La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/Jérémie (Introduction)

(introductions, notes complémentaires et appendices)
Traduction par Jean-Baptiste Glaire.
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz (p. 1690-1695).
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JÉRÉMIE[1]

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INTRODUCTION


Jérémie est de tous les prophètes celui dont les écrits nous font le mieux connaître la vie, l’œuvre, les sentiments, les souffrances. Il était d’Anathoth, petite ville sacerdotale, à une heure et demie environ au nord de Jérusalem. Son père s’appelait Helcias. S. Jérôme et plusieurs autres commentateurs ont cru que cet Helcias était le grand-prêtre qui aida si efficacement Josias dans la réforme religieuse de Juda ; mais cette identification est peu probable, parce que le pontife était de la famille d’Éléazar, tandis que les prêtres d’Anathoth étaient de la branche d’Ithamar. Quoi qu’il en soit, dans son pays natal, si proche de la capitale, Jérémie, pendant son enfance, dut entendre souvent parler avec horreur et indignation de l’idolâtrie et des cruautés de Manassé et de son fils Amos, rois de Juda. Il fut élevé dans l’amour de la loi et le respect des traditions mosaïques ; il étudia avec soin les Saintes Écritures et les oracles des anciens prophètes, en particulier Isaïe et Michée, comme l’attestent ses écrits, qui sont tout remplis de réminiscences des auteurs antérieurs et quelquefois même citent ou reproduisent textuellement leurs paroles. En grandissant, il fut témoin des efforts de Josias pour rétablir la religion mosaïque dans sa pureté primitive, et cette entreprise ne put le laisser indifférent, elle produisit dans son âme une impression ineffaçable. C’est sans doute aussi dans sa jeunesse qu’il se lia d’amitié avec la famille de Nérias, fils de Maasias, gouverneur de Jérusalem à cette époque, et coopérateur d’Helcias et de Saphan dans les réformes de Josias. Plus tard, les deux fils de Nérias, Baruch et Saraïas, devinrent les disciples de Jérémie.

Dès que Jérémie nous apparaît dans le recueil de ses prophéties, il se montre à nous plein de piété, pénétré d’un vif sentiment de sa faiblesse, sensible et même impressionnable, porté au découragement, mais brûlé du zèle de la loi de Dieu et animé du plus pur patriotisme. Piété et tendresse : ces deux mots résument tout son caractère. Ce n’est point, par tempérament, un homme de lutte et de combat, il est plus disposé à fuir le danger qu’à le braver ; il est ennemi du bruit et ami de la solitude ; il y a même en lui comme une teinte de mélancolie et de tristesse ; il est plus aimant qu’énergique, il a plus de l’apôtre S. Jean que de S. Pierre. Dans les péchés de son peuple, il est moins frappé de leur opposition avec la loi de Dieu que des maux qui en seront le châtiment, et il se distingue par là d’Ézéchiel, son contemporain : les crimes qui excitent l’indignation d’Ézéchiel émeuvent le cœur de Jérémie ; il voit le pécheur plus encore que le péché.

Il semble, humainement parlant, qu’un cœur si tendre était peu propre à remplir une mission prophétique à une époque agitée, troublée, comme devait l’être celle de la prise répétée de Jérusalem et de la ruine définitive du temple de Salomon par le terrible Nabuchodonosor, roi de Babylone. Dieu en jugea autrement que la sagesse humaine. Il voulut montrer en la personne de Jérémie quelle est la puissance de la grâce et la force de l’inspiration céleste, qui transforment, à son gré, les âmes et les cœurs.

Ce prêtre timide, ami de la tranquillité, qui préférerait sa solitude d’Anathoth à la vie bruyante, tumultueuse et militante de la capitale ; cette nature délicate, aimante, plus portée à céder qu’à résister, devient tout autre lorsqu’il s’agit de porter aux hommes les ordres de Dieu : sa foi, sa piété, son obéissance et la grâce le changent complètement ; quand il est seul, il se désole de la mission qui lui a été confiée ; c’est un homme faible, abattu ; mais quand le Seigneur lui ordonne de porter sa parole à Juda, c’est un prophète : menaces, insultes, prisons, supplices, peuple, princes, rois, ne peuvent rien sur lui ; il n’en répète que plus fort les ordres de Dieu ; il est, comme Ézéchiel, un véritable mur d’airain.

