La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/Apocalypse de saint Jean (Introduction)

(introductions, notes complémentaires et appendices)
La sainte Bible selon la Vulgate
Traduction par Jean-Baptiste Glaire.
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz (p. 2933-2936).

APOCALYPSE DE SAINT JEAN

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INTRODUCTION


L’auteur de ce livre est l’Apôtre S. Jean. Le fait est incontestable et même reconnu pour tel par les rationalistes les plus outrés ; il a en sa faveur toutes sortes de preuves d’autorité et de critique.

S. Jean a écrit l’Apocalypse durant son exil à Patmos ou immédiatement après. Or, il fut relégué dans cette île sur la fin du règne de Domitien, la quatorzième année, dit S. Jérôme, en 95.

1o Tel est en effet le témoignage exprès des Pères les plus anciens et les plus graves, notamment celui de S. Irénée, si bien instruit par S. Polycarpe de ce qui concernait S. Jean.

Le règne de Domitien est bien l’époque que semble indiquer l’Apocalypse elle-même. On ne peut pas placer plus tard la composition de ce livre : l’état des Eglises, encore organisées de la manière la plus simple, et ce qui est dit des Juifs et des judaïsants indique sûrement le siècle des Apôtres. Cependant on n’était plus aux temps des prédications de S. Paul. Les Eglises d’Asie, fondées par S. Pierre et par lui, s’étaient relâchées de leur première ferveur. Elles devaient donc être établies depuis un certain temps, depuis quinze ans au moins. Le martyre d’Antipas, « le martyr fidèle, » indique une époque de persécution, non seulement à Rome, mais dans les provinces, dans l’Asie Mineure en particulier ; or, il ne paraît pas qu’il y ait eu des persécutions semblables avant le règne de Domitien. Cet empereur, appelé par Tertullien comme par Juvénal un second Néron, qui fit mourir en haine de la foi Flavius Clément, son parent, dont il avait adopté les enfants, fit aussi rechercher en Palestine, pour les mettre à mort, tous ceux qui appartenaient à la famille de David ; et comme les petits-fils de S. Jude, marié avant son apostolat, furent dénoncés à ce titre, selon Hégésippe, on les conduisit à Rome pour y subir leur jugement ; « mais le tyran les épargna, parce que ses interrogatoires et leurs mains calleuses lui prouvèrent que ce n’étaient que de pauvres cultivateurs dont la fortune n’excédait pas neuf mille deniers. » Il est à croire que S. Jean y aura été transporté à la même époque. C’est d’ailleurs sous Domitien qu’on commença d’infliger aux prêtres et aux fidèles la peine de la déportation. Nerva, qui lui succéda l’an 96, révoqua ses édits et rappela les exilés.

On exagère beaucoup les obscurités de l’Apocalypse. Les difficultés qui lui sont propres ne se trouvent que dans les prédictions : or, ce livre contient bien autre chose que des prédictions. Le prologue, les avis aux Eglises et à leurs pasteurs, les descriptions du ciel, des anges, des martyrs, etc., n’ont pas l’avenir pour objet, et sont aussi clairs que frappants. « Les avertissements moraux et les sentiments de piété, d’adoration, d’actions de grâces envers Dieu et envers Jésus-Christ sont admirables dans ce livre, » dit Bossuet. — Et même dans la partie prophétique, il s’en faut bien que tout soit obscur, ou que l’obscurité soit si grande. Il est vrai qu’à l’origine il n’était pas facile d’en préciser le sens ; mais les événements ont fait le jour, et les interprètes ont expliqué le texte. Nous avons à cet égard sur les chrétiens des premiers siècles le même avantage que ceux-ci avaient sur les Juifs pour les prophéties messianiques. Celles qui nous semblent les plus claires ont passé d’abord pour des énigmes. Aujourd’hui nous admirons la vérité du tableau et la précision des traits. Pour ce qui reste à accomplir, « je le laisse, dit Bossuet, à ceux qui en savent plus que moi : car je tremble en mettant les mains sur l’avenir ; » néanmoins, on a une certaine vue des événements prédits et de leurs principaux caractères. Par exemple, on ne saurait dire au juste quels faits précéderont la fin du monde, ce que sera l’Antéchrist quand il viendra, ce que c’est que Gog et Magog, comment aura lieu la résurrection, etc. Mais on comprend très bien que la résurrection et le jugement mettront fin à la durée du monde, qu’il y aura auparavant des épreuves terribles, un grand séducteur et un grand persécuteur : n’est-ce pas assez pour craindre et louer Dieu, pour s’attacher à son service, se confier en sa providence, se détacher de tout et aspirer au ciel? »

