La religion du crime/Chapitre LXXX

Librairie anti-cléricale (p. 429-430).

CHAPITRE LXXX

LE SERPENT À DEUX TÊTES

Le savant Italien Redi parle d’un serpent monstrueux pris sur les bords de l’Arno et qui avait deux têtes et deux cous sur une seule colonne vertébrale.

Le corps de Meurtrillon fut en quelques secondes entouré par les spirales du serpent.

Étendu à terre, lié dans cette hélice où ses os craquaient, ses yeux sur les yeux du reptile, sa bouche haletante respirant l’haleine empestée du monstre, Meurtrillon comprit que sa dernière heure était venue.

Le reptile était épouvantable.

Meurtrillon, rendu vert par la terreur, était peut-être plus affreux.

Quant au groupe formé par ces deux monstres, l’homme et la bête, l’évêque et le reptile, il dépassait ce que la légende a imaginé de plus terrifiant.

On eût dit un serpent à deux têtes.

Chose singulière : le reptile semblait jouer avec sa victime. Il ne se hâtait point de la broyer. Il se contentait de la tenir serrée comme dans un ressort, lui passant seulement sur la face une salive gluante qu’il dardait sur la largeur de sa langue à deux pointes.

Une espérance folle passa par la tête de Meurtrillon.

Il se souvint que les Psylles d’Égypte font tomber les serpents en catalepsie en leur tenant les mâchoires serrées pendant un certain temps.

Telle était la puissance de volonté du prêtre, que son regard parut un moment fasciner le boa.

Meurtrillon, d’un geste rapide, dégagea ses deux bras et saisit de ses mains désespérées les mâchoires du monstre.

Une lutte inouïe s’engagea.

Le serpent essayait de broyer les côtes du prêtre, le serrant de toute la force de ses quatre cent vingt-deux vertèbres.

Le prêtre essayait de paralyser le serpent.

Un moment, il crut réussir, et poussa un hourra de joie, bientôt suivi d’un hurlement de malédiction et de douleur.

Le boa avait rassemblé toutes ses forces et avait brisé les reins de l’évêque.

De ses yeux mourants, Meurtrillon put ressentir la terreur de cette chute dans le gouffre : l’ingurgitation.

Ainsi mourut le faiseur de miraculées. Sa disparition fut très commentée d’abord, puis rapidement oubliée.

Son coadjuteur, l’abbé Sacabre, lui succéda. Il a vainement essayé dans ces derniers temps de devenir cardinal. Depuis la mort de Mgr Meurtrillon, l’abbé Sacabre a perdu beaucoup de son prestige à la cour de Rome. On ne le trouve pas assez dangereux. On s’aperçoit qu’il n’a pas de venin, qu’il est presque inoffensif. Il est probable qu’on le forcera à donner sa démission.