Tel nous verrons Jérémie pendant tout le cours de son ministère prophétique, c’est-à-dire pendant plus de quarante ans. Nous trouverons, dans l’explication de ses prophéties, les principaux épisodes de son histoire à partir de l’époque de sa vocation. Elle eut lieu la 13e année du règne de Josias, vers l’an 628 av. J.-C., i, 2. Il avait alors sans doute de dix-huit à vingt ans, i, 6 ; xvi, 2. Il parait avoir quitté peu de temps après Anathoth et passé la plus grande partie de sa vie à Jérusalem, cf. ii, 2, mais il vécut probablement encore quelque temps dans l’obscurité, car son nom n’est pas prononcé dans l’œuvre mémorable de la réforme religieuse, entreprise cinq ans après, la dix-huitième année de Josias ; il n’est question que de la prophétesse Holdah ; c’est à elle que le roi et ses ministres demandent conseil. Nous ne connaissons de lui aucun incident particulier pendant les dix-huit années qui s’écoulèrent depuis sa vocation jusqu’à la mort de Josias, mais nous savons qu’il menait une vie mortifiée, pénitente, solitaire, gardant la continence, xvi, 2 ; s’abstenant d’entrer dans les maisons où l’on était en fête, comme dans les maisons où l’on était en deuil, xvi, 5, 8. Bientôt les persécutions commencèrent : celle de ses compatriotes, xi, 21, et de ses proches, xii, 6, en attendant celle des habitants de la capitale et des principaux de la nation.

Vers la fin du règne de Josias, il doit avoir pris quelque part à la discussion des questions politiques contemporaines. Comme du temps d’Isaïe, il y avait toujours deux partis dans le royaume de Juda, celui de l’Egypte et celui de la Chaldée, qui avait remplacé maintenant le parti de l’Assyrie, ruinée par les armes des Chaldéens et de leurs alliés. La chute de Ninive avait fourni au vieux parti égyptien l’occasion de pousser le roi de Juda à faire alliance avec le pharaon Néchao. De même qu’autrefois Isaïe, xxx, 1-7, Jérémie, par l’ordre de Dieu, combattit cette politique trop humaine, ii, 18, 36. Josias se détermina, peut-être pour suivre les conseils du prophète, non seulement à ne point s’allier avec Néchao, mais aussi à s’opposer de vive force au passage de son armée, quand le monarque égyptien porta la guerre en Asie contre les Chaldéens. Dieu permit que le saint roi de Juda pérît sur le champ de bataille de Mageddo. Ce fut une des premières douleurs de la vie de Jérémie, comme nous l’apprennent ses lamentations sur la mort de ce prince, II Par., xxxv, 23. Après ce malheur, il ne prévoit que trouble et confusion, succédant à ce règne de justice, xxii, 3, 16.

Joachaz ou Sellum, quatrième fils de Josias (609), ne régna que trois mois, I Par., iii, 15 ; IV Rois, xxiii, 30-35 ; II Par., xxxvi, 1-4 : Ez., xix, 3-4 ; il fut déposé par Néchao, ce qui montre qu’il n’était pas favorable au parti égyptien. Nous ne trouvons qu’un mot sur lui dans Jérémie, xxii, 11-12 : c’est la prédiction de la mort de ce prince en Egypte, où le vainqueur l’avait emmené.