Il est certain néanmoins que ce livre a ses difficultés. Ce n’est pas une histoire, comme les Evangiles, ni un traité ou une exhortation, comme les Epîtres : c’est un livre prophétique, rempli de prédictions et de symboles, double source d’obscurité, double écueil pour les esprits peu accoutumés aux figures de la Bible, peu versés dans l’histoire ecclésiastique ou qui portent dans cette étude des préoccupations de système ou de parti.

Les prédictions n’ont jamais la clarté des récits. Souvent elles n’offrent qu’une esquisse, un aperçu, un sommaire des événements à venir. Quand elles seront réalisées, les faits en feront ressortir la signification et écarteront les imaginations erronées. Mais jusque-là, il est naturel qu’elles donnent lieu à des conjectures et qu’elles se prêtent à diverses combinaisons. C’est ce qui est arrivé, avons-nous dit, aux prophéties de l’Ancien Testament.

La nature du langage symbolique ajoute à la difficulté pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec le style prophétique. Comme S. Jean découvre l’avenir en vision, il le décrit sous forme de tableaux, d’images emblématiques. Sous sa plume, les choses les plus spirituelles prennent un corps ; les êtres inanimés eux-mêmes agissent et parlent. Les ministres de Dieu deviennent des anges, des astres, des êtres fantastiques. L’empire est une cité, l’Eglise un temple, les arrêts du Sauveur un glaive. Un nom s’exprime en chiffre. Un chiffre reçoit une valeur indéterminée, purement relative. Mille ans signifient une période très longue. Dix jours indiquent un court espace de temps. Ce langage a son mérite : il est vif, rapide, frappant ; mais il a aussi ses défauts. S’il met les objets en relief, c’est en un point seulement, en laissant dans l’ombre les contours. Les esprits aventureux s’y donnent libre carrière ; les esprits minutieux, qui veulent qu’on leur précise chaque chose, se plaignent de ne rien saisir. Ceux qui ont peu étudié les prophètes s’étonnent qu’on ne prenne pas à la lettre toutes les figures : la terre qui tremble, les montagnes qui chancellent, les astres qui tombent, les martyrs qui revivent, les statues qui parlent, le démon qu’on enchaîne, etc.

Le défaut de connaissance sur l’histoire de l’Eglise, sur les persécutions des premiers siècles, sur l’invasion et les ravages des barbares, sur la décadence de l’empire romain, enfin sur tout ce qui fait l’objet de la plupart des prédictions, est encore une nouvelle cause d’obscurité pour un certain nombre. Ceux-là renvoient communément à la fin du monde les tableaux même les moins voilés de la chute de l’empire et de Rome.

Enfin, les préoccupations, l’attache au système ou au parti, l’amour de la nouveauté, ont beaucoup contribué à multiplier les interprétations singulières et extravagantes. L’esprit est aisément la dupe du cœur. Si cette maxime trouve son application dans les sujets même les plus clairs, combien plus doit-elle se vérifier dans l’étude des symboles, dans l’interprétation des termes vagues, insolites, énigmatiques ? C’est ce qui explique comment un certain nombre de protestants en sont encore à faire à l’Eglise romaine l’application de ce que S. Jean a écrit sur Rome infidèle et persécutrice.

