La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/Les Proverbes de Salomon (Introduction)

(introductions, notes complémentaires et appendices)
La sainte Bible selon la Vulgate
Traduction par Jean-Baptiste Glaire.
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz (p. 1300-1303).


INTRODUCTION

AU LIVRE DES PROVERBES


L’auteur du livre des Proverbes est Salomon, comme l’attestent les inscriptions. Les deux derniers chapitres du livre, xxx-xxxi, qui portent un autre nom, peuvent seuls lui être refusés. Tout le monde admet que les chapitres x-xxii sont de lui, au moins dans leur majeure partie. L’opinion de Grotius, qui prétendait que Salomon n’était que le compilateur des maximes publiées sous son nom, est universellement abandonnée ; elle est inconciliable avec les inscriptions, i, 1 ; x, 1, et avec III Rois, iv, 32. L’origine salomonienne de tous les proverbes est encore confirmée par l’uniformité du style qui est partout essentiellement le même, et par l’emploi de certains mots favoris qu’on retrouve dans les xxix premiers chapitres.

La question de la date du livre dans sa forme actuelle est différente de celle de l’auteur. L’inscription du second recueil de proverbes, xxv, 1, prouve que cette partie ne fut recueillie que du temps d’Ézéchias, entre 725 et 696 avant Jésus-Christ, mais nous ne savons si elle fut empruntée à la tradition orale ou tirée de livres antérieurs. Quoi qu’il en soit, on peut affirmer avec M. Reusch que, « dans sa forme présente, le livre des Proverbes est du temps d’Ezéchias. L’appendice, xxx-xxxi, peut aussi avoir été ajouté à cette époque. Selon toute apparence, les hommes d’Ézéchias avaient déjà trouvé les deux premières parties, i-xxiv ou au moins i-xxii, 15, réunies par Salomon lui-même, ou sous son règne, ou peu après lui. »

Les moyens de lire avec fruit le livre des Proverbes sont les suivants :

« 1o Pour les bien entendre, en réduire la doctrine à certaines vérités capitales d’où les autres dépendent. — 2o Comparer les instructions de ce livre avec celles de l’Évangile et des Apôtres, ainsi que de la loi, des prophètes et des autres livres de l’Ancien Testament. — 3o Chercher dans les histoires de l’Écriture des hommes tels, en bien et en mal, que les dépeint le livre des Proverbes. — 4o Profiter des ouvertures que donnent les Pères de l’Église sur certains endroits de ce livre, pour entendre non seulement ces endroits, mais encore tout le reste du livre. — 5o Lire et méditer ce divin livre dans le même esprit dans lequel il a été composé. » (Anonyme.)

Voici un exemple, tiré de S. Augustin, qui montre quel fruit on peut retirer de la lecture et de la méditation des Proverbes dans les applications morales. Saint-Marc Girardin, après avoir rapporté le passage des Proverbes, vi, 6-8, qui vante la prévoyance de la fourmi, continue : «  Ne croyez pas que les docteurs chrétiens, surtout les Pères de l’Église, n’aient expliqué la prévoyance que Salomon loue dans la fourmi, que par le soin d’amasser des richesses matérielles pour nos vieux jours. C’est la richesse morale qu’il faut acquérir quand on est jeune, pour en jouir quand on est vieux. Enrichissez votre âme, afin qu’elle ait de quoi se soutenir dans les mauvais jours. « Voyez, dit S. Augustin, la fourmi de Dieu : elle se lève tous les jours de grand matin, court à l’église, prie, entend la lecture de la parole sainte, chante les hymnes, repasse dans son esprit ce qu’elle a entendu, y réfléchit longtemps et amasse le grain qu’elle a recueilli dans l’aire… Vient l’épreuve de la tribulation, l’hiver de la vie, l’orage de la crainte, le froid de la tristesse, la perte des biens, le risque de la vie, la mort des siens, la disgrâce et l’humiliation… Alors les hommes regardent cette âme fidèle avec une grande compassion : Quel malheur ! disent-ils ; le moyen de vivre après cela ? Comment cette personne est-elle point accablée par tant de maux ? — Ils ne savent pas les provision qu’a faites la fourmi et qui la nourrissent à ce moment ; ils ne voient pas quels grains précieux elle a amassés, et comment, renfermée dans son abri, loin de tous les yeux, elle se soutient pendant l’hiver à l’aide des travaux de l’été. » Voilà comment S. Augustin explique l’éloge que Salomon fait de la prévoyance de la fourmi, prévoyance d’autant plus louable qu’elle s’applique à des biens plus élevés et plus solides que ceux que recherchent ordinairement les hommes, biens qu’on ne possède et dont on ne jouit dans la vieillesse qu’à la condition de les avoir acquis dans la jeunesse. Ne nous y trompons pas, en effet, notre jeunesse fait et prépare notre vieillesse [et même notre vie éternelle], et nous ne retrouvons dans nos greniers que ce que nous avons semé et cultivé dans nos champs pendant le printemps. »