C’est sous Joakim, second fils de Josias, 609-598, que le ministère de Jérémie prend plus d’importance. Avec ce roi, créature du pharaon, le parti égyptien était le maître en Juda, xxv, 18-19 ; xxvii ; l’ère des persécutions allait commencer contre le prophète qui annonçait que l’Egypte serait impuissante à défendre Jérusalem contre Nabuchodonosor, (cf. xviii ; xix, xxii). Jérémie nous a peint au vif quelques-unes des scènes dans lesquelles ses oracles soulevèrent contre lui les plus violents orages. La première année de ce prince, il faillit être la victime de la fureur populaire, pour avoir annoncé le sort réservé à Jérusalem ; il n’échappa à la mort que par l’intervention des princes de Juda parmi lesquels il devait y avoir encore des conseillers de Josias, xxvi. Environ quatre ans plus tard, l’armée de Néchao, qui était allée combattre les Chaldéens en Mésopotamie, fut battue à Charcamis, xlvi, 2. La victoire de Nabuchodonosor sur le pharaon ruina les espérances du parti égyptien en Juda. Les prophéties de Jérémie commençaient à s’accomplir. Déjà les soldats babyloniens envahissaient de nouveau la Palestine, à la poursuite des Égyptiens vaincus, et ceux qui n’habitaient point dans les villes fortifiées étaient réduits à se réfugier dans les murs de Jérusalem, comme le firent les Réchabites, xxxv, (cf. IV Rois, x, 15), pour échapper à la brutalité de l’ennemi. Le prophète choisit ce moment solennel, où la patrie courait un danger évident, pour faire promulguer par son disciple Baruch tous les oracles divins qu’il avait fait recueillir en volume. L’émotion fut grande ; Jérémie et son secrétaire furent obligés de se cacher; Joakim brûla le rouleau qui contenait la prédiction des malheurs de sa capitale, xxxvi. Sans se laisser déconcerter, Jérémie s’empressa de dicter de nouveau ses prophéties à Baruch, xlv. II apprit, sur ces entrefaites, que la captivité de Babylone durerait soixante-dix ans, xxv, 8-12. Les malheurs qu’il avait prédits à Joakim ne tardèrent pas à se réaliser : Nabuchodonosor assiégea et prit Jérusalem ; il emmena captifs un certain nombre de Juifs parmi lesquels Daniel et ses compagnons (606). C’est de cette première déportation que datent les soixante-dix ans de la captivité. Quelques années après, Joakim s’étant révolté contre Nabuchodonosor, celui-ci vint mettre de nouveau le siège devant la capitale de la Judée. Joakim mourut probablement au commencement des opérations, et ainsi furent réalisées les prophéties faites contre lui, Jér., xxii, 19 ; xxxvi, 30 (598).

Le fils de Joakim, Jéchonias, n’eut qu’un règne de trois mois. Jérémie lui annonça, xxii, 24-30, les malheurs qui lui étaient réservés. Bientôt après l’oracle s’accomplissait : le roi de Juda était emmené captif en Chaldée avec les principaux de la nation, parmi lesquels se trouvait le prophète Ézéchiel, IV Rois, xxiv, 18-16 ; Èzéch., i, 2. Jérémie fut laissé à Jérusalem (598).

Sédécias, oncle de Jéchonias, fut mis sur le trône par Nabuchodonosor. Il respectait Jérémie et le consulta même quelquefois, xxxvii, 3 ; mais dans cette période de trouble, son pouvoir était mal assis ; il avait un caractère hésitant et ne sut pas toujours protéger efficacement le prophète. C’était la lie du peuple qui était demeurée en Palestine : Jérémie annonça qu’elle serait châtiée à son tour, xxiv. La prospérité renaissante de l’Egypte sous Apriès ou Hophra avait fait naître de nouvelles illusions à Jérusalem et inspiré à Sédécias lui-même des velléités de révolte. Jérémie les combattit, par ordre de Dieu, mais en vain, xxvii-xxviii ; bientôt l’approche d’une armée égyptienne et le départ des Chaldéens, qui en fut la conséquence, rendirent sa situation plus périlleuse que jamais. En prévision des persécutions qui le menaçaient, il résolut d’aller se cacher à Anathoth ; mais son projet fut découvert, on l’accusa de trahison et on l’emprisonna, xxxvii. Il avait cherché, dans la bonté de son cœur, à consoler les captifs de Babylone, xxix ; voilà que de Babylone même, les faux prophètes le poursuivent de leur haine et pressent les prêtres de Jérusalem d’employer les moyens violents contre sa personne ; ces derniers n’étaient que trop disposés à suivre ces conseils. Non contents de l’avoir mis en prison, irrités par les prophéties qu’il continuait à faire, ils voulurent en finir avec lui et le jetèrent au fond du puits de Melchias ; il y serait mort, sans l’intervention d’Abdémélek, eunuque éthiopien, qui le sauva avec la connivence du roi, xxxviii. Il resta cependant prisonnier. Sédécias le consulta en secret ; Jérémie lui annonça qu’il n’échapperait pas aux Chaldéens, xxxviii, 18. Ces derniers revinrent en effet au bout de peu de temps, et leur retour produisit la plus profonde consternation, xxxii, 2. La victime de la fureur populaire chercha à relever les courages abattus, par un acte propre à montrer la confiance qu’il avait dans l’avenir ; il acheta un champ à Anathoth, xxxii, 6-9, parce que Dieu lui avait révélé « qu’on posséderait de nouveau des maisons et des champs et des vignes dans le pays, » xxxii, 15, sous le règne heureux et glorieux du Messie, xxxiii, 11, 16-18. Cependant ces belles prophéties ne devaient se réaliser que longtemps après.