Les nombres ronds, si fréquemment répétés, dans la partie symbolique de ce livre, participent évidemment de la nature du symbole. De là résultent deux conséquences remarquables : — 1o On ne doit pas leur attribuer une signification trop précise. Comme les symboles sont de simples similitudes qui ne se réalisent jamais qu’approximativement, les nombres qu’ils renferment ne sauraient avoir une valeur bien déterminée et la signification en est toujours plus ou moins vague. Ce serait donc se hasarder de dire qu’il doit y avoir entre les choses dénombrées un rapport identique à celui qui existe entre les nombres. Il n’est pas certain, par exemple, que telle durée évaluée à sept ans doive être exactement le double de telle autre durée évaluée à trois ans et demi. — 2o Le rôle que ces nombres, deux, trois, sept, douze, etc., remplissent dans l’énoncé de certains dogmes, de certaines lois, de certains faits très connus, les suggèrent naturellement à l’esprit lorsqu’il s’agit de dénombrer des choses, des lois, des faits semblables ; et fait par la raison même qu’ils éveillent d’eux-mêmes, la pensée de choses du même genre. De là pour chacun d’eux une signification accessoire, qui les rend propres à entrer dans la composition de tels ou tels symboles. Ainsi au nombre deux, qui est celui des témoignages requis pour légitimer une sentence judiciaire, s’est attachée l’idée d’accord, de confirmation, de certitude en matière de déposition ; c’est pourquoi les Apôtres doivent toujours être deux à prêcher, et il y a deux témoins ou deux martyrs qui rendent témoignage à Jésus-Christ dans la persécution. Le nombre trois, qui est celui des personnes divines, fait penser à la divinité. Il prend place naturellement dans tout ce qui est consacré à la Trinité ou qui a rapport à elle. Quatre dont le carré est la figure, donne l’idée de l’étendue limitée ou du monde physique; d’où la division de la terre en quatre parties, les quatre points cardinaux, les quatre vents du ciel, etc. Joint à trois, ce nombre donne sept ; or la religion est ce qui unit les trois personnes divines avec les quatre parties du globe ; c’est donc aux objets religieux, considérés comme tels, que ce nombre sept convient particulièrement. De là l’emploi si fréquent de ce nombre dans les énumérations relatives au culte ou aux œuvres de Dieu. Comme sept indique la totalité, sept moins un, ou six, donne l’idée d’un nombre imparfait, comme d’une semaine sans sabbat. Répété trois fois, c’est le nombre de la bête, 666. Trois et demi, moitié de sept, suggère la pensée d’une chose incomplète, tronquée, malheureuse ; douze au contraire donne l’idée d’universalité dans le temps ou dans l’espace.

Ces significations fondées sur l’association des idées semblent impliquer le principe que toutes les œuvres de Dieu se font avec nombre, poids et mesure, suivant des règles uniformes ; mais il ne faut pas trop presser ce principe. En fait de termes et de signification, la grande loi c’est l’usage ; et bien qu’ils aient parlé par inspiration, les auteurs sacrés, pour se faire entendre, ont dû prendre le langage de leur temps, avec ses imperfections comme avec ses qualités, et s’en servir de la même manière que d’autres auraient fait dans les mêmes circonstances.

L’Apocalypse a trois parties : — La première, i-iii, contient le prologue, avec des avis pour sept Eglises de la province d’Asie. Ces avis ont pour but de fortifier la foi des chrétiens et de ranimer leur ferveur. Notre Seigneur signale aux évêques un double péril : l’hérésie dans le présent et la persécution dans un avenir prochain. — La troisième partie, xx-xxii, offre le tableau des événements qui précéderont immédiatement la résurrection générale, puis l’annonce du triomphe final de Jésus-Christ et des saints, avec une conclusion assez courte qui fait comme le pendant du prologue. — La seconde, celle du milieu, iv-xix, est, sans comparaison, la plus étendue. C’est là que sont rapportées les visions prophétiques dont S. Jean fut favorisé. Elles ont pour objet les terribles épreuves par lesquelles l’Eglise doit bientôt passer, mais surtout le triomphe du Sauveur sur l’empire idolâtre et les châtiments réservés aux persécuteurs. Ces visions sont mentales et symboliques, du genre de celles que S. Thomas appelle imaginatives, c’est-à-dire qui, sans affecter les sens extérieurs, ne sont pas néanmoins purement intellectuelles. (L. Bacuez.)