Les Proverbes sont le premier des livres appelés sapientiaux, dans le sens strict, parce qu’ils nous enseignent la véritable sagesse, celle qui nous apprend à pratiquer la vertu, à devenir meilleurs et à faire, comme nous le disons aujourd’hui dans la langue chrétienne, notre salut. La sagesse est, par conséquent, la même chose que la vertu ; elle consiste à connaître et à faire le bien pour plaire à Dieu, iii, 4 ; à fuir le mal pour ne point lui déplaire, iii, 7 ; cf. viii, 13 ; à agir, en un mot, d’une manière surnaturelle. Le sentier des justes est lumière ; la voie des méchants, ténèbres, iv, 18-19. Cf. xxviii, 18 ; iv, 27, Salomon veut prêcher ainsi la sagesse à ceux qui ne la connaissent pas encore, et en donner une connaissance plus parfaite à ceux qui savent déjà ce qu’elle est. A cause du but qu’il se propose, il s’adresse à l’homme en général ; l’individu s’efface devant l’humanité ou se confond avec elle. Le Juif ne se montre pas ici ; le côté étroit et national qui dépare les productions rabbiniques est tout à fait absent des livres sapientiaux ; l’Esprit Saint instruit tous les hommes, parce qu’il les appelle tous au salut. La sagesse à laquelle il les convie, qu’il veut leur faire aimer, n’est pas du reste une abstraction ; c’est une personne divine. L’auteur sacré nous la représente, dans le ch. viii, 14, revêtue des attributs qu’Isaïe donne au Messie, xi, 2, le conseil, l’intelligence, la force ; il nous parle d’elle, 15-16, comme de Dieu : toute puissance vient d’elle sur la terre ; elle aime ceux qui l’aiment ; elle est la source de tous les biens, 16-21. La Sagesse est le Verbe, la seconde personne de la Sainte Trinité, engendrée de toute éternité par le Père, 22-23. Elle est désignée comme le Verbe dans l’Apocalypse, iii, 14 ; comme Jésus-Christ dans S. Paul, Col., i, 15 ; elle a pris part à la création du monde, 24-30, comme nous l’explique S. Jean au commencement de son Évangile, i, 3 ; elle n’est pas seulement spectatrice de la création, elle y prend une part active, Prov., viii, 30 ; Jean, i, 3. L’idée de la médiation du Verbe, entre son Père et les hommes, apparaît aussi dans l’ensemble de ce passage des Proverbes, qui se termine par ce mot si tendre et si touchant : Mes délices sont d’être avec les fils des hommes, viii, 31. Ce que nous recommande Salomon dans son livre, c’est donc l’imitation de la Sagesse incréée, la participation à sa vie et à ses attributs. En nous révélant ces grandes vérités, il nous montre en Dieu même le principe de la loi morale et la source de la vertu.

Le moyen d’acquérir la sagesse, c’est d’avoir la crainte de Dieu. L’introduction générale, i-ix, nous apprend quel est le motif qui a poussé Salomon à recueillir ses Proverbes : c’est de démontrer que la crainte de Dieu est le premier de tous les biens, i, 7 : La crainte du Seigneur est le principe de la sagesse, parce que c’est elle qui nous mène à la sagesse. Cette parole est le véritable commencement du livre, après la préface, i, 1-6 ; elle est répétée aussi à la fin, presque en dernier lieu, comme conclusion, ix, 10, parce que c’est la vérité que l’auteur se propose pnncipalement d’inculquer, le résumé de toute sa doctrine. Cf. i, 22 ; viii, 3 ; ix, [illisible] ; Job, xxviii, 28 ; Ps. cx, 10 ; Eccli., i 16.