L’heure fatale sonna enfin. Jérusalem fut prise, le temple brûlé, le roi et les princes emmenés en captivité (588). Jérémie eut l’amer privilège d’être bien traité par le vainqueur. Il fut délivré de prison ; on lui laissa le choix d’aller à Babylone ou de demeurer en Judée. A Babylone, c’étaient les honneurs ; à Jérusalem, c’était la désolation. Il n’hésita pas ; il resta au milieu des ruines de la cité sainte et se retira ensuite à Masphat, xl, 6. Il avait consacré quarante ans de sa vie à prévenir ou à atténuer les malheurs qui venaient de fondre sur sa patrie ; n’ayant pu les empêcher, il voulut du moins les partager. Sur les débris fumants de Jérusalem et du temple, il composa ses immortelles Lamentations, où son exquise sensibilité se manifeste d’une manière si touchante. Il les écrivit, d’après la tradition, au nord de Jérusalem, dans la grotte qu’on appelle aujourd’hui la grotte de Jérémie. Aucune langue ne possède d’élégie comparable à celle de ce prophète, qui avait tant aimé la ville et la maison de son Dieu, sans pouvoir les sauver. Jamais poète n’a su accumuler comme lui les images de la désolation et rendre la douleur plus sympathique.

Godolias, fils d’Abicam, protecteur de Jérémie, avait été institué, par Nabuchodonosor, gouverneur de la Judée, après la ruine de Jérusalem. Les malheureux restes de Juda eurent alors quelques moments de répit, xl, 9-12 ; mais l’assassinat de Godolias par Ismaël et ses complices attira de nouveaux malheurs sur la Palestine. On ne sait comment Jérémie échappa aux conjurés, qui devaient lui en vouloir autant qu’à Godolias. Il est probable qu’il fut du nombre des prisonniers qu’Ismaël envoyait aux Ammonites, xli, et qu’il fut délivré par l’arrivée de Johanan. — Le peuple craignit que le meurtre du gouverneur ne fût puni sur toute la nation. On consulta Jérémie sur ce qu’il y avait à faire. Il conseilla de rester en paix en Judée, xlii, mais il ne fut pas écouté. La foule était décidée à s’enfuir en Egypte ; comme autrefois, elle accusa Jérémie et Baruch de trahison, xliii, 3, et elle les emmena tous les deux de vive force dans la vallée du Nil. Il est facile d’imaginer combien l’exil en Egypte, ce pays dans lequel Jérémie avait toujours vu la source fatale de la ruine de sa patrie, dut lui être odieux. C’est là, à Taphnès (Daphné), près de Péluse, dans la Basse-Egypte, que cette lampe qui ne tardera pas à s’éteindre jette ses dernières lueurs. Ses paroles sont plus énergiques que jamais, il rappelle tout ce que Dieu lui a dit sur les Chaldéens, qu’il nomme serviteurs de Dieu, xliii, 10 ; Nabuchodonosor élèvera son trône dans le lieu même où il leur parle, dans cette ville où ils sont allés chercher un refuge, ce qui s’accomplit en effet la 32e année du règne de Nabuchodonosor. Il reprend avec véhémence les Juifs qui s’abandonnent à l’idolâtrie, xliv. — Après ce dernier acte de vigueur prophétique, tout est incertain. Selon une tradition chrétienne assez bien établie, il mourut martyr, lapidé à Taphnès par les Juifs irrités de ses remontrances. Ainsi vécut et mourut le prophète d’Israël « dont les douleurs n’ont été comparables à aucune douleur, » Lam., i, 12; « l’homme qui a vu les afflictions, » iii, 1.

