vicomte, demanda Raymond avec chaleur, n’avez-vous pas l’intention de vous fixer parmi nous ?

Peut-être ! cela dépendra de Fanny… Quand même je serais disposé pour mon compte à me faire ermite, je ne peux espérer que la marquise, habituée à la vie mondaine, s’enterre ainsi dans une campagne.

— Cependant madame de Grangeret paraît se plaire beaucoup à Puy-Néré ?

— Oui, oui, tout ce qui est nouveau est beau ; mais quand la réaction viendra… Du reste, elle est indépendante par position et par caractère ; quelque parti qu’elle prenne, il me faudra céder à ses volontés.

Fleuriot ne répliqua rien et devint rêveur ; évidemment les paroles de Cransac l’avaient troublé. Cransac lui-même sembla s’en apercevoir, et une expression narquoise passa sur son visage. Ils marchèrent quelques instants en silence.

— Revenons à vous, mon cher Fleuriot, reprit enfin le vicomte d’un ton dégagé ; ah çà ; vous n’avez donc aucune ambition ?

— Je n’en ai peut-être que trop, au contraire, répliqua Raymond avec un nouveau soupir.

— L’ambition est un excellent mobile, qui conduit souvent au succès. Si l’on pouvait connaitre le but auquel vous aspirez…

— Ce but est insaisissable, répliqua Fleuriot avec une sorte de brusquerie ; merci encore une fois pour vos bonnes intentions, monsieur le vicomte, mais aucune puissance humaine ne saurait réaliser les rêves d’un pauvre fou tel que moi… D’ailleurs, ajouta-t-il en s’arrêtant et en étendant le bras, voici l’endroit où vous devez vous mettre en quête.

La passion du chasseur reprenant le dessus, Cransac promena un regard curieux autour de lui.

On se trouvait maintenant en face d’une grande mare formée dans un pli du terrain et que traversait un mince filet d’eau courante. Des joncs et des plantes marécageuses en cachaient une partie et n’en laissaient apercevoir çà et là que des plaques brillantes où se reflétait le ciel. Le pays environnant était plus triste et plus aride en core que le reste de la lande. Quelques osiers formaient des touffes d’une verdure glauque au-dessus de la bruyère pourprée, dont le tapis, se déchirant par places, découvrait un sol roux et sablonneux.

Les arbres, dans ce morne paysage, étaient chétifs, maigres et largement espacés ; c’étaient quelques bouleaux, à l’écorce blanche, des châtaigniers au tronc éventré et béant. Sauf une misérable chaumière, située sur l’autre bord de l’étang, et dont quelques flocons de fumée trahissaient la présence, il n’y avait aucune habitation humaine aussi loin que la vue pouvait s’étendre. Un silence lugubre régnait dans ces lieux déserts, et n’était troublé que par la note plaintive d’un oiseau aquatique caché dans les marécages.

Pendant que Cransac contemplait ce tableau, Fleuriot, qui peut-être éprouvait pour son compte le désir d’être seul, lui dit précipitamment :

— Je ne ferais que vous gêner, monsieur le vicomte ; aussi vais-je profiter de l’occasion pour visiter la pauvre vieille mère Bardonet, qui habite cette maison là-bas… Je vous rejoindrai dans une heure ou deux, et je pense que vous aurez déjà accompli bien des prouesses. Les tadornes se retirent dans les terriers de lapins que vous rencontrerez autour de l’étang ; peut-être aussi les ferez-vous partir dans les joncs, et Grélu vous les rapportera, car il va très bien à l’eau… Pourvu, ajouta-il en détachant la laisse, que ce sot animal consente à chasser avec vous, et n’aille pas retronver son maître à Puy-Néré… Il est tout triste et hargneux aujourd’hui, et vraiment on le croirait malade.

En même temps il observait Grélu, afin de s’assurer si le chien ne chercherait pas à s’enfuir ; mais Grélu ne parut pas y songer. Abandonné à lui-même, il fit quelques bonds en avant, sans toutefois aboyer ; puis il se mit à parcourir de grands cercles, la gueule ouverte et écumante. Cransac et kaymond crurent qu’il chassait déjà.

— À la bonne heure, dit le vicomte ; eh bien, mon cher Fleuriot, je vous rends votre liberté et je vais bien employer la mienne, je l’espère. Vous me rejoindrez quand il vous plaira. De là-bas vous pourrez me voir en chassé…, et vous m’entendrez aussi.

— À bientôt donc, monsieur le vicomte, et bon succès ! Fleuriot toucha la visière de sa casquette, et se dirigea d’un pas rapide vers la maison isolée, en côtoyant l’étang. Il avait hâte, en effet, de se trouver seul ; quelques paroles échappées à Hector avaient bouleversé l’esprit du pauvre garçon.

Elle est indépendante et maîtresse absolue de son choix, se disait-il en lui-même ; on prétend que son premier mariage n’a pas été heureux, et si, cette fois, elle était résolue à ne prendre conseil que de son cœur… Oui, mais ne me trompé-je pas sur la valeur de certains signes, de certains regards que j’ai audacieusement interprétés dans un sens trop favorable ? Ces grandes dames ont des manières flatteuses, caressantes, familières envers tous ceux qui les approchent, car elles se croient trop haut placées pour que l’on ait la pensée d’en abuser… Sans doute celle-ci, par désœuvrement, a voulu tourner la tête au premier qui s’est présenté, et j’ai l’honneur, moi qui suis si peu de chose, de lui servir de jouet… Il n’y a, il ne peut y avoir rien de plus.

Il s’arrêta et se frappa le front.

— Pauvre niais ! dit-il avec colère contre lui-même ; quand donc cesseras-tu de faire des rêves absurdes, ridicules, qui l’épuisent et te tuent ?

Cependant il ne tarda pas à se remettre en marche à pas lents ; Cransac l’observait de loin, et, tout en chargeant son fusil, il disait de son côté :

— Hum ! son esprit travaille… Tant mieux ! Cet homme m’ennuie à la fin avec są réserve insupportable, et nous perdons un temps précieux. Je lui ai mis la puce à l’oreille ; cette diablesse de Fanny fera le reste… En attendant, tâ chons de nous distraire en tuant des tadornes.

Et il commença à battre les ajoncs et les bruyères.

Mais Grélu, dont on avait tant vanté l’ardeur à la chasse, ne paraissait nullement disposé à remplir son office habi tuel. Il continuait de courir de çà, de là en silence ; il avait toujours l’œil hagard, la gueule rouge et baveuse. Parfois il s’arrêtait brusquement et mordait avec frénésie les pierres, les souches de genêts qu’il trouvait sur son chemin. Ce fut en vain que Cransac appela, siffla, menaça. Le chien ne parut pas l’entendre et poursuivit son manége, sans même tourner la tête.

— Qu’a donc ce stupide animal ? dit le vicomte avec colère ; sans doute il est trop fier pour chasser en compagnie d’un bourgeois !… Eh bien ! qu’il aille au diable ! je chasserai seul et il se mettra de la partie quand l’envie lui en prendra.

Sans songer davantage à Grélu, il se mit à battre lentement les endroits que son expérience lui désignait. De nombreux terriers étaient béants au milieu de la bruyère, sur le bord de la mare, et à chaque instant des lapins, gités dans les hautes herbes, partaient devant lui ; mais il dédaignait ces proies vulgaires et continuait son chemin.

Il faisait très-chaud, comme nous l’avons dit, et ces allées et venues continuelles ne laissaient pas de fatiguer le chasseur. Aussi s’impatieniait-il de l’inutilité de ses recherches quand un bruit étrange et comme souterrain se fit entendre à ses pieds. On eût dit du grognement que produit le lapin quand, chargé par le furet sanguinaire, il va sortir de son trou. Cransac s’arrêta et se mit en devoir de tirer.

Dans un talus sablonneux formant la berge de l’étang, s’ouvraient plusieurs gueules de terriers, creusées certainement par des lapins, bien qu’elles fussent un peu plus larges qu’à l’ordinaire. C’était de la que partait le bruit, qui allait toujours croissant. Comme le vicomte demeurait attentif, quatre ou cinq grands oiseaux blancs, marqués de noir et de fauve, sortirent de ces cavités avec un battement d’ailes tumultueux et s’élevèrent dans les airs. C’étaient les tadornes.

Hector porta vivement son fusil à l’épaule, et allait faire feu au milieu de la troupe ; mais, en vrai chasseur toujours maître de lui, il ne pressa pas d’abord la détente. Un coup d’ail lui avait suffi pour reconnaître qu’il n’avait à portée que des halbrans de l’année, tandis qu’il désirait surtout abattre un adulte. Comme il hésitait à tirer, une circonstance nouvelle se produisit.

Une des plus grosses tadornes, la mère certainement, se détacha de la bande qu’elle dirigeait, et, tandis que les jeunes continuaient leur vol vers l’extrémité de l’étang, elle revint seule vers le vicomte en ayant l’air de s’offrir à ses coups. Elle volait fort bas et mal, comme si déjà elle était blessée, et s’efforçait visiblement d’attirer l’attention sur elle.

Cransac connaissait par ouï-dire le dévouement de certains oiseaux, qui, pour sauver leurs petits, se jettent ainsi au-devant du chasseur, et La Fontaine, avec sa grâce ordi naire, a conté l’abnégation maternelle de la perdrix en pareille circonstance. Les tadornes surtout donnent l’exemple de ces touchants sacrifices, et c’était sans doute un sentiment de ce genre qui empêchait la mère tadorne de suivre les jeunes tant qu’ils n’étaient pas encore à l’abri d’une atteinte.

Le vicomte le comprit, mais cette considération ne fut pas assez puissante pour le faire renoncer à une si belle proie ; il ajusta froidement et tira. Comme une épaisse cuirasse de plumes avait amorti l’effet du plomb, il fit feu de son second coup ; et alors il eut la satisfaction de voir le noble oiseau tomber au bord de la mare, en se débattant dans les convulsions de l’agonie.

Cette double explosion, qui réveillait l’écho de ces solitudes, causa une frayeur extraordinaire à leurs habitants. Lapins et perdreaux s’enfuyaient, s’envolaient de toutes parts ; le râle faisait entendre son cri d’alarme dans les genêts ; toutes sortes d’oiseaux aquatiques partaient à lire d’aile en poussant des clameurs discordantes. Mais Cransac ne s’en inquiétait guère en ce moment. Quand la fumée de la poudre se fut dissipée et lui eut permis de voir le résultat de son adresse, il accourut pour s’emparer de la tadorne. Elle était tombée, comme nous l’avons dit, très-près de la mare, et, quoique ses blanches plumes fussent tachées de sang, on pouvait craindre qu’en se débattant elle n’atteignit l’eau et ne se mit à la nage, auquel cas elle eût été perdue pour le chasseur.

Aussi Hector n’avait-il pas un moment à perdre s’il voulait s’en emparer ; mais, quelque rapide que fût sa course, il ne l’atteignit pas le premier.

Grélu, auquel il ne pensait déjà plus, était sorti enfin de cette apathie inexplicable qu’il montrait depuis le matin ; le bruit familier des coups de fusil, la vue du gibier blessé avaient secoué sa torpeur. Il s’élança impétueusement, non sans trébucher par intervalles, et, se jetant sur le canard, qui agitait encore ses ailes, il le happa de sa gueule souillée d’écume.

Il n’y avait rien là que Cransae n’attendit d’un chien de chasse, et il ne s’en étonna ni ne s’en irrita. Mais il changea de sentiment quand il vit Grélu s’acharner avec une fureur inconcevable sur la malheureuse tadorne, la mordre frénétiquement, essayer de la mettre en pièces. Le vicomte voulut lui faire lâcher prise.

— Grélu, bête maudite, arrière ! disait-il en colère ; est ce ainsi que tu chasses ?… Il va me gâter ce précieux oiseau !… arrière donc, de par tous les diables !

Mais le chien ne l’écoutait pas ; il ne cessait de déchirer sa proie avec frénésie, et se suspendait par les dents au corps de la tadorne que l’on tentait de lui arracher. Le vicomte, poussé à bout ; retira prestement la baguette de son fusil et en cingla plusieurs coups au féroce Grélu. Celui-ci ne parut pas d’abord en tenir compte, et se contenta de faire entendre un grondement sourd et prolongé ; mais comme Cransac levait de nouveau le bras, le chien abandonna tout à coup le canard et regarda le chasseur avec des yeux si farouches, avec une telle expression de menace, que Cransae, pris d’un soupçon terrible, recula de plusieurs pas sans frapper.

Il n’y avait pas à s’y tromper en effet ; ces yeux hagards, cette gueule ouverte et enflammée d’où s’échappait une bave sanguinolente, ces allures tristes et bizarres que le chien avait depuis le départ, et maintenant cette férocité aveugle, irrésistible en disaient assez. Grélu, que son maître avait reconnu malade depuis plusieurs jours, et qu’on avait trainé à la chasse avec tant de peine, Grélu était enragé ; et la fatigue, la chaleur venaient de déterminer un violent accès de son horrible mal.

Le vicomte ne manquait pas de courage ; plusieurs fois il s’était battu en duel ; il n’avait jamais pâli devant une épée nue ou devant un pistolet chargé. La mort ne l’effrayait pas outre mesure, et il l’eût bravée dans certaines circonstances. Toutefois, en acquérant la certitude que ce faible et chétif animal était vraiment atteint de la rage, il fut pris d’une violente terreur. Il savait que la moindre morsure, même le simple contact de cette bête immonde, pouvait le condamner à d’effroyables souffrances, faire de lui un objet de dégoût, et la mort sous cet aspect lui causait une répulsion invincible.

Aussi resta-t-il le bras levé, les yeux fixés sur Grélu, qui le regardait lui-même de son vil sanglant et déjà vitreux. Pour distraire son attention et essayer de battre en retraite, Cransac lui abandonna le canard, objet du litige ; mais Grélu ne s’en occupait plus ; Ja pauvre tadorne étant déchirée et sans mouvement, ces débris informes n’excitaient plus sa colère. C’était maintenant au chasseur qu’il en voulait ; immobile, le cou tendu, grondant tout bas avec une sorte de hoquet convulsif, il semblait vouloir à chaque instant s’élancer sur lui ; mais il demeurait fasciné par le regard de Cransac, en même temps que cette houssine levée sur lui contenait encore les excitations puissantes de la rage.

Toutefois, la position du vicomte devenait des plus gênantes et des plus dangereuses. Son fusil était resté sur la berge, et d’ailleurs il n’était pas chargé. Cransac, n’osait frapper même de son inoffensive baguette, de crainte que la douleur ne déterminât Grélu à lui sauter à la gorge ; mais il n’osait non plus baisser le bras, car évidemment c’était son geste menaçant qui arrêtait le chien. Il voulut tourner la tête pour chercher du secours ; aussitôt que son œil cessait deiasciner Grélu, celui-ci faisait un mouvement d’attaque, et il ne reprenait sa première attitude qu’en voyant son adversaire le regarder de nouveau.

Comment sortir de celle situation ? Cransac éprouvait quelque honte d’appeler à son aide ; d’ailleurs qui eût pu l’entendre dans ce désert ? Il se voyait donc condamné à demeurer immobile et le bras levé, en face de cette hideuse bête, jusqu’à ce qu’elle jugeât convenable de se retirer ou qu’elle tombât vaincue par le mal mortel qui la minait.

Dans son anxiété, Cransac aperçut à une douzaine de pas de la un châtaignier dont les basses branches lui permet traient peut-être de se placer hors des atteintes du chien hydrophobe. Mais comment arriver à cet arbre sauveur ? S’il tournait le dos, il était certain que Grélu allait s’élancer sur lui. Or, à la pensée seule d’un contact avec l’horrible roquet, Hector sentait ses cheveux se dresser sur sa tête, et un frisson parcourir ses membres. En désespoir de cause, il fit lentement un pas en arrière, sans cesser de me nacer Grélu, qui, à son tour, avança d’autant sans changer d’attitude.

Cependant, le vicomte ne renonça pas à son projet. Il continua de marcher à reculons, s’arrêtant à chaque pas et réprimant par une agitation de sa baguette les velléités agressives du chien. À mesure qu’il approchait ainsi de l’arbre où il comptait trouver un asile, Grélu le suivait avec opiniâtreté, si bien que la distanee entre eux ne diminuait pas.

Il n’y avait pas loin, comme nous l’avons dit, du châtaignier à l’endroit où avait commencé cette lutte singulière. Néanmoins Cransac employa plus de cinq minutes à faire ce trajet, et ces cinq minutes lui parurent des heures. Quand il parvint à l’arbre, après des tâtonnements et des transes infinies, il avait le visage baigné de sueur, la poitrine haletante ; ses jambes tremblantes se dérobaient sous lui. Il se croyait sauvé, mais une nouvelle difficulté se révéla ; les branches du châtaignier étaient beaucoup plus hautes qu’il ne l’avait calculé, et il ne pouvait les atteindre, même en s’élançant de toute sa vigueur`. Son énergie pe tint pas contre cette nouvelle difficulté ; une inexprimable angoisse s’empara de lui, et s’adossant à l’arbre afin de ne pas être attaqué par derrière, il se mit à pousser de grands cris.

Le chien hydrophobe, quoique surpris de ces clameurs et intimidé par les mouvements de la baguette que le vicomte agitait maintenant sans relâche, ne s’enfuit pas, ne sembla pas renoncer à son irrésistible désir de déchirer et de mordre. Seulement, au lieu de rester, comme auparavant, immobile devant Cransac, il tournait autour de lui, la langue pendante, en cherchant à surprendre sa vigilance.

Le vicomte n’espérait guère que ses cris pussent être entendus, et il se demandait comment il éviterait une lutte corps à corps avec cet affreux petit quadrupède, quand, à son vif étonnement, une voix s’éleva à quelque dis tance.

— Tenez ferme, monsieur de Cransac ; disait-on, me voici !

Le vicomte leva les yeux et aperçut Raymond Fleuriot à moins de quarante pas. On ne se serait pas douté en ce moment de l’infirmité de l’ancien soldat, tant sa course était rapide, et il ne songeait même pas à s’appuyer sur sa canné, qu’il brandissait avec assurance.

Hector de Cransac, profondément corrompu, n’avait plus que bien peu de bons sentiments dans le cœur. Cependant, à la vue de cet homme qui accourait sans hésitation et sans crainte à son secours, un reste de générosité s’éveilla en ini et il s’écria :

— Prenez garde, monsieur Fleuriot, le chien de Morisset est atteint de la rage !

— Je m’en suis douté, reprit Raymond sans cesser d’avancer, quand, en revenant de chez la mère Bardonet, qui était absente, j’ai vu de loin vos manœuvres… Vous n’avez pas été mordu, j’espère ?

— Non, grâce au ciel ; mais cette infernale bête me poursuit avec un acharnement… Prenez mon fusil, qui est là bas sur la bruyère, et délivrez-moi au plus vite.

— Votre fusil est-il chargé ?

Non, mais je vais vous jeter mon sac à plomb et ma poire à poudre.

— Bah ! est-il besoin d’une arme pareille avec un misérable avorton de chien tel que celui-ci ?

Tout en parlant, Fleuriot élevait sa canne et épiait l’occasion pour en porter un coup mortel à Grélu.

Celui-ci, quoiqu’il ne cessât de tenir Cransac assiégé au pied de l’arbre, n’avait pas moins remarqué la présence du nouveau venu ; mais, chose bizarre, il ne montra pas un instant l’intention de l’attaquer. C’est qu’en effet, lorsque ces intelligentes et affectueuses bêtes de la race canine sont prises d’hydrophobie, un instinct qui survit aux plus effroyables accès les empêche souvent de rendre leurs maîtres et les amis de leurs mailres victimes de la frénésie. Or, Grélu avait vu souvent Fleuriot en compagnie de Morisset ; il avait reçu de lui du pain et des caresses ; il le considérait comme un ami, et, dans ce moment terrible où le vertige dominait ses instincts ordinaires, il voulait encore l’épargner. Toute sa fureur aveugle, indomptable, se tournait contre Cransac, cet étranger, cet inconnu que le hasard avait jeté sur son chemin.

Il continuait donc d’aller et de venir autour de lui avec obstination. De son côté Fleuriot, chez qui le courage n’excluait pas la prudence, attendait l’occasion favorable pour assommer Grélu d’un seul coup. Comme il tardait à frapper, le nerveux Parisien, épuisé par ces longues émotions, sentit un nuage passer devant ses yeux.

— Par pitié ! dit-il d’une voix éteinte, dépêchez-vous… Je n’en puis plus !

À cet appel désespéré, Raymond bannit toute prudence, et asséna sur la tête de Grélu un si violent coup de canne qu’il semblait devoir lui briser le crâne. Mais il avait compté sans l’énorme vitalité que la rage développe chez le chien pendant les crises. Grélu, abandonnant le vicomte, se releva convulsivement et fit face, tout baveux et sanglant, à son nouvel adversaire. Le souvenir des bons traitements de Fleuriot s’était effacé ; il s’élança sur l’ami de son maître pour le déchirer de ses dents venimeuses, pour lui inoculer la mortelle contagion.

Raymond avait prévu le cas. Aussi leste que vigoureux, il évita le chien par un saut de côté et lui porta un second coup de canne. Comme la misérable bête essayait de se relever encore, il la saisit prestement par la nuque, l’éleva au-dessus de sa tête, puis la lança contre terre avec tant de force que tous les os se brisèrent et qu’elle resta cette fois sans mouvement et sans vie.

Cet exploit accompli, les deux hommes demeurèrent silencieux. Fleuriot considérait avec attention cette masse sanglante qui palpitait encore à ses pieds.

— Allons ! tout est fini, reprit-il tranquillement ; il n’y a plus de danger… Êtes-vous sûr de n’avoir pas été atteint, monsieur le vicomte ?

— Oui, grâce à vous, monsieur Fleuriot… Merci, vous m’avez sauvé la vie… bien plus que la vie !

En même temps Cransac s’affaissa au pied de l’arbre et parut sur le point de perdre connaissance.

Fleuriot courut à l’étang, et, après s’être soigneusement lavé les mains, revint rapporter un peu d’eau qu’il jeta au visage du vicomte. Mais déjà Hector reprenait ses esprits.

Ce ne sera rien, dit Raymond d’un ton encourageant, Je comprends votre frayeur, monsieur le vicomte ; car, moi qui ai vu plus d’une fois une batterie de canons se disposer à me balayer avec une foule d’autres braves garçons, je n’ai jamais éprouvé l’émotion que j’éprouvais tout à l’heure à saisir ce maudit Grélu par la peau du cou… Il y a mort et mort, voyez-vous, et mourir enragé !… Mais ne pensons plus à cela. Maintenant vous allez pouvoir vous remettre en chasse.

— J’ai assez de la chasse pour aujourd’hui, répliqua Hector avec un faible sourire.

— Quoi ! vous ne voulez pas tuer un autre de ces beaux oiseaux que vous désirez tant ? Je les ai vus se remiser là bas dans les joncs, de l’autre côté de l’eau… Quant à moi, je suis dans la nécessité de vous quitter, car je dois être au télégraphe à midi précis pour relever Morisset… Comme vous savez, nous attendons notre inspecteur et il ne faut pas qu’il nous trouve en faute.

— Eh bien, je vais rentrer avec vous, dit le vicomte en essayant de se relever ; je vous le répète, je ne suis ni d’humeur ni de force à chasser davantage ce matin.

En effet, à peine fut-il debout qu’il sentit de nouveau la tête lui tourner.

— La vigueur n’est pas entièrement revenue, reprit Fleuriot avec bienveillance ; les jambes sont comme en coton, n’est-ce pas ? J’ai éprouvé cela après ma maudite blessure… Eh bien ! puisque nous devons rentrer ensemble à Puy-Néré, reposez-vous encore, pendant que je vais m’occuper d’une besogne indispensable.

— Que voulez-vous donc faire ?

— Eh ! serait-il prudent de laisser ce corps exposé au contact soit des êtres humains, soit des bêtes sauvages, soit même des insectes, qui ensuite pourraient propager la contagion dans le pays ?… Vous allez voir.

Avec un couteau qu’il tira de sa poche, il se mit à creuser une petite fosse. La tâche était facile dans ce sol léger et sablonneux. Au bout de quelques minutes, la fosse se trouva assez profonde. Alors Fleuriot saisit le chien avec deux morceaux de bois et le fit glisser dans le trou ; il prit les mêmes précautions à l’égard du canard que Grélu avait déchiré et dont il ne restait que des lambeaux, et, toujours sans le toucher, le mit à côté de l’autre corps. Puis il recouvrit l’un et l’autre avec du sable, et pour comble de pré caution, il alla chercher deux ou trois grosses pierres qu’il déposa par dessus.

— Là ! reprit-il, de cette manière il ne peut y avoir de danger pour personne… Pauvre Morisset ! que va-t-il dire en apprenant comment a fini son camarade à quatre pattes ! Eh bien, monsieur, êtes-vous en état de marcher, maintenant ? Il ne doit pas être loin de midi, et l’administration ne plaisante pas avec nous autres !

Le vicomte, qui semblait plongé dans une sorte de rêverie, s’empressa de se lever, ramassa son fusil, et reprit avec Raymond la route du village. D’abord sa marche était chancelante, mais bientôt elle se raffermit, et ils cheminèrent côte à côte à travers la lande.

Cependant la conversation n’était plus vive et animée comme auparavant. Cransac paraissait sombre et contraint ; il ne répondait que par monosyllabes aux observations de Fleuriot. Celui-ci finit par croire que le vicomte n’était pas complétement remis de sa faiblesse ou qu’il éprouvait de la honte de s’être montré un peu pusillanime ; et après quelques essais infructueux pour le tirer de sa taciturnité, il garda lui-même le silence.

Quand ils atteignirent Puy-Néré, et quand ils durent se séparer, l’un pour rentrer au Château-Neuf, l’autre pour monter au télégraphe, Hector de Cransac, qui depuis quelques instants regardait son compagnon sans avoir le courage de lui adresser la parole, s’arrêta tout à coup :

— Monsieur Fleuriot, reprit-il avec un accent étrange et en lui serrant la main, vous venez de me rendre un grand… un très-grand service. Je ne l’oublierai pas.

Et, comme s’il eût craint d’en trop dire, il s’éloigna brusquement.