La crainte de Dieu à laquelle Salomon ou plutôt l’Esprit Saint attache tant d’importance, c’est la pratique de la religion, ou, en d’autres termes, le respect et le culte dus à Dieu, l’observation de ses commandements, ce que nous devons appeler maintenant une conduite chrétienne. Avoir la crainte de Dieu ou être fidèle à tous ses devoirs, c’est donc le moyen d’arriver à la sagesse. Le sage pose ainsi la religion comme base de la morale et de la sainteté ; en dehors de Dieu, il n’y a point de vraie morale ni de science complète, xvi, 20 ; xxix, 25 ; iii, 11-12, et surtout iii, 5-6.

Depuis Julien l’Apostat, on a souvent répété que la sagesse des Proverbes n’était qu’une sagesse humaine. Il est vrai que, grâce à la révélation contenue dans l’Ancien Testament, et surtout dans le Nouveau, les idées exprimées dans les livres sapientiaux nous sont devenues familières et appartiennent en quelque sorte au patrimoine commun du genre humain, mais elles n’en sont pas moins élevées et dignes de celui qui les a inspirées. Pour en comprendre le prix, il faut les comparer aux maximes des sages païens. Or, depuis Phocylide jusqu’à Marc-Aurèle, quoique celui-ci et ses contemporains aient déjà vécu dans une atmosphère imprégnée de Christianisme, on ne trouve aucun philosophe qui égale le fils de David. Aucun d’entre eux n’a eu le regard assez pénétrant pour découvrir le vrai principe de la vertu et poser comme base de la sagesse le premier verset de notre livre : La crainte du Seigneur est le principe de la sagesse ; aucun d’entre eux n’a pu complètement éviter toute erreur : s’ils ont vu que le bien est le juste milieu entre deux excès, ils n’ont pas su se tenir dans le droit chemin ; de tous il faut retrancher des points répréhensibles en dogme et en morale ; Salomon seul n’erre jamais, parce que c’est Dieu qui parle par sa bouche. Epictète, le plus grand cependant des moralistes païens, n’avait trouvé qu’une morale négative, dépourvue de tout principe d’action : Souffre, abstiens-toi. Les autres philosophes stoïciens n’avaient su non plus enseigner qu’une résignation au-dessus des forces humaines, consistant à se faire illusion sur la nature de la souffrance, ou bien une vague reconnaissance pour les bontés du ciel ; ils n’avaient jamais pensé à nous inviter, comme l’Esprit Saint par la bouche de Salomon, à faire de la pensée de Dieu une douce occupation du cœur, une sorte de refuge et de lieu de repos. Si les Proverbes ne font pas encore briller le plein jour de l’Évangile, ils en sont du moins l’aurore : Dieu nous y apparaît comme un père, jusque dans ses châtiments, iii, 12.

Un poète, qui s’est inspiré des Proverbes, dans ses Paroles de Salomon, Joseph Autran, dit des maximes du Sage : « J’avais passé, je l’avoue, plusieurs années sans les revoir. Je ne redirai pas les sentiments que fit naître en moi cette lecture ; ils seront compris du petit nombre de ceux qui ne dédaignent pas d’ouvrir de temps en temps ces livres incomparables. Quel poète et quel sage que ce roi Salomon ! Il a tout vu, tout senti, tout essayé, tout approfondi. L’expérience universelle des choses est résumée dans ces maximes, tour à tour sublimes et familières, qui s’adressent à tous les hommes et à tous les temps, dans ces courtes et substantielles sentences qui gardent après trois mille ans leur immortel à-propos. Que dire aussi de cette beauté de langage, de cette richesse d’images et de couleurs qui n’ont d’égales nulle part ? Telle en est la puissance qu’elles font oublier nos misères et nos petitesses des jours présents.  »

Le livre des Proverbes se divise de la manière suivante. 1o Il s’ouvre par une sorte de préface générale, i, 1-6, qui renferme le titre du livre et le nom de l’auteur, et nous fait connaître le caractère général et le but des Proverbes. — 2o Le corps du livre se partage en trois parties : 1o une introduction générale, i, 7-ix ; 2o et 3o deux recueils distincts des Proverbes de Salomon, x-xxiv ; xxv-xxix. — 3o Enfin l’ouvrage se termine par trois appendices, savoir deux petites collections de proverbes qui portent le nom d’Agur (dans la Vulgate, « celui qui assemble ») et du roi Lamuel, et l’éloge alphabétique ou acrostiche de la femme forte, xxx ; xxxi, 1-9 ; xxxi, 10-31.