Sa vie tout entière fut une prophétie vivante des souffrances et de la passion de Notre-Seigneur, et de là vient que l’Église a appliqué au Sauveur un grand nombre des paroles du prophète qui se rapportent directement à lui-même. Mais Jérémie n’a pas été seulement la figure de Jésus-Christ, il a aussi prophétisé explicitement sa venue. Au déclin de la nationalité juive, à la veille du grand cataclysme qui semblait devoir l’anéantir à jamais. Dieu lui a fait voir l’aurore déjà blanchissante d’une alliance nouvelle, à laquelle, le premier des prophètes de l’Ancien Testament, il a donné son véritable nom, « nouvelle alliance », lxxi, 31, ou, comme nous le lisons dans S. Paul, qui reproduit cet oracle, « Nouveau Testament », Héb., viii, 8. Bien mieux, Jérémie ne s’est pas contenté de nommer le Nouveau Testament, il en a décrit les caractères. Dieu a révélé à cette âme tendre et si sensible les traits distinctifs de la loi de grâce : le peuple de Dieu, pour être sauvé, doit recevoir une loi nouvelle ; désormais les relations entre le peuple et le Dieu d’Israël, entre Dieu et l’humanité, ne reposent plus seulement sur une loi extérieure, mais sur la soumission intérieure du cœur à Dieu, xxxi, 33.

Autant Jérémie fut impopulaire pendant sa vie, autant il devint populaire âpres sa mort. Le plus persécuté des prophètes dans l’accomplissement de sa mission a été le plus loué de tous après l’achèvement de son œuvre. Aux yeux des Juifs qui vécurent depuis la captivité jusqu’à Jésus-Christ, l’éclat d’Isaïe lui-même pâlit devant la gloire de Jérémie : ce fut pour eux le plus grand des prophètes. A mesure que la captivité de Babylone approchait de son terme, la prophétie des 70 ans, après avoir été d’abord un oracle terrible, se transformait peu à peu en un oracle de consolations ; et celui qui l’avait prononcé devenait l’objet de la vénération et de l’amour de son peuple. Dans l’ordre de classement des prophètes, adopté par les Talmudistes de Babylone, ce n’est pas Isaïe, c’est Jérémie qui occupe le premier rang. Il n’apparut plus aux Juifs, avec raison, que comme leur défenseur et leur patron auprès de Dieu. Jusque dans l’Évangile, nous voyons quelle haute idée les Juifs avaient de ce grand personnage, puisqu’ils ne peuvent trouver rien de mieux pour exprimer ce qu’ils pensent de Jésus que de dire qu’il est Jérémie ou quelque autre des anciens prophètes, Matth., xvi, 14.

Jérémie n’a pas l’élévation et la grandeur d’Isaïe ; dans ses prophéties, il s’exprime avec simplicité, sans aucune recherche, mais il a beacoup de naturel, et plusieurs de ses récits sont de véritables modèles de narration. Son langage n’est pas aussi pur que celui des anciens prophètes ; on y rencontre, dans l’original, des formes et des locutions araméennes.

Jérémie a fait lui-même la collection de ses prophéties, xxxvi, 2, voir 28 et 32, mais il les a disposées par ordre de matière et non par ordre chronologique. En voici la division. L’auteur dans un prologue, i, raconte sa vocation au ministère prophétique. Le recueil même de ses prophéties se divise en quatre parties : I. Réprobation et condamnation d’Israël à cause de ses crimes, ii-xvii ; — II. Confirmation de cette réprobation, xviii-xix ; — III. Exécution de la sentence, xx-xxv ; — IV. Prophéties contre les peuples étrangers, xlvi-li. — La collection se termine par une conclusion historique, lii.


  1. Les prophéties de Jérémie ne sont nullement disposées dans l’ordre chronologique, soit que l’auteur du recueil de ces prophéties ait négligé de leur donner cet ordre, soit que cet ordre ait été troublé et dérangé dans la suite par quelques accidents, ou par la méprise et la négligence des copistes. Il y a même de la variété entre l’arrangement que leur donnent les exemplaires du texte hébreu suivi par la Vulgate et celui que leur assignent les exemplaires de la version des Septante ; de plus, on trouve dans les Septante plusieurs omissions considérables ; trois phénomènes sur lesquels les critiques modernes se sont beaucoup exercés. Nous ajouterons que pour acquérir l’intelligence de ce livre aussi bien que ceux des autres prophètes, il ne sera pas inutile de relire attentivement ce que nous avons dit dans les Observations préliminaires sur les prophètes, III, pag. 1 